Les traites négrières n’ont pas été l’apanage des Européens. Pour être plus exacts, les traites négrières ont été depuis le Moyen âge d’abord arabes, musulmanes, et ottomanes, sans entrer dans les détails de celles de l’Antiquité. Et bien sûr aussi inter-africaines, intra-africaines... Depuis combien de temps ? Arabes, venant de l’Arabie heureuse après l’année 622 DC, et Ottomans – dès le XVème siècle – capturaient et trafiquaient de bons Blancs européens dans les côtes de la Méditerranée, voire venant des terres bien à l’intérieur de l’Europe continentale. C’était toute une industrie, car certains de ces esclaves étaient rachetables moyennant le paiement de lourdes rançons. Le célèbre écrivain espagnol Miguel de Cervantes – auteur de Don Quichotte – fut un de ces esclaves-otages. Cela nous rappelle certaines pratiques bien de nos jours.
Les racismes négrophobes arabes ont-ils précédé, été concomitants ou succédé aux trafics esclavagistes arabes ? Ce qui est sûr c’est que ces racismes sont bien la réalité de nos jours et que cela dure depuis quelques centaines d’années, voire plus de mille ans. Racismes et esclavagisme vont de paire. Et les pratiques européennes (espagnoles, portugaises, françaises, anglaises, hollandaise, danoises...) sont là pour nous le démontrer abondamment. Le Code noir de Louis XIV de 1685, est une véritable pièce d’anthologie, car l’esclave africain noir y est bien décrit comme un bien du maître blanc européen, français à l’occasion, un bien meuble, comme une armoire ou un cheval, et les obligations des maîtres y sont fondées dans le pragmatisme, bien intéressées. Il fallait que l’Africain esclave produise le plus, qu’il travaille dans les plantations.
Dans la liste des peuples et pays arabes pratiquant de nos jours le mépris, le racisme effronté, sans complexes, contre les Africains noirs, il ne faut pas être injuste et focaliser seulement les dénonciations sur la Mauritanie, la Libye, l’Algérie, ou le Maroc. Peur d’être désagréables ou un tantinet intéressés pour ne pas en parler, ou en écrire ?
Il ne faut pas oublier dans les listes des pays pratiquant ces racismes négrophobes, voire l’esclavage moderne, par exemple le Liban. La Côte d’Ivoire et d’autres anciennes colonies françaises d’Afrique centrale et de l’ouest ont des communautés libanaises. Et les Libanais au Liban pratiquent ce racisme et de formes d’esclavage de fait avec les personnels africains féminins qui émigrent en cherchant du travail domestique, certaines femmes africaines finissant par se suicider.
Mais les ouvriers noirs africains qui arrivent au Qatar, à Bahreïn, aux Émirats Arabes Unis ou en Arabie saoudite – certes, ce ne sont pas les seuls car les ouvriers asiatiques souffrent aussi du même sort, mais la peau noire est un facteur aggravant ! – subissent aussi des semblables pratiques, horribles et détestables. Illégales, mais commises en toute impunité malgré les dénonciations de syndicalistes, intellectuels et journalistes. Ici, il n’y a pas de Cour Pénale Internationale pour poursuivre ces régimes pour crime contre l’humanité, car l’esclavage en est un, un crime ainsi bien caractérisé. Ces pétromonarchies sont trop riches et elles achètent de l’armement par milliards d’euros à l’Occident, à la France par exemple. La CPI est conçue, réservée, pour les nègres, ou les petits Blancs vaincus par l’OTAN, tels les Serbes.
La coupe du monde FIFA 2022 au Qatar reste un scandale, pas seulement par les conditions de son obtention, par le trafic éhonté des voix avec les pétro/gazo-dollars, mais aussi par les conditions inhumaines de travail des ouvriers qu’y construisent stades et d’autres infrastructures. Tout cela arrive en toute impunité, en comptant sur le silence complice des pays occidentaux, bien habitués à donner de leçons de morale, mais aussi des régimes et élites africaines.
Donneurs de leçons et illégitimité non-sélective
Parlons de quelque chose qui nous indigne spécialement aujourd’hui. Pour protéger qui ou quoi Venance Konan, un journaliste et écrivain ivoirien, basé à Abidjan, signant un article cri-du-cœur dans journal Le Monde le 26 août 2016, titré " Traite négrière occidental et arabe : l’indignation sélective de l’Afrique " (1). Il s’abstient de charger lourdement dans ses accusations le Qatar, l’Arabie saoudite, le Liban ou les EAU par exemple ? Peur de déplaire ? Peur de mettre en danger les investissements attendus venant de ces pays au bénéfice du régime de son mentor, Alassane Ouattara, le président FMI de la Côte d’Ivoire ?
