L’éviction du président égyptien Mohamed Morsi a exacerbé la rivalité entre les deux grandes chaînes de télévision satellitaire arabes, la saoudienne Al-Arabiya et la qatarie Al-Jazeera, chacune reflétant la position de son bailleur de fonds, sans souci d’objectivité.
“Les deux chaînes se préoccupent davantage de véhiculer les points de vue de leurs bailleurs de fonds que d’informer d’une manière professionnelle et objective”, estime l’analyste saoudien Abdallah Shamry.
Al-Jazeera du Qatar et Al-Arabiya à capitaux saoudiens, qui ont déjà marqué leurs différences par une couverture du Printemps arabe perçue comme proche des positions de leur gouvernement respectif, ont “polarisé le paysage médiatique arabe”, selon lui. Le contraste a été clair dans la couverture des manifestations ayant conduit à l’éviction par l’armée, le 3 juillet, de Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans.
“Al-Jazeera et Al-Arabiya ont couvert ces événements de deux manières diamétralement opposées”, indique Mohamed El-Oifi, spécialiste des médias arabes à l’université de La Sorbonne à Paris.
Alors qu’Al-Arabiya retransmettait en direct les protestations des anti-Morsi sur l’emblématique place Tahrir au Caire, Al-Jazeera partageait son écran en deux, montrant côte-à-côte la célèbre place du Caire et un second lieu de la capitale égyptienne où étaient rassemblés les partisans du président islamiste. L’éviction de M. Morsi est qualifiée de “coup d’Etat contre la légitimité” par la chaîne qatarie mais appelée “deuxième révolution” par la chaîne saoudienne.
Alors que l’Arabie saoudite a eu une relation tendue avec les nouveaux gouvernements dominés par les Frères musulmans, le Qatar a activement soutenu les islamistes parvenus au pouvoir en Egypte et en Tunisie. Pour M. Oifi, la couverture d’Al-Arabiya “est le reflet fidèle” de la position de l’Arabie saoudite, dont le roi a été le premier chef d’Etat étranger à féliciter le président intérimaire Adly Mansour qui a remplacé M. Morsi.
Mais Al-Jazeera “a adopté une position plus hostile aux événements du 30 juin que l’Etat du Qatar qui semble avoir, plus ou moins, accepté la chute de Morsi”, a-t-il ajouté. Par leur couverture récente de l’Egypte, les deux chaînes sont “en train de perdre leur crédibilité” au profit de chaînes concurrentes de langue arabe comme France24, la BBC ou SkyNews, fait valoir M. Shamry.
Le scénario s’est répété quelques jours après, lorsque 53 partisans du président déchu ont été tués devant les locaux de la Garde républicaine. Al-Arabiya a mis en avant les déclarations de l’armée pendant que sa concurrente qatarie diffusait en direct une conférence de presse des Frères musulmans et montrait des images de manifestants tués.
Des collaborateurs d’Al-Jazeera en Egypte, qui seraient au nombre de sept, avaient démissionné pour contester sa ligne éditoriale. Mais le directeur de la chaîne “Al-Jazeera Moubacher en Egypte”, Aymen Jaballah, a ensuite expliqué dans le quotidien The Telegraph que son personnel avait “reçu des menaces de mort” et que “des tracts maculés de sang ont été distribués devant les locaux” de la chaîne au Caire.
“Les deux chaînes ont proposé une couverture complète des événements”, tempère l’universitaire koweïtien Saad al-Ajmi. “La différence s’est faite dans le choix des mots qui reflète les positions politiques” de chacune, ajoute cet ancien ministre de l’Information, estimant que “l’angle de prise de vue des images reflétait clairement les tentatives de grossir le nombre de manifestants d’un côté comme de l’autre”.
Les téléspectateurs sont désemparés, comme en témoignent les commentaires sur internet. Alors qu’une page sur Twitter avec le hashtag “îTwittez comme si vous êtes Al-Arabiya” se moque de cette chaîne, un groupe sur Facebook, qui compte plus de 6.000 membres, accuse Al-Jazeera de “semer la sédition entre les Egyptiens”.
Abdel Fataah Mohamed, un expatrié égyptien aux Emirats arabes unis, reconnaît qu’”Al-Jazeera penche légèrement pour les Frères musulmans”, ajoutant toutefois qu’elle couvre “en direct les événements tels qu’ils se déroulent et laisse s’exprimer des gens de tout bord”. “J’ai récemment cessé de regarder Al-Arabiya car elle n’est pas objective”. Pour M. Ajmi, la concurrence entre Al-Arabiya et Al-Jazeera est saine. “Leur couverture variée des événements profite au public. Il serait injuste pour le téléspectateur arabe d’entendre un seul point de vue”. (Afp)