La dette française est-elle si catastrophique ? Impose-t-elle réellement l’immobilisme social ? Devons-nous continuer à sacrifier tout notre modèle social pour rééquilibrer les comptes ? Allons nous continuer à détruire des emplois, des vies et des régions toutes entières pour tenter une énième fois de relancer la croissance par la rigueur ?
Une des réussites du capitalisme moderne est d’avoir réussi à intoxiquer les esprits, par des vulgates néolibérales caricaturales, en abrutissant les citoyens, par des enjeux (presque religieux) de l’économie, des priorités néolibérales de finances publiques et des facteurs optimaux du marché…. au point de persuader les travailleurs eux-mêmes de se sacrifier pour ces causes purement idéologiques, loin d’être scientifiques. Ces enjeux économiques polluent d’ailleurs l’ensemble des pays européens en imposant d’innombrables souffrances aux peuples des pays victimes de plans de rigueurs toujours inefficaces. L’obsession de la dette a intoxiqué l’ensemble de la campagne présidentielle de 2012. Ainsi, la caste journalistique et médiatique, non avare de pensée unique, n’a cessé de poser la question des sources de financement des programmes, alimentant par là -même le scepticisme à l’égard des programmes proposant de véritables réformes sociales. A l’inverse, cette tendance a renforcé volontairement (ou involontairement) les programmes les plus austères. Seul l’immobiliste et le néolibéral (qui réduit les dépenses publiques) deviennent sérieux .
D’un point de vu scientifique, le débat autour de la dette n’est d’ailleurs toujours pas tranché entre les économistes. Il est constamment pollué de part et d’autre par des positionnements idéologiques qui biaisent les tentatives d’analyse ou les schémas orthodoxes de sortie de crise, qui tendent toujours à faire payer les travailleurs et les classes moyennes en épargnant les marchés, les actionnaires et les rentiers…. Loin d’être scientifique, le sujet de la dette est éminemment idéologique ! D’ailleurs, en matière de « soin », « guérissant » les États de cette maladie budgétaire (France, Grèce, Espagne ou Italie, etc…), l’austérité s’est toujours révélée contre-productive. La rigueur (instaurée depuis presque 30 ans) n’a fait que d’enfermer la France dans un cercle vicieux de la dette. Les moyens de rééquilibrage des finances publiques font eux aussi l’objet d’une guerre idéologique sans pareil, pour ne pas parler de lutte de classe lorsqu’il est nécessaire de décider : "Qui devra payer ?" . La lutte contre la dette sert les intérêts des idéologues de l’individualisme. Elle justifie les actes des néolibéraux qui trouvent la solidarité républicaine et la protection sociale anormales, illogiques ou inéquitables. Conformément au paradigme néolibéral, l’individu [responsable] doit s’autofinancer et se prémunir lui-même face au risque (chômage, invalidité, retraite par capitalisation…). Toute intervention de l’État vient biaiser l’équilibre naturel entre l’offre et la demande. La philosophie classique et néoclassique de l’économie considère en effet que « la solidarité et l’égalité sont des obstacles à la liberté et contre nature ». Ce que les philosophes de gauche, les républicains et les analystes historiens ou sociologues ont observé dans le fait que le néolibéralisme n’est en réalité qu’une réhabilitation de l’état de nature, c’est à dire de la loi de la jungle (ou loi du plus fort), continue d’être une finalité pour une partie ultra majoritaire des élites, composant notamment les institutions européennes.
Pour être honnête intellectuellement, il faut commencer par déconstruire les fausses croyances autour de la dette. C’est ce qu’on fait les Économistes atterrés dans leur manifeste, signé par plus 630 universitaires. En réalité, le problème de la dette ne résulte pas d’un excès de dépenses ! L’aggravation de la dette est principalement due à une diminution des recettes fiscales ! Les cadeaux fiscaux faits aux plus riches par les précédents gouvernements et les exonérations fiscales n’ont, non seulement pas servi à créer de la richesse et relancer la croissance, mais ils ont en plus largement contribué à augmenter l’endettement de la France en diminuant ses recettes ! En outre, la part des dépenses publiques dans le PIB est restée relativement stable. Les états les plus protecteurs ont en plus été les plus armés face à la crise de 2008. On attribue donc par erreur la responsabilité de la dette aux dépenses publiques et à la protection sociale pour des raisons idéologiques et non économiques. L’urgence, pour rééquilibrer le ratio recettes/dépenses de l’État, est de mettre en place une réforme fiscale de grande ampleur qui réinstaurerait la justice sociale dans le traitement de l’impôt et sa répartition.
