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"Idéologie et appareils idéologiques d’État. (Notes pour une recherche)". (II)

Nous nous sommes permis dans cette suite d'essayer d'aller à l'essentiel de la pensée du philosophe en faisant l'impasse sur quelques-uns de ses développements. En souhaitant ne pas avoir nui à l'intelligibilité ni à a cohérence de son propos. M. D.

INFRASTRUCTURE ET SUPERSTRUCTURE

Nous avons eu l’occasion [4] d’insister sur le caractère révolutionnaire de la conception marxiste du « tout social » en ce qui le distingue de la « totalité » hégélienne. Nous avons dit (et cette thèse ne faisait que reprendre des propositions célèbres du matérialisme historique) que Marx conçoit la structure de toute société comme constituée par les « niveaux » ou « instances », articulés par une détermination spécifique : l’infrastructure ou base économique, (« unité » des forces productives et des rapports de production), et la superstructure, qui comporte elle-même deux « niveaux » ou « instances » : le juridico-politique (le droit et l’État) et l’idéologie (les différentes idéologies, religieuses, morale, juridiques, politique, etc.).

Outre son intérêt théorico-pédagogique (qui fait voir la différence qui sépare Marx de Hegel), cette représentation offre l’avantage théorique capital suivant : elle permet d’inscrire dans le dispositif théorique de ses concepts essentiels ce que nous avons appelé leur indice d’efficacité respectif. Qu’entendre par là ?

Chacun peut aisément se convaincre que cette représentation de la structure de toute société comme un édifice comportant une base (infrastructure) sur laquelle s’élèvent les deux « étages » de la superstructure, est une métaphore, très précisément une métaphore spatiale : celle d’une topique [5]. Comme toute métaphore, cette métaphore suggère, fait voir quelque chose. Quoi ? Eh bien, justement ceci : que les étages supérieurs ne pourraient « tenir » (en l’air) tout seuls, s’ils ne reposaient précisément sur leur base.

La métaphore de l’édifice a donc pour objet de représenter avant tout la « détermination en dernière instance » par la base économique. Cette métaphore spatiale a donc pour effet d’affecter la base d’un indice d’efficacité connu sous les termes célèbres : détermination en dernière instance de ce qui se passe dans les « étages » (de la superstructure) par ce qui se passe dans la base économique.

À partir de cet indice d’efficacité « en dernière instance », les « étages » de la superstructure se trouvent évidemment affectés d’indices d’efficacité différents. Quel genre d’indice ?

On peut dire que les étages de la superstructure ne sont pas déterminants en dernière instance, mais qu’ils sont déterminés par l’efficace de base ; que s’ils sont déterminants à leur manière (non encore définie), ils le sont en tant que déterminés par la base.

Leur indice d’efficacité (ou de détermination), comme déterminée par la détermination en dernière instance de la base, est pensé dans la tradition marxiste sous deux formes : 1) il y a une « autonomie relative » de la superstructure par rapport à la base ; 2) il y a « une action en retour » de la superstructure sur la base.

Nous pouvons donc dire que le grand avantage théorique de la topique marxiste, donc de la métaphore spatiale de l’édifice (base et superstructure) est à la fois de faire voir que les questions de détermination (ou d’indice d’efficacité) sont capitales ; de faire voir que c’est la base qui détermine en dernière instance tout l’édifice ; et, par voie de conséquence, d’obliger à poser le problème théorique du type d’efficacité « dérivée » propre à la superstructure, c’est-à-dire d’obliger à penser ce que la tradition marxiste désigne sous les termes conjoints d’autonomie relative de la superstructure, et d’action en retour de la superstructure sur la base.

L’inconvénient majeur de cette représentation de la structure de toute société dans la métaphore spatiale de l’édifice, est évidemment d’être métaphorique : c’est-à-dire de rester descriptive.

Il nous semble désormais souhaitable et possible de représenter les choses autrement. Qu’on nous entende bien : nous ne récusons nullement la métaphore classique, puisqu’elle nous oblige elle-même à la dépasser. Et nous ne la dépassons pas pour la rejeter comme caduque. Nous voudrions simplement tenter de penser ce qu’elle nous donne dans la forme d’une description.

