Élections au Chili : Une victoire pour la gauche ?

Michelle Bachelet (Photo http://akhilak.com)

Dimanche 17 novembre, les Chiliens se rendront aux urnes. Il est très vraisemblable que Michelle Bachelet, de la coalition de centre gauche Nouvelle Majorité, prolonge son mandat de présidente du Chili. Mais quant à dire qu’elle sera prête à libérer enfin le pays de l’héritage du dictateur Pinochet, c’est aller un peu vite. Entre-temps, les candidats présentant un programme bien plus optimiste sont soigneusement tenus à l’écart des médias.

D’après les sondages, Michelle Bachelet va remporter les élections. Ce nom vous rappelle quelque chose ? Logique, car Bachelet a déjà été présidente du Chili. De 2006 à 2010, elle a été la première femme présidente de l’histoire du pays. Quand son mandat a expiré, elle a décidé d’aller chez les Femmes de l’ONU, le nouvel organe des Nations unies pour les droits des femmes, dont elle est devenue directrice. Mais, cette année, Bachelet est retournée au Chili pour se présenter en vue d’un second mandat.

À l’occasion des élections, les partis du centre et de gauche se sont unis pour former la Nueva Mayoría (Nouvelle Majorité). Le Parti communiste du Chili (PCCh) lui aussi est entré dans cette coalition. Avec, entre autres, Camila Vallejo, la célèbre dirigeante estudiantine de la Jeunesse communiste, qui brigue un siège au Sénat. En tant que candidate de la Nouvelle Majorité, Bachelet se profile plus clairement à gauche. Ainsi, elle promet d’appliquer 50 mesures sociales dans les 100 premiers jours de son mandat, dont la création d’une fonds de pension de l’État – pour l’instant, il n’existe que des fonds de pension privés – et de réaliser d’importants investissements dans l’enseignement public. Deux mesures sociales qui doivent contribuer à aplanir les inégalités qui caractérisent le Chili.

Plutôt du pareil au même

Entre-temps, les Chiliens viennent de se farcir quatre ans de présidence de Sebastian Piñera. Piñera était le premier président de droite depuis la chute du dictateur Pinochet en 1990. Depuis le retour de la démocratie, le Chili avait généralement dirigé par le camp du centre (gauche). Mais il a chaque fois été question, néanmoins, de prolonger la politique néolibérale introduite par Pinochet.

C’est avec l’aide des États-Unis que Pinochet avait introduit dans le pays une version ultra-sévère du modèle néolibéral. Au Chili, le libre marché est sacro-saint et ni l’homme de droite Piñera ni la centriste de gauche Bachelet n’ont fait quoi que ce soit pour rompre avec cette politique. Bachelet a sans aucun doute lutté contre la pauvreté – comme avec l’introduction d’un revenu de base et d’une pension pour les femmes isolées – mais, sur le plan de la politique économique, elle a encore renforcé l’emprise des multinationales. Quand le peuple a voté pour le populiste de droite Piñera, c’était surtout parce qu’il voulait du changement. Mais Piñera n’a rien proposé au peuple et, bien vite, il allait faire de très mauvais scores historiques dans les sondages de popularité.

Aussi la nouvelle génération se pose-t-elle à juste titre des questions. Pourquoi les parents doivent-ils s’endetter de la sorte pour payer les études de leurs enfants ? Nulle part au monde le coût des études n’est aussi élevé qu’au Chili. Et pourquoi cette immense différence entre les soins de santé publics et ceux du privé ? Dans les soins publics, il y a un docteur pour 920 patients, dans le privé, un pour 279. Le Chili est le pays le plus inégalitaire de l’OCDE (le club des 34 pays occidentaux les plus riches, NdlR) et l’un des quatre pays les plus inégalitaires de la planète.

Bien des Chiliens ne croient plus de ce fait à « la politique », qu’elle soit de « gauche » ou de droite. Aussi cela s’exprime-t-il dans le faible taux de participation aux élections. Lors des municipales de l’an dernier, moins de 40 % de la population s’est rendue aux urnes. Si Michelle Bachelet gagne prochainement les élections, elle ne représentera donc qu’une petite partie de la population. Et quid des larges masses ? Regardent-elles tout cela avec docilité ?

Le changement ?

Certainement pas ! Le Chili se trouve certainement à un tournant. La population est bel et bien soucieuse de l’avenir de son pays. Elle ne croit plus dans les dirigeants politiques, mais bien dans un processus de démocratisation. Les protestations estudiantines massives qui ont fait la une de la presse mondiale et qui ont gagné tous les secteurs de la société chilienne, en sont un puissant exemple. Les Chiliens, avec en tête la génération d’après Pinochet, semblent se rendre compte que des réformes profondes – aussi bien dans l’enseignement que dans les soins de santé et la fiscalité – ne pourront être possibles qu’après une modification de la constitution. Car si la gloire de Pinochet semble avoir pâli depuis longtemps, la constitution qu’il a imposée en 1980, elle, est toujours là.

