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Des bureaucrates et des politiciens ont créé un système éducatif qui est terriblement défaillant

Indonésie : une nation de cancres ? (Inside Indonesia)

Je suis assis dans un warung* au centre de la Sulawesi en attendant de payer mon café. Deux cafés en fait et deux cakes. Le propriétaire du warung tapote sur sa calculatrice et commence à additionner les nombres : 2000+2000+1000+1000=6000. Je lui donne un billet de 10000 rupiah. Bien ! Il tape de nouveau : 10000-6000=4000 et il compte deux billets de 2000 roupiah puis me donne le change. Entre temps, d’autres clients attendent leur café. Est-il vraiment possible qu’il ne puisse pas faire ces calculs mentalement ?

Le 3 décembre, les résultats des dernières séries de tests internationaux, de mathématiques, science et de savoir lire concernant des élèves de 15 ans ont rendu leur verdict. Sur les 65 pays ayant participé aux tests du PISA (Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves), il en ressort que l’Indonésie se classe 60ème pour le savoir lire et 64ème en mathématiques et en sciences. Plus choquant est le très faible niveau des étudiants indonésiens. 42% d’entre eux n’ont même pas le niveau de compétences de base et trois étudiants sur quatre -76% pour être exact- ont stagné au niveau 1 ou moins (sur 6 niveaux). Cela en comparaison avec les 14,2% du Vietnam au niveau 1 ou moins, les 8,3% de Singapour et les 3,8% de Shanghai.

Mais ce ne sont pas les comparaisons internationales qui posent question. Ce qui importe est que les trois quarts de ces élèves de 15 ans ne possèdent pas les compétences de base en mathématiques dont ils auront besoin pour fonctionner en société. Deux tiers ne possèdent pas suffisamment de connaissances pour affronter efficacement le monde moderne et un sur cinq ne sait pas lire suffisamment bien pour accomplir des taches élémentaires dans la vie active.

Et pourtant, l’Indonésie dépense relativement plus pour l’éducation que beaucoup d’autres pays. En effet, selon sa constitution, l’état indonésien est obligé de consacrer un cinquième de son budget public à l’éducation, à la fois sur un plan national et au niveau local. Les classes sont parmi les plus petites des pays à revenu intermédiaire ; Il y a un instituteur pour 16 élèves en école primaire (mieux qu’en Angleterre), le ratio descend à 1 pour 12 dans les écoles secondaires (mieux qu’aux Usa). Alors pourquoi le niveau scolaire des enfants indonésiens est t-il aussi bas ?

Un aperçu du terrain

J’en ai eu un aperçu il y a quelques mois lorsque j’habitais chez un pêcheur et sa famille sur les îles Banggai à Sulawesi centre. La femme de Pak Zunaidi m’avait dit qu’elle était institutrice dans une école primaire, une parmi les 10 instituteurs pour une école accueillant 120 écoliers.

A 6.30 du matin, cette femme se tenait au dessus d’une cuve d’huile chaude en train de faire frire le petit déjeuner pendant que son fils cadet enfilait son uniforme d’école. Elle lui recommanda de ne pas être en retard ; dans tout l’archipel, l’école primaire démarre à 7h. Ensuite un voisin vint se plaindre que leur proposition de fonder une école maternelle n’a pas été acceptée. L’institutrice remit d’autres plantains dans l’huile bouillante, fit d’autres cafés. A cet instant, il était 7h10 et elle ne s’était pas encore lavée, ni habillée.

A 7h15, je lui ai demandé à quelle heure démarrait l’école ici. Elle avait l’air penaud, me montrant, le voisin, les plantains frits. ’C’est bon. Tout le monde sait que j’ai des invités.’ Il me vint à l’esprit que ça pouvait être de ma faute si elle n’était pas à son poste. Je lui demandai si je pouvais venir avec elle ; peut-être pourrais- je aider pour les cours d’Anglais ? Elle sembla très soulagée. Elle se lava et s’habilla en un temps record et à 7h30, nous étions à l’école.

