• En 2009, David Mendoza Herrarte a été extradé d’Espagne vers les États-Unis, à condition qu’il puisse purger sa peine dans ce pays
• Des documents classifiés révèlent les assurances diplomatiques données par l’ambassade des États-Unis à Madrid et comment les États-Unis ont violé les conditions de son extradition.
• Mendoza a passé plus de 6 ans aux États-Unis à essayer de retourner en Espagne. Des documents judiciaires montrent que les États-Unis ont refusé sa demande de transfert à plusieurs reprises.
• Alors qu’il était en prison, Mendoza a poursuivi les États-Unis et l’Espagne pour ne pas avoir respecté les conditions de son extradition et avoir violé ses droits fondamentaux. Son cas a récemment été repris par les Nations unies.
• Le cas de Mendoza a été évoqué le mois dernier devant la Haute Cour anglaise, où les États-Unis tentent d’extrader Julian Assange vers les États-Unis.
• Les États-Unis ont offert des garanties diplomatiques similaires pour qu’Assange puisse purger sa peine en Australie.
• Les avocats d’Assange citent le cas de Mendoza comme preuve que ces assurances ne sont pas dignes de confiance.
• James Lewis, le principal procureur américain, a déclaré que ces assurances sont à toute épreuve. Il a déclaré à la Haute Cour que ’les États-Unis n’ont jamais rompu une assurance diplomatique, jamais’.Les documents judiciaires et les assurances diplomatiques obtenus par Richard Medhurst montrent que c’est faux
David Mendoza Herrarte est né et a grandi aux États-Unis. Sa mère étant originaire d’Espagne, il s’y rendait chaque été, qu’il décrivait comme sa seconde maison. Il a la double nationalité, américaine et espagnole.
Mendoza était recherché par les États-Unis pour trafic de drogue. Au début des années 2000, il a utilisé des hélicoptères pour transporter de la marijuana, connue sous le nom de BC Bud, du Canada vers Seattle, en passant la frontière américaine. Aujourd’hui, la marijuana est légale à Seattle.
Mendoza travaillait dans le bâtiment et le développement immobilier, et gagnait bien sa vie. Il m’a dit qu’il ne faisait cela qu’à titre accessoire pour financer certains de ses projets immobiliers : ’J’avais tellement de choses en cours, mais je n’aurais jamais dû commencer à le faire. J’avais 25 ans et trop d’ambition’.
Mendoza a réalisé pour la première fois que les autorités américaines étaient sur sa piste lorsqu’il a été percuté par un camion alors qu’il conduisait, ce qui a provoqué la chute du pare-chocs de sa voiture. Lorsqu’il l’a emmené dans un atelier de réparation, le mécanicien l’a informé qu’un traceur GPS portant la mention ’propriété du gouvernement fédéral’ avait été placé sous sa voiture.
Mendoza me dit que des équipes ont été placées pour le surveiller 24 heures sur 24. En discutant avec un voisin, il découvre que le gouvernement avait loué une propriété en face de chez lui, qu’un autre voisin avait essayé de louer depuis toujours, sans grand succès, au tarif astronomique de 6 000 dollars par mois.
Pour éviter d’éveiller les soupçons, Mendoza savait qu’il ne pouvait pas simplement quitter le pays en avion, car il risquait d’être arrêté à l’aéroport. Il a donc échangé sa voiture avec une serveuse travaillant dans l’un de ses restaurants et, à son insu, a roulé pendant 20 heures jusqu’à la frontière mexicaine.
Une fois au Mexique, il est resté dans une maison qui lui appartenait pendant environ un mois, jusqu’à ce qu’il apprenne qu’un mandat d’arrêt international avait été lancé contre lui. Il a quitté le Mexique et s’est dirigé vers Madrid, arrivant en Espagne en juin 2006.
Deux ans plus tard, en juin 2008, Mendoza a été arrêté par la police espagnole en vertu d’un mandat d’arrêt international. Les États-Unis avaient demandé son extradition pour des accusations liées à la drogue et au blanchiment d’argent.
À ce moment-là, Mendoza s’était déjà installé en Espagne et avait fondé une famille. Il était maintenant marié et avait deux enfants.
Mendoza m’a dit : ’En Espagne, si vous êtes condamné, ils vous envoient dans une prison aussi près que possible de votre famille. Vous avez des visites libres, des visites conjugales, votre enfant peut être avec vous. Dans de nombreux cas, les enfants vivent avec la mère. L’idée est de maintenir le noyau familial’.
Les juges ont tenu compte du fait que Mendoza vivait désormais en Espagne, qu’il était marié et que son premier enfant, âgé d’à peine 9 mois, était né avec le syndrome de Down. Il avait un autre enfant, qui venait d’être conçu, également en route - tous deux de nationalité espagnole. Au vu de ces conditions, Mendoza a demandé au tribunal de prendre sa famille en considération.
Août 2008 : l’Audience nationale espagnole a décidé que l’extradition de Mendoza vers les États-Unis ne pouvait avoir lieu qu’à trois conditions : (1) qu’il purge toute peine en Espagne, (2) qu’aucune peine de prison à vie ne soit prononcée, et (3) qu’il ne soit pas jugé pour montage monétaire (« currency structuring » NdT).
Les procureurs américains ont rejeté cette demande, arguant que le traité d’extradition entre les États-Unis et l’Espagne ne permettait pas à l’Espagne de conditionner les transferts.
Novembre 2008 : la Cour espagnole a répondu par un second arrêt. Elle a réaffirmé qu’elle avait le pouvoir d’imposer des conditions à l’extradition d’un ressortissant espagnol.
Dans les deux jugements, les juges espagnols avaient exprimé leur position sans équivoque : si les États-Unis voulaient extrader Mendoza, ils devaient le renvoyer en Espagne pour y purger sa peine.
