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Le conspirationnisme

Alessandra Riccio était l'une des plus grandes connaisseuses et, en même temps, l'une des plus ardentes défenseuses de Cuba. Elle était membre du PCI et journaliste à Cuba pour le journal l'Unità. Après la dissolution du PCI, elle a poursuivi son travail de diffusion et de soutien à Cuba. Malheureusement, elle est décédée il y a quelques semaines. Cet article, écrit l'année dernière, vise à mettre en garde contre la propagande de guerre et les "vérités" qu'elle propage. Des faits qui ne sont pas vérifiés, mais soutenus par des campagnes émotionnelles visant à obscurcir l'intellect de ceux qui, comme les journalistes ou les historiens, devraient enquêter pour vérifier le bien-fondé de ce qui est diffusé. Le conspirationnisme, très répandu à l'extrême droite, devient un stigmate qui permet de faire taire ceux qui veulent enquêter et vérifier les fondements des campagnes d'indignation que l'impérialisme met souvent en place pour soutenir ses aventures militaires.

Nous sommes le 5 avril, à l’émission "Tutta la città ne parla", j’entends un professeur d’université parler de conspiration, un mot inhabituel, non reconnu par Google, qui le marque pour moi en rouge. Pourtant, son sens est clair : il identifie tous ceux qui voient la conspiration partout. Nous parlons de la guerre et des photos de civils tués à Bucha, et face à mes doutes, je me suis demandé si moi aussi j’étais à compter parmi les conspirationnistes.

Outre la Madeleine de Proust, les souvenirs, bien qu’estompés, étaient encore bien vivants en moi. Cela faisait longtemps que je n’en avais pas entendu parler, mais ces images de 1989 ne m’avaient jamais quitté, et aujourd’hui les réseaux sociaux, dont la mémoire est si précieuse, me les ramènent. Je parle des images et des récits du massacre de Timisoara qui a choqué la moitié du monde à la mi-décembre 1989. Je les ai vues et j’ai appris ce qui se passait en Roumanie, y compris le procès sommaire et l’exécution du couple incrédule Ceaușescu, depuis La Havane où, quelques mois auparavant, je travaillais comme correspondant de L’Unità, qui a écrit à propos de ces événements : "Quatre mille cinq cents cadavres méconnaissables, mutilés, mains et pieds coupés, ongles arrachés. Quelque temps plus tard, lorsque l’horreur s’est estompée et que le souvenir s’est atténué, la vérité a éclaté, d’abord par la bouche de trois médecins roumains dans une interview à l’Agence France Presse, puis par celle du gardien de la nécropole d’où les cadavres avaient été déterrés, 13 personnes en tout dont les noms et prénoms et les détails de leur mort misérable ont été rétablis, y compris une femme avec un bébé couché sur son ventre qui n’étaient pas mère et fille mais une femme âgée morte de cirrhose et une fillette de deux mois morte de congestion le 9 décembre. Ainsi, non seulement ce "massacre de Timisoara" n’avait pas eu lieu, mais il y avait eu une véritable mise en scène de l’horreur, évidemment au profit de l’indignation générale contre le chef d’orchestre et son épouse diabolique, renforçant ainsi le mépris du monde oriental qui fondait comme neige au soleil.

