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Embargo contre Cuba : attention aux imprécisions journalistiques

A la vue des annonces Obama-Castro et du rétablissement à venir des relations cubano-étasuniennes, I-télé dépêcha Olivier Ravanello comme expert international pour décrire cet événement à portée mondiale.

Dans ses explications fut déclarée sans détour « la victoire du réalisme pragmatique néo-libéral sur un rêve socialiste », soit la victoire finale sur le rêve d’un autre âge. Ce dernier soigna d’ailleurs sa pensée en tentant de ramener cet événement à la scène politique française actuelle et ses socialistes passéiste (pour reprendre les termes de Manuel Valls), qui selon le politologue de la chaine TNT sonnera comme un glas, la fin d’une illusion de résistance face à une hégémonie de modèle économique. En bref, nous serions dorénavant dans une nouvelle ère, rappelant les thèses de la « fin de l’histoire » de Francis Fukuyama.

Rappelons que Olivier Ravanello avait déjà été « pris en flagrant délit de malhonnêteté journalistique » sur un autre sujet que Acrimed révéla cet été [1] au sujet de l’opération israélienne dans la bande de Gaza.

Il est clair que l’embargo étasunien déchaîne toutes les passions et les idées, dépassant depuis des décennies ses frontières insulaires cubaines et toujours remises en cause notamment au sein de l’ONU ; puisque le blocus a toujours été condamné par une large majorité des représentants lors des votes à l’assemblée des nations unies (22 votes) [2].

Dans un souci d’éclaircissement sur la situation actuelle et des proches perspectives, la rédaction de Paloma Info, tout en se félicitant de ces nouvelles prises de positions de la part des EU et de Cuba, se doit de dresser un tableau de cet embargo si souvent décrié.

Un embargo si vrai et pourtant....

Les plus féroces partisans de l’embargo, notamment au sein des anciens exilés cubains de Miami ont souvent souhaité un renforcement de ce dernier. Ceci s’explique par les exceptions qui donnaient un semblant d’« effet gruyère » à ce blocus : les échanges avec les Etats-Unis n’ont jamais réellement disparu puisque ils s’établissaient en 2013 à 360 millions de dollars, cela est faible certes face à une projection de marché très prometteuse (estimée elle à 4 300 millions par an seulement pour les exportations américaines et 5 800 pour les explorations cubaines selon l’institut Peterson de l’économie internationale) mais cela démontre que le système n’était pas fermé hermétiquement et que certaines structures américaines continuaient à bénéficier de la législation américaine ou de son contournement (par des pays tiers).

En détail ; le maïs, le riz, le soja et le poulet congelé sont les produits étasuniens exportés vers l’île. En effet, en 2000 une loi avait vu le jour pour la levée des restrictions sur les aliments et les produits de santé.

Ainsi pour comprendre le réel blocage des exportations il faut analyser les restrictions les transactions financières, là est le point majeur de la lutte qui se mènera à Washington.

La restriction prend effet sur le mode de paiement, les entreprises étasuniennes se devaient d’être payées en avance et sans passer par le système financier bilatéral. Malgré cela, les Etats-Unis restent le cinquième partenaire de Cuba et le Texas fut longtemps considéré comme un grenier cubain pour les aliments de premières nécessités.

D’après les récentes déclarations, nombres de grandes entreprises se réjouissent donc d’une ouverture prochaine.

Quels acteurs ? Sous quelle formes ?

Les premiers effets ne se furent pas attendre notamment les actions des opérateurs de croisières se sont envolées mercredi à Wall Street. Le titre du numéro un mondial de la croisière, l’étasunien Carnival Corporation, a gagné 3,46%, celle de Norwegian Cruise Line Holdings 4,67%, tandis que le numéro deux mondial, l’américano-norvégien Royal Caribbean Cruises Ltd, bondissait de 6,62%.

Dans un premier temps, le plafond des virements d’argent autorisés des Etats-Unis vers Cuba va quadrupler à 2.000 dollars par trimestre, et les Etasuniens autorisés à se rendre à Cuba pourront utiliser leurs cartes de crédits à Cuba dans un certain plafond, même si les modalités restent encore floues. Les entreprises étasuniennes pourront exporter des matériaux de construction et des équipements agricoles à Cuba pour aider l’émergence d’un secteur privé dans ces domaines. Du côté cubain seules Havana Club (détenu par une société d’état cubaine et Pernod Ricard depuis 1996 pour son exploitation internationale) et des grandes maisons de cigares pourront surfer sur des possibles exportations vers les Etats-Unis, au vu du peu d’entreprises et de niveaux de productions pouvant répondre aux marchés étrangers. Il reste assez évident que le marché cubain reste d’avantage à portée des entreprises étasuniennes que le contraire.