Janvier 2009 : l’ambassade des États-Unis à Madrid a envoyé au gouvernement espagnol une note contenant des assurances diplomatiques concernant David Mendoza.
Il énumère tous les chefs d’accusation retenus contre Mendoza, y compris celui de montage monétaire, bien que celui-ci ait été explicitement exclu par la Cour espagnole. (Ceci est dû au fait qu’il n’existe pas d’équivalent en droit espagnol. La condamnation à perpétuité a été exclue pour la même raison, car les condamnations à perpétuité ne sont pas autorisées en Espagne et l’extradition doit être compatible avec le droit espagnol).
Les assurances diplomatiques données à l’Espagne par les États-Unis étaient les suivantes : ’Le district occidental de Washington à Seattle a en outre indiqué qu’il ne s’opposait pas à ce que MENDOZA fasse une demande pour purger sa peine en Espagne, conformément à la Convention du Conseil de l’Europe sur le transfèrement des personnes condamnées et à ses statuts d’application.’
Cette ’assurance’ diplomatique a immédiatement fait froncer les sourcils.
L’assurance diplomatique n’indiquait pas spécifiquement que Mendoza serait envoyé en Espagne pour y purger sa peine. Elle indiquait seulement que les États-Unis ’ne s’opposent pas à ce que Mendoza fasse une demande pour purger sa peine en Espagne’ - ce à quoi les États-Unis ne peuvent de toute façon pas s’opposer, puisque tout prisonnier a le droit de demander un transfert conventionnel.
Mendoza me dit : ’Cela montre la perversité de ces gens. Ils utilisent ce langage ambigu à dessein. Il y a un précédent dans la cour fédérale qui dit que s’ils n’acceptent pas spécifiquement le transfert, il n’est pas valide’.
Récemment, les États-Unis ont offert des assurances diplomatiques similaires au Royaume-Uni, à savoir qu’Assange pourrait purger une peine dans son pays d’origine, l’Australie.
Selon Mendoza, pour que cela soit valable, les assurances diplomatiques des États-Unis doivent explicitement indiquer à l’avance que le ministère de la Justice américain et l’Australie acceptent le transfert d’Assange, sinon cela n’a aucun sens.
’Avec l’affaire Assange, je vois les choses en noir et blanc. Ils [l’Australie] ne vont rien faire. Selon le traité, les trois parties doivent être d’accord : Julian, l’Australie et les États-Unis. Mais les États-Unis peuvent dire à l’Australie en coulisses : ’on l’emmerde ce type, ne faites rien’’.
La Convention sur le transfèrement des personnes condamnées stipule expressément, à l’article 3 (f), qu’une personne condamnée peut être transférée ’si l’État de condamnation et l’État d’exécution en conviennent’. (L’État d’exécution signifiant l’Australie)
Étant l’un des rares journalistes à avoir couvert l’extradition d’Assange, je peux confirmer qu’à ce jour, l’Australie n’a donné aucun signe indiquant qu’elle accepterait la demande de Julian Assange de purger une peine dans ce pays, s’il en faisait la demande.
Dans ses jugements, l’Audience nationale espagnole avait également déclaré explicitement que Mendoza ne pouvait pas être condamné à une peine de prison à vie ou à une peine équivalente en cas d’extradition. La note diplomatique précise que les procureurs américains ’ne demanderont pas une peine d’emprisonnement à vie’, mais qu’ils veilleront à ce que ’Mendoza reçoive une peine d’incarcération d’une durée déterminée’ - ce qui pourrait signifier n’importe quel nombre d’années et ne répond pas explicitement aux conditions de l’Espagne.
Si les assurances diplomatiques des États-Unis à l’Espagne ont pu être formulées en termes vagues, le document suivant, signé par l’ambassade des États-Unis, ne l’était certainement pas.
Avril 2009 : Mendoza a montré les assurances diplomatiques des États-Unis à la cour espagnole, se plaignant qu’elles étaient trop ambiguës. La Cour a alors explicitement ordonné au gouvernement espagnol de ’prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir’ que les États-Unis respecteraient toutes les conditions de sa remise [et de son extradition].
En conséquence, un contrat pour l’extradition de Mendoza a été établi : l’Acta de Entrega ou ’Acte de reddition’.
Alors que Mendoza se tenait sur le tarmac de l’aéroport de Barajas, prêt à être extradé vers les États-Unis, il était accompagné par la police espagnole et un diplomate espagnol. Des Marshalls américains et une représentante de l’ambassade des États-Unis à Madrid, Kimberly Wise, l’attendaient.
Mendoza a été déshabillé, placé en combinaison orange et enchaîné, et on lui a demandé de signer l’Acta de Entrega.
L’Acta de Entrega est un document crucial. Il indique que Mendoza a été remis aux autorités américaines et, plus important encore, il confirme qu’il a été remis ’conformément à ce qui a été précédemment stipulé par la section deux de l’Audience nationale pénale’. Cela signifie que quiconque signe ce document accepte les conditions imposées par le tribunal espagnol, à savoir que Mendoza doit purger sa peine en Espagne.
Kimberly Wise a signé l’Acta de Entraga au nom du gouvernement des Etats-Unis, acceptant les conditions de l’extradition de Mendoza. Wise l’a signé avec Mendoza, et un représentant du gouvernement espagnol. Les trois signatures sur l’Acta de Entrega sont montrées ci-dessous.
Ne laissant aucune place à l’ambiguïté, Mendoza se souvient qu’un fonctionnaire du tribunal espagnol a brandi le papier devant tout le monde et a demandé expressément : ’Comprenez-vous tous ce que vous signez ? », en soulignant le texte d’un gribouillis, toujours visible sur le côté gauche de la page.
