Mercredi 23 janvier 2008.
Le livret A est la ressource peu chère, bénéficiant d’une exonération fiscale et d’une garantie de l’Etat, qui a financé les 4 millions de logements sociaux construits depuis les années cinquante, logements qui abritent aujourd’hui dix millions de personnes.
Depuis un certain temps, les banques réclament la possibilité de distribuer le livret A. Elles prétendent contribuer au financement du logement social. Le rapport CAMDESSUS demandé par le président de la République préconise une distribution de ce produit par toutes les banques et non plus seulement par la banque postale, les caisses d’épargne et le crédit mutuel. Le rapport propose également de laisser une partie des fonds dans les banques.
Qu’y a-t-il derrière ce débat d’apparence technique ? Est-il vraiment raisonnable de confier le livret A aux banques ?
Que craignons-nous ?
C’est tout d’abord l’accaparement par les banques des livrets avec des dépôts élevés dont le contenu sera ensuite transféré, sur les conseils de la banque, vers des produits plus rémunérateurs pour celle-ci.
Ce que nous craignons aussi, c’est la sélection des organismes de construction sociale qui veulent emprunter pour construire non pas sur des critères de besoins sociaux de la population mais sur des critères de richesse de l’organisme.
Ce que nous craignons encore, c’est un lobbying des banques pour demander, comme pour l’épargne logement, que la ressource peu chère serve à financer des prêts libres.
Ce que nous craignons enfin c’est que le gouvernement, pour satisfaire les tenants du libéralisme et pour gagner un peu sur le coût de la collecte du livret A, ne joue les apprentis sorciers et ne casse l’instrument qui a permis et permet encore de satisfaire la demande de logements pour les familles modestes. Ce n’est pas au moment où le Parlement a voté une loi sur le droit au logement qu’il faut prendre des risques sur le financement du logement social. Rappelons qu’il y a plus d’un million de demandeurs de logements sociaux aujourd’hui et la situation ne s’améliore pas compte tenu du niveau des loyers et des prix dans les grandes villes. Si on perd une partie des ressources du livret A et si l’ État n’a plus assez d’argent pour bonifier des financements trouvés sur le marché, c’est toute la construction sociale qui se trouve menacée, donc l’accès au logement des plus modestes.
Notre inquiétude est d’autant plus vive qu’elle est illustrée par la question des prêts "subprime".
On s’étonnera peut-être de voir mêlés ici deux sujets aussi différents que l’avenir du livret A en France et les prêts dits "subprime" dont certains établissements se sont fait la spécialité aux Etats Unis. Il y a pourtant un acteur commun, à savoir les banques.
Analysons d’abord ce qu’est un prêt "subprime". C’est un prêt accordé par une banque à une famille modeste, voire pauvre, qui a des risques sérieux de ne pas être en mesure de rembourser son prêt. Quel est donc l’intérêt (sic) pour la banque de réaliser une telle opération ? Cet intérêt est double.
D’une part ce prêt est accordé avec un taux d’intérêt élevé puisque la famille ne présente pas toutes les garanties qui lui permettraient d’obtenir un prêt "prime". Il est donc rémunérateur pour la banque. Si les commerciaux sont rémunérés au chiffre d’affaires rapporté, ils sont naturellement gagnants.
Par ailleurs si la famille ne peut pas rembourser et se trouve obligée de vendre l’appartement ou la maison, la banque ne perd pas d’argent tant que le marché est porteur et que les prix montent. La famille vend alors son logement et elle peut avec le montant de la vente rembourser sa dette, payer des pénalités et éventuellement il reste un peu de capital pour payer le déménagement dans un autre logement si elle en trouve. Et justement l’abondance du crédit augmente le nombre de familles qui cherchent à acheter un logement donc elle augmente la demande et pousse les prix à la hausse.
Jusque là tout va bien pour les banques. Par contre le jour où l’effet de dopage des prix par le crédit ne joue plus, où les taux d’intérêt remontent et où les prix stagnent voire baissent, alors les banques sont rattrapées par la catastrophe qu’elles ont elles-mêmes provoquée. D’où la crise actuelle.
Autrement dit, les banques ont créé une bulle qui leur a apporté des profits tant que la spéculation sur la hausse des prix a fonctionné. Ensuite, la baisse des prix et l’incapacité des familles à rembourser a provoqué leur effondrement et créé des effets négatifs en chaîne, effets dont on ne maîtrise pas encore toute l’étendue.
