Pour entrer dans le vif du sujet, un 1er constat s’impose. Comme le 1er graphique le démontre, nous assistons globalement depuis 30 ans à un mouvement quasi-général de réduction du temps de travail (tous emplois confondus : salariés et non salariés).
Sur l’ensemble des pays pour lesquels nous disposons de données longues, seuls 3 pays l’ont augmenté : Russie, Mexique et Suède.
Sur les 10 dernières années, la tendance se maintient et s’inverse pour la Russie et la Suède avec un pourcentage qui passe en négatif (réduction temps de travail) et pour la Belgique et les Pays-Bas qui, eux au contraire, passe à un pourcentage positif (augmentation temps de travail).
Ces chiffres sont globalement confirmés, à quelques centièmes près, par l’Ocde à l’exception des Pays-Bas, la Slovaquie et la Norvège qui selon leurs sources auraient vu leurs temps de travail diminués respectivement de -4,04, -3,15 et -8,42.
Comme vous pouvez le voir, la tendance lourde est à une baisse du temps de travail, tendance qui se confirme sur la dernière décennie pour le travail salarié à l’exception du Mexique, de la Hongrie et de la Belgique soit 3 pays sur les 24 référencés par l’Ocde avec des données complètes sur cette période.
Abordons maintenant l’autre question épineuse sur la durée effective de travail.
Comme ce graphique le montre, il existe de grandes disparités. Entre les travailleurs coréens qui travaillent en moyenne 2193 heures par an et les Néerlandais 1377 heures, le solde est de 816 heures soit une différence sur une base d’une journée de 8 heures de 102 jours.
Ce graphique a également le mérite de montrer que contrairement au discours dominant, les Français ne sont pas ceux qui travaillent le moins. Cela dit, ce graphique ne présente pas beaucoup d’intérêt sans ajout d’un autre comparateur, et c’est là que les choses deviennent intéressantes.
Ces chiffres doivent être comparés à la productivité horaire et ô surprise, en partant sur une base 100 OCDE, nous constatons grâce aux courbes de tendance que les pays où la productivité horaire est la plus forte sont aussi ceux où l’on travaille le moins.
En d’autres termes, un travailleur norvégien produit plus de richesses en une heure de travail qu’un travailleur chilien ou mexicain. Un constat s’impose donc : plus la productivité augmente, plus le temps de travail se réduit. Processus apparemment normal dans la mesure où sous l’effet conjugué des progrès techniques et numériques et à demande identique, un bien ou un service peut être produit plus rapidement. Il est bon de rappeler à ce propos que selon un document officiel du ministère de l’Economie et des Finances, La désindustrialisation en France (1), 65% des destructions d’emplois entre 2000 et 2007 sont liés directement à des gains de productivité.
Mais alors pourquoi persister à vouloir augmenter la durée de travail alors même que nous avons déjà atteint des records en terme de productivité horaire ?
La réponse est assez simple et repose sur l’illusion que nous offre cet autre tableau.
En effet, ici nous voyons clairement qu’il existe une légère corrélation entre la croissance et le nombre d’heures travaillées. Le résultat serait encore plus éloquent avec la Chine ; malheureusement, nous ne disposons pas de données fiables sur le temps de durée de travail dans ce pays.
Partant donc du principe que plus on travaille, plus le taux de croissance augmente, nos élites, tout acquises à la pensée « croissantiste » qui constitue l’essentiel sinon le seul référentiel de leur idéologie, s’y accroche fermement comme à une vieille lune. Or les chiffres de ce tableau ne sont pas aussi catégoriques que ce qu’ils nous donnent à voir à première vue. En effet, il est à noter que :
1°) dans le haut du tableau (supérieur à 100 en nombre d’heures), 4 pays ont un taux de croissance inférieure à celui de l’OCDE : La Grèce, La Hongrie, Les Etats-Unis et l’Italie.
2°) dans le bas du tableau, malgré un nombre d’heures travaillées inférieures à la moyenne OCDE, 10 pays affichent des taux de croissance identiques voire supérieurs à la moyenne, à savoir par ordre d’importance : L’Australie, Le Luxembourg, La Suisse, la Suède, l’Autriche, les Pays-Bas, le Canada, la Finlande, l’Islande et l’Espagne.
La relation de cause à effet entre durée du temps de travail et croissance n’est pas aussi évidente qu’il y paraît au premier abord.
Quant au rapport entre heures travaillées et taux de chômage, il se dégage du graphique ci-dessous une très légère corrélation entre baisse du taux de chômage et réduction du temps de travail ce qui nous laisse à penser que le partage du travail, principe à l’origine des 35 heures, recèle quelque bien fondé à la condition expresse que ce partage ne se fasse pas uniquement sous la forme de temps partiel dont le corollaire est bien entendu une baisse substantielle des revenus salariaux. A titre d’exemple, c’est justement à cause de cette politique-là que l’Allemagne, le modèle soi-disant incontournable, voit aujourd’hui son taux de pauvreté flirter avec les 15% soit 12 millions d’allemands (2).
Voilà quelques graphiques qui permettent de relativiser le discours de ceux qui remettent en cause la réduction du temps de travail et font de son augmentation une panacée censée résoudre tous nos problèmes.
Face aux gains de productivité entraînant dans leur sillage des destructions nettes d’emplois (rappel : 65% selon le rapport précité), tous les discours sur le « travailler plus » perdent toute pertinence.
En outre, selon le même rapport (1), les délocalisations industrielles seraient responsables de 13% des destructions d’emplois, statistique qui relativise aussi tous les beaux discours que l’on nous sert actuellement sur la nécessaire réindustrialisation. Qu’elle soit utile, personne ne peut le nier, mais de là à la présenter comme une solution miracle, il y a peut-être un pas que la décence ou la raison devrait nous empêcher d’accepter comme un fait certain.
De toute évidence, le problème est ailleurs, et pas uniquement dans les différences de coût de main d’oeuvre qui seraient à l’origine des délocalisations. Au contraire, les gains de productivité apparaissent beaucoup plus importants dans leur effet destructeur. Par ailleurs, cette destruction non compensée, comme en atteste les taux de chômage, apporte, pour l’heure, un démenti formel à la théorie du déversement d’Alfred Sauvy (3).
Quoi qu’il en soit, la réduction du temps de travail s’est amorcée depuis 30 ans. Certes, nous sommes encore loin de la société libérée du travail rêvée par Marx et Keynes, et franchement, je ne sais pas si une telle société serait vraiment désirable. Mais une chose est certaine : si les gains de productivité continuent à détruire autant d’emplois et faute d’innovations entraînant un « déversement » (4), nous serons dans l’obligation tôt ou tard, de façon à permettre à tous une vie décente, de repenser, à l’instar de Dominique Méda (5) et de Pierre Larrouturou (6), le partage du travail et/ou la relation entre revenus et emplois (7).
Cogimo
http://cogimo.fr/WordPress3/2012/01/le-travail-un-modele-a-repenser/