Objectivement les dépenses publiques doivent aussi être perçues comme créatrices de richesses. Elles mettent en place les meilleures conditions de production, de sécurité sociale et publique. Elles créent de l’emploi et donc de la consommation. Personne ne peut nier cette affirmation : en matière de finances publiques, les dépenses sont génératrices de recettes (tva, impôts en tous genres…). Contrairement aux idées reçues, et comparativement aux autres pays, la France est nettement moins endettée que les plus grandes nations du monde : la dette représente en France 66% du PIB, contre 72% dans la zone euro, 65 % aux Etats-Unis, 169 % au Japon. L’endettement est nécessaire au soutien de l’activité économique ! De plus, l’Etat n’est pas un agent économique comme les autres. Il n’est pas mortel (comme les ménages) et ne met pas la clef sous la porte (comme les entreprises). Il faut donc percevoir son endettement dans une vision à long terme. Lorsque vous achetez un appartement, votre endettement est à calculer sur les 25 ans de votre crédit. Personne ne vous demandera de rembourser les 300 000 € en une seule traite. Il faut donc mettre en rapport vos revenus futurs durant les 25 prochaines années avec l’addition de l’ensemble des traites versées à la banque. L’argument de la transmission intergénérationnelle de la dette est d’une malhonnêteté intellectuelle évidente. Il faut évidemment prendre en compte le patrimoine que nous léguerons aux prochaines générations et sa grande valeur intrinsèque (routes, hôpitaux, écoles…).
Il est important de préciser que l’euro n’est pas directement la cause du ralentissement des taux de croissance et de l’endettement. Le problème de la dette est notamment lié à la privatisation de la Banque Centrale, en ce sens qu’elle a été extraite de tout contrôle démocratique ou politique. Cette privatisation, plus concrètement, interdit aux États d’emprunter directement auprès des banques centrales. Une financiarisation des économies étatiques s’est donc opérée depuis les années 1970. Les États, toujours moins souverains, doivent désormais emprunter aux banques commerciales pour financer leur économie. Ces dernières assomment les états d’intérêts. Comble de l’absurdité du système financier dans lequel nous évoluons : désormais les États sont sollicités pour soutenir les banques commerciales lorsqu’elles frôlent la faillite à cause de placements risqués ou "toxiques" . La dette devient un problème dés lors que les États financent leur économie par des investisseurs privés qui spéculent sur la dette des états et s’enrichissent grâce à leurs « faillites » (banques commerciales, assurances, multinationales, armement, lobby pharmaceutiques…). Certains acteurs privés ont gagné plusieurs milliards d’euros grâce à la crise économique grecque ! Les pays européens sont donc passés d’une politique budgétaire financée par des banques publiques Nationales prêtant à des taux presque nuls, à un financement sur les marchés financiers par des financeurs privés. Les agences de notation ont alors pris tout leur sens. Elles déterminent la capacité des États à rembourser leurs emprunts. Cette évaluation n’a rien d’anormal. Elle est parfaitement rationnelle. Ce qui est catastrophique, c’est l’impact de ces notations sur les taux d’intérêt fixés lors de l’emprunt. Les préteurs sont des acteurs privés (rationnels) qui fixent leurs taux selon le risque de non remboursement de l’emprunteur en fonction des agences de notation qui notent la « santé » des États et leur capacité à rembourser. C’est ce comportement rationnel qui provoque le cercle vicieux de la dette. Plus un État est endetté, plus sa note est dégradée, plus le coût de son emprunt est élevé, plus son endettement sera important, etc…. La seule solution envisageable aujourd’hui est donc de relancer l’emploi et l’activité pour sortir de l’enfer de la crise économique, et plus encore de la crise sociale (chômage, pauvreté, insécurité).
Pour sortir de l’enfer de la dégradation des économies et de la tutelle de ces marchés financiers, il est décisif de redonner aux États la possibilité d’emprunter directement à des banques d’État, légitimes et sous contrôle politique. Il faut redonner aux banques centrales et nationales la possibilité de se financer par la création monétaire (sans enrichir quelque institution que ce soit par l’intérêt). Il y a 30 ans, la Banque de France prêtait à des taux dérisoires, souvent moins de 1%. C’est le seul moyen de relancer les économies pour éponger la dette et revenir au plein-emploi. Il faut rompre avec l’idée reçue selon laquelle : « L’augmentation de la masse monétaire entraîne de l’inflation ». C’est ce postulat profondément obsolète qui a retiré aux États la possibilité d’emprunter à leur banque nationale (monnaie unique, critères de convergence, lutte contre l’inflation). Le constat est clair : le manque de croissance alourdit la dette publique. L’austérité est profondément contre-productive. Pour ne pas enfermer les États dans ce cercle vicieux, il est urgent de relancer l’activité du pays en sortant du carcan des traités européens néolibéraux. La France peut être le moteur du changement. Elle peut démontrer que l’on peut échapper aux obligations économiques austéritaires et néolibérales (pléonasme ?) des traités Européens en poursuivant la création de l’Europe, celle des peuples, de l’Europe sociale.
Michael KURTIS