Nous pensons que c’est à partir de la reproduction qu’il est possible et nécessaire de penser ce qui caractérise l’essentiel de l’existence et la nature de la superstructure. Il suffit de se placer au point de vue de la reproduction pour que s’éclairent plusieurs des questions dont la métaphore spatiale de l’édifice indiquait l’existence, sans leur donner de réponse conceptuelle.

Notre thèse fondamentale est qu’il n’est possible de poser ces questions (et donc d’y répondre) que du point de vue de la reproduction.

Nous allons analyser brièvement le Droit, l’État et l’idéologie de ce point de vue. Et nous allons faire apparaître à la fois ce qui se passe du point de vue de la pratique et de la production d’une part, et de reproduction d’autre part.

…………………………………………….

L’ÉTAT

La tradition marxiste est formelle : l’État est conçu explicitement dès le Manifeste et le 18 Brumaire (et dans tous les textes classiques ultérieurs, avant tout de Marx sur la Commune de Paris, et de Lénine sur l’État et la Révolution) comme appareil répressif. L’État est une « machine » de répression, qui permet aux classes dominantes (au XIXe siècle, à la classe bourgeoise et à la « classe » des grands propriétaires terriens) d’assurer leur domination sur la classe ouvrière pour la soumettre au procès d’extorsion de la plus-value (c’est-à-dire à l’exploitation capitaliste).

l’État, c’est alors avant tout ce que les classiques du marxisme ont appelé l’appareil d’État. On comprend sous ce terme : non seulement l’appareil spécialisé (au sens étroit) dont nous avons reconnu l’existence et la nécessité à partir des exigences. de la pratique juridique, à savoir la police, les tribunaux, les prisons ; mais aussi l’armée, qui (le prolétariat a payé de son sang cette expérience) intervient directement comme force répressive d’appoint en dernière instance quand la police, et ses corps auxiliaires spécialisés, sont « débordés par les événements » ; et au-dessus de cet ensemble le chef de l’État, le gouvernement et l’administration.

Présentée sous cette forme, la « théorie » de l’État marxiste-léniniste touche à l’essentiel, et il n’est pas question un seul instant de ne pas prendre conscience que c’est bien là l’essentiel. L’appareil d’État, qui définit l’État comme force d’exécution et d’intervention répressive, « au service des classes dominantes », dans la lutte de classe menée par la bourgeoisie et ses alliés contre le prolétariat, est bel et bien l’État, et définit bel et bien sa « fonction » fondamentale.

DE LA THÉORIE DESCRIPTIVE À LA THÉORIE TOUT COURT

Pourtant, là encore, comme nous l’avons fait remarquer à propos de la métaphore de l’édifice (infrastructure et superstructure), cette présentation de la nature de l’État reste en partie descriptive.

Comme nous aurons souvent l’occasion d’employer cet adjectif (descriptif), un mot d’explication est nécessaire, pour lever toute équivoque.

Lorsque nous disons, en parlant de la métaphore de l’édifice, ou en parlant de la « théorie » marxiste de l’État, que ce sont des conceptions ou représentations descriptives de leur objet, nous n’avons pas d’arrière-pensée critique. Nous avons au contraire tout lieu de penser que les grandes découvertes scientifiques ne peuvent éviter de passer par la phase de ce que nous appellerons une « théorie » descriptive. Ce serait la première phase de toute théorie, au moins dans le domaine qui nous occupe (celui de la science des formations sociales). Comme telle, on pourrait - et à notre sens on doit - envisager cette phase comme une phase transitoire, nécessaire au développement de la théorie. Qu’elle soit transitoire, nous l’inscrivons dans notre expression : « théorie descriptive », en faisait apparaître, dans la conjonction des termes que nous employons, l’équivalent d’une sorte de « contradiction ». En effet le terme de théorie « jure » en partie avec l’adjectif « descriptive » qui lui est accolé. Cela veut dire très précisément : 1) que la « théorie descriptive » est bien, sans aucun doute possible, le commencement sans retour de la théorie, mais 2) que la forme « descriptive » dans laquelle se présente la théorie exige, par l’effet même de cette « contradiction », un développement de la théorie qui dépasse la forme de la « description ».