En ce même mois de décembre 1989, la rédaction étrangère de L’Unità était tellement absorbée par les événements de Roumanie qu’elle n’a pas prêté attention aux nouvelles que j’envoyais de l’autre côté de l’Atlantique, qui avait pour toile de fond un petit pays de la Manche discrédité, le Panama, avec ses quatre millions d’habitants. Je m’y étais rendu quelques mois plus tôt, lors des élections qui avaient vu la victoire de Guillermo Endara, un résultat non reconnu par l’homme fort du pays, le général Manuel Antonio Noriega. Je pense que tout le monde sait ce que représentait le Panama dans l’équilibre du continent américain : un pur appendice des États-Unis, qui exploitaient le canal et y entretenaient la fameuse et infâme Escuela de las Américas. La tranquillité imposée par la Pax Americana avait été troublée en 1977 par un événement imprévu : l’accord conclu entre Jimmy Carter (un président profondément différent du canon) et le président Omar Torrijos, un militaire nationaliste qui obtint, avec ce document, la restitution du canal, la fermeture des bases étasuniennes et la restitution des territoires administrés, le tout pour l’an 2000. La mort dans un obscur accident d’avion d’Omar Torrijos en 1981 a envenimé les affaires panaméennes, et plus encore avec la montée en puissance du ténébreux général (homme de la CIA mais disciple de Torrijos, puis nationaliste, mais trafiquant de drogue) qui avait créé un redoutable corps de prétoriens. Mais ce n’est pas à ces événements particuliers que je veux faire référence, je veux simplement dire que de la manière dont se déroule la divulgation d’un événement dépend l’impact sur la mémoire et la sensibilité des gens. Je voudrais rappeler ici l’invasion étasunienne du Panama avec l’opération Just Cause, du 20 décembre 1989 au 3 janvier 1990, l’une des nombreuses interventions (et oui, les interventions étasuniennes en Amérique latine sont toujours des interventions) dans l’arrière-cour des puissants États-Unis, une intervention que j’ai vécue depuis Cuba, à une heure de vol et - je l’avoue - avec une certaine peur physique, car ce qui se passait au Panama aurait très bien pu se produire sur l’île rebelle, étant donné le siège auquel étaient soumises les ambassades du Nicaragua et de Cuba dans la ville de Panama.

Bien que condamnée par les Nations unies comme une violation flagrante du droit international le 29 décembre, alors qu’une grande partie du carnage était déjà une réalité, l’invasion éclair a été bien pensée : aéroports fermés, interdiction aux journalistes qui n’accompagnaient pas les militaires étasuniens, l’action militaire visait à démanteler les forces de défense de Noriega et à arrêter le général qui a résisté pendant des jours, réfugié dans la nonciature apostolique. Pour ce faire, divers crimes de guerre ont été commis, plusieurs quartiers de la capitale Panama et de Colón ont été bombardés, et le quartier populaire d’El Chorrillo, que j’avais récemment visité et dont je me souvenais de la vie communautaire, a été détruit. Selon le sismographe de l’université de Panama, il y a eu 442 explosions au cours des 12 premières heures, soit une par minute. Combien de morts ? On ne le sait pas encore exactement, mais certainement des milliers et surtout des civils, contre 23 soldats étasuniens. Les raisons officielles de l’invasion : protéger la sécurité des citoyens des EU, défendre la démocratie et les droits de l’homme, arrêter Noriega. Sept nations ont immédiatement demandé au Conseil de sécurité des Nations unies le retrait immédiat des forces étasuniennes, mais le 23 décembre, la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont opposé leur veto à ce projet de résolution. Les mains libres donc, même dans l’utilisation d’armes au phosphore blanc.

Les circonstances dans lesquelles j’ai vécu m’ont fait prendre conscience de la nécessité de faire preuve de prudence, d’examiner attentivement les événements et les faits afin d’informer, je ne dirai pas objectivement, mais avec un minimum d’équité. C’est ce qu’a fait, par exemple, la cinéaste Barbara Trent avec son beau documentaire de 1992, The Panama Deception (1), qui a d’ailleurs remporté l’Oscar du meilleur documentaire cette année-là. Son travail est aussi une dénonciation de cette invasion militaire disproportionnée en violation du droit international. J’aurais aimé que ce beau document, qui est aussi une dénonciation, ait des conséquences sur la scène internationale. Au lieu de cela, il est passé silencieusement sur nos écrans comme une chose du passé, se produisant dans ce lointain isthme sans valeur ou presque, sauf du point de vue du commerce et des communications maritimes.

Alessandra Riccio 5 avril 2022

(1) La narratrice de ce film n’était autre qu’Elizabeth Montgomery, la sorcière du feuilleton Bewitched (Ma Sorcière bien aimée), engagée à gauche sa vie durant (LGS).

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LE LIVRE : Karel est correspondant de guerre. Il va là où nous ne sommes pas, pour être nos yeux et nos oreilles. Témoin privilégié des soubresauts de notre époque, à la fois engagé et désinvolte, amateur de femmes et assoiffé d’ivresses, le narrateur nous entraîne des salles de rédaction de New York aux poussières de Gaza, en passant par Lima, Le Caire, Bali et la Pampa. Toujours en équilibre précaire, jusqu’au basculement final. Il devra choisir entre l’ironie de celui qui a tout vu et (…)
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