La victoire électorale du Front Farabundo Martí pour la Libération Nationale (FMLN) aux élections présidentielles du 2 février 2014 constitue un évènement. La coalition de gauche, au gouvernement depuis 2009, a réussi à conserver son appui populaire, en intégrant cette fois à la vie politique et démocratique du pays, par la voie de la participation électorale, les très nombreux Salvadoriens -un sur quatre-, vivant à l’étranger, en particulier aux États Unis d’Amérique (EUA) (1).
La victoire de dimanche 2 février montre que les Salvadoriens, un des peuples les plus pauvres d’Amérique Centrale (AC), ont apprécié les changements apparus dans leur vie grâce aux mesures gouvernementales.
Des trois axes majeurs du programme du candidat élu, Salvador Sánchez Cerén, (le développement social et économique avec une aide accentuée à la petite entreprise et la création d’emplois, l’approfondissement de la politique éducative menée par l’actuelle administration et la question de la sécurité avec la lutte contre la criminalité), le troisième (la sécurité) était déjà une des priorités du gouvernement précédent. C’est ainsi que dans l’un des pays les plus violents de la région, la politique gouvernementale a permis l’instauration d’une trêve entre les bandes rivales, ayant pour conséquence une diminution de la criminalité. En 2013 se commettaient, en moyenne, 8 meurtres par jour, alors qu’au début de la mandature on en comptait 15.
Effectivement, un des problèmes majeurs, non seulement au Salvador, mais dans presque tous les pays d’AC, est l’existence de bandes de jeunes dont l’apparition remonte aux années 80, même si le phénomène trouve ses racines historiques dans l’annexion des territoires mexicains en 1846 par les EUA (2). Avec l’implantation, commanditée par Washington, de féroces dictatures ayant pour mission de stopper le « communisme », la région s’est embrasée, les populations organisant des guerres de résistance. Seule la révolution du Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN) au Nicaragua a pu abattre la dictature de Somoza. Les autres mouvements de libération, - au Salvador comme au Guatemala -, ont été contraints de négocier leur intégration dans le système politique, mais les problèmes sociaux sont restés intacts. Les migrations aussi bien politiques qu’économiques vers les États Unis n’ont alors cessé de croître. Face à la discrimination et aux agressions, les jeunes migrants se sont constitués en bandes que la politique d’expulsion (appelée déportation aux EUA) du régime nord-américain s’est ensuite chargée d’exporter dans leurs pays d’origine, provoquant ainsi le transfert de la culture de violence (3). Les bandes les plus connues actuellement au Salvador sont Barrio 18 et Mara Salvatrucha (MS-13).
La politique de Washington face à la violence a toujours été la répression, conséquence de l’incapacité du système à adopter des mesures de prévention qui résoudraient le problème à la racine. Malgré la promesse électorale de B. Obama, la politique d’expulsion n’a cessé de se durcir et pendant ses deux mandats, plus de deux millions d’immigrants sans papier ont été expulsés du pays, ce qui représente presque le nombre total des déportés depuis plus d’un siècle (4). Pour un pays dont les habitants, et en particulier le président, sont issus de l’immigration, la situation serait cocasse si la vie de personnes n’était en jeu.
Si Washington a toujours disposé de ressources pour implanter des dictatures en Amérique Latine (AL) (5), aujourd’hui il se montre moins généreux pour aider ce petit pays qu’est Le Salvador à réunir les 5 000 millions de dollars nécessaires pour lutter efficacement contre la criminalité (6). Bien plus, le régime américain s’oppose à la politique gouvernementale du Salvador qui veut une trêve entre les bandes, et l’entrave en s’appuyant sur le fait qu’en octobre 2012, le Département du Trésor des États Unis a inclus la MS-13 dans sa liste noire (7). Et pourtant, la politique du gouvernement salvadorien a fait chuter le taux d’homicides de presque deux tiers (8). Au vu d’un tel succès, d’autres pays de la région, comme le Guatemala et le Honduras, ont commencé aujourd’hui timidement à la copier (9) et le processus compte, aussi, avec l’appui de l’OEA (10). En mars 2011 déjà, Fidel Castro, dans une des ses réflexions, avait dénoncé, de façon accablante, le cynisme de la politique criminelle des EUA (11).
La vie des migrants est ainsi devenue une arme politique aux mains du régime de Washington, utilisée comme moyen de pression sur les pays voisins. Les centaines de morts par an à la frontière entre les USA et le Mexique ne suffisant pas (12), les USA ont stimulé l’immigration clandestine en promulguant en 1966 la loi d’ajustement qui favorise les départs de Cuba par le détroit de Floride.
De tous les locataires de la Maison Blanche c’est sans doute Obama qui a été le plus retors en se déclarant, aujourd’hui, dans l’incapacité d’appliquer sa promesse électorale de stopper les expulsions des illégaux (13). Et le nombre de reconduites à la frontière a largement dépassé celui de l’époque de Bush (14), aggravant de ce fait la situation au Salvador.
Mais le temps, et la natalité, jouent contre la volonté de l’empire américain. Au mois de mars 2014 la communauté latine de Californie est devenue la plus nombreuse (et la plus jeune) (15). Pour ne pas se mettre cette population à dos, l’état de Californie a déjà promulgué une loi limitant le nombre de renvois d’immigrants dans leurs pays (16), comme l’a fait également l’état de New York (17). Par ailleurs, afin de limiter les critiques, les fonctionnaires et élus fédéraux ont reçu l’ordre du gouvernement de faire savoir et répéter que la procédure de déportation a été modifiée. D’après eux, le pourcentage d’expulsés, condamnés par les lois américaines, serait en augmentation de 71% et celui des sans papiers uniquement, en diminution de 23% (18). Cependant, les immigrants commettant des délits mineurs ou sous le coup de simples contraventions sont considérés, désormais, comme des délinquants. Les conséquences de cette politique sont terribles : des milliers de mineurs nés aux EUA se retrouvent orphelins après l’expulsion de leurs parents (19). Les autorités américaines se soucient encore moins du sort des déportés eux-mêmes. Selon le Bureau de Washington pour l’AL, les expulsés - surtout les non mexicains - sont des proies faciles pour les bandes criminelles qui pullulent à la frontière avec le Mexique (20), alimentant ainsi les filières du crime sur le territoire américain lui-même. Le chancelier du Guatemala vient de déclarer que la politique de déportation des EUA, qui oblige les policiers à atteindre des quotas dans la chasse aux illégaux latino-américains, est comparable à la politique de ségrégation du régime nazi (21). Des états dirigés par les Républicains avaient même créé des primes par tête d’immigrant illégal capturé, comme le Texas qui offrait 25 dollars par homme, femme ou enfant (22). Aujourd’hui, cette mesure a été annulée.
Selon la doctrine Monroe, toujours en vigueur, les nord-américains ne peuvent accepter le fait qu’un peuple latino-américain puisse construire une société bâtie sur un autre modèle que le leur, car telle est la source de leur puissance et de leur hégémonie mondiales.
J.C. Cartagena et Nadine Briatte