Précisons notre pensée, en revenant à notre objet présent : l’État.

Lorsque nous disons que la « théorie » marxiste de l’État, dont nous disposons, reste en partie « descriptive », cela signifie d’abord et avant tout que cette « théorie » descriptive est, sans aucun doute possible, le commencement même de la théorie marxiste de l’État, et que ce commencement nous donne l’essentiel c’est-à-dire le principe décisif de tout développement ultérieur de la théorie.

Nous dirons en effet que la théorie descriptive de l’État est juste, puisqu’on peut parfaitement faire correspondre à la définition qu’elle donne de son objet l’immense majorité des faits observables dans le domaine qu’elle concerne. Ainsi la définition de l’État comme État de classe, existant dans l’appareil d’État répressif, éclaire d’une manière fulgurante tous les faits observables dans les divers ordres de la répression, quels qu’en soient les domaines : depuis les massacres de juin 48 et de la Commune de Paris, du dimanche sanglant de mai 1905 à Pétrograd, de la Résistance, de Charonne, etc., jusqu’aux simples (et relativement anodines) interventions d’une « censure » qui interdit la Religieuse de Diderot ou une pièce de Gatti sur Franco ; elle éclaire toutes les formes directes ou indirectes de l’exploitation et de l’extermination des masses populaires (les guerres impérialistes) ; elle éclaire cette subtile domination quotidienne où éclate, par exemple dans les formes de la démocratie politique, ce que Lénine a appelé après Marx la dictature de la bourgeoisie.

Cependant la théorie descriptive de l’État représente une phase de la constitution de la théorie qui exige elle-même le « dépassement » de cette phase. Car il est clair que si la définition en question nous donne bien de quoi identifier et reconnaître les faits d’oppression en les rapportant à l’État, conçu comme appareil répressif d’État, cette « mise en rapport » donne lieu à un genre d’évidence très particulier, dont nous aurons l’occasion de dire un mot dans quelques instants : « oui, c’est bien ainsi, c’est bien vrai ! ... » [6]. Et l’accumulation des faits sous la définition de l’État, si elle multiplie son illustration, ne fait pas avancer réellement la définition de I’État, c’est-à-dire sa théorie scientifique. Toute théorie descriptive court ainsi le risque de « bloquer » le développement, pourtant indispensable, de la théorie.

C’est pourquoi nous pensons qu’il est indispensable, pour développer cette théorie descriptive en théorie tout court, c’est-à-dire pour comprendre plus avant les mécanismes de l’État en son fonctionnement, nous pensons qu’il est indispensable d’ajouter quelque chose à la définition classique de l’État comme appareil d’État.

L’ESSENTIEL DE LA THÉORIE MARXISTE DE L’ÉTAT

Précisons d’abord un point important : l’État (et son existence dans son appareil) n’ont de sens qu’en fonction du pouvoir d’État. Toute la lutte des classes politique tourne autour de l’État. Entendons : autour de la détention, c’est-à-dire de la prise et de la conservation du pouvoir d’État, par une certaine classe, ou par une alliance de classes ou de fractions de classes. Cette première précision nous oblige donc à distinguer le pouvoir d’État (conservation du pouvoir d’État ou prise de pouvoir d’État), objectif de la lutte de classes politique d’une part, et l’appareil d’État d’autre part.

Nous savons que l’appareil d’État peut demeurer en place, comme le prouvent les « révolutions » bourgeoises du XIXe siècle en France (1830, 1848) ou les coups d’État (le Deux décembre, mai 1958) ou les effondrements d’État (chute de l’Empire 1870, chute de la IIIe République en 1940), ou la montée politique de la petite-bourgeoisie (1890-95 en France), etc..., sans que l’appareil d’État en soit affecté ou modifié : il peut rester en place, sous les événements politiques qui affectent la détention du pouvoir d’État.

Même après une révolution sociale comme celle de 1917, une grande partie de l’appareil d’État est restée en place sous la prise du pouvoir d’État par l’alliance du prolétariat et de la paysannerie pauvre : Lénine assez répété.