Il y avait du grabuge. Les 120 élèves couraient partout, criant sans retenue. Une demie-heure après le début de la journée scolaire de 5 heures, aucun enseignant n’était présent. Je finis par enseigner l’Anglais aux classes 4 et 6. Ibu* s’occupa de sa propre classe, la classe 1. Les classes 2, 3 et 5 – des enfants âgés respectivement de 7, 8 et 10 ans, avaient instruction de se rendre dans leur salle de classe et étudier leur manuel scolaire ’jusqu’à l’arrivée de leur professeur’. "Et ne faites pas de boucan !" avertit t-elle.

Je faisais face à 30 enfants de moins de 12 ans, entassés dans une moitié de salle (ils n’ont pas assez de salles de classe pour toutes les sections et donc ils utilisent des cloisons en contreplaqué pour les diviser en deux). "Bonjour tout le monde !" Réponse vive : "Bonjour, Madame !". "Mon nom est Eliz, toi, quel est ton nom ?" Je m’adressai à l’un des enfants les plus anciens, proche de moi. Il apprenait l’Anglais depuis 3 ans. Il était stupéfait d’avoir été sollicité en tant qu’individu plutôt que dans le cadre d’un chorus préparé à l’avance. Il restait sans voix. Les autres enfants détournèrent les yeux de peur que je les interroge. Je fus soulagée lorsque une fillette leva la main. "Quel est ton nom ?" lui ai-je demandé, en la montrant minutieusement dans la première rangée. "Mon nom est Fifi !" déclara t-elle triomphalement.
Ce jour-là, aucun des autres instituteurs ne fit son apparition à l’école.

Beaucoup trop d’enseignants pour trop peu d’enseignement

La Banque Mondiale a écrit plusieurs rapports intéressants sur l’enseignement en Indonésie. Quasiment tous concluent qu’il y a beaucoup trop d’enseignants, que le pays ne peut pas se permettre une telle masse salariale (note du traducteur : La Banque Mondiale fidèle à elle même, trop de fonctionnaires est son leitmotiv habituellement suivi de coupes franches drastiques dans les secteurs de l’éducation et de la santé des pays qu’elle a dans son collimateur). La Banque préconise que l’état devrait se séparer de quelques enseignants et d’en recaser quelques autres. Mais ses estimations se basent sur le nombre d’enseignants figurant sur la masse salariale, et non sur leur nombre sur le terrain. Deux choses bien différentes.

Beaucoup de gouvernements locaux offrent des bonus pour inciter des enseignants à travailler dans les régions les plus reculées du pays. Souvent, ces primes doublent leur salaire - sans celles-ci, des enseignants dépensent parfois plus pour se rendre à l’école que leur salaire journalier. Même avec ces bonus, les enseignants officiant dans ces régions reculées sont moins enclins à aller au travail que ceux d’autres régions. Quant aux chefs d’établissements, les mieux payés de tous, ce sont ceux que l’on voit le moins sur leur lieu de travail.

Lors d’une étude dans les régions montagneuses de Papouasie, sept chefs d’établissements sur dix n’étaient pas présents quand les chercheurs leur ont rendu visite, tandis que la moitié des simples professeurs étaient absents. En fait, environ un quart de tous les professeurs n’avaient pas mis les pieds à l’école depuis des mois. Dans des zones classées comme isolées sur d’autres îles - y compris les régions les plus inaccessibles de l’île surpeuplée de Java - environ un professeur sur cinq est absent tous les jours. C’’est en partie parce que beaucoup de gens ayant ce job n’ont aucune motivation pour enseigner.

Autrefois, enseigner était une profession honorable en Indonésie. Puis est venue la crise économique à la fin des années cinquante. Une hyper inflation liquida les salaires et les gens voulurent intégrer la fonction publique, n’importe quel poste parce qu’il était associé à des vivres. Le moyen le plus facile d’endosser la tunique beige de fonctionnaire était de devenir enseignant. La profession fut envahie par des gens qui n’avaient aucune vocation dans le secteur. L’Ordre Nouveau de Suharto, qui considérait les enseignants comme des agents publics avant de les considérer comme des éducateurs, a enraciné cette mentalité.

Bien qu’il y ait désormais toute une série de nouvelles règles et de normes concernant la formation des professeurs, les gouverneurs locaux continuent d’embaucher des ’guru honorer’ – sorte de contractuels à la mode locale- plus ou moins selon leur besoin. Ces individus sous payés, environ un million à l’échelle nationale (un tiers de la main d’oeuvre du secteur éducatif) sont exemptés des nouveaux critères. Ils prennent le job, attendent les périodes de promotions massives en espérant devenir titulaires.

