La voix des FARC

Grace O'Malley

Alors que le président François Hollande a désigné le jour même de son investiture (15 mai) un représentant qui sera chargé de participer à la libération du journaliste Roméo Langlois détenu par les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), la France est dans l’attente d’un signal de la guérilla pour envoyer en Colombie son émissaire secret (1). Afin de tenter de comprendre dans quel contexte pourrait intervenir cette libération, il est nécessaire de se pencher sur certains événements survenus ces six derniers mois au cours du conflit armé en Colombie.

Le 4 novembre 2011, Alfonso Cano, qui succédait à Manuel Marulanda à la tête des FARC depuis le 25 mai 2008, est tué lors d’un raid de l’armée colombienne dans le département du Cauca. Sa dépouille est alors fièrement exhibée aux caméras, tandis que le président colombien Juan Manuel Santos promet aux autres membres de la guérilla qu’ils finiront tous "en prison ou dans une tombe" (2). Quelques jours plus tard, Timoléon Jimenez, ou "Timochenko", est désigné pour succéder à Alfonso Cano, et adresse un premier message cinglant au président Santos, dans lequel il l’accuse d’être "menaçant et brutal" (3).

Fin novembre 2011, l’armée colombienne lance une attaque contre un camp des FARC au cours de laquelle quatre otages, détenus depuis près de quatorze années, trouveront la mort (4). Nous apprendrons par la suite que la guérilla marxiste avait adressé, quelques jours auparavant, un communiqué écrit au groupe Colombiennes et Colombiens pour la Paix, dans lequel elle acceptait la libération sans condition de six de leurs prisonniers, conformément à l’engagement pris par Alfonso Cano avant sa mort. Les FARC accusent alors l’Etat d’avoir délibérément entrepris cette opération dans le but de saboter leur tentative de libérer des prisonniers unilatéralement (5).

Les corps des quatre hommes, policiers et militaires, sont rapatriés vers leurs familles et des funérailles nationales sont célébrées à Bogota. L’année 2011 s’achève dans un climat particulièrement pesant et douloureux en Colombie.

Au mois de janvier 2012, Timoléon Jimenez, désormais troisième chef historique des FARC, lance un premier appel au dialogue au président Juan Manuel Santos, proposant alors de réouvrir des tables de négociation, comme celà avait été entrepris près de dix ans auparavant par le président Andrès Pastrana, dans le but de mettre un terme au long conflit armé par la voie du dialogue (6). Parallèlement, le projet de libérer unilatéralement six de leurs prisonniers est maintenu, et la guérilla révèle l’identité des hommes qui seront libérés (7). La guérilla demande par ailleurs qu’une commission humanitaire effectue une visite à l’intérieur des prisons colombiennes afin de vérifier les conditions de détention des prisonniers guérilleros. Les prisonniers politiques seraient en effet plus de 7 500 en Colombie, selon l’ex-sénatrice Piedad Cordoba (8). Dans un premier temps, ce droit de visite est accordé à Piedad Cordoba par le ministre de la Justice Esguerra, puis retiré, au motif qu’il n’existerait pas de prisonnier politique en Colombie.

Le 26 février 2012, dix ans jour pour jour après la fin des négociations entre le président Pastrana et la guérilla, le Secrétariat de l’Etat majeur central des FARC annonce, par un communiqué écrit, la fin des enlèvements contre rançon, ainsi que la libération de la totalité de ses prisonniers (9), dans le but d’amorcer une tentative de réconciliation et de "faire le pari de la paix" en Colombie.

Alors que l’armée colombienne inflige de lourdes pertes humaines aux FARC à la fin du mois de mars, puisque plus de 70 de leurs membres sont tués par des bombardements en l’espace de quelques jours (10), la guérilla maintient néanmoins son opération de libération unilatérale, et c’est le 2 avril 2012, que Piedad Cordoba, à la tête d’une mission humanitaire, reçoit les dix hommes dans la liesse générale (11). Certains qualifient ces libérations de triomphe pour la paix et de nombreux colombiens en appellent à l’ouverture de négociations entre les deux parties du conflit.

Or, si le début du mois d’avril 2012 a été marqué par la libération sans condition des dix derniers prisonniers de la guérilla, cette période semble également marquée par l’intensification de la réponse militaire de l’Etat colombien :

29 mars : le Général américain Martin Dempsey, Chef d’état major des armées des Etats-Unis et plus haut gradé militaire de l’armée américaine, se rend à Tibu (Colombie) afin de superviser le déploiement de 5 des 7 camps prévus du commandement Joint Task Force (force de lutte contre le terrorisme créée par les Etats-Unis) et disséminés aux endroits où la guérilla est la plus présente sur le territoire colombien (12).