On peut dire que cette distinction du pouvoir d’État et de l’appareil d’État fait partie de la « théorie marxiste » de l’État, de manière explicite depuis le 18 Brumaire et Les Luttes de classes en France de Marx.

Pour résumer sur ce point la « théorie marxiste de l’État », nous pouvons dire que les classiques du marxisme ont toujours affirmé : 1) l’État c’est l’appareil répressif d’État ; 2) il faut distinguer le pouvoir d’État de l’appareil d’État ; 3) l’objectif de la lutte des classes concerne le pouvoir d’État, et, par voie de conséquence l’utilisation, par les classes (ou alliance de classes, ou de fractions de classe) détentrices du pouvoir d’État, de l’appareil d’État en fonction de leurs objectifs de classe ; et 4) le prolétariat doit s’emparer du pouvoir d’État pour détruire l’appareil d’État bourgeois existant, et, dans une première phase le remplacer par un appareil d’État tout différent, prolétarien, puis dans les phases ultérieures mettre en oeuvre un processus radical, celui de la destruction de l’État (fin du pouvoir d’État et de tout appareil d’État).

De ce point de vue par conséquent, ce que nous proposerions d’ajouter à la « théorie marxiste » de l’État, y figure d’ores et déjà en toutes lettres. Mais il nous semble que cette théorie, ainsi complétée, reste encore en partie descriptive, bien qu’elle comporte désormais des éléments complexes et différenciels dont le fonctionnement et le jeu ne peuvent être compris sans le recours à un approfondissement théorique supplémentaire.

LES APPAREILS IDÉOLOGIQUES D’ÉTAT

Ce qu’il faut ajouter à la « théorie marxiste » de l’État, c’est donc autre chose.

Nous devons ici avancer avec prudence dans un terrain où, en fait, les classiques du marxisme nous ont depuis longtemps précédé, mais sans avoir systématisé, sous une forme théorique, les progrès décisifs que leurs expériences et leurs démarches impliquent. Leurs expériences et démarches sont en effet restées avant tout sur le terrain de la pratique politique.

Les classiques du marxisme ont, en fait, c’est-à-dire dans leur pratique politique, traité l’État comme une réalité plus complexe, que la définition qui en est donnée dans la « théorie marxiste de l’État », même complétée comme nous venons de le faire. Ils ont reconnu cette complexité dans leur pratique, mais ils ne l’ont pas exprimée dans une théorie correspondante [7].

Nous voudrions tenter d’esquisser très schématiquement cette théorie correspondante. À cette fin, nous proposons la thèse suivante.

Pour faire progresser la théorie de l’État, il est indispensable de tenir compte, non seulement de la distinction entre pouvoir d’État et appareil d’État, mais aussi d’une autre réalité qui est manifestement du côté de l’appareil (répressif) d’État, mais ne se confond pas avec lui. Nous appellerons cette réalité par son concept : les appareils idéologiques d’État.

Qu’est-ce que les appareils idéologiques d’État (AIE) ?

Ils ne se confondent pas avec l’appareil (répressif) d’État. Rappelons que dans la théorie marxiste, l’Appareil d’État (AE) comprend : le Gouvernement, l’Administration, l’Armée, la Police, les Tribunaux, les Prisons, etc., qui constituent ce que nous appellerons désormais l’Appareil Répressif d’État. Répressif indique que l’Appareil d’État en question « fonctionne à la violence », du moins à la limite (car la répression, par exemple administrative, peut revêtir des formes non physiques).

Nous désignons par Appareils Idéologiques d’État un certain nombre de réalités qui se présentent à l’observateur immédiat sous la forme d’institutions distinctes et spécialisées, Nous en proposons une liste empirique, qui exigera naturellement d’être examinée en détail, mise à l’épreuve, rectifiée et remaniée. Sous toutes les réserves qu’implique cette exigence, nous pouvons, pour le moment, considérer comme Appareils Idéologiques d’État les institutions suivantes (l’ordre dans lequel nous les énumérons n’a pas de signification particulière) :

- l’AIE religieux (le système des différentes Églises) ;
- l’AIE scolaire (le système des différentes « Écoles », publiques et privées) ;
- l’AIE familial [8] ;
- l’AIE juridique [9] ;
- l’AIE politique (le système politique, dont les différents Partis),
- l’AIE syndical ; l’AIE de l’information (presse, radio-télé, etc.) ; l’AIE culturel (Lettres, Beaux-Arts, sports, etc.).