Bien qu’il ait lu et signé ce document, le gouvernement des États-Unis n’a jamais permis à Mendoza de le revoir, affirmant qu’il était classifié et qu’il n’était pas au courant des communications diplomatiques.
Kimberly Wise, qui a signé l’Acta de Entrega au nom des États-Unis, a été vue travaillant encore à l’ambassade des États-Unis à Madrid aussi récemment qu’en 2019.
Dans une interview accordée au magazine du département d’État, Kimberly Wise se vante de sa relation étroite avec le système juridique espagnol : ’Je connais la police. Je connais les procureurs’.
Lorsque j’ai montré cette vidéo à Mendoza, il a immédiatement reconnu Wise : ’C’est dégoûtant de voir comment ces gens sont si intégrés dans le système judiciaire espagnol - et avec une telle arrogance, comme si elle les contrôlait’.
Avril 2009 : David Mendoza Herrarte est extradé vers les États-Unis.
Après avoir signé l’Acta de Entrega, Mendoza était officiellement sous la juridiction des États-Unis. Il se souvient avoir été remis aux autorités américaines : ’La première chose qu’ils font quand ils vous attrapent, c’est qu’ils vous déshabillent. Les marshals regardent dans votre bouche, votre cul, vos oreilles, chaque orifice. Ils essaient de vous humilier de toutes les manières possibles : ’Accroupis ! Maintenant fais ça...’. Ils vous disent : vous êtes sous la juridiction des Etats-Unis maintenant, et c’est notre loi qui va s’appliquer à vous.’
Juin 2009 : Une fois aux États-Unis, Mendoza a pris part à ce que l’on appelle une audience d’arbitrage ou une conférence de règlement. C’est là que les accords sont négociés en présence du juge, entre les procureurs et les accusés.
Les procureurs ont menacé Mendoza de plus de 20 ans de prison s’il ne remettait pas une plus grande partie de ses biens.
’J’avais un très grand immeuble à Tacoma, Washington, d’une valeur de 2 millions de dollars. Les fédéraux voulaient le saisir mais ne pouvaient pas, il était au nom de ma femme, il n’avait aucun lien avec les stupéfiants.’
On a dit à Mendoza que s’il remettait le bâtiment, le gouvernement américain ne s’opposerait pas à sa demande de transfert en Espagne. Mendoza leur a demandé de mettre cela par écrit. On lui a répondu que non, que ce n’était pas une pratique courante lors d’un arbitrage. Le juge, Ricardo Martinez, l’a rassuré en lui disant qu’il était là pour s’assurer que le gouvernement tienne sa parole.
Mendoza a cédé la propriété à contrecœur, pensant que cela améliorerait ses chances de rentrer en Espagne. ’Dès que je suis arrivé en ville, j’ai vu que tout était une question d’argent. Ils voulaient que je renonce à tout.’
Les assistants des procureurs américains présents étaient Susan Roe, Roger Rogoff et Richard Cohen. Toutes les décisions devaient passer par Jenny Durkan, le procureur principal contre Mendoza. Durkan est maintenant le maire de Seattle, WA.
À ce moment-là, le gouvernement américain avait déjà saisi 14 millions de dollars d’actifs et de propriétés de Mendoza, dont l’écrasante majorité n’avait aucun rapport avec les narcotiques.
Lors du prononcé de la sentence, Mendoza risquait désormais 14 ans de prison. Mendoza a dit au juge : votre honneur, l’estimation de l’accusation est que j’ai gagné 2 millions de dollars avec la marijuana, et pourtant vous avez pris 14 millions de dollars de mes biens. Où est l’équilibre de la justice ici ? Prenez 2 millions de dollars, et je garde 12. Chaque heure de ma vie, j’ai travaillé sur ces bâtiments.
Thomas Zilly, le juge principal du district, a regardé Mendoza de haut et lui a dit : jeune homme, aux États-Unis d’Amérique, lorsque vous mélangez un centime sale avec cent centimes propres, tout devient propriété des États-Unis.
Mendoza m’explique : ’Avant même que je sois inculpé ou extradé, ils ont saisi mes biens et les ont soumis devant un tribunal civil.’
’Sur chaque propriété que je possédais, ils ont affiché des panneaux indiquant qu’elle était saisie par le gouvernement fédéral et que j’avais 90 jours pour contester.’
Mendoza soupçonne le gouvernement d’avoir essayé de le piéger en l’incitant à retourner aux États-Unis pour contester les saisies devant le tribunal, parce qu’ils n’avaient pas assez de preuves le liant aux stupéfiants.
’J’ai engagé un avocat pour contester les saisies. Mais l’un des jeux du gouvernement est le suivant : vous ne pouvez pas contester un procès civil en dehors des États-Unis. Vous devez être présent. C’était une tactique pour me forcer à revenir aux États-Unis. Ils ont mis en accusation tous mes biens ; ils ne se souciaient pas de savoir s’ils avaient été utilisés pour le crime ou en étaient le fruit ou non – ils ont tout saisi’.
Lors du prononcé de la sentence, Mendoza a demandé que le tribunal respecte les conditions de l’extradition et le renvoie en Espagne pour y purger sa peine. Mendoza se souvient de l’échange suivant :
Juge Zilly : M. Mendoza, savez-vous sous quel instrument vous avez été extradé vers les Etats-Unis ?
Mendoza : Oui, le traité d’extradition entre l’Espagne et les Etats-Unis d’Amérique.
Juge Zilly : C’est exact. Et êtes-vous signataire de ce traité ? L’avez-vous signé ?
Mendoza : Non, je ne l’ai pas fait. L’Espagne et les États-Unis l’ont signé.
Juge Zilly : C’est exact. A moins que vous ne soyez un signataire de ce traité, vous n’avez aucune revendication.
