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Compétitivité et coût du travail : le mauvais débat.

tableau : Diego Rivera - Fondation Diego Rivera

Un graphique remplaçant parfois avantageusement un long discours, ce billet a pour objectif de donner des arguments visuels à partir de graphiques établis sur la base des statistiques de l’Insee, et donc de corroborer ou d’invalider certains propos ou idées reçues, au risque d’enfoncer quelques portes ouvertes. Cette analyse porte essentiellement sur les sociétés non financières pour la raison simple qu’elles totalisent presque 65 % des rémunérations versées et 86 % des dividendes distribués (1). Cliquer sur les images pour les agrandir.

Comme tout le monde, nous entendons parler de compétitivité à longueur de journée, parfois jusqu’à la nausée. Devenu argument d’autorité, ce terme ne souffre aujourd’hui aucune discussion, aucune remise en question, alors qu’il y aurait certainement beaucoup à dire et à discuter autour de la conception guerrière qu’il sous-entend. Mais mon propos n’est pas là . Que cela nous plaise ou non, ce mot, répété en boucle dans les médias, colonise les cerveaux et les discussions jusqu’à « psycholeptiser » toute critique sur son bien fondé. Et force est de constater que ce nouveau leitmotiv, fer de lance de la guerre idéologique, accapare aujourd’hui toutes les énergies du Medef et concentre ses tirs, essentiellement, sur le coût du travail. Or, comme certains l’ont déjà fait remarquer, cet argument équivaut à de la pure propagande dont le seul objectif est d’introduire un rapport de forces favorable au patronat et aux actionnaires - en d’autres termes le capital - face aux salariés.

Au risque de faire une légère digression, une des analyses que j’ai pu lire sur la compétitivité a particulièrement retenu mon attention. Dans un article récent (2), Arnaud Parienty, adoptant un point de vue original, écrit :

" Un problème plus général est la mauvaise qualité des dirigeants d’entreprises en France, rarement souligné. Il est étonnant (et symptomatique de notre culture colbertiste) que l’État ne retourne jamais vers les entreprises les accusations qui lui sont faites. Pourtant, les cadres ne sont pas les premiers à dénoncer des dirigeants parachutés dans des secteurs d’activité auxquels ils ne connaissent rien, choisis pour leur carnet d’adresses plus que pour leurs compétences, obsédés par la performance financière sans volonté de construire un outil de production, passant d’une entreprise à l’autre à toute vitesse. "

Voilà qui a le mérite d’être dit et de poser le problème sous une autre forme : le manque de compétitivité ne serait-il pas tout simplement la conséquence d’un manque notoire de compétences, d’imagination et de volonté chez certains de nos grands patrons ? Raison de plus pour contrecarrer, par tous les moyens possibles, la politique qui consisterait à faire payer aux salariés l’incompétence de quelques-uns.

Pour en revenir au coeur de ce billet, je commencerai par évoquer une intervention récente de Jean-Luc Mélenchon (3) - proposée ici même en lien par un des fidèles lecteurs du blog (4) - dans laquelle il proclamait que les dividendes distribués étaient très largement supérieurs aux cotisations versées par les employeurs. N’ayant jamais eu une confiance totale dans les propos de nos hommes politiques, je suis allé directement vérifier l’information sur le site de l’Insee en consultant le compte S11 des sociétés non financières et S12 des financières. Et force est de constater, comme le montre le graphique 1, qu’il a raison.

Aujourd’hui et depuis 2004 - 2002 quand on cumule SNF (sociétés non financières) et SF (sociétés financières) -, les cotisations sociales pèsent moins lourd que les dividendes bruts distribués dans les comptes des sociétés non financières.

Poussant l’investigation un peu plus loin, j’ai réalisé le graphique 2 qui montre sur une base 100 prenant 1993 (5) comme année de référence, que la masse salariale (salaires + cotisations soc. effectives et imputées) est restée relativement stable par rapport à la valeur ajoutée brute (66,93 % en 93, 67,77 % en 2011) alors que dans le même temps, le poids des dividendes bruts distribués était multiplié par presque 3 dans leur rapport avec la valeur ajoutée brute (7,5 % en 93, 21,1 % en 2011) et par 2 dans celui avec le compte d’affection des revenus primaires (8,8 % en 93, 19,4 % en 2011) (6). Quelle que soit l’assiette du calcul, que vous preniez le total des dividendes distribués ou les dividendes nets (total dividendes distribués - dividendes reçus) en rapport avec la VAB ou l’EBE (graphique 2bis), il y a systématiquement une multiplication par 3 (ou presque) des sommes versées entre 1993 et 2011.