6 avril : En marge du Sommet des Amériques, les présidents Barack Obama et Juan Manuel Santos signent des accords pour un nouveau plan d’action militaire régional sur le territoire colombien.

16 avril : Le Ministre de la Défense Juan Carlos Pinzon reçoit son homologue israëlien Ehud Barak afin de conclure des accords de coopération de lutte contre le terrorisme, sans que davantage de détails ne soient rendus publics (13). Israël étudie par ailleurs la vente de drones (avions sans pilote) ainsi que l’exportation d’armes vers la Colombie.

23 avril : Leon Panetta, Secrétaire à la Défense des Etats-Unis, se rend en Colombie pour rencontrer le Ministre de la Défense Juan Carlos Pinzon, afin de réviser les accords du Plan Colombie (aide militaire des Etats-Unis qui s’élève déjà à plus de 8 milliards de dollars depuis 2001) et autorise la vente de dix hélicoptères destinés à la lutte contre la guérilla (14).

Ainsi que le met en évidence Daniel Kovalik, avocat américain des droits de l’Homme et des travailleurs, ce déploiement militaire massif s’effectue conjointement avec l’entrée en vigueur du Traité de Libre Echange conclu entre la Colombie et les Etats-Unis, et pourrait sapper les tentatives potentielles de résolution du conflit par des négociations (15). De ce fait, et grâce à l’aide des Etats-Unis, l’Etat colombien poursuit son plan militaire baptisé "Epée d’Honneur", qui prévoit de "réduire" de 50% les effectifs des FARC (9 200 combattants) au cours des 2 prochaines années, soit jusqu’en 2014, date des prochaines élections présidentielles en Colombie.

La capture du journaliste français Roméo Langlois ce 28 avril dernier, au milieu d’intenses affrontements entre l’armée et la guérilla, intervient alors que le gouvernement colombien poursuit massivement son offensive militaire contre les FARC et a déjà écarté toute possibilité de résolution du conflit armé par la voie du dialogue. Alors que de rudes efforts ont déjà été entrepris par la guérilla des FARC, dans l’espoir de voir s’engager des négociations de paix avec le gouvernement colombien, il est à présent difficile d’imaginer quels efforts supplémentaires celle-ci pourrait encore fournir, alors que ses gestes ont été successivement rejetés, ignorés ou jugés insuffisants. Sans doute le moment est-il venu de prêter une oreille plus qu’attentive aux appels au dialogue et de s’intéresser réellement à l’issue politique du conflit armé colombien, tant réclamée par tout un peuple en quête de paix.

Grace O’Malley

(1) http://www.aporrea.org/internacionales/n205550.html

(2) http://www.youtube.com/watch?v=wYbEQluuPPo&feature=BFa&list=PL3EA64A0561AB9877

http://www.youtube.com/watch?v=v3OZELByoZw&feature=BFa&list=PL3EA64A0561AB9877

(3) http://www.lepoint.fr/monde/colombie-quatre-otages-des-farc-tues-lors-d-une-operation-de-l-armee-27-11-2011-1400951_24.php

(4) http://www.leparisien.fr/flash-actualite-monde/colombie-le-nouveau-chef-des-farc-juge-le-president-brutal-et-menacant-21-11-2011-1731648.php

(5) http://fr.canoe.ca/infos/international/archives/2011/11/20111129-165918.html

(6) http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2012/01/10/la-guerilla-des-farc-prete-au-dialogue-avec-le-president-colombien_1627636_3222.html?utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter#xtor=RSS-3208001

(7) http://www.youtube.com/watch?v=pyAUJRKPKfA&list=PL6DD7D324D959B979&index=13&feature=plpp_video

(8) http://www.panorama.com.ve/portal/app/vista/detalle_noticia.php?id=8404

(9) http://libertad95.com/2012/02/26/declaration-publique-des-farc-sur-les-prisonniers-et-les-detenus/

(10) http://www.youtube.com/watch?v=rLbabJztU9A&list=PL3EA64A0561AB9877&index=5&feature=plpp_video

(11) http://www.youtube.com/watch?v=6LLKMl6eBMw&feature=BFa&list=PLAFAA1D9143B7435B

(12) http://libertad95.com/2012/05/02/les-etats-unis-envoient-des-commandants-de-combat-en-colombie/

(13) http://www.guysen.com/article_Israel-Colombie-un-accord-de-cooperation-historique_17784.html

(14) http://www.aporrea.org/internacionales/n203611.html

http://www.youtube.com/watch?v=b1aYNYxpEGw&feature=BFa&list=PL3EA64A0561AB9877

(15) http://libertad95.com/2012/05/09/colombie-lempire-contre-attaque/

COMMENTAIRES  

28/05/2012 10:19 par QB

Article très intéressant Merci !