Il est désormais clair que les États-Unis n’avaient jamais eu l’intention de renvoyer Mendoza en Espagne. Ils avaient saisi jusqu’au dernier centime, puis ont violé les assurances diplomatiques données à l’Espagne
Ce que les Etats-Unis disaient essentiellement est : Mendoza n’est pas signataire du traité d’extradition entre l’Espagne et les USA, donc il ne peut pas poursuivre pour rupture de contrat si les USA ne l’envoient pas en Espagne.
Cette affirmation peut sembler ridicule, car elle l’est. De toute évidence, Mendoza n’est pas signataire du traité d’extradition, car les traités sont signés entre des pays, pas des personnes physiques.
Mendoza s’attend à ce que le gouvernement américain joue le même tour à Assange s’il refuse de l’envoyer en Australie et qu’il conteste cette décision devant les tribunaux.
’Dans cette note, il doit spécifiquement indiquer que Julian a le droit de contester la non-conformité des États-Unis, même en tant que non-signataire du traité. Parce que les États-Unis vont commencer à jouer le jeu.’
Dans le cas de Mendoza, cependant, il y avait un document que lui, les États-Unis et l’Espagne avaient tous signé ensemble, qui stipulait clairement qu’il devait purger sa peine en Espagne : l’Acta de Entrega.
Mendoza a demandé une copie en vertu de la loi sur la liberté de l’information (FOIA), mais cela lui a été refusé. Au lieu de cela, il a reçu une autre version de l’Acta de Entrega, sans sa signature. La version qui lui a été remise par les États-Unis ne portait que les signatures des autorités espagnoles et américaines (à gauche) au lieu de la version originale (à droite) signée par lui, l’Espagne et les États-Unis.
Mendoza fut condamné à 14 ans de prison. Au lieu d’être envoyé immédiatement en Espagne pour y purger sa peine, Mendoza fut prié de demander un transfert par traité. Il l’a fait, et la réponse des États-Unis fut « non ».
’Les États-Unis refusent la demande de transfert en raison de la gravité de l’infraction, parce que le prisonnier est un domicilié des États-Unis, parce que le prisonnier est un mauvais candidat en raison de son casier judiciaire et en raison de graves préoccupations en matière de maintien de la loi.’
Au total, Mendoza a demandé trois fois à être transféré en Espagne. Les trois demandes ont été refusées, violant ainsi les conditions de son extradition. Chaque fois qu’il a fait une demande, il a dû attendre 8 mois pour obtenir une décision, et encore plus longtemps pour refaire une demande. Le refus indique : ’Il n’y a pas de recours administratif contre cette décision. Sauf indication contraire ci-dessus, le détenu peut refaire une demande deux ans après ce refus.’
Mendoza m’a dit : ’C’est là que j’ai réalisé que je suis devant la mauvaise cour. Je n’obtiendrai rien ici. Je vais poursuivre mon propre pays parce qu’au moins je pourrais avoir un petit goût de justice là-bas.’
Après le premier refus en 2010, Mendoza a poursuivi l’Espagne devant un tribunal pénal, demandant aux juges espagnols d’appliquer les conditions d’extradition, c’est-à-dire de le renvoyer en Espagne. Dans un premier temps, les juridictions inférieures lui ont répondu qu’elles ne pouvaient rien faire. Puis l’affaire a été portée devant la Cour suprême pénale, qui a refusé d’y toucher.
Deux années s’étaient écoulées et Mendoza n’arrivait à rien devant les tribunaux pénaux. Il a donc décidé de saisir la Cour constitutionnelle espagnole, qui a également refusé de prendre l’affaire en main et de contraindre les Américains à respecter leur part du marché.
La troisième et dernière option était le tribunal civil.
En 2014, Mendoza a intenté deux actions en justice contre l’Espagne : (1) que les conditions de son extradition avaient été violées et (2) que ses droits humains avaient été violés. Chaque affaire a été portée devant la Cour suprême. Mendoza a gagné les deux.
La Cour suprême espagnole a estimé que les efforts déployés par le gouvernement pour récupérer Mendoza aux États-Unis étaient inadéquats et risibles. Le gouvernement espagnol a reçu l’ordre de remettre les communications diplomatiques avec les États-Unis - qu’il avait auparavant refusé de donner à Mendoza. Elles ont révélé que l’Espagne n’avait demandé que deux fois aux Américains de renvoyer Mendoza.
Le gouvernement espagnol a reçu l’ordre de ’prendre toutes les mesures pour que les États-Unis remettent l’appelant [Mendoza] au gouvernement espagnol afin qu’il purge sa peine en Espagne’. Dans le cas contraire, la Cour suprême utiliserait tous les outils à sa disposition pour y parvenir. En d’autres termes, la Cour suprême a menacé de suspendre purement et simplement le traité d’extradition entre l’Espagne et les États-Unis.
C’est à ce moment-là que les États-Unis ont enfin commencé à ressentir une certaine pression.
’Dès que la Cour suprême espagnole a rendu cet arrêt, ils ont commencé à faire dans leur froc’, explique Mendoza. Si les tribunaux espagnols suspendaient le traité d’extradition, il y avait un énorme processus pour le réactiver. Il faut passer par le Congrès espagnol, l’UE, et cela attirerait trop l’attention. Ils aiment faire ces choses sous le radar, la dernière chose qu’ils veulent c’est que cela soit rendu public.’
En 2014, peu avant que la Cour suprême ne tranche en faveur de Mendoza, des diplomates espagnols lui ont rendu visite en prison. Ils lui ont mis un papier devant les yeux et lui ont dit que s’il le signait, il serait immédiatement renvoyé en Espagne. Apparemment, les Etats-Unis voulaient cinq Colombiens qui étaient en Espagne, qu’ils étaient prêts à échanger contre Mendoza.