Mais surtout, les familles modestes n’ont été que des instruments dont les intérêts propres ont été méprisés et bafoués. On peut même penser qu’un certain nombre de banquiers savaient très bien qu’elles allaient à la catastrophe et les y ont amenées en toute connaissance de cause puisque la banque s’imaginait protégée de tout risque dans un marché qu’elle croyait éternellement porteur.
Bien sûr, on dira que cela ne peut pas arriver en France. Notre pays ne pratique pas beaucoup les taux variables. Il y a des règles en matière de crédit. Nous avons des banques sérieuses qui ne se seraient pas lancées dans une telle aventure.
Approfondissons un peu.
Un certain nombre de banques françaises ont annoncé des pertes importantes liées à l’achat de "paquets financiers" dans lesquels il y avait des prêts subprime. Certes les agences de notation qui étaient censées évaluer ces paquets n’ont pas fait leur travail. Mais pour les banques, organismes réputés sérieux et professionnels, il est pour le moins inconséquent d’avoir cru à une hausse permanente des prix immobiliers, dont tous les étudiants en économie savent qu’ils sont sujets à des cycles, et de n’avoir pas davantage réfléchi à la nature des produits qu’ils achetaient. Les banques nous rappellent suffisamment qu’elles fonctionnent avec de l’argent qui ne leur appartient pas. Un banquier anglais disait récemment dans la presse qu’il ne comprenait plus tous les produits que vendait sa banque. Voilà qui est inquiétant. On est loin de l’économie réelle.
Par ailleurs la remontée des taux d’intérêt fait apparaître que 20% environ des prêts immobiliers ont été accordés à taux variable entre 2004 et 2006. D’après un courtier financier, 100 000 ménages seraient concernés par la hausse des taux, avec des mensualités pouvant augmenter de 27 à 50%. Malgré le fait qu’une partie de ces prêts sont "capés", c’est à dire qu’il y a un taux d’intérêt maximum, les hausses de mensualité peuvent déstabiliser le budget d’un ménage, d’autant qu’une part de ces crédits ont été souscrits par des jeunes qui accèdent à la propriété en ne disposant que d’un faible apport personnel et en empruntant sur de longues durées. Il y a donc aussi des risques financiers pour des familles en France du fait de crédits accordés parfois inconsidérément.
Le fait qu’il n’y ait pas de sinistres actuellement est loin d’être une garantie pour l’avenir. Les prix semblent ne plus être à la hausse comme par le passé et l’effet de hausse des prix ne viendra probablement plus au secours des vendeurs et des banques. Le fonds de garantie (FGAS) qui garantissait certains prêts aidés a été partiellement supprimé (la réforme est plus complexe et est ici simplifiée).
A propos d’avenir, la durée des prêts s’est considérablement allongée et atteint souvent 25 à 30 ans. D’après l’observatoire du financement des crédits immobiliers, en 2005, la durée moyenne des emprunts s’élevait à 17 ans, elle avoisinerait les 20 ans actuellement et même 5% des prêts consentis en 2007 l’ont été à plus de trente ans. Lorsqu’on sait que la durée moyenne d’un couple est d’environ 7 ans, on ne peut qu’être inquiet pour les familles qui se sont lancées dans une telle servitude au long cours. Si un incident, maladie, chômage, divorce.... les oblige à vendre leur logement prématurément, elles n’auront remboursé que des intérêts et pratiquement pas de capital et leur dette restera aussi élevée qu’au départ. Et on n’insistera pas sur la complexité de certaines clauses de contrat, parfois incompréhensibles même pour des spécialistes, ou l’allongement de la durée de remboursement notifiée parfois sans explication.
Mais faisons aussi oeuvre de mémoire.
Dans un passé récent, de nombreux locataires évincés de leur logement se souviennent des ventes à la découpe. Certes, ce sont des marchands de biens qui ont effectué ces ventes, pour de grandes sociétés immobilières ou pour des sociétés d’assurance. Mais si ces opérations ont été possibles, c’est bien grâce à des crédits bancaires. Les marchands de biens n’ont généralement pas, à l’exception de fonds de pension américains, des fonds propres importants. Ce sont donc les banques qui les ont financés. Les sociétés de marchands de biens sont d’ailleurs parfois filiales de banques.
A la fin des années 80, la spéculation immobilière a battu son plein. Là encore la poussée de la demande a été financée par les banques. La fin de la bulle immobilière au début des années 90 a été une grande commotion pour l’économie française qui en a largement supporté les conséquences en termes de ralentissement de la croissance.
