Après sa récente réunion avec les leaders européens, Obama a fait une déclaration incroyable. Il a dit que le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) négocié en secret derrière des portes closes par les plus importantes multinationales faciliterait la fourniture de gaz étasunien à l’Europe et permettrait à cette dernière de réduire sa dépendance envers le gaz russe : « Une fois qu’on aura mis en place un accord commercial, il sera beaucoup plus facile d’exporter des licences pour des projets de gaz naturel liquéfié à destination de l’Europe, une évolution bienvenue dans la situation géopolitique actuelle », a déclaré Obama.
L’opportunisme politique consistant à promouvoir le TTIP en jouant sur les peurs des Européens d’être privé du gaz russe, suite au coup orchestré par les Etats-Unis en Ukraine le 22 février dernier, se heurte au fait que le problème d’acheminer du gaz de schiste en Europe ne se résume pas à faciliter les procédures d’octroi de licences de gaz naturel liquéfié aux Etats-Unis et dans l’Union Européenne.
Dans d’autres déclarations portant sur le boom récent de l’extraction non conventionnelle de gaz de schiste aux Etats-Unis, Obama et Kerry ont tous les deux affirmé que les Etats-Unis pouvaient fournir plus qu’il ne fallait de gaz à l’Europe en remplacement du gaz russe, ce qui est un mensonge éhonté au regard des faits. Quand Obama a rencontré les leaders européens à Bruxelles il leur a dit qu’il leur faudrait importer du gaz étasunien pou remplacer le gaz russe. Cela pose un énorme problème.
La révolution du gaz de schiste est un échec
« D’abord, "la révolution du gaz de schiste" aux Etats-Unis a échoué. L’accroissement considérable de la production de gaz par "fracturation hydraulique" (c’est à dire en faisant exploser les formations rocheuses pour libérer le gaz qu’elles contiennent), a été interrompu par les principales compagnies comme Shell et BP par manque de rentabilité. Shell vient juste d’annoncer une importante réduction de son activité de production de gaz de schiste. Shell vend son droit d’exploitation sur environ 300 000 ha de terrain dans les principaux gisements de gaz de schiste du Texas, de Pennsylvanie, du Colorado et du Kansas et annonce qu’il sera peut-être obligé d’en vendre encore plus pour stopper ses pertes dans ce domaine. Le responsable de Shell, Ben van Beurden, a déclaré : “Franchement les profits sont tout à fait insuffisants... les forages n’ont tout simplement pas donné ce que nous espérions.”
» David Hughes, un analyste dont la compétence en matière de gaz de schiste est reconnue, a très bien résumé l’illusion du gaz de schiste dans une étude portant sur plusieurs années d’extraction aux Etats-Unis : “ La production de gaz de schiste a explosé jusqu’à constituer presque 40% de la production du gaz naturel des Etats-Unis. Cependant la production plafonne depuis décembre 2011 ; 80% de la production de gaz de schiste vient de 5 zones d’exploitation, la plupart en déclin. L’importance du déclin des puits exige de continuels apports de capitaux - 42 milliards de dollars par an pour forer plus de 7 000 nouveaux puits - afin de maintenir la production. En comparaison, le montant en dollars du gaz de schiste produit en 2012 atteignait tout juste 32,5 milliards.”
Donc, soit les conseillers d’Obama lui ont menti sur l’état réel de l’exploitation du gaz de schiste aux Etats-Unis, soit il a menti délibérément. La première hypothèse est la plus vraisemblable.
Le second problème avec "l’offre" étasunienne de gaz à l’UE est qu’en fait elle exige la construction aux Etats-Unis comme en Europe, de massives et coûteuses infrastructures comme des terminaux portuaires de gaz naturel liquéfié (GNL) capables d’accueillir des tankers géants de gaz liquéfié qui feront le trafic entre les deux continents.
Or, du fait des différentes lois étasuniennes sur l’exportation de l’énergie et la demande intérieure, il n’y a pas de terminaux de liquéfaction du gaz naturel en activité aux Etats-Unis. Le seul qui soit en construction actuellement est le terminal méthanier de Sabine Pass, à Cameron Parish sur la côte louisianaise, détenu à 100 % par Cheniere Energy Partners dont le conseil d’administration est présidé par John Deutch, l’ancien président de la CIA. Le problème du terminal de sabine Pass est que la plus grande partie du gaz a déjà été promise par contrat à la Corée, l’Inde et à d’autres clients asiatiques de GNL, et pas à l’UE.
Le troisième problème est que, même si on créait des installations portuaires capables de répondre aux besoins en gaz de l’UE en remplacement du gaz russe, cela provoquerait une augmentation du prix du gaz à l’intérieur des Etats-Unis et mettrait brutalement fin au mini-boom de l’industrie manufacturière engendré par l’abondance de gaz de schiste bon marché. Les consommateurs européens devraient payer le gaz étasunien beaucoup plus cher que le gaz russe qui arrive par les pipes lines du gazoduc Nord Stream ou à travers l’Ukraine. De plus il n’y a pas de tankers géants spécialisés dans le transport du GNL pour fournir le marché européen. Tout cela prendrait des années à mettre en place – des autorisations environnementales au temps nécessaire pour construire tout cela – pour le moins 7 ans, si tout se passe bien.
L’UE importe actuellement 30% de son gaz – la source d’énergie qui augmente le plus vite en Europe – de Russie. La compagnie russe, Gazprom, fournit 14% du gaz de France, 27% de celui d’Italie, 36% de celui d’Allemagne et 100% de celui de Finlande et des pays baltes.
L’UE n’a pas de solution de rechange réaliste face au gaz russe. L’Allemagne, l’économie la plus importante, a stupidement décidé de supprimer progressivement son énergie nucléaire, et son "énergie alternative" – l’énergie du vent et du soleil – est un désastre économique et politique : le prix de l’électricité explose pour les consommateurs, même si les énergies alternatives ne représentent qu’une toute petite partie du marché global.
Bref, l’idée de renoncer au gaz russe et d’importer du gaz étasunien à la place, est une chimère et un non-sens économique, politique et énergétique.
Traduction Dominique Muselet
Pour compléter voir l’analyse que fait de cet article Philippe Grasset : http://www.dedefensa.org/article-_tat_path_tique_de_la_narrative_de_bho_sur_le_gaz_us_10_04_2014.html
Et un article du Monde du 1er octobre 2013 : http://petrole.blog.lemonde.fr/2013/10/01/gaz-de-schiste-premiers-declins-aux-etats-unis/