Mendoza a refusé catégoriquement. Il n’allait pas être responsable de l’extradition de cinq Colombiens, sans compter que cela n’a jamais fait partie de l’accord.
La diplomate a été scandalisée par le refus de Mendoza d’obtempérer : ’Elle avait un air choqué sur le visage et m’a dit en espagnol : pourquoi rendez-vous toujours tout si difficile ?’
Mendoza lui a rétorqué : ’Madame, c’est vous rendez les choses difficiles. C’est vous qui ne suivez pas l’ordre de la cour. L’ordre de la cour ne dit pas 5 Colombiens ou 5 Allemands en échange de Mendoza.’
Mendoza soupçonne qu’il s’agissait d’une tactique de manipulation. Selon lui, le gouvernement a probablement eu vent du fait que la Cour suprême allait statuer en sa faveur, et a donc voulu le renvoyer en Espagne le plus rapidement possible avant que l’arrêt ne provoque un désaccord avec les États-Unis.
Au moment même où Mendoza poursuivait l’Espagne depuis sa cellule aux États-Unis, la pression montait à l’intérieur du pays.
En prison, Mendoza a écrit à tous les membres du Parlement espagnol. Chaque semaine, il envoyait des liasses de lettres adressées à des députés, des juges, des avocats et d’autres personnes, afin de sensibiliser l’opinion publique à son cas.
Mendoza me raconte qu’il a passé ses journées en prison à la bibliothèque de droit, à apprendre le droit pénal, à se familiariser avec les extraditions et à découvrir comment le gouvernement des États-Unis n’avait pas tenu ses promesses à maintes reprises auparavant.
Le soutien à Mendoza s’est considérablement accru en Espagne. Lorsque les juges espagnols ont appris ce qui se passait, ils ont été mécontents du refus des États-Unis de respecter les conditions de son extradition. Ils ont commencé à faire pression sur les États-Unis à leur manière et ont cessé de traiter les extraditions de ressortissants espagnols.
Pour enfoncer le clou, Gómez Bermúdez, un juge principal de l’Audiencia Nacional, a fait appel à l’ambassadeur des États-Unis en Espagne et a rédigé une déposition disant que les tribunaux espagnols ’ont été très clairs sur le fait que les États-Unis n’ont pas la possibilité de refuser le transfert de [Mendoza] en Espagne sans violer la condition sous laquelle son extradition a été autorisée’.
Il leur a dit qu’ils feraient mieux de rendre Mendoza ’car ne pas le faire pourrait compromettre de futures extraditions de l’Espagne vers les États-Unis, pays dans lequel il existe jusqu’à présent une coopération juridique fluide et fructueuse’.
Il a envoyé le même ordre au ministre de la Justice.
Un autre coup de chance pour Mendoza est arrivé par la poste, caché dans une pile de documents judiciaires. Un juge espagnol lui avait envoyé, de manière anonyme, une copie de l’original de l’Acta de Entrega : le contrat que lui, les États-Unis et l’Espagne avaient signé ensemble.
Cela signifie que Mendoza pouvaient désormais poursuivre le gouvernement des États-Unis pour rupture de contrat pour ne pas l’avoir envoyé en Espagne. Ce qui est exactement ce qu’il a fait.
Mendoza a intenté une action civile contre le gouvernement des États-Unis et Eric Holder, le procureur général d’Obama.
Mendoza a poursuivi les États-Unis sur la base de quatre chefs d’accusation. Au tribunal, le procureur américain a affirmé que l’Acta de Entrega n’était pas un contrat, mais un reçu de 350 EUR. Mendoza l’a traité d’idiot et lui a demandé s’il avait obtenu son diplôme de droit dans une boîte de céréales, ce qui a provoqué un petit rire du juge.
Alexey Tarasov a représenté Mendoza quand il a poursuivi les Etats-Unis. Tarasov me raconte qu’alors qu’il était en train d’acheter des billets d’avion pour aller au tribunal à Seattle, il a reçu un appel téléphonique du procureur américain sur place qui l’a informé que si Mendoza abandonnait le procès civil, ils le laisseraient aller en Espagne immédiatement.
La pression que Mendoza a pu exercer de l’intérieur de sa cellule de prison, en poursuivant à la fois l’Espagne et les États-Unis, semblait avoir porté ses druits - pour l’instant.
Paula Wolff était responsable des transferts de prisonniers au ministère de la Justice à l’époque. Elle était en communication constante avec la CIA, le FBI, la DEA, et le Département d’Etat. Pour pouvoir partir en Espagne, chacune de ces agences devait approuver le transfert.
Avant de pouvoir partir, Mendoza a été amené devant un juge, avec d’autres prisonniers en cours de traitement pour l’extradition. On a demandé à Mendoza de signer un document stipulant qu’il purgerait l’intégralité de sa peine une fois de retour en Espagne. Il a refusé, disant que cela ne faisait pas partie de l’accord. Cela a provoqué un blocage et le juge a demandé une suspension d’audience. Mendoza pense que le juge a probablement appelé quelqu’un à Washington DC et qu’on lui a dit de laisser Mendoza partir et d’en finir avec toute cette histoire, car il leur causait trop de problèmes.
’Le procès américain n’était qu’une affaire financière pour récupérer tous mes biens, mais ce qui les inquiétait vraiment, c’était la peur de perdre le traité d’extradition avec l’Espagne’, m’a-t-il dit.
Mendoza a été autorisé à rentrer en Espagne, mais il me dit : ’L’abandon du procès contre les États-Unis est le plus grand regret de ma vie.’
’Ils ne voulaient pas être responsables devant un tribunal civil pour rupture de contrat. J’allais demander à récupérer tous mes biens jusqu’à ce qu’ils respectent l’accord.’