Nous disons : les AIE ne se confondent pas avec l’Appareil (répressif) d’État. En quoi consiste leur différence ?

Dans un premier moment nous pouvons observer que s’il existe un Appareil (répressif) d’État, il existe une pluralité d’Appareils idéologiques d’État. A supposer qu’elle existe, l’unité qui constitue cette pluralité d’AIE en corps n’est pas immédiatement visible.

Dans un second moment, nous pouvons constater qu’alors que l’Appareil (répressif) d’État, unifié, appartient tout entier au domaine public, la plus grande partie des Appareils idéologiques d’État (dans leur apparente dispersion) relève au contraire du domaine prive. Privés sont les Églises, les Partis, les syndicats, les familles, quelques écoles, la plupart des journaux, des entreprises culturelles, etc., etc.

Laissons de côté pour le moment notre première observation. Mais on ne manquera pas de relever la seconde, pour nous demander de quel droit nous pouvons considérer comme Appareils idéologiques d’État des institutions qui, pour la majorité d’entre elles, ne possèdent pas de statut public, mais sont tout simplement des institutions privées. En marxiste conscient, Gramsci avait déjà, d’un mot, prévenu cette objection. La distinction du public et du privé est une distinction intérieure au droit bourgeois, et valable dans les domaines (subordonnés) où le droit bourgeois exerce ses « pouvoirs ». Le domaine de l’État lui échappe car il est « au-delà du Droit » : l’État, qui est l’État de la classe dominante, n’est ni public ni privé, il est au contraire la condition de toute distinction entre public et privé. Disons la même chose en partant cette fois de nos appareils idéologiques d’État. Peu importe si les institutions qui les réalisent sont « publiques » ou « privées ». Ce qui importe c’est leur fonctionnement. Des institutions privées peuvent parfaitement « fonctionner » comme des Appareils idéologiques d’État. Il suffirait d’une analyse un peu poussée de n’importe lequel des AIE pour le montrer.

Mais allons à l’essentiel. Ce qui distingue les AIE de l’Appareil (répressif) d’État, c’est la différence fondamentale suivante : l’Appareil répressif d’État « fonctionne à la violence », alors que les Appareils idéologiques d’État fonctionnent « à l’idéologie ».

Nous pouvons préciser, en rectifiant cette distinction. Nous dirons en effet que tout Appareil d’État, qu’il soit répressif ou idéologique, « fonctionne » à fois à la violence et à l’idéologie, mais avec une différence très. importante, qui interdit de confondre les Appareils idéologiques d’État avec l’Appareil (répressif) d’État.

C’est que pour son compte l’Appareil (répressif) d’État fonctionne de façon massivement prévalente à la répression (y compris physique), tout en fonctionnant secondairement à l’idéologie. (Il n’existe pas d’appareil purement répressif). Exemples : l’Armée et la Police fonctionnent aussi à l’idéologie, à la fois pour assurer leur Propre cohésion et reproduction, et par les « valeurs » qu’elles proposent au dehors.

De la même manière, mais à l’inverse, on doit dire que, pour leur propre compte, les Appareils idéologiques d’État fonctionnent de façon massivement prévalente à l’idéologie, mais tout en fonctionnant secondairement à la répression, fût-elle à la limite, mais à la limite seulement, très atténuée, dissimulée, voire symbolique. (Il n’existe pas d’appareil purement idéologique.) Ainsi l’École et les Églises « dressent » par des méthodes appropriées de sanctions, d’exclusions, de sélection, etc., non seulement leurs officiants, mais aussi leurs ouailles. Ainsi la Famille... Ainsi l’Appareil IE culturel (la censure, pour ne mentionner qu’elle), etc.