Selon cette constitution, l’armée continue à garder sa position autonome et continue à favoriser la droite. Dans pour ainsi dire aucun autre pays du monde, les militaires ne sont parvenus, après une dictature, à conserver une position aussi forte vis-à-vis des dirigeants démocratiquement élus. Pourquoi les syndicats au Chili ont-ils des droits bien plus limités que dans d’autres démocraties ? Parce que les militaires désignent toujours directement un cinquième des sénateurs et qu’en outre, le président ne peut même pas les limoger. Ainsi donc, un parti dirigeant peut très bien avoir la majorité parmi les parlementaires élus, mais pas parmi les électeurs. Par conséquent, les lois ne peuvent être approuvées au Sénat qu’après des négociations musclées avec l’aile militaire de droite.

D’où le fait que l’appel en faveur d’une modification de la constitution se fait de plus en plus entendre. Car, si le Chili veut vraiment se libérer de l’époque de Pinochet, ceci doit obligatoirement constituer la première étape. Bachelet a déjà fait savoir qu’elle désirait créer des commissions afin d’examiner les pistes possibles vers une modification de la constitution, mais ses propositions ne vont pas très loin.

Des candidats alternatifs

Sur ce plan, Marcel Claude, candidat à la présidence du Parti humaniste, va bien plus loin. Il se rend aux élections en tant que candidat indépendant. Il veut que soit convoquée une assemblée constituante au sein de laquelle une large représentation du peuple chilien pourra débattre des nouveaux fondements pour un Chili d’avenir. Claude reçoit ici le plein soutien du mouvement estudiantin. Bien qu’il n’ait guère d’attention pour la presse (inter)nationale, il exprime bien la vision d’un très grand nombre de Chiliens et il prône un véritable changement : la nationalisation de l’industrie du cuivre, l’assouplissement de la législation sur l’avortement, l’octroi d’un accès à la mer à la Bolivie, la gratuité des soins de santé publics, la libération des prisonniers Mapuche, etc.

Roxana Miranda du Partido Igualdad (Egalité) a quasi le même programme que celui de Claude et reçoit elle aussi beaucoup de soutien. Dans les rares débats auxquels ils peuvent participer, tous deux font une grosse impression. Mais Claude et Miranda ne doivent pas faire état de leurs apparitions dans les shows politique télévisés, mais de leur bon travail sur le terrain, en compagnie des citoyens chiliens.

Néanmoins, il est quasiment certain que Michelle Bachelet va remporter les élections. Ce sera donc à elle et à la Nouvelle Majorité qu’il incombera de montrer qu’elle prête l’oreille aux doléances du peuple et que son profil plus à gauche a bel et bien un contenu concret. Et qui va plus loin que la lutte contre la pauvreté car, au Chili aussi, tout tourne autour de ceux qui produisent la richesse, de ceux qui s’encourent avec les bénéfices et de ce qu’on peut y faire pour que ça change. Mais une chose est certaine, c’est que le Chili va d’ici peu connaître des heures passionnantes.

Isabelle Vanbrabant

 http://www.ptb.be/hebdomadaire/article/elections-au-chili-une-victoire-pour-la-gauche.html

COMMENTAIRES  

17/11/2013 15:56 par Dwaabala

Le leitmotiv de l’actuelle Constitution, qui a été installée par Pinochet, est la défense du modèle néolibéral réduisant l’État à un rôle essentiellement subsidiaire.
D’autre part les gouvernements de la transition (dont celui de Michelle Bachelet battue il y a 4 ans) n’ont jamais eu la moindre intention d’avancer dans le processus de démocratisation des forces armées. La seule chose obtenue après l’éclipse de l’ex-dictateur a été que les forces armées n’apparaissent pas aussi directement sur la scène politique.
Or il n’existe pas une force populaire et citoyenne pour forcer l’ouverture d’un processus constituant démocratique.
La tâche des forces de progrès consiste donc à continuer de développer le processus de rupture démocratique, initié à une échelle massive par le mouvement étudiant à partir de 2011. Bien qu’il y ait d’amples secteurs qui sont encore marqués par l’apathie, l’immobilisme, l’individualisme et le manque de conscience solidaire, des secteurs toujours plus nombreux sont conduits à s’activer parce que leurs intérêts objectifs sont en contradiction avec un modèle qui leur a fait des promesses et qui n’y répond pas.

19/11/2013 14:20 par J.C. Cartagena

L’analyse est certainement très intéressante mais elle le serait plus si elle n’était pas partisane, inexacte et incomplète.