Pendant son séjour en prison, Mendoza avait étudié les livres de droit ; comment des Américains avaient poursuivi d’autres pays depuis l’intérieur des États-Unis, devant un tribunal fédéral. Il a eu envie de faire la même chose : ’Quand je suis rentré en Espagne, j’ai dit que j’allais les poursuivre [les États-Unis] dans les mêmes conditions.’
À sa grande surprise, cependant, il a constaté que ce n’était plus possible. L’Espagne avait adopté une nouvelle loi sur l’immunité des États en 2015.
Au total, Mendoza a passé 6 ans et 9 mois dans le système pénitentiaire américain. Chaque jour en violation du traité d’extradition entre les États-Unis et l’Espagne et des conditions imposées par l’Audience nationale espagnole.
Lorsque Mendoza est retourné en Espagne en 2015, le juge Grande-Marlaska lui a d’abord annoncé qu’il serait libéré. Trois jours plus tard, cependant, Grande-Marlaska a brusquement changé d’avis. Mendoza soupçonne les Américains d’avoir fait pression sur lui.
Il a maintenu la peine de 14 ans de Mendoza, car la loi en Espagne avait été modifiée en 2014, faisant passer la peine de 6 à 15 ans. Marlaska a depuis été promu au poste de ministre de l’intérieur.
La logique de Marlaska était que Mendoza avait été transféré en 2015, il devait donc appliquer la loi à ce moment-là. Cependant, les activités criminelles de Mendoza ont eu lieu au début des années 2000 et il a été condamné aux États-Unis en 2009.
Mendoza a dit au juge : ’Votre honneur, vous ne pouvez pas me condamner rétroactivement. Vous devez appliquer la loi à partir du moment où j’ai été condamné, quand le crime a été commis.’
Les condamnations rétroactives sont interdites par les Nations unies, la Convention européenne des droits de l’homme et la Constitution espagnole. Les lois ne sont généralement appliquées rétroactivement que si elles profitent à la personne condamnée, par exemple en réduisant la peine ou en effaçant le casier judiciaire.
Mendoza déclare : ’Si l’Espagne et les États-Unis avaient fait ce qu’ils étaient censés faire en vertu de l’accord, je serais revenu en Espagne à la fin de 2009. Il n’y avait pas de ’nouvelle loi’ à l’époque. J’aurais fait quelques années de plus dans une prison espagnole, j’avais déjà fait deux ans aux États-Unis à ce moment-là. Au lieu de cela, j’ai fait presque 7 ans aux États-Unis, puis 4 ans en Espagne.’
Mendoza soupçonne que la nouvelle sentence a été prononcée pour le contrarier. ’C’est leur façon de dire : vous pouvez nous obliger à vous renvoyer, mais vous ne vous en tirerez pas comme ça’. Il pense que Kimberly Wise, la diplomate américaine présente lors de son extradition, y est pour quelque chose.
En Espagne, Mendoza n’est pas sorti de prison avant 2019. ’Je suis sorti dans le cadre d’une libération conditionnelle, qui est autorisée en Espagne, après avoir purgé les deux tiers de votre peine pour des crimes non violents. Ils ont dit que je pouvais rentrer chez moi et que je devais me présenter tous les six mois.’
Mendoza m’a dit qu’après son retour, l’Espagne a cessé d’exiger des États-Unis qu’ils renvoient les prisonniers pour qu’ils purgent leur peine en Espagne - probablement pour éviter de contrarier les États-Unis. L’Espagne demande toujours qu’il n’y ait pas de condamnation à perpétuité, mais purger une peine en Espagne n’est plus une condition qu’elle impose.
En 2020, Mendoza a déposé une plainte contre l’Espagne auprès des Nations unies pour l’avoir condamné à la prison de manière rétroactive. Habituellement, l’ONU n’accepte que 1 à 2% des cas qui lui sont soumis. Le sien fut accepté.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) est un traité international visant à protéger les droits civils et politiques, auquel l’Espagne fait partie. La criminalisation ex post facto, c’est-à-dire l’application rétrospective d’une loi pénale, est interdite par le traité.
J’ai demandé à Mendoza à quoi ressemblerait une décision favorable de l’ONU. ’Nous avons demandé que l’ONU oblige à une indemnisation, publie mon cas dans trois grands journaux et change la loi pour qu’elle soit effective.’
Les procureurs espagnols ont déclaré aux Nations unies que la plainte de Mendoza devait être rejetée. Ils affirment que la seule raison pour laquelle il est revenu en Espagne était d’obtenir une réduction de peine. (En Espagne, Mendoza aurait reçu 6 ans de prison au lieu des 14 aux États-Unis, pour le même délit).
Mendoza affirme que leur revendication est ridicule. ’Qui a imposé mon retour en Espagne ? Moi ou les tribunaux ? Les tribunaux, évidemment, alors allez leur dire qu’ils ’abusent’ de la loi.’
Le gouvernement espagnol est venu voir l’avocat de Mendoza et lui a demandé s’il était prêt à abandonner les poursuites de l’ONU. Ils ont demandé si c’était une question d’argent. Mendoza déclare : ’Je leur ai dit d’aller se faire voir. Je ne veux pas d’argent ; je ne vais pas abandonner ce procès. Je veux que cela soit inscrite dans la loi, ou ce sera toujours le même système dégueulasse’.
Mendoza espère que les Nations unies se prononceront en sa faveur, une procédure qui peut généralement prendre environ deux ans.
Bien que les Nations unies aient pris en charge son cas, Mendoza a été profondément affecté par l’extradition, les nombreuses batailles juridiques et les violations de ses droits fondamentaux.
Pendant son séjour en prison, ses deux parents sont décédés. ’J’ai perdu mes parents après cinq années passées en prison fédérale. J’ai été privé d’étreindre ma mère alors qu’elle souffrait d’un cancer du pancréas’, se souvient-il. Les relations avec son ex-femme et ses enfants ont également été tendues.