Le monde du logement social ne fait donc pas confiance aux banques pour représenter l’intérêt général. Trop de preuves d’inconséquence, d’esprit spéculatif, de peu de considération pour les intérêts des familles nous ont été données. Le fonctionnement du système financier en France n’est pas garanti par la liberté des banques mais au contraire par une législation, certes encore insuffisante, mais protectrice des citoyens contre les abus possibles, à commencer par les lois votées sous la gauche pour la protection des consommateurs et pour l’aide aux familles sur-endettées. LACORDAIRE le disait déjà , "entre la liberté et la loi, c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère". Les banques n’ont ni la vocation ni les moyens de défendre l’intérêt général.
Il existe d’autres moyens de réduire les coûts de la collecte du livret A. Il existe aussi d’autres moyens d’améliorer le fonctionnement du système des fonds d’épargne.
D’ailleurs le rapport CAMDESSUS n’apporte aucune preuve de l’amélioration du système par l’extension du livret A à toutes les banques. Il se contente de préconiser la réduction du taux de rémunération des épargnants et la réduction des commissions pour frais de collecte. De telles décisions peuvent être prises indépendamment de toute banalisation. Cette réduction de coût suppose d’ailleurs que la Banque postale perde rapidement une part importante du livret A alors qu’elle contribue fortement à apporter un service bancaire aux plus modestes.
Même chose pour la possibilité d’ajouter des emprunts obligataires aux ressources actuelles pour financer le logement social. Et ne fait-on pas l’impasse sur une possible remontée des taux longs ?
Enfin aucun argumentaire n’indique que la réforme pourrait augmenter ou même stabiliser la ressource pour le logement social.
Pour être constructif, plusieurs propositions peuvent être formulées.
Si l’on veut continuer à développer l’accession à la propriété sans provoquer des catastrophes comme on a connu dans le passé (les PAP progressifs par exemple), prenons des mesures pour mieux protéger les emprunteurs les plus modestes, ceux qui sont le plus vulnérables aux incidents de la vie. La fédération nationale des coopératives Hlm a mis en place un dispositif nommé "sécurisation Hlm de l’accession sociale à la propriété". Ce dispositif comporte trois garanties, une garantie de prix, une garantie de rachat, une garantie de relogement. On peut s’en inspirer pour développer les garanties données aux accédants modestes et éviter ainsi des catastrophes individuelles et collectives.
Pour diminuer les commissions prélevées par la Banque postale, les Caisses d’épargne et le Crédit mutuel pour la collecte du livret A, passons donc simplement un contrat de progrès, objectifs et moyens, avec ces organismes qui leur permette de s’adapter progressivement et de réduire leurs coûts. Dans ce contrat, tenons compte des obligations de service public imposées à ces organismes, en particulier la Banque postale, en matière de clientèle modeste et de répartition géographique sur l’ensemble du territoire. On peut demander des économies aux services publics mais en tenant compte des obligations de service public qui leur incombent.
Réexaminons les prélèvements de l’Etat sur les fonds d’épargne. L’Etat pourrait moins prélever et affecter les sommes économisées d’une part au logement social pour alléger le coût de la ressource, d’autre part à la compensation du "service bancaire minimum" assuré notamment par la Banque postale, le Crédit mutuel ou d’autres.
Créons une instance de régulation du financement du logement social qui ait pour rôle de garantir la pérennité de la collecte du livret A (et des autres livrets), qui veille à une optimisation progressive du coût de la collecte, qui garantisse la centralisation et la bonne affectation des fonds d’épargne réglementée et de leur résultat financier vers le logement social, qui associe les différents partenaires et notamment les bailleurs sociaux au bon fonctionnement de l’ensemble. Il existe déjà une caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). Ce pourrait être l’une de ses tâches, dépassant ainsi son rôle originel, d’étendre sa compétence au bon fonctionnement du système. Elle aurait pour rôle de garantir le financement nécessairement privilégié de l’indispensable effort de construction sociale. Enfin cette caisse de garantie pourrait aussi emprunter sur le marché financier si les conditions s’y prêtent.
Il y a donc des alternatives à ce qui nous est présenté comme une solution incontournable. Le mouvement HLM peut y contribuer.
Défendons le caractère d’intérêt général du livret A et sa nécessaire centralisation dans une enceinte qui associe les acteurs du logement social. Tous ceux qui attendent parfois depuis très, souvent trop, longtemps un logement social comprendront l’importance du combat mené par notre mouvement et notre souci de ne pas lâcher la proie pour l’ombre au moment où tant de français ont besoin de nous.
Michèle Attar
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