Mais, puisque V.enance Konan dénonce l,es pogroms négrophobes libyens ou algériens et la persistance de l’esclavage noir mauritanien, il faut qu’il aille balayer aussi devant la porte de son propre pays, plus exactement de l’actuel régime ivoirien. Car, pour s’installer au pouvoir en Côte d’Ivoire, ce qu’il réussit le 11 avril 2011 porté dans les bottes de l’armée française, Alassane Ouattara encouragea bien au préalable une rébellion qui installa une guerre civile ouverte depuis le 18 septembre 2002, jetant les populations musulmanes et noires du Nord ivoirien, les Dioulas, Malinkés mais aussi des Sénoufos, contre le Sud ivoirien, contre d’autres populations noires, dans la partie la plus peuplée de ce pays, des populations chrétiennes et animistes très majoritairement.
Deux rappels à la mémoire historique forts désagréables et très légitimement indignés pour déconstruire et finir d’abattre l’indignation sélective du journaliste ivoirien Venance Konan dans son article du Le Monde. A la fin des combats, des rebelles nordistes, ouattaristes, affublés du nom prétentieux, Forces Républicaines de Côte d’Ivoire-FRCI, des véritables pogroms eurent lieu contre les populations du Sud ivoirien.
Nous rappelons, entre autres exemples, au moment de la chute d’Abidjan dans les mains des rebelles, les intenses ratissages et massacres, avec tortures et exécutions massives, commis à Yopougon, la plus grande commune d’Abidjan et fief politique "sudiste" – Patriote – qui soutenait Laurent Gbagbo. Ce président "récalcitrant" était en train de se faire déboulonner par la France – rappelons que l’armée française avait depuis septembre 2002 un corps expéditionnaire sur le sol ivoirien, baptisé Force Licorne – et les Casques bleus de l’ONUCI. Et vers la fin de la guerre civile, ces deux forces expéditionnaires étrangères comptèrent aussi avec les hordes de soudards des forces irrégulières – FRCI – de la rébellion nordiste, déferlant vers le Sud ivoirien, à la fin mars 2011, Ce furent ces soudards et ces supplétifs qui commirent ces exactions, ces crimes (2). Pas poursuivis ni condamnés cinq ans après ! En voilà un "oubli" notable de Venance Konan quand il parle de pogroms.
Le massacre – connu – le plus épouvantable, fut celui de Duékoué, une localité dans l’ouest du pays, près de la frontière avec le Liberia (3). La rébellion nordiste pro-Ouattara avait adoptée l’étiquette Forces Nouvelles pour son armée irrégulière dès 2003, et peu avant la déferlante finale contre le Sud ivoirien elles se muèrent donc en FRCI. C’est sous ce nom que cette armée irrégulière, accompagnée de nombreux supplétifs appelés Dozos, chasseurs traditionnels armés d’amulettes et machettes, investit la ville de Duékoué ’plus de 185 000 mille habitants en 2015) dans le terres des ethnies Guéré et Wé, non musulmanes.
Entre le 27 et le 29 mars 2011, après que la région fut tombée dans les mains des nordistes, les Guérés furent massacrés, avec un bilan de 816 morts seulement le 29 mars 2011, d’après le Comité international de la Croix Rouge CICR, et plus de 1 000 morts et disparus pour l’ONG Caritas Internationale. Au vu et au su des Casques bleus – car un bataillon de casques bleus marocains, le "MORBAT", y était posté – de l’ONUCI, le corps expéditionnaire envoyé par l’ONU. La passivité criminelle des Casques bleus, qui refusèrent de protéger les Guéré, permit aux rebelles, les FRCI, et ses Dozos, en toute tranquillité de massacrer hommes adultes et jeunes garçons tout d’abord dans le quartier Carrefour, dont les corps furent ensuite brûlés. Les Casques blues s’empressèrent par la suite d’entasser et d’ensevelir les corps de victimes dans trois charniers, gardés dans le secret.
Le journaliste Venance Konan ne veut pas aborder tout cela car étant directeur du journal Fraternité Matin à Abidjan, la Pravda du régime de Ouattara, il ne veut pas tirer une balle dans le pied de son donneur d’ordres, ce Ouattara qui se presse depuis la fin 2014 pour protéger son compère Blaise Compaoré, l’autocrate burkinabé tombé en disgrâce. Et bien, dans ce cas on essaye de ne pas donner de leçons de morale aux Africains prétendument couards et lâches qui ne dénonceraient pas traite négrière et les racismes arabes.