Pour les chefs de districts ou les maires, créer des postes d’enseignants est une manière de remercier les gens qui les ont aidé à être élus ou qui ont mérité une petite faveur. Les procédures de dotations de personnel scolaire fournissent également une excuse pour contourner un moratoire imposé par l’administration centrale d’embaucher davantage de fonctionnaires. Et plus le gouverneur local peut recruter des fonctionnaires, plus il obtiendra d’argent du gouvernement central.

Pour résumer, les écoles débordent de gens dont le seul but est d’être des bureaucrates et non des éducateurs. Et ils se comportent comme beaucoup d’autres bureaucrates en Indonésie. Bien qu’ils savent qu’ils sont supposés enseigner un minimum de 26 heures par semaine, ils savent aussi que ces règles ne seront pas appliquées. Comme beaucoup d’autres bureaucrates, ils voient leurs heures de travail comme une forme de divertissement et prennent des congés à leur guise. Et comme ces autres bureaucrates, ils justifient cela en pointant du doigt leur bas salaire. "Nous sommes si peu payés que nous sommes obligés d’avoir un autre travail à côté. Que pouvons nous faire d’autre ?"

Ceux qui viennent à l’école sont souvent démotivés : J’ai vu des enseignants rester assis à fumer, bavarder et boire du mauvais soda à l’orange dans le bureau du proviseur durant les cours. Lorsque je leur ai demandé où en était leur engagement pédagogique, ils répondirent qu’ils avaient donné du travail aux enfants pour occuper leur journée. Dans les salles de classe, les sept et huit ans studieux, répondaient à des questions à choix multiples sur leur manuel scolaire en recopiant les réponses incorrectes sur leur bloc-note.

La riposte du gouvernement pour remédier à cet enseignement de piètre qualité est que tous les bureaucrates dans les écoles passent un test d’accréditation pour enseigner. Ceci implique pour la majorité, des cours intensifs de 90 heures, puis un examen. Tous ceux qui le réussissent, voient leur salaire doublé immédiatement. Les résultats des tests pour plus de 90%, ont classé les enseignants comme ’très incompétent’ sur les compétences pédagogiques. Plus de la moitié des enseignants en primaire et environ un tiers de ceux en secondaire second cycle étaient jugés comme étant très incompétents dans leur domaine. Mais tous ceux qui ont suivi les cours, ont ’réussi’ l’examen et ont obtenu leur augmentation, qu’ils conservent même s’ils continuent d’être absents quatre jours sur cinq.

Les promotions dans les systèmes scolaire et universitaire, comme pour ceux de la bureaucratie, sont basées sur les années de service. Il n’existe pas encore de système pour récompenser les gens qui travaillent plus dur, qui enseignent l’excellence ou qui poussent les enfant à penser, à explorer et à développer leur potentiel.

Trop grand pour échouer

Comme leurs professeurs, les étudiants indonésiens paraissent toujours réussir leurs examens, peu importe que leurs compétences soient limitées. Selon le Ministère de l’Education il y a 99,5% de réussite à l’examen national à la sortie de l’école primaire. C’est seulement dans des tests sérieux, sous contrôle, aux normes internationales, tels ceux de PISA que leurs compétences sont réellement mises sur le grill.

Si l’on se fie aux articles de journaux, beaucoup d’écoliers réussissent l’examen national en trichant. Chaque année, les journaux sont remplis de dépêches faisant état de fuites sur les questions, d’intermédiaires vendant des modèles de réponses, de professeurs distribuant les résultats en même temps que les papiers d’examen ou même, dans des écoles isolées, écrivant les réponses sur le tableau noir. Tapez sur Google ’comment tricher à ’l’examen national’ en Indonésien et vous obtiendrez des centaines de pages de combines.

Cherchez ’comment tricher au GCSE anglais (General Certificate of Secondary Education) certificat général de l’enseignement secondaire ou au SAT américain (Scholastic Aptitude Test ) test d’aptitude scolaire et vous obtiendrez aussi beaucoup de liens. Mais la couverture de la fraude dans ces pays (comment une petite minorité échappe ) s’essouffle. Les titres indonésiens les plus courants incluent : ’quand la fraude collective devient une tradition dans les examens nationaux’ et ’Tricher fait partie de la culture universitaire.’