Quant à la masse salariale, vous pourrez constater sur le graphique 3 que les salaires et traitements ont augmenté, mais ont été compensés par une diminution des cotisations sociales effectives et imputées. Donc, si les salariés qui ont la chance de bénéficier d’un système de participation ou d’intéressement ont vu leurs gains augmentés, la charge globale de la masse salariale pour les SNF n’a quasiment pas bougé depuis 1993 comme le montre la courbe linéaire (en rouge). Elle a même été légèrement inférieure à 1993 de 1994 à 2010. Seule l’année 2011 présente une légère augmentation de 1,25 %. Ce graphique nous indique clairement que le coût du travail n’est donc aucunement responsable de la baisse des marges des entreprises.

Dès lors, une question se pose. Si l’augmentation des dividendes n’a pas été prélevée sur la masse salariale - en tout cas depuis 1993-, contrairement à une idée trop largement répandue, sur quel(s) poste(s) a (ont) été prélevés ces dividendes ? En d’autres termes, quelle(s) est(sont) la(les) ligne(s) comptable(s) qui a(ont) été la(les) plus affecté(es) ?

Le prochain graphique (graphique 4) montre que l’impôt sur les sociétés n’a pas été affecté sur la période 1993-2011 et serait au contraire en légère augmentation comme le suggère la courbe de tendance linéaire. Si nous en restions là , comme le feraient certains apôtres orthodoxes sur le mode du « Circulez, y’a rien à voir ! » ou pire de « L’État nous spolie ! », nous passerions à côté de la tendance lourde qui se dégage des dernières années. En effet, si nous faisons un focus sur la période 2006-2011 (graphique 4bis), nous voyons clairement que si les dividendes nets ont retrouvé rapidement leur vitesse de croisière après la crise de 2008, ce n’est pas le cas de l’IS.

Autre chiffre intéressant : le rapport entre le montant de l’IS et les dividendes nets. Comme le montre le graphique 5, nous avons atteint les niveaux les plus bas depuis 2009. Si en 2000, le montant de l’impôt était 20 % plus important que les dividendes, il était en 2011 inférieur de 50 % ce qui représente un manque à gagner d’environ 16 milliards d’euros, 16 milliards qui seraient très utiles en ces temps de déficits publics.

Pour conclure ce billet, je finirai par un dernier graphique (graphique 6) qui montre une corrélation évidente entre les dividendes bruts et nets distribués en plus par rapport à leur poids en 1993 et le besoin de financement des entreprises (valeurs exprimées en milliards d’euros en ordonnée).

Comme je l’ai rappelé au début de cet article, ces graphiques ont pour objectif de servir d’arguments visuels, notamment face à tous ceux qui au nom de la compétitivité, arguent d’un surcoût du travail. Comme nous le voyons, le poids de la masse salariale n’a quasiment pas bougé depuis 1993. La problématique est donc ailleurs, et en particulier dans le coût du capital.

Je sais qu’il ne s’agit pas d’une révélation et que beaucoup défendent déjà ce point de vue. Ces graphiques sont là simplement pour éclairer leurs lignes de défense et d’attaque.

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PS : Tous les graphiques présentés ici sont librement disponibles et peuvent être repris par toute personne qui les juge digne d’intérêt. Le copyright a juste pour objectif de rappeler qui les a réalisés et empêcher toute forme d’usurpation.

(1) Voir tableau économique d’ensemble année 2011 http://www.insee.fr/fr/themes/theme.asp?theme=16&sous_theme=5.5

(2) http://alternatives-economiques.fr/blogs/parienty/2012/11/18/vive-le-d...

(3) http://www.jean-luc-melenchon.fr/2012/11/14/invite-du-grand-journal-sur-lci/

(4) http://www.pauljorion.com/blog/?p=43638

(5) Pourquoi 1993 ? Tout simplement parce que les données longues font apparaître une ligne spécifique au compte D421 (dividendes) à partir de cette année-là .

(6) Compte d’affectation des revenus primaires = excédent brut d’exploitation + revenus de la propriété

Article Original : http://cogimo.fr/WordPress3/

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On ne l’a dit pas clairement : on a dit qu’il y avait désormais interdiction d’emprunter à la Banque centrale, ce qui n’est pas honnête, pas clair, et ne permet pas aux gens de comprendre. Si l’article 104, disait « Les États ne peuvent plus créer la monnaie, maintenant ils doivent l’emprunter auprès des acteurs privés en leur payant un intérêt ruineux qui rend tous les investissements publics hors de prix mais qui fait aussi le grand bonheur des riches rentiers », il y aurait eu une révolution.

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