Cependant, un petit commentaire sur l’importance des mots : pour les 4 policiers et militaires, il ne s’agissait pas d’otages mais, par définition, de prisonniers de guerre. Définition : "Par prisonniers de guerre on entend généralement les membres des forces armées d’une des parties à un conflit étant tombés aux mains de la partie adverse"

C’est le cas également de Roméo Langlois, soit dit en passant  ! Ayant revêti un uniforme militaire semblable à celui de l’armée colombienne, ne portant pas de signe distinctif obligatoire pour les journalistes, il a malheureusement pris part au conflit. Donc c’est pas "Les Farc disent que untel ou untel est un prisonnier de guerre" NON c’est le Droit International.

Les prisonniers de guerre sont protégés par la IIIème convention de Genève et le Droit International Humanitaire. Le Comité International de la Croix-Rouge rappelle que :

"Leur détention n’équivaut pas à une sanction ; elle ne vise qu’à les empêcher de continuer à participer au conflit. Ils doivent être libérés et rapatriés sans tarder dès la fin des hostilités. La puissance détentrice peut les poursuivre en justice pour d’éventuels crimes de guerre, mais pas pour des actes de violence licites en DIH.
Les prisonniers de guerre doivent être traités avec humanité en toutes circonstances. Ils sont protégés contre tout acte de violence ou d’intimidation, ainsi que contre les insultes et la curiosité publique. Le DIH définit également des conditions minimales de détention, notamment celles qui concernent le logement, la nourriture, l’habillement, l’hygiène et les soins de santé.
"

Les libérations de prisonniers unilatérales des FARC ont pourtant lieu sans attendre "la fin des hostilités" (quid du régime colombien et des 7500 prisonniers politiques ?), ce que ne veulent pour rien au monde la classe dominante, et ce que montre bien cet article.

Comprenons que c’est important pour l’oligarchie colombienne de faire passer les guérillas pour des terroristes et non une belligérance, jusque dans le vocabulaire médiatique...

PS : Si l’on dit guérilla marxiste pourquoi on dit pas gouvernement capitaliste ou impérialiste, enfin bref avec un qualificatif identifiant leur projet politique (ou est-ce que tacitement "Nous on est normal et eux c’est des extrêmistes" ?)

28/05/2012 10:30 par NN

... réduire de 50% les effectifs des FARC... Quel noble projet en faveur de la paix. ça fait froid dans le dos. On sait s’ils ont prévu l’achat de pelleteuses pour tout ramasser ? C’est sûr Santos va pouvoir prétendre au prix Nobel de la Paix et entrer dans le cercle très fermé des grands bienfaiteurs de la planète, comme Obama.

28/05/2012 14:41 par Grace O'Malley

Merci de votre commentaire qui me permet d’y voir plus clair. Celà montre à quel point on peut se laisser piéger par le discours environnant et les formules journalistiques maintes fois répétées. En effet, la guérilla des FARC est aussi marxiste que le gouvernement de Santos est impérialiste, ou capitaliste, ou les deux.
Idem pour le terme d’ "otages" au lieu de "prisonnier de guerre".

La situation de Roméo Langlois semble particulièrement ambigüe. Un journaliste ne devrait en principe pas être considéré comme prisonnier de guerre, seulement... vêtu d’une tenue et d’un casque militaires au milieu de combats entre l’armée et la guérilla... celà fait de lui un participant on ne peut plus impliqué dans le conflit. Je crois savoir que cette pratique a été imposée aux journalistes par l’armée américaine depuis les guerres en Irak et en Afghanistan. Ce qui explique qu’il a été la cible des balles et aurait pu tout aussi bien y laisser sa peau. Il a certes été fait prisonnier mais il semble aussi miraculé.

Toutefois le travail de Roméo Langlois en Colombie semble particulièrement remarquable, et n’a rien à voir avec celui de ces "spécialistes" qui pondent articles, livres et interviews destinés à orienter l’opinion publique et non à informer. Pour exemple, l’interview de Daniel Pécaut dans Le Monde qui laisse croire que le gouvernement de Santos serait miséricordieux et bienveillant à l’égard de son pays, et souffre des caprices insensés de la guérilla.

http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2012/05/04/colombie-l-enlevement-de-romeo-langlois-est-incomprehensible_1695572_3222.html

S’il n’y aurait aucune raison pour que les FARC continuent de détenir Roméo Langlois, il n’y a aussi aucune bonne raison pour qu’il le relâche. Pour la beauté du geste ? Pour être remercier ? Ou pour attendre ensuite tranquillement les bombes leur tomber sur le coin de la g... ?