Un jour de l’an dernier, en lisant le journal, j’ai remarqué un article concernant une nouvelle initiative pour stopper les tricheries à l’école. Sous le titre ’Berani jujur, hebat !’ que l’on peut traduire grossièrement par ’osez être honnête, c’est cool !’ , un collectif d’organisations faisaient le tour des écoles, en présentant l’idée que tricher n’était pas inévitable. Les organisateurs de la campagne, y compris, la Commission Anti-Corruption, Indonesia Corruption Watch, Transparency International, rapportèrent que les étudiants n’ayant pas avoué avoir triché, étaient infiniment rares. Ils comprirent que la plupart d’entre eux ne renonceraient pas facilement aux tricheries. Ils essayèrent de les encourager à élaborer des plans assortis de délais afin qu’ils puissent se débarrasser de leur malhonnêteté.

Un directeur de collège situé sur les plateaux de Sumatra ouest me racontait que cette situation de tricherie s’était empirée depuis la décentralisation. Nous étions assis à discuter dans son bureau, sous les portraits du chef de district et de son député, vêtus de l’uniforme blanc réglementaire et la casquette de marin qui font ressembler tout officiel indonésien à un chef d’orchestre vieillissant d’une fanfare de collège.

Je lui demandai si la décentralisation lui avait apporté des changements dans son métier. ’Oh oui,’ répondit t-il. ’Ooooh ouiiii !’ Il y a toujours des avantages et des inconvénients avec quelque chose comme la décentralisation, disait t-il. Puis il y eut une longue pause. ’Des avantages et des inconvénients,’ répéta t-il suivi d’une autre pause. ’En fait, en partant du point de vue de l’éducation des enfants, il n’y a aucun avantage,’ ajouta t-il finalement. Il restait assis, déprimé.

La décentralisation a considérablement augmenté les pressions en vue d’un enseignement axé sur les tests parce que les chefs de districts aiment faire des promesses au sujet de l’éducation dans leur district et parce que les chefs d’établissements sont nommés directement par eux. Ainsi, des chefs d’établissements feront n’importe quoi pour satisfaire les chefs de district, vraiment tout ce qu’ils peuvent. Il me raconta les histoires d’un directeur congédié dix ans après sa nomination, à la suite d’un contrôle où l’on a trouvé les comptes de l’école troués comme une passoire. ’Nous avons obtenu une forme de démocratie locale et il est devenu une star de la TimSes’. Le directeur utilisa cette expression - une contraction de ’Tim Sukses’ Team Success - mimant des guillemets avec ses doigts, moitié amusé, moitié écoeuré. ’Et maintenant il est à la tête de l’école secondaire [X], puis il y a le gars au dessus à l’école secondaire [Y], il a été viré pour avoir parié avec l’argent de l’école mais il a léché les bottes du chef de district pour récupérer son poste.’ il poussa un grand soupir, résigné. ’Quel bel exemple pour les enfants.’

Anticiper

Évidemment c’est un véritable défi pour un pays aussi immense et diversifié que l’Indonésie de proposer des programmes scolaires uniformisés et un modèle de gestion d’établissements répondant aux besoins. Reconnaissant ce fait, le gouvernement a récemment introduit un système qui donne à chaque école (supposée en concertation avec les parents) une maîtrise de leurs dépenses : Une école pourra choisir de construire un laboratoire, une autre d’acheter des ordinateurs, une autre d’organiser des ramasses scolaires pour des enfants venant de loin. Et ainsi de suite.

Mais sur la question des programmes scolaires, il y a moins de flexibilité. Les autorités locales d’éducation sont autorisées à choisir deux matières à enseigner à ajouter au programme de base. Parfois, ils choisissent judicieusement, parfois non. Dans un grand pesantren (pensionnat islamique), non loin de Senggigi à l’ouest de Lombok, plaque tournante d’une industrie touristique en pleine expansion, j’ai rencontré une directrice d’école désespérée. Le département local de l’Education lui avait ordonné de remplacer son propre choix de matière, l’anglais au détriment de la langue locale, le Sasak. ’Pour les enfants de la région, l’anglais est leur meilleure chance de trouver un emploi dans un hôtel. Et je ne suis pas autorisée à leur enseigner l’Anglais.’