Est-il utile de mentionner que cette détermination du double « fonctionnement » (de façon prévalente, de façon secondaire) à la répression et à l’idéologie, selon qu’il s’agit de l’Appareil (répressif) d’État ou des Appareils idéologiques d’État, permet de comprendre qu’il se tisse constamment de très subtiles combinaisons explicites ou tacites entre le jeu de l’Appareil (répressif) d’État et le jeu des Appareils idéologiques d’État ? La vie quotidienne nous en offre d’innombrables exemples, qu’il faudra toutefois étudier dans le détail pour dépasser cette simple observation.

Cette remarque nous met pourtant sur la voie de comprendre ce qui constitue l’unité du corps apparemment disparate des AIE. Si les AIE « fonctionnent » de façon massivement prévalente à l’idéologie, ce qui unifie leur diversité, c’est ce fonctionnement même, dans la mesure où l’idéologie à laquelle ils fonctionnent est toujours en fait unifiée, malgré sa diversité et ses. contradictions, sous l’idéologie dominante, qui est celle de « la classe dominante ». Si nous voulons bien considérer que dans le principe la « classe dominante détient le pouvoir d’État (sous une forme franche, ou le plus souvent, par le moyen d’alliances de classes ou de fractions de classes), et dispose donc de l’Appareil (répressif) d’État, nous pourrons admettre que la même classe dominante soit active dans les Appareils idéologiques d’État dans la mesure où c’est, en définitive, au travers de ses contradictions mêmes, l’idéologie dominante qui est réalisée dans les Appareils idéologiques d’État. Bien entendu c’est tout autre chose que d’agir par lois et décrets dans l’Appareil (répressif) d’État, et que « d’agir » par l’intermédiaire de l’idéologie dominante dans les Appareils idéologiques d’État. Il faudra entrer dans le détail de cette différence, - mais elle ne saurait masquer la réalité d’une profonde identité. À notre connaissance, aucune classe ne peut durablement détenir le pouvoir d’État sans exercer en même temps son hégémonie sur et dans les Appareils idéologiques d’État. Je n’en veux qu’un seul exemple et preuve : le souci lancinant de Lénine de révolutionner l’Appareil idéologique d’État scolaire (entre autres) pour permettre au prolétariat soviétique, qui s’était emparé du pouvoir d’État, d’assurer tout simplement l’avenir de la dictature du prolétariat, et le passage au socialisme [10].

Cette dernière remarque nous met en mesure de comprendre que les Appareils idéologiques d’État puissent être non seulement l’enjeu, mais aussi le lieu de la lutte des classes, et souvent de formes acharnées de la lutte des classes. La classe (ou l’alliance de classes) au pouvoir ne fait pas aussi facilement la loi dans les AIE que dans l’appareil (répressif) d’État, non seulement parce que les anciennes classes dominantes peuvent y conserver longtemps de fortes positions, mais aussi parce que la résistance des classes exploitées peut trouver le moyen et l’occasion de s’y exprimer, soit en utilisant les contradictions qui y existent, soit en y conquérant par la lutte des positions de combat [11].

Faisons le point de nos remarques.

Si la thèse que nous avons proposée est fondée, nous sommes conduit à reprendre, tout en la précisant sur un point, la théorie marxiste classique de l’État. Nous dirons qu’il faut distinguer le pouvoir d’État (et sa détention par...) d’une part, et l’Appareil d’État d’autre part. Mais nous ajouterons que l’Appareil d’État comprend deux corps : le corps des institutions qui représentent l’Appareil répressif d’État d’une part, et le corps des institutions qui représentent le corps des Appareils idéologiques d’État d’autre part.

Mais s’il en est ainsi, on ne peut manquer de se poser la question suivante, même en l’état, très sommaire, de nos indications : quelle est exactement la mesure du rôle des Appareils idéologiques d’État ? Quel peut bien être le fondement de leur importance ? En d’autres termes : à quoi correspond la « fonction » de ces Appareils idéologiques d’État, qui ne fonctionnent pas à la répression, mais à l’idéologie ?

…………

Louis Althusser

Première partie : http://www.legrandsoir.info/ideologie-et-appareils-ideologiques-d-etat...

Deuxième partie : http://www.legrandsoir.info/ideologie-et-appareils-ideologiques-d-etat...

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