’J’ai claqué tout mon héritage, et chaque dollar honnête que j’ai gagné sur cette affaire. Si je n’avais pas eu ces ressources, je serais encore dans une prison américaine.’
Le gouvernement américain a pris 14 millions de dollars à Mendoza, saisissant divers biens, restaurants et propriétés, la grande majorité sans rapport avec la marijuana. J’ai demandé à Mendoza combien il avait dépensé en frais de justice pour tenter de rentrer en Espagne. Il estime qu’il s’agit de 220 000 à 250 000 USD. Il dit qu’il a eu de la chance par rapport à d’autres. S’il n’avait pas eu d’argent à dépenser pour des avocats, il serait encore coincé dans une prison américaine.
’Je me sens vraiment mal pour ces gars qui sont encore en prison, des gamins condamnés à vie pour la marijuana. C’est légal de nos jours dans la plupart des États américains, et pourtant ils sont toujours en prison. Vous avez un président dont le fils fume du crack, si c’était quelqu’un d’autre, il aurait été condamné à au moins 5 ans de prison. Pourquoi tout le monde n’aurait pas droit à une chance comme lui ? C’est dégoûtant de voir comment le public ferme les yeux.’
Mendoza reconnaît qu’il a commis le crime, mais il déclare : ’Si la loi doit s’appliquer à la lettre pour moi, pourquoi pas pour le gouvernement des États-Unis ? Les États-Unis ont conclu un accord avec l’Espagne pour me renvoyer, et ils ont rompu cet accord.’
Mendoza a proposé son aide à d’autres personnes menacées d’extradition vers les États-Unis, notamment feu John McAfee, le tristement célèbre marchand d’armes Viktor Bout et Konstantin Yaroshenko.
En 2013, un tribunal français a bloqué l’extradition de Michael et Linda Mastro vers les États-Unis, citant le cas de Mendoza comme preuve que la France ne pouvait pas faire confiance aux assurances des États-Unis.
Mendoza espère que son cas aidera également Julian Assange, qui risque jusqu’à 175 ans d’emprisonnement aux États-Unis pour avoir publié des câbles diplomatiques et des preuves des crimes de guerre commis par les États-Unis en Irak et en Afghanistan. L’acte d’accusation à son encontre criminalise de fait le journalisme.
J’ai couvert l’appel d’Assange devant la Haute Cour le mois dernier. Les États-Unis tentent de l’extrader du Royaume-Uni vers les États-Unis. De même, les États-Unis ont offert des assurances diplomatiques qu’Assange pourrait purger sa peine dans son pays d’origine, l’Australie.
J’ai dit à Mendoza ce que James Lewis, le procureur général, avait dit : ’Les Etats-Unis n’ont jamais rompu une assurance diplomatique, jamais’.
Mendoza s’est exclamé : ’C’est la réponse du procureur ? Honnêtement, il n’est pas fréquent que je perde le sommeil mais c’est dégoûtant, juste d’entendre ça de la part de quelqu’un qui est censé dire la vérité à la cour.’
Les avocats d’Assange ont cité le cas de Mendoza comme un exemple de rupture par les États-Unis de leurs assurances diplomatiques, suggérant que celles offertes maintenant pour Assange ne sont pas dignes de confiance. M. Lewis a répondu que les États-Unis n’avaient pas rompu leurs assurances car, en fin de compte, Mendoza a été autorisé à retourner en Espagne pour y purger sa peine.
Mendoza a été irrité par la réponse de Lewis. ’C’est comme si on condamnait quelqu’un à mort, qu’il parvenait à faire appel, et qu’on disait ensuite qu’on n’avait pas essayé de le tuer. Ils ont mis tous les obstacles qu’ils pouvaient [pour m’empêcher de retourner en Espagne].’
L’autre garantie offerte par les États-Unis semble indiquer qu’Assange ne serait pas emprisonné à ADX Florence ou placé dans des conditions de détention oppressives connues sous le nom de mesures administratives spéciales (MAS).
Tout comme celles offertes à Mendoza, les assurances données à Assange sont ambiguës et formulées en termes vagues. Les États-Unis affirment qu’il ne sera pas soumis à un SAM ou emprisonné à ADX, à moins que ’dans le cas où, après l’entrée en vigueur de cette assurance, il commettrait à l’avenir tout acte répondant au critère d’imposition d’un SAM conformément à 28 C.F.R. § 501.2 ou § 501.3’.
Une fois en détention, les États-Unis pourraient simplement alléguer qu’Assange a fait quelque chose qui ’ répond au critère d’imposition d’une MAS ’, le placer en isolement, puis prétendre qu’ils n’ont jamais violé leurs assurances, car ils se sont déjà offert une possibilité de le faire.
C’est pourquoi Mendoza m’a dit que les garanties doivent être explicitement énoncées, sans possibilité de dérogation.
L’extradition d’Assange a été bloquée par une juge britannique en janvier 2021, au motif que les conditions de détention aux États-Unis seraient trop oppressantes et le pousseraient au suicide.
Pendant son séjour aux États-Unis, Mendoza a été emprisonné dans un établissement de sécurité moyenne à Englewood, au Colorado. C’est près d’ADX Florence, où Assange sera probablement envoyé.
’Croyez-moi, les prisons européennes ne sont pas agréables. Mais les prisons américaines sont bien pires. J’étais dans le Colorado, un des plus grands trous à rats que j’ai jamais vu. C’était sale ; ils vous laissaient sortir de votre cellule une heure par jour- quand ils le décidaient, pas quand je le voulais.’
’Les cellules de la prison avaient des télévisions qui s’allumaient au hasard. Si tu demandais trop souvent aux gardiens de changer de chaîne, ils te punissaient. Il est 3 heures du matin, par exemple, ils vous réveillaient et demandaient : tu veux ton heure de récréation ?’. Les prisonniers qui refusaient ne pouvaient pas quitter leur cellule avant le lendemain.