Au niveau national, le développement des programmes scolaires semble tout aussi irrationnelle.

Les résultats des tests du PISA de cette année n’apportent rien de nouveau. Les élèves indonésiens âgés de 15 ans sont en bas de tableau de la ligue internationale pour les mathématiques et les sciences depuis que le pays participe aux tests en 2003. Les autorités d’enseignement à Jakarta ont décrété que la cause venait d’un surplus de matières à l’école et de ce fait, les étudiants sont dans l’incapacité d’approfondir. Mais leur réponse fut pour le moins curieuse : dans les nouveaux programmes scolaires mis en pratique début 2013, ils ont réduit le nombre de matières en retirant la science, pour couronner le tout, dès l’école primaire. La géographie et l’histoire ont aussi été supprimées. Le temps supplémentaire ainsi créé était consacré à plus d’enseignement religieux, citoyenneté et mathématiques.

Les cyniques diront que c’est dans l’intérêt du gouvernement de garder les gens stupides ; ça les rend plus malléable. C’était surement le cas du temps des colons hollandais dans les Indes Néerlandaises durant des siècles. Au début du 20ème siècle, plus d’un siècle après que le VOC ait été rachetée par l’état hollandais, il y avait seulement 25 ’natifs’ en école secondaire ; à la fin des années 30, seulement 6500 de ceux qui allaient devenir les Indonésiens, avaient fait des études secondaires. Beaucoup croient qu’une volonté politique de garder le peuple sous-éduqué, fut également poursuivie volontairement sous l’ère Suharto. Les enseignants-bureaucrates qui ont gavé les enfants des mythes fondateurs de l’anticommunisme de l’époque pourraient certainement être accusés de maintenir la pensée critique à distance respectable. Mais je ne pense pas que les politiciens ont un agenda secret pour maintenir les gens stupides.

En tant que nation, en effet, l’Indonésie a tout intérêt à posséder davantage de têtes pensantes parce que la décentralisation a dispersé aux quatre vents les prises de décision. Dans un système fortement centralisé, vous pouvez vous en tirer avec juste un petit groupe de personnes très brillantes ; de bonnes décisions prises au sommet de la pyramide seront répercutées en bas. Par exemple, la forte croissance économique sous les années Soharto, a été conçue par une poignée d’économistes formés aux Usa, connue comme la Mafia de Berkley. Mais désormais, plus de 500 mini-gouvernements autonomes prennent des décisions importantes concernant l’éducation, la santé, les investissements et beaucoup d’autres, indépendamment de celui qui siège à Jakarta. L’Indonésie a besoin de milliers d’autres personnes dotées d’aptitudes au dessus de la moyenne pour résoudre des problèmes et elle en a besoin dans chaque coin du pays.

Les personnes qui gèrent beaucoup de ces mini-gouvernements représentent la faible proportion de gens les plus instruits des zones reculées. Quelques uns injectent des fonds dans des bourses d’études pour des locaux - putra putri daerah, les fils et les filles de la région - afin d’essayer délibérément d’augmenter le capital humain dans leur région. Beaucoup d’autres, cependant, voient peu de raison d’augmenter la course aux emplois qu’eux et leur famille contrôlent maintenant.

Qu’ils fassent ou non preuve d’inertie de manière délibérée, actuellement ceux qui prennent les décisions sont des produits d’un système qui a désespérément besoin d’être changé. Des siècles de sous-investissements dans l’éducation, des décennies à utiliser les écoles comme un tremplin vers la bureaucratie, des années d’apprentissage mécanique pour les enfants -la grande majorité des Indonésiens, des professeurs d’universités, en passant par les enseignants jusqu’aux parents, sont le produit de ce système. C’est un système qui étouffe la curiosité, nuit à la pensée critique et consacre le manque d’ambitions.

Tout va bien, sur le papier

Comme je l’ai mentionné, l’une des démarches du gouvernement pour améliorer les compétences des enseignants (comme cela se passe dans la fonction publique, les forces de police et l’armée) est d’exiger de leur part qu’ils se perfectionnent. En plus du stage de formation de 90 heures, tous les enseignants seront supposés, à partir de 2015, présenter un diplôme d’étude post secondaire de quatre ans. L’Université Ouverte a profité de cette opportunité ; sur les 500000 étudiants qui passent leur diplôme en ligne, plus de trois quarts travaillent en tant qu’enseignants, beaucoup dans des endroits sans accès internet.