Conan aggrave son cas en donnant comme exemple d’une mobilisation africaine souhaitable – contre les racismes négrophobes arabes et contre l’indignation sélective africaine – le grand élan africain de mobilisation et boycott contre la RSA, l’Afrique du sud de l’apartheid. Seuls ceux qui ne sont pas amnésiques ou ignorants de l’histoire de son pays se rappellent que la Côte d’Ivoire d’Houphouët Boigny soutint longuement cet État raciste (4), ayant même (dans un premier temps) été alliée dans l’agression du Nigeria en 1967 pour lui arracher ses provinces du sud, le Biafra.
Quelqu’un se rappelle cette horrible guerre sécessionniste soutenue pas ces deux pays et... par la France de De Gaulle ? Là, pas de chance non plus puisque son patron actuel est Alassane Ouattara, héritier néo-houphouëtiste de Félix Houphouët-Boigny, après avoir été son premier ministre en 1990. Donc, quand on a ce genre de casseroles à trainer, il n’est pas souhaitable d’attaquer moralement d’autres étourdis et fautifs, si fautifs et criminels soient-t-ils.
Honnêteté intellectuelle et devoirs accrus
L’exigence d’honnêteté intellectuelle et de dignité pour ne pas taire certains amères vérités historiques, telles la réalité et l’antériorité des traites négrières arabo-musulmanes, et les racismes négrophobes dont les Africains noirs souffrent encore dans les pays arabes de nos jours, implique des devoirs accrus.
L’esclavage de fait en Afrique de nos jours reste parqué dans les sphères domestiques, quoique les réalités contemporaines dans les pays ouest-africains et en RDC nous appellent à bien plus de rigueur, d’exigence. Et la nature des régimes comprador, vassaux, tels celui de la Côte d’Ivoire, nous invitent à réviser ou élargir nos catégories d’analyse. La traite négrière occidentale n’existe plus. D’autres formes de domination existent, sournoises ou cyniques, parfois avec le "plein consentement" de la victime africaine.
Comment nommer par exemple le fait "post-colonial" – terme ambigu et trompeur – de louer, mettre aux enchères ou vendre non pas des individus au détail mais... un pays entier, ses terres agricoles et forestières, ses mines, la force de travail de tout un peuple, ses sociétés publiques, ses services publics... etc., son patrimoine voire sa souveraineté inaliénable entière ? Il ne s’agit pas là de vendre des esclaves noirs, au détail ou par lots, comme depuis la Renaissance jusqu’au XIXe siècle. On n’arrête pas le progrès, donc aujourd’hui on loue, on met aux enchères ou on vend un pays entier ! Alassane Ouattara, agissant en directeur du FMI pour l’Afrique, est l’un de ces roitelets côtiers modernes, qui met aux enchères, loue ou vend un pays africain entier, un négrier de la globalisation, bien contemporain. Son régime comprador fait au même temps de lui un vendedor.
Nous ne pouvons pas taire ou occulter non plus les traites d’esclaves intra-africaines, ni les haines et racismes des Noirs africains, musulmans ou pas, entre eux-mêmes. Et, de la Côte d’Ivoire à la République Centrafricaine, en passant par la Sierra Leone, le Liberia, le Nigeria, le Cameroun ou le Mali, voire l’Afrique du Sud d’aujourd’hui – rappelons-nous, dans un autre registre des pogroms xénophobes en 2015 et avant dans les terres de Mandela – des rebellions ethniques ou religieuses, sécessionnistes ou pas, ont commis d’innombrables exactions, pogroms et massacres.
Les images d’amputations, d’exécutions, d’égorgements, de décapitations et du cannibalisme en Côte d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone ou en RCA n’ont pas été tournées en studio. Et les plus meurtrières des guerres africaines, celles en RDC Congo Kinshasa, avec ses millions de morts, victimes africaines d’autres africains bourreaux, sans parler de l’autre paroxysme de l’horreur, les génocides au Rwanda en 1994, avec plus d’un million de victimes, doivent obliger à bien plus d’autocritique et veiller à "lancer la première pierre" une fois que le constat de légitimité l’autorise. Les jeunes africains de nos jours surtout relèveront les défis, c’est certain.
Luis Basurto