31/05/2012 00:21 par Anonyme

Colombie : le journaliste français Roméo Langlois libéré par les Farc

http://www.linternaute.com/actualite/depeche/afp/17/941107/colombie_liberation_du_journaliste_romeo_langlois_par_la_guerilla_des_farc.shtml

Mercredi 30 mai

(...) "On m’a toujours traité comme un invité. Ils ont toujours été respectueux"

(...) La délégation du CICR, qui comprend un émissaire du ministère français des Affaires étrangères, Jean-Baptiste Chauvin, et l’ex-sénatrice colombienne Piedad Cordoba, médiatrice auprès des Farc, doit ramener le journaliste à l’aéroport de Florencia, capitale du Caqueta, situé à une centaine de kilomètres.

"C’est un moment d’intense soulagement car Roméo va pouvoir continuer son travail et retrouver sa famille", a commenté à l’AFP M. Chauvin, tandis que Mme Cordoba appelait à "bâtir la paix" pour une "Colombie meilleure".

Une fois revenu à Florencia, le journaliste "sera remis officiellement aux fonctionnaires de l’ambassade de France" et "il partira ensuite à Bogota", a indiqué à l’AFP Maria Cristina Rivera, une porte-parole du CICR.

Aussitôt la nouvelle connue, le président français François Hollande a exprimé sa "très grande joie", remerciant les autorités colombiennes, l’ambassade de France et le CICR de "cet heureux dénouement". Selon lui, M. Langlois "rejoindra rapidement la France".

01/06/2012 12:59 par NN

On est content que ce journaliste soit rentré sain et sauf en France, mais maintenant en Colombie ? ... feu à volonté ??

R. Langlois serait porteur d’une lettre rédigée par la guérilla des FARC à l’intention de François Hollande. Voyons ce que Flamby en dira...

03/06/2012 00:20 par Lucky Luke

Le journaliste Français libéré : Les FARC sont en faveur d’un processus de paix.

Le journaliste Français récemment libéré Roméo Langlois a déclaré aujourd’hui que les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) ont parié en faveur de la présence d’autres pays pour un éventuel processus de paix dans la nation sud-américaine.

Lors d’une conférence de presse au siège de l’Ambassade de France à Bogota Langlois Langlois a rapporté que les FARC qu’entre Colombiens seulement, il serait très difficile d’entrer dans un processus de négociations compte tenu de la méfiance et de la haine accumulées..

Le reporter de France 24, qui a recouvré la liberté après avoir été retenu 32 jours par les FARC, a confirmé qu’il était porteur d’un message des insurgés au président Français François Hollande, message au sujet duquel il n’a pas donné de détails.

Cependant, il a déclaré que celui-ci sera révélé intégralement en temps voulu et qu’il parle de la nécessité de la présence internationale pour négocier la paix en Colombie.

Par ailleurs, Langlois a répété que le conflit colombien n’est pas abordé comme il faut par la presse et il a insisté sur le fait qu’ils s’agit de gens pauvres qui s’entre-tuent dans une guerre - c’est son opinion - déclenchée par des gens qui ont des intérêts bien déterminés et qui n’iront jamais au front.

(…) Langlois a souligné qu’aussi bien l’Armée que les Insurgés pensaient que leur cause était juste et qu’ils étaient des hommes de grande valeur.

Dans cet esprit, il a dit que les FARC avaient beaucoup de respect pour l’Armée et que ce sont les premiers à reconnaître que ses hommes sont forts, en même temps qu’ils déplorent que des soldats meurent au combat puisque ce sont aussi des Colombiens. (…)

03/06/2012 23:34 par No Numbre

Si la participation de pays étrangers dans un éventuel processus de paix en Colombie serait souhaitable et même nécessaire, en attendant personne ne semble vouloir s’en mêler... je crois que Santos a dit lui-même qu’il n’avait pas besoin d’aide extérieure pour régler le conflit colombien (hormis les quelques 8 milliards de dollars reçus des Etats-Unis). On ne peut pas dire que ça se bouscule au portillon. Hollande a dit qu’il n’interférerait pas dans la politique de la Colombie... on n’en attendait pas moins.

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