Ce qui, à priori, devrait être inquiétant. Mais il n’y a pas vraiment une attente à ce qu’une qualification - un ’ijazah’, généralement un bout de papier garni du mot ’diplôme’ en fausse écriture gothique - permette à quelqu’un de faire quelque chose de spécifique. Comme un ingénieur javanais avec un doctorat me l’a dit : ’Pour la plupart des Indonésiens, l’éducation est juste un tremplin pour obtenir un diplôme, non pas pour apprendre quelque chose. Alors pourquoi s’inquiéter de la qualité ?

Beaucoup de gens vont plus loin : Ils ne stressent pas du tout sur les études. Ils n’ont qu’à trouver un cybercafé et commander leur ijazah. Une société qui facture 4 millions de roupiah un certificat d’études secondaires et le double pour un diplôme universitaire, affirme que ses offres sont : SURES, LEGALES, ENREGISTREES A L’UNIVERSITÉ/COLLEGE, PEUVENT ETRE UTILISEES POUR UNE INSCRIPTION (FONCTION PUBLIQUE, ARMEE, POLICE, ENTREPRISE D’ETAT, SECTEUR PRIVE). Sur leur site en ligne, ces fournisseurs d’éducation instantanée rappellent à leurs clients : ’Nb : tout le monde a le droit de travailler et à une éducation décente, indépendamment qu’il soit de la classe supérieure, moyenne ou ouvrière. C’est pourquoi nous sommes ici pour ceux qui ont besoin de certificats.’

La Commission Nationale Electorale rapporte que la plainte la plus courante qu’ils ont reçu concernant les candidats pour les postes de chefs de districts, maires et députés est que ceux ci n’ont pas rempli les exigences scolaires de base pour ces postes ; leur ijazah sont des faux.

Les gens qui achètent leur diplôme en vente libre obtiennent au moins ce qu’ils payent. Mais beaucoup de familles indonésiennes font d’énormes sacrifices afin que leurs enfants puissent devenir diplômés et ils obtiennent beaucoup moins que ce qu’ils méritent. Beaucoup envoient leurs enfants dans le privé ou dans des cours particuliers, souvent avec les mêmes professeurs qui sont supposés enseigner à leurs enfants dans les salles de classe. Les parents semblent croire que leurs enfants obtiendront un enseignement de meilleur qualité si ils payent un extra pour cela mais les faits ne résistent pas à l’analyse. Une comparaison internationale démontre que les cours particuliers privés font en effet augmenter les performances des enfants dans tous les pays hormis en Indonésie où il n’y a aucune différence. Il y a une certaine logique ici : Les produits d’un piètre système ne possèdent pas les compétences pour s’attendre, encore moins à l’exiger, à mieux avec la nouvelle génération.

Mais que dire des parents de la classe moyenne, ceux qui ont fréquenté les écoles privées onéreuses dotées d’éducateurs, non de bureaucrates, ceux qui sont allés dans les meilleures universités d’état, même ceux qui ont étudié à l’étranger ? Pourquoi ne dénoncent t-ils pas l’état épouvantable de l’éducation, pourquoi ne s’insurgent t-ils pas devant la tendance de ces écoles qui n’enseignent pas la science ?

Pour être honnête, il y a eu tellement de protestations en 2012 que le Ministère de l’Education a revu ses plans à la baisse ; au lieu de refiler des programmes scolaires délestés de science à plus de 100000 écoles d’un seul coup, ils mettent la pédale douce, en démarrant gentiment avec environ 6000 écoles. Après ce petit compromis, les protestations se sont calmées.

La plupart des Indonésiens qui réalisent combien le système éducatif national est mauvais, ne l’utilisent pas. Comme des personnes bien éduquées, aisés du monde entier, ils envoient leurs enfants dans des écoles privées. Bien que ceci en soi n’est pas une garantie d’avoir une meilleure éducation. En effet, les résultats de la nouvelle édition du PISA montrent que les élèves des écoles publiques indonésiennes ont de meilleures scores que ceux des écoles privées. (Des études plus approfondies indiquent une exception à savoir que les écoles privées chrétiennes réalisent systématiquement les meilleures notes).