Le tourisme reste pour Cuba un avantage qui reste à exploiter à la vue de ce que pourrait représenter un flux de touriste à 170 km de leur côte. Sur ce sujet plusieurs niveaux doivent être analysés ; commençons par dire qu’actuellement plus de 100 000 touristes étasuniens (non cubains) arrivent chaque année avec des visas particuliers. Et combien sont ils à passer par des pays tiers sans indiquer leur séjour sur le territoire communiste ?

Au niveau des structures d’accueil, des grandes chaînes hôtelières étrangères ont déjà pris position sur le territoire, c’est le cas de Melia, Accor ou Barcelo. Le reste du parc hôtelier est détenu par des sociétés cubaines. Globalement la capacité d’accueil à un tourisme de masse est restreinte. Seul 3 millions de touristes viennent chaque année, la République Dominicaine a largement distancé Cuba comme première destination caribéenne (4,6 millions).

Une question peut légitimant se poser : quels seront les acteurs privilégiés par l’état cubain pour moderniser et investir dans le secteur touristique ? Et sous quelles conditions ?

Les premiers effets des premiers affectés

Les effets sur Cuba et sur les ressortissants cubains sont amples, variés, peu enclin à être déterminés à l’avance tant la différence entre l’optimiste affiché et le pessimisme prononcé est abyssale.

Un point est cependant fondamental pour comprendre l’effet direct sur le peuple cubain – et non sur le système étatique cubain – et le discours officiel. Quel avenir pour la politique migratoire étasunienne spécifique envers les ressortissants cubains ?
Actuellement la loi « pieds mouillés, pieds secs » (en vigueur depuis 1966) donne l’avantage unique au cubain qui veut tenter de traverser le détroit de Floride ou arriver sur le territoire étasunien par un pays tiers de demander un statut d’exilé politique dès ses premiers mètres sur le sol étasunien. Cette loi dans la pratique permet au nouvel immigré cubain d’avoir une carte de séjour définitive au bout de sa première année aux EU. Cependant en 1996 une difficulté a été ajoutée pour les balseros (ces cubains voyageant par voie maritime vers la Floride avec des embarcations improvisés), dorénavant ceux arrêtés par la police maritime nord-américaine seront renvoyés vers Cuba ou un autre pays (Bahamas par exemple).

La conception même de cette aide unique dans la politique migratoire américaine répond à plusieurs composantes de la « lutte des communiqués et discours » entre les deux pays.

L’origine même de cette loi étant d’isoler Cuba en promettant un asile politique, un véritable exil. Ainsi les ouvertures se firent avec le fameux « Mariel » en été 1994 durant lesquels des milliers de cubains partirent sans se retourner, sans même savoir si ils pourraient repartir promptement vers l’île.

Cependant depuis ses dernières années, l’exil n’en est plus vraiment un ; les allers retours incessants des immigrés, les petits commerces ou marché parallèle ainsi que la décision de Raul Castro de ne plus exiger de visa intérieur (sauf pour les professions dites sensibles tels médecin ou militaire) pour les citoyens cubains souhaitant partir migrer à l’étranger, a déjà d’un certain point normalisé la situation sans rompre le dialogue sur le thème migratoire avec les officiels étasuniens. La lutte idéologique n’y est plus aussi prégnante, laissant place à une immigration économique.

Ainsi on bat cette année des records en terme de chiffres de migration légale vers les EU (plus de 20 000 par an avec un visa) illégale (22 500 par le Mexique ou le détroit notamment) et de disparus en mer (un sur quatre soit 18 000 en 30 ans) [3]. Ainsi l’humanitaire fut pour ses conversations secrètes entre les autorités des deux pays une porte d’entrée d’échanges soutenus et de sortie de crise.

Bien loin des perspectives d’avenir des multinationales et des échanges bilatéraux apaisés, est ressentie cette attente de possibles changements migratoires retenant le souffle d’une partie de la population désirant un départ proche.

Dans une perspective à moyen terme les lois de « pieds mouillés, pieds secs » devront être abrogées dans un souci de normalisation des relations bilatérales. Et ceci sera alors un début de désappointement des espérances cubaines qui sont certes raisonnées mais fortes comme l’attestent les témoignages sur place.

Notes :

[1] http://www.acrimed.org/article4382.html
[2] http://www.un.org/press/fr/2013/AG11445.doc.htm
[3] Selon les chiffres des autorités américaines des gardes côtes.

»» http://www.palomainfo.fr/embargo-co...
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