En lisant le premier paragraphe de l’article les lecteurs du GS pourraient croire par l’emploi du terme « prolonger » que la candidate Michelle Bachelet (MB) allait continuer d’exercer le pouvoir. Il faut attendre la phrase suivante qui remet les choses en place en indiquant qu’elle a cédé le gouvernement à Piñera en (mars) 2010.

S’il est vrai que la Constitution en vigueur est celle imposée par Pinochet, elle a été amendée sous le mandat de Lagos (2002-2006) afin d’éliminer les sénateurs désignés. Donc l’affirmation « les militaires désignent toujours directement un cinquième des sénateurs et en outre, le président ne peut même pas les limoger » est complètement fausse.

Plusieurs pourcentages de majorités sont requis pour approuver des lois de nature différente, donc affirmer que « les lois ne peuvent être approuvées au Sénat qu’après des négociations musclées avec l’aile militaire de droite » n’est pas tout à fait conforme à la réalité.

Rappelons aussi que la modification (radicale) de la constitution est prévue par le programme de la Nouvelle Majorité (NM), coalition qui appuie la candidature de MB. L’article soutient que les propositions des commissions instaurées par MB pour modifier la constitution « ne vont pas très loin ». Encore une fois nous nous trouvons face à une présentation biaisée de la réalité.

Le président de la commission constituée par MB, l’avocat constitutionnaliste Fernando Atria, a été on ne peut plus clair clair - ce qui a d’ailleurs déclenché une polémique avec la droite à l’époque -, en déclarant que la constitution « devait en tout cas changer ». MB elle même l’a répété à de nombreuses occasions. Par contre, ce qui n’est pas encore clarifié, c’est le moyen que va employer la NM pour réaliser cette réforme. D’après la constitution elle même, l’accord des deux tiers des élus, c’est-à-dire 80 députés et 25 sénateurs, est nécessaire. Or, la coalition de centre gauche ne les possède pas.

Pour mettre les choses au point et - vraiment - informer les lecteurs du Grand Soir, rappelons que MB mettra l’accent sur trois grandes réformes : la réforme du mode de scrutin (passer d’un scrutin binominal à un scrutin majoritaire) qui va de pair avec le changement de constitution, mais nécessite trois cinquièmes des élus, soit 72 députés et 23 sénateurs, la réforme de l’éducation qui requiert quatre septièmes des élus, 69 députés et 22 sénateurs, et la réforme fiscale modifiable à la majorité simple.

Avant même de connaître les résultats des législatives, on savait que certaines réformes pourraient être adoptées sans négociation avec la droite.

Maintenant que l’on connaît la composition du nouveau parlement, on sait qu’il va falloir s’appuyer sur le mouvement social pour, ou bien commencer par la constitution et les quorums requis, ou bien pour exiger des chambres l’adoption des lois demandées. La bataille sera dure, mais chaque victoire permettra de mieux se positionner pour la suivante.

Les commentaires au sujet de la candidature de Marcel Claude ne sont pas, eux non plus, conformes à la réalité. Claude ne va pas plus loin que MB pour le changement de la constitution, seulement il milite pour une méthode particulière, l’Assemblée Constituante. Il en va de même pour l’affirmation selon laquelle il « prône un véritable changement », comme si les trois principaux projets de la NM déjà mentionnés -entre autres- n’étaient que de la poudre aux yeux !

L’absence de commentaire de l’auteur sur la similitude des programmes de Roxana Miranda et Marcel Claude est aussi très révélatrice. En effet, il est évident dans les deux cas que l’enjeu personnel l’emporte sur celui de la responsabilité politique. Il n’y a pas d’autre explication au fait que deux candidats qui n’ont pratiquement aucune différence dans leurs diagnostics du système n’aient pas fusionné leurs propositions en une seule. Aucun de ces deux candidats n’aura un rôle majeur à jouer dans les processus de changements qui s’annoncent dans le pays, surtout à cause de leur manque de vision unitaire. De ce fait, aucun mouvement politique ne pourra surgir de leur aventure électorale, ni la continuer.

Finalement, après ce scrutin, on peut constater que certains résultats sont révélateurs. Sur les quatre candidats issus des mouvements étudiants et élus à la chambre des députés, deux appartiennent à la NM - des communistes -, et le troisième a reçu son appui. Par ailleurs, deux élus de l’ancienne Concertation qui résistaient le plus à tout changement (Alvear, démocrate chrétien et Escalona, socialiste), n’ont pas été réélus.
Enfin, pour répondre à la question : « Élections au Chili : Une victoire pour la gauche ? », oui, certainement, et le Chili s’apprête à vivre des heures pleines d’espoir.

J.C. Cartagena

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