Enseignement supérieur

De nos jours, rien n’est davantage omniprésent dans les maisons indonésiennes que les photos de jeunes gens en toques et en toges. Même les jardins d’enfants organisent des cérémonies de remises de diplômes mais la plupart des photos, si fièrement affichées représentent des enfants brandissant des diplômes des grandes écoles ou des ’sarjana’ , des diplômés du secondaire. Je ne parle pas des maisons de la classe moyenne. Récemment, j’ai séjourné chez trois ou quatre couples indonésiens qui sont illettrés : tous possédaient chez eux, des photos de leurs enfants diplômés.

Les parents pauvres travaillent souvent très dur pour permettre à leurs enfants de finir l’école. Mais où tous leurs investissements les mènent-ils ? Six millions d’Indonésiens qui sont diplômés du secondaire n’ont pas de travail. Le gouvernement estime que les diplômés sortant des écoles secondaires et écoles professionnelles sont qualifiés mais ce n’est pas l’avis des employeurs. 8 employeurs sur 10 disent qu’ils ont du mal à pourvoir des postes de cadres. Près de la moitié des employés ’qualifiés’ qu’ils engagent, même pour les postes les moins astreignants, n’ont aucun sens critique, ni de compétences informatiques ou en anglais dont ils ont besoin pour faire leur job correctement, affirment les employeurs. La plupart des grandes compagnies reforment quasiment tous ceux qui franchissent le seuil de leur porte.

Il y a quelques années, lorsque un ingénieur formé en Allemagne et ensuite devenu le président par intérim B.J Habibie était influent dans le gouvernement, il y a eu un débat national concernant l’augmentation des formations techniques et professionnelles en Indonésie. Habibie entreprit de réformer le système éducatif. Il fut hué par les universitaires de la vieille école qui objectèrent que cela équivalait à transformer ni plus ni moins, les Indonésiens en manœuvres. En conséquence, il y a eu une forte croissance dans les matières traditionnelles de toques et toges tandis que les employeurs manquaient de soudeurs et d’ingénieurs.

L’accès aux hautes études s’est massivement démocratisé en Indonésie ces dernières années ; le nombre de jeunes dans les hautes études a augmenté de 60% entre 1999 et 2010, plus de 4,3 millions. Mais là encore, la qualité est un problème. Sur 3500 universités et collèges enregistrés au Ministère de l’Education d’Indonésie, (ceci exclut les écoles islamiques administrées par le Ministère des affaires religieuses) moins de 100 sont gérés par l’état. La supervision des institutions privées est quasiment inexistante. Même dans le top cinq, le niveau est en baisse, c’est à dire les meilleures universités d’état, l’équivalent de celles d’Oxbridge (Oxfort/Cambridge) ou l’Ivy League. Aucune des universités du top 5 ne figurent dans le palmares des 400 meilleures universités du monde publié par le journal du Time Higher Education (THES) et aucune dans le top 100 des universités asiatiques.

Tout ceci est en partie à cause de la privatisation partielle des universités d’état qui les conduisent à vendre des places aux enchères aux plus offrants : des étudiants de différents niveaux peuvent obtenir des places en étude de médecine s’ils payent 250 millions de rupiah hors taxes. Et c’est en partie à cause de professeurs d’universités simplement promus sur la base de l’ancienneté avec peu ou aucune attention accordée à l’innovation dans la recherche ou à l’excellence de l’enseignement (bien que ceci, aussi devrait changer ).

Sur le papier, les Indonésiens sont sûrement davantage scolarisés que d’autres pays. Mais tant qu’ils n’exigeront pas davantage de leur établissement scolaire, il semble improbable qu’ils soient plus qualifiés.

Elizabeth Pisani

Sources : Inside Indonesia http://www.insideindonesia.org/current-edition/a-nation-of-dunces et http://portraitindonesia.com.

Traduction Eric Colonna

Notes du traducteur :

* le warung est le nom pour désigner les petits restaurants de rue, très populaires sur l’archipel. Nourriture simple, locale et très bonne.

* Ibu (prononcez hibou) est le nom pour désigner le mère, la femme d’un certain age pour marquer le respect et aussi une forme de tendresse pour ces mamans

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