Mendoza m’a expliqué le processus de déshumanisation et de privation de sommeil en prison : ’Vous n’avez pas de nom ; vous avez un numéro, et vous devez le répéter à chaque comptage. Les comptages ont lieu toutes les trois heures dans les prisons fédérales de haute sécurité. Une autre chose que les gardiens faisaient, c’est qu’au lieu de pointer leur lampe de poche vers le plafond, ils vous l’envoyaient en plein visage.’
’J’ai peur que ce sera le cas pour Assange. Ils vont le rendre fou. La seule chose qui m’a gardé sain d’esprit, c’est ce travail juridique ; écrire aux juges et à la presse, poursuivre les États-Unis au civil.’
Ce qu’a vécu Mendoza est un cran en dessous de ce que subirait Assange. Non seulement ADX Florence est une prison fédérale super-maximum, mais Assange serait également placé sous mesures administratives spéciales (MAS), en isolement extrême.
Mendoza me dit que les visites devaient être approuvées par des personnes spécifiques. ’Ma femme était canadienne, mais je devais obtenir l’autorisation pour qu’elle traverse la frontière chaque fois qu’elle venait me voir, car ils pensaient que je transmettais des communications par son intermédiaire. J’ai dû aller au tribunal juste pour que ma femme puisse amener mes enfants pour me voir.’
À l’époque, les parents de Mendoza vivaient à Seattle, WA. Il a demandé à être transféré dans un établissement à Sheridan, dans l’Oregon, pour pouvoir se rapprocher d’eux. ’Ils m’ont envoyé dans le New Jersey à la place, [à l’autre bout des États-Unis] pour me contrarier’.
L’intérêt pour Mendoza de purger sa peine en Espagne était de pouvoir être près de ses proches. D’où la raison pour laquelle une telle condition a été imposée par la Cour espagnole : maintenir le noyau familial.
En vertu de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, tout détenu a droit au respect de sa vie privée et familiale. Cela signifie qu’il ne peut être emprisonné dans un lieu si éloigné qu’il rend les visites familiales difficiles ou impossibles.
Bien qu’ils aient renvoyé Mendoza, les États-Unis ont finalement réussi à violer l’objectif même de cette condition : La famille de Mendoza s’est effondrée. En prison, il a perdu ses parents, sa femme et lui ont divorcé, et il me dit : ’Mes enfants ne m’appellent pas ’papa’, ils m’appellent David.’
Le cas de Mendoza est une histoire incroyable en soi.
Néanmoins, elle doit être examinée dans le contexte de l’extradition d’Assange. Lorsque James Lewis a déclaré aux juges de la Haute Cour que ’les États-Unis n’ont jamais rompu une assurance diplomatique, jamais’, c’est tout simplement faux.
Les documents ci-dessus montrent clairement que les États-Unis ont violé leur accord et rompu les assurances diplomatiques données à l’Espagne. Mendoza devait être renvoyé en Espagne pour y purger sa peine, mais il a passé six ans et neuf mois dans diverses prisons américaines. Ce n’est qu’après avoir intenté un procès aux États-Unis et à l’Espagne - son propre pays - pour ne pas avoir appliqué les conditions de son extradition, qu’il a été autorisé à rentrer. Ce n’est qu’après que la Cour suprême espagnole ait statué en sa faveur, menaçant le traité d’extradition entre les États-Unis et l’Espagne lui-même, qu’il a pu contraindre les États-Unis à appliquer les conditions de son extradition et à le renvoyer en Espagne.
Mendoza a eu la chance d’avoir la Cour suprême espagnole, les hauts magistrats et le public de son côté. Si les États-Unis devaient violer les garanties d’extradition d’Assange, il est extrêmement peu probable, étant donné la ’relation spéciale’ entre le Royaume-Uni et les États-Unis, qu’Assange puisse faire pression sur le gouvernement britannique pour qu’il oblige les États-Unis à respecter les conditions de son extradition.
James Lewis a déclaré à la Haute Cour anglaise que les assurances diplomatiques sont ’des engagements solennels, donnés au plus haut niveau ; elles ne sont pas distribuées comme des bonbons’. Il a raison. Il incombe donc à la Cour d’examiner ce qui s’est passé pour Mendoza, à qui les États-Unis ont offert des assurances diplomatiques, et d’évaluer si celles offertes pour Assange sont adéquates, mais surtout, si elles peuvent être appliquées une fois qu’il ne sera plus sous la juridiction britannique.
L’expérience de Mendoza montre que pour Assange, toute assurance ou tout accord diplomatique doit être rédigé dans un langage explicite et signé par toutes les parties, y compris Assange, afin qu’en cas de non-respect, il puisse avoir la possibilité de le contester devant les tribunaux, malgré son statut de non-signataire du traité d’extradition entre le Royaume-Uni et les États-Unis.
L’affaire Mendoza offre à la Cour un aperçu extraordinaire des rouages de la diplomatie américaine, des procédures judiciaires et de l’extradition vers les États-Unis. Il s’agit d’un avertissement sérieux dont les juges de la Haute Cour devraient tenir compte, eux qui, à leur discrétion, ont le pouvoir d’empêcher les erreurs judiciaires flagrantes qui mettent gravement en danger le défendeur, avant qu’elles ne se produisent.
’Je ne suis personne. S’ils sont capables de me faire ça, imaginez ce qu’ils peuvent faire à Assange.’
Richard Medhurst
@richimedhurst
http://youtube.com/richardmedhurst
Traduction "avec les Etats-Unis, ce sont toujours les hypothèses les plus pessimistes qui sont les plus crédibles" par Viktor Dedaj avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles