12 
Inédit : Fidel Castro, Che Guevara et l’Union soviétique

Le dialogue de deux géants

Le 26 juillet 1953, 123 jeunes révolutionnaires, parmi lesquels se trouvaient Fidel et Raul Castro, attaquent la caserne Moncada, à Santiago de Cuba. C’est un échec. La plupart des assaillants sont pris, torturés et fusillés. Capturé quelques jours plus tard, Fidel Castro doit la vie à l’intercession d’un évêque (*) qui empêche qu’il soit abattu. Traduit devant un tribunal où il assure lui-même sa défense, il prononce sa fameuse plaidoirie : « La Historia me absolvera (« L’Histoire m’acquittera »).
Condamné à 15 ans de prison, il est amnistié en 1955. Le Movimiento 26 Julio (ou M 26-7) (à présent date de la fête nationale cubaine) a été créé pour regrouper les survivants.
Exilé au Mexique, Fidel Castro fait la connaissance d’Ernesto Guevara qui jouera un rôle décisif dans la victoire des guérilleros en 1959 et qui va devenir un acteur clé et un penseur de la révolution cubaine avant de périr en Bolivie.
Jean Ortiz, spécialiste de l’Amérique latine, ancien correspondant de presse (L’Humanité) à Cuba nous livre ici des informations sur les rapports réels entre « Fidel » et « El Che ».

LGS

Les relations entre Fidel Castro et Che Guevara restent l’objet d’un insupportable détournement historique. Les spéculations les plus farfelues mettent l’accent sur « l’affrontement » et « la rupture » qui serait intervenue entre les deux hommes. Des tensions, certainement, la rupture jamais. Cela permet, entre autres, d’attribuer la responsabilité de la mort du « guérillero héroïque » au « dictateur » Fidel Castro. En « envoyant le Che en Bolivie » il se serait en quelque sorte débarrassé d’un rival encombrant. Et du même acabit, toute une ribambelle de contresens, de manipulations infondées, et le plus souvent malveillantes.

La présumée opposition de fond Fidel-Che, « l’affrontement » dur, sont ressassés en boucle par de nombreux intellectuels occidentaux qui font une lecture politicienne, simplificatrice, de la révolution cubaine.

Che Guevara et Fidel Castro étaient liés par une admiration mutuelle jamais démentie, une grande confiance, une profonde empathie politique et intellectuelle, mais loin de toute inconditionnalité. Des liens étroits et intimes, de débat critique, unissaient les deux hommes, d’accord sur le fond des enjeux et de la stratégie. La « Lettre de despedida (d’adieu) » du Che, rendue publique par Fidel Castro le 3 octobre 1965 en témoigne.

Le médecin argentin s’est fait guérillero par un apprentissage exigeant, physiquement épuisant, voire au-dessus de ses forces, sous les ordres de Fidel Castro. Les deux hommes se sont mutuellement influencés. Che a déjà étudié les ouvrages marxistes de base lorsqu’il rejoint à Mexico, en 1955, le petit groupe d’exilés cubains autour de Fidel (1) . A cette époque, l’Argentin idolâtre l’Union Soviétique.

Son comportement dans la Sierra, courageux en diable, voire téméraire, ses qualités de meneur d’hommes, son intelligence tactique et stratégique, l’admiration qu’il suscite, la haute estime dans laquelle le tenait Fidel, lui valent, à lui l’Argentin, le grade le plus élevé de l’Armée Rebelle : « comandante ». Jusqu’alors, seul Fidel en était titulaire. Au cours des combats, Fidel raconte qu’il devait souvent le retenir pour le protéger de sa « téméraire obstination ».

Le Che, dans les rangs du maquis, parle ouvertement de ses options communistes et défend sa conception radicale de la révolution. De cette Sierra Maestra (le 14 décembre 1957), il écrit une lettre agressive, sectaire, à René Ramos Latour (« Daniel »), dirigeant du Mouvement du 26 juillet à Santiago de Cuba et coordinateur national. Latour, qui a pris le relais après l’assassinat de Franck País (chef inoubliable) le 30 juillet 1957, est un révolutionnaire anticommuniste qui conteste, avec le M.26/7 du « llano » (plaine), le leadership « excessif » de Fidel et son non-anticommunisme. Le 3 mai 1958, Fidel le destitue. Le Che, dans ces années, situe « à droite » le Mouvement du 26/7, parce que selon lui « petit bourgeois et anticommuniste ». Il affirme : « J’appartiens, par ma formation idéologique, au camp de ceux qui pensent que la solution aux problèmes du monde se trouve derrière le rideau de fer ». Il ajoute qu’il « considère Fidel comme un authentique leader de la bourgeoisie de gauche ». Cela n’enlève rien, précise-t-il, à l’estime qu’il lui porte, à ses « qualités personnelles d’une extraordinaire valeur »(2) . Plus tard Che confiera « avoir pensé des choses (au sujet de Castro) que j’ai honte d’avoir pensé ».

Ramos Latour répond à Ernesto Guevara : « La solution à nos maux ne passe pas par nous libérer de la nocive domination yanqui grâce à la toute aussi nocive domination soviétique »(3) .

Dans l’affrontement politique avec les alliés « opportunistes » du Directoire National, Che amène Fidel à condamner une initiative dont Washington tire les ficelles : la Junte de libération cubaine constituée à Miami et regroupant la plupart des partis de l’opposition à Batista, y compris le Mouvement du 26 juillet, engagé par Felipe Pazos, qui tente de « déplacer » Fidel. Che et Fidel échangent une série de lettres à ce sujet en décembre 1957. Che considère toutes ces manoeuvres comme une « trahison ». Fidel brise enfin son silence et condamne l’opération dite « pacte de Miami » : en finir avec Batista sans toucher au système. Cette réponse tranchée de Fidel « déterminera non seulement les futures relations Fidel-Che, mais aussi le cap de la révolution » (4).

Che apparaît fasciné par cette sorte de démocratie pédagogique que pratique Fidel, par son lien politique et affectif avec le peuple, notamment lors des grands discours « Place de la Révolution ». L’Argentin décrit « le dialogue des diapasons dont les vibrations provoquent de nouvelles vibrations, chez l’interlocuteur. Fidel et la masse commencent à vibrer en un dialogue dont l’intensité croît jusqu’à atteindre le climax dans un final abrupt »(5). Fidel lui renvoie la même estime politique et intellectuelle.

Le « comandante en jefe » considère qu’«  il sera difficile désormais de trouver un homme comme lui (...) un révolutionnaire aussi pur, aussi conséquent, aussi exemplaire » Il incarne « les plus hautes valeurs humaines » (Fidel Castro lors du discours de clôture du congrès culturel de La Havane, 12 janvier 1968)

La pensée du Che, inachevée, trop souvent escamotée par le mythe, la légende, est sans cesse plongée dans une réflexion critique et de remise en question, notamment du « modèle soviétique » (surtout à partir de 1962, mais « en interne »). Ses exigences politiques et éthiques, son mode de vie spartiate, ses charges permanentes contre la bureaucratie, lui attirent des inimitiés solides au sein de l’appareil. Le théoricien de la révolution et du socialisme peut avancer des critiques, explorer des voies ; et y compris faire des déclarations interdites à Fidel de par ses responsabilités. Le « comandante en jefe » est tenu à un certain pragmatisme, obligé de composer entre l’impérieuse nécessité de l’aide soviétique et le projet initial endogène de la révolution. Bien plus tard, après la disparition de l’URSS, Fidel mettra en cause publiquement l’habitude prise par les Cubains de « copier » un modèle « inadéquat » (6) . Le pensait-il à l’époque ?

« D’autres terres m’attendent »

Le départ du Che de Cuba, sa « disparition », n’ont surpris que les faussement ingénus, les colporteurs de ragots. Il avait annoncé au Mexique, en rejoignant le groupe d’exilés autour de Fidel Castro, avant même l’expédition du Granma -7), qu’une fois réalisée la révolution à Cuba, il continuerait le combat sur d’autres terres.
Le Che, comme Fidel à cette époque, croyait en la nécessité de disperser les forces de l’impérialisme pour aider le Vietnam, en ouvrant notamment plusieurs fronts révolutionnaires, en transformant « la cordillère des Andes en Sierra Maestra de l’Amérique latine ».

Le premier août 1967, alors que le Che est déjà en Bolivie, s’ouvre à La Havane la conférence de l’OLAS (Organisation latino-américaine de solidarité) ; elle prône la lutte armée libératrice. Lors de la clôture, le 10 août ; Fidel lance : « toute une série de vieux clichés devra être abolie  », en visant les partis communistes du continent, la plupart alignés sur Moscou.

En 1967, le message que l’Argentin envoie (de Bolivie) à la Conférence Tricontinentale (Amérique latine, Afrique, Asie) réunie à La Havane, constitue une sorte de testament politique. Che ébauche une stratégie révolutionnaire indépendante de l’URSS. En janvier 1966, cette même Conférence Tricontinentale avait décidé de donner la priorité à la lutte armée, à la guerre de guérillas, dans les conditions de l’époque : luttes de libération victorieuses, début des dictatures, émergence d’une nouvelle gauche révolutionnaire, de courants anti-impérialistes vigoureux, effervescence idéologique, foisonnement de lectures du marxisme, divisions entre communistes soviétiques et chinois, régression des pays dits du « socialisme réel ». Le 17 avril, le quotidien cubain « Granma » titre pleine page à la une : « Message aux peuples du monde du commandant Ernesto Guevara par le bais de la Tricontinentale  ». La phrase la plus connue reste : « Toute notre action est un cri de guerre contre l’impérialisme ». Le document sert de base à la « propuesta cubana », à la stratégie cubaine.

Déjà, en janvier 1962 la Deuxième Déclaration de la Havane, sous la houlette de Fidel, appelait au soulèvement des peuples : « La révolution est inévitable (...) le devoir de tout révolutionnaire est de faire la révolution (...) les révolutions ne s’exportent pas, ce sont les peuples qui les font  ». Vouloir donc opposer un guévarisme gauchisant et sympathique à un castrisme « orthodoxe » et repoussoir, relève de l’histoire-fiction (8).

Dans le partage des tâches avec Fidel, homme d’Etat qui se doit à la gestion et le guérillero impatient, Che mettait en œuvre le projet continental et tiers-mondiste qui était alors celui de la révolution cubaine. « En réalité la majorité des indices », écrit l’historien nord-américain Jon Lee Anderson, « suggèrent que les deux hommes travaillaient en équipe ». Le 2 janvier 1965, ajoute-t-il, dans son discours du sixième anniversaire de la révolution, Fidel critiqua avec véhémence, sans le nommer, le modèle soviétique (9).

Che s’est donc consacré au projet « tricontinental » de la révolution, et ce jusqu’au sacrifice. Il s’est ainsi « sacrifié » lui-même, en toute conscience et lucidité ; mais dire que Fidel l’a sacrifié relève de la spéculation délibérée. On sait aujourd’hui que dès la fin de 1966 la CIA est informée des préparatifs du Che (10) . Le Che se considérait en outre comme partie prenante de son projet révolutionnaire, d’un engagement total, « jusqu’au bout ». Il avait des fourmis révolutionnaires dans les jambes. Il écrit dans sa lettre d’adieu à Fidel et à Cuba ; répétons-le, « d’autres horizons m’appellent ».

Son dernier discours, retentissant et audacieux, en tant que dirigeant de la révolution cubaine, est entré dans l’histoire comme « Le discours d’Alger ». Il fut par ailleurs publié dans la revue trimestrielle du gouvernement cubain : « Política internacional ». Invité d’un « Séminaire économique afro-asiatique » (22-27 février 1965), Ernesto Guevara y prononce une communication très critique envers l’Union Soviétique, qu’il accuse en quelque sorte d’exploiter elle aussi les peuples du Tiers-Monde, en tout cas de ne pas faire assez pour eux. Il lance courageusement : « Les pays socialistes ont le devoir de liquider leur complicité tacite avec les pays exploiteurs de l’Ouest ». A-t-il mesuré les conséquences de ces propos loin de toute « langue de bois » ? Nous le pensons. Che ne mâche jamais ses mots. Ils ont dû provoquer des vagues à Moscou...

Après ce pavé dans la mare, Ernesto Guevara rentre à Cuba et s’enferme au Palais de la Révolution de longues heures durant avec Fidel Castro. Ce huis clos a donné et donne lieu à toutes sortes d’hypothèses, de supputations. Il reste encore comme un « trou noir » dans l’histoire de la révolution cubaine. Aucun élément concret, aucune archive, ne permettent pour l’heure d’en savoir plus... Après cette séquence conflictuelle, Che « disparaît » et redevient « clandestin ». Il veut partir en Bolivie mais Fidel lui demande de patienter, le temps que Cuba puisse y jeter les bases matérielles de la guérilla (11). Le « comandante en jefe » lui propose, en attendant, d’aller au Congo soutenir les guérillas de libération nationale. Il y reste sept mois, à partir de mai 1965, mais échoue, l’assume, et rentre par étapes à La Havane.

A Prague, de mars à juillet 1966, caché dans l’ambassade cubaine, il écrit des notes très critiques envers l’URSS et restées inédites jusqu’ au début des années 2000 (12) . Le propos est hardi, voire « hérétique » : On y lit : « l’Union soviétique retourne au capitalisme » (13) . Que pensait vraiment Fidel à cette époque où Cuba devait faire de nécessité vertu ?

A propos de la Bolivie

Le Che ne voulait pas « prendre le pouvoir en Bolivie » mais y créer un centre continental d’entraînement à la guérilla, essentiellement tourné vers l’Argentine, objectif principal. Le campement de Ñancahuasú tombe vite (juin-juillet 1967) ; les Etats-Unis savent rapidement que le Che est en Bolivie. Il se retrouve cerné, tous les contacts entre la colonne et l’extérieur matériellement impossibles, ainsi que toute aide, tout renfort, toute éventuelle opération de sauvetage.

Fidel Castro, dans la Biographie à deux voix, confirme la co-paternité cubaine de l’initiative, le temps mis à en créer les conditions, la forte implication de La Havane. « Oui nous avons coopéré avec le Che parce que nous partagions ses analyses. Le Che avait raison. A ce moment là, on aurait pu étendre la lutte (...) Nous étions totalement d’accord » (14) . Le plan fut mis en place et « autorisé » par La Havane.

Fidel et le Che partageaient globalement les mêmes questionnements

Alors que le Che est déjà en Bolivie, le quotidien fidéliste « Granma » publie, en mars 1967, quatre éditoriaux « guévaristes », qui traduisent la pensée du Che... et celle de Fidel, qui les a validés. Ils sont intitulés : « La lutte contre la bureaucratie, une tâche décisive ». L’auteur, non précisé, écrit : « La bureaucratie nous cause plus de dommages que l’impérialisme lui-même ». Le contenu de ces éditoriaux et leur publication dans le journal officiel, sans signature (ils émanent le plus souvent de Fidel Castro), montrent que lui-même et le gros de la direction cubaine, issue majoritairement du Mouvement du 26 juillet et de l’Armée Rebelle), adhéraient aux idées du Che.

Dans le domaine économique, les positions du Che font débat au sein de la révolution, mais Fidel laisse les points de vue s’affronter, sans véritablement trancher. On commet souvent l’erreur d’attribuer au Che la paternité de « l’offensive révolutionnaire » de 1967, la marche forcée vers « le communisme », la nationalisation du petit commerce, de l’artisanat, etc. Le Che était déjà en Bolivie et n’a jamais prôné l’étatisation de tout ... Il n’était pas opposé à la comptabilité nationale, aux contrôles rigoureux, ni partisan de brûler les étapes. Il voulait une forte planification centralisée, le dépassement de la loi de la valeur...

En octobre 1987, Fidel déclarait : « Si nous avions vraiment connu la pensée du Che, nous serions cent fois plus en forme pour diriger ce cheval et en tenir les rênes »(15) . Plus tard il confiera : « Moi, en tant que communiste utopique, j’avoue que c’était la manière du Che de construire l’économie qui avait ma préférence »(16).

Fidel avait tellement confiance dans les qualités, la rigueur et l’exigence du Che, qu’il le nomma même, le 26 novembre 1959, président de la Banque Nationale.

L’aide soviétique

Chacun convient que les acquis sociaux de Cuba, voire la survie même de la révolution, n’auraient pas été possibles sans l’aide (pas tout à fait désintéressée) de l’Union soviétique. Au prix du marché mondial, les revenus sucriers de l’île n’auraient pas permis d’acheter le pétrole et les produits pétroliers nécessaires. Cuba ne s’est pas « jetée dans les bras de l’URSS ». L’impérialisme l’y a poussée. Même lors de la « soviétisation », après l’échec de la « Zafra des dix millions », sous le modèle importé pointait la spécificité cubaine.

Il y avait-il pour Cuba une autre alternative que de miser sur la carte soviétique pour survivre et se développer ? Les rapports de force de l’époque permettaient-ils d’autre solution, d’autre stratégie ? Globalement NON, selon les deux hommes, .Che et Fidel. Ils s’accordent là-dessus, comme sur l’essentiel du reste. Fallait-il pour autant « endiosar » (déifier) l’Union Soviétique s’interroge Fidel Castro après la chute du Mur de Berlin ? La question contient la réponse.

Jean Ortiz
(*) Cette information est erronée. Voir en commentaire le rectificatif détaillé de notre ami Jacques-François Bonaldi depuis La Havane. Merci à lui.

(1) ARIET GARCIA, María del Carmen, « El pensamiento político de E.C. Guevara », ed. Ocean sur, p. 60
(2) FERBER, Samuel, La résurrection de Che Guevara, « New Politics », été 1998 ; TAIBO, Paco Ignacio 2, Ernesto Guevara connu aussi comme le Che, ed. ; Métaillié-Payot, Paris, 2001, p. 109-111 , En espagnol, ed. Planeta, Madrid, 1996, p. 209 ; FRANQUI, Carlos, Journal de la révolution cubaine, Paris, ed. Seuil, 1976, p. 285.
(3) TAIBO, op. cit., p 209-210
(4) ANDERSON, Jon Lee, « Che Guevara. Une vie révolutionnaire », Barcelona, Emecé Editores, 1997, p. 270
(5) GUEVARA, Ernesto, « Le socialisme et l’homme à Cuba », « Ecrits et Discours », La Havane, éd. Ciencias Sociales, 1977, tome 8, p. 256
(6) RAMONET, Ignacio, Fidel Castro, Biografía a dos voces, Barcelona, Ed. Debate, 2006, p. 568
(7) BORREGO, Orlando, « El camino del fuego », La Habana, ed. « Imágenes contemporáneas », 2001, p. 364
(8) KOHAN, Nestor, « El sujeto y el poder », Buenos Aires, 2005, ed. Nuestra América, p. 284
(9) ANDERSON ; op. cit., p. 546
(10) TAIBO, P.I. 2 , op cit (en espagnol), Madrid, Ed. Planeta, 1996, p. 635
(11) CASTRO-RAMONET, op. cit., 2006, p. 264-265
(12) GUEVARA, Ernesto, « Apuntes críticos a la Economía política », La Habana, ed. Ciencias Sociales, 2006
(13) Ibid., p.27
(14) Ibid., p. 263-264
(15) Granma, 18 octobre 1987
(16) CASTRO-RAMONET, p. 228

COMMENTAIRES  

26/07/2016 08:57 par CN46400

Evidemment super article, tout en précisant que le Che n’était pas, en juillet 53, dans le coup sur la Moncada. Reste que sur les rapports URSS-Cuba, tout n’a pas, encore, pour de multiples raisons, été dit.
Par exemple, le passage du capitalisme au socialisme, souffrait en URSS, et sans doute aussi à Cuba, des retombées, jamais clairement exprimées du "socialisme dans un seul pays" avancé, sans le proclamer ouvertement, par Staline, en lieu et place de la NEP de Lénine. Convertir, par l’exemple de l’URSS, les peuples de la supériorité du socialisme fût, des décennies durant, l’utopie majeure adoptée par des générations de communistes, à Cuba comme partout ailleurs.
Oui, nous avons pensé qu’à coup de plans quinquennaux atteints, voire dépassés, le retard des pays dits "socialistes" serait, non seulement effacé mais métamorphosé en avance. Jamais nous n’avons imaginé que le PCUS pouvait n’être qu’un nid de bandits de grand chemin, capable de spolier, en moins d’une semaine, la quasi totalité des prolos soviétiques.
En fait nous avions fini par oublier Marx qui, magistralement pourtant, nous avait montré que pour dominer le féodalisme, les bourgeoisie avait dû faire la preuve de la supériorité de leur système et qu’il en serait de même pour éliminer le capitalisme.
"Nous avons largement assez de pouvoirs, disait Lénine en 21-22, mais nous n’avons pas les savoirs, gérer, administrer, commercer.... qui ne peuvent s’obtenir par surprise. Il nous faut négocier cela avec les bourgeois allemands et américains qui sont les plus performants..."
Presqu’un siècle plus tard, si la Russie est en pôle position sur le marché de l’armement et des matières premières, elle est toujours à la traîne sur celui des produits manufacturés.
L’échec du stalinisme c’est aussi, et surtout, à mon humble avis, cela !

26/07/2016 19:07 par jacques-françois bonaldi

Juste pour rectifier un point d’histoire du chapeau de l’article et rendre à Sarría ce qui appartient à Sarría. Car, en effet, c’est bel et bien ce lieutenant de l’armée de Batista qui sauve la vie de Fidel, début août 1953, et non Mgr Serrantes, l’archevêque de Santiago. Celui-ci est intervenu d’une manière générale, pour ainsi dire, afin d’empêcher la poursuite des massacres contre les attaquants de la caserne Moncada.

Pedro Manuel Sarría Tartabull (1900-1972) était entré à l’armée comme simple soldat en septembre 1925. Il était lieutenant de l’armée quand il captura les trois hommes avec sa patrouille, au petit matin du lundi 1er août 1953, dans l’exploitation Las Delicias, près du village de Sevilla et de la route de Siboney, sur le versant sud de la Gran Piedra.

Fidel a évoqué à plusieurs reprises cet épisode devant différents publics ; les récits les plus circonstanciés étant celui du 3 février 1999, au Grand Amphi de l’Université centrale du Venezuela (cf. annexe XIX) et celui de ses entretiens avec Frei Betto, Fidel Castro y la Religión. Conversaciones con Frei Betto, La Havane, 1985, Oficina de Publicaciones del Consejo de Estado, pp. 183-188. On trouvera la version de l’autre protagoniste in Mi Prisionero Fidel. Recuerdos del teniente Sarría, interview de Lázaro Barredo Medina, La Havana, 1986, Editorial Pablo de la Torriente. 92 p. Sur la solidarité de la population avec les dix-neuf moncadistes réfugiés dans le massif de la Gran Piedra, cf. Ángel L. Beltrán Calunga, Con los pobres de la tierra, Santiago de Cuba, 1988, Editorial Oriente, 173 p.

FIDEL CASTRO
ALLOCUTION À L’UNIVERSITÉ CENTRALE DU VENEZUELA
Le 3 février 1999
(extraits)

Je peux répéter maintenant ce que m’a dit un lieutenant qui m’avait fait prisonnier dans un bois, au petit jour, aux abords de Santiago de Cuba, quelques jours après l’attaque de la caserne Moncada. Nous étions un petit groupe et nous avions commis l’erreur – on en commet toujours – las de nous reposer sur des pierres et des racines, de dormir sous un petit auvent fait de feuilles de palmier, et nous nous sommes réveillés, des fusils braqués sur nos poitrines. C’était un lieutenant, un Noir, heureusement, et quelques soldats, les veines gonflées, assoiffés de sang. Mais ils ne savaient pas qui nous étions. Et quand ils nous ont demandé nos noms, j’en ai inventé un. Prudence, hein ? (Rires.) Astuce, non ? (Applaudissements.) Intuition, peut-être, instinct. Ce n’était pas par peur, je peux vous l’assurer, parce qu’il y a des moments dans la vie comme ça, où vous savez que vous allez mourir, et c’est alors l’honneur, l’orgueil, la dignité qui vous font agir.

Si j’avais dit mon vrai nom, ç’aurait été pan-pan-pan ! aussitôt, et ils auraient liquidé notre petit groupe. Quelques minutes après, ils ont découvert à proximité plusieurs armes abandonnées par des compagnons qui n’étaient plus physiquement en condition de poursuivre la lutte, dont certains étaient même blessés, et qui, avec l’accord de tous les autres, étaient rentrés en ville pour se présenter directement aux autorités judiciaires. Nous n’étions plus restés, donc, que trois hommes armés, et nous avons été capturés comme je viens de vous le raconter.

Et quand les soldats, fouillant aux alentours, découvrent ces armes abandonnées, ils deviennent hyper-furieux. Nous sommes ligotés, et ils nous visent à la tête, les fusils chargés. Et alors, ce lieutenant – c’est vraiment incroyable, et c’est quelque chose que je n’ai jamais raconté en détail publiquement – va d’un soldat à l’autre, tentant de les calmer, et il n’y arrive quasiment pas. Et il répète plusieurs fois à voix basse : « Les idées ne se tuent pas ! Les idées ne se tuent pas ! » Allez donc savoir pourquoi cet homme disait ça...

C’était quelqu’un de déjà mûr, il avait suivi quelques cours à l’université. En tout cas, il avait cette idée en tête et il répétait à voix basse, comme s’il parlait pour lui-même : « Les idées ne se tuent pas ! » Alors, quand je constate l’attitude de cet homme à ce moment critique et que je vois qu’il a un mal fou à empêcher les soldats furieux de nous abattre, je me lève et je lui dis, mais à part, bien entendu : « Lieutenant, je suis Untel, le principal responsable de l’action. Quand je vois votre attitude chevaleresque, je ne peux continuer de vous tromper, et je veux que vous sachiez qui est votre prisonnier. » Et l’homme me répond : « Ne le dites à personne ! Ne le dites à personne ! » (Applaudissements.) Vous pouvez l’applaudir, parce qu’il m’a sauvé la vie à trois reprises en quelques heures.

Les soldats, encore très furieux, nous font mettre en route, et voilà que des tirs éclatent non loin de là. Ils se mettent en position de combat et nous disent : « Couchez-vous ! Couchez-vous ! » Moi, je reste debout et je dis : « Non, je ne me couche pas ! » Cela me semblait un stratagème pour nous éliminer. Et je dis : « Non ! » Je le dis aussi au lieutenant qui insistait pour que nous nous protégions : « Je ne m’allonge pas par terre. Si vous voulez tirer, eh bien, tirez ! » Et alors il me dit, écoutez bien : « Vous êtes des gars vraiment courageux ! » Quelle réaction incroyable !

Je ne veux pas dire qu’il m’a sauvé la vie à ce moment-là, mais en tout cas il a eu cette réaction. Après avoir rejoint la route, il nous fait monter dans un camion. Il y avait tout près de là un commandant vraiment sanguinaire, qui avait déjà assassiné de nombreux compagnons à nous et qui voulait que le lieutenant lui confie ses prisonniers. Mais le lieutenant refuse, disant que ce sont ses prisonniers à lui et qu’il ne les lui cédera pas. Il me fait monter dans la cabine avant du camion. Le commandant a voulu alors qu’il nous conduise à la caserne Moncada, et ce lieutenant, d’une part, refuse de nous céder à ce commandant – et il nous sauve la vie pour la deuxième fois – et, d’autre part, refuse de nous conduire à la Moncada – il nous sauve la vie pour la troisième fois – et il nous emmène à la prison, en pleine ville. Voyez un peu. C’était pourtant un officier de cette armée contre laquelle nous nous battions. Après, au triomphe de la Révolution, il a été nommé capitaine et aide de camp du premier président du pays.

26/07/2016 23:52 par legrandsoir

Merci, Jacques-François, de signaler cette erreur. Elle est désormais signalée dans l’article (le chapeau) par un renvoi à votre commentaire documenté qui rétablit les faits.

27/07/2016 00:24 par jacques-françois bonaldi

A l’excellent article de Jean Ortiz, j’ajoute une réponse que j’avais écrite voilà plusieurs années au site Bellaciao. On y trouvera quelques arguments au sujet des rapports Fidel-Che, et surtout la lettre de Fidel tout à fait éclairantes.

Alors, à la fameuse question : « Pourquoi le Che a-t-il abandonné Cuba », tant et tant de fois ressassée depuis déjà 1965 et à laquelle il n’y aurait de réponse que sordide (opposition violente entre les idées du Che et de Fidel, divergence totale entre leurs programmes révolutionnaires, fuite en avant par dépit du Che devant le cheminement de la Révolution cubaine, départ du Che par désaccord, ce qui explique pourquoi Fidel, par vengeance, « le laisse tomber » en Bolivie et l’envoie à la mort, etc.), pourquoi ne pas apporter la réponse la plus simple qui soit et que Fidel n’a cessé de réitérer sur tous les tons chaque fois qu’il l’a pu, sans que, de toute évidence, ses affirmations aient eu beaucoup d’écho : dès l’époque du Mexique (1956), le Che avait fait promettre à Fidel que jamais ses responsabilités au sein de la Révolution (quelle confiance en l’avenir, soit dit en passant !) ne seraient un motif suffisant pour l’empêcher d’aller faire la Révolution armée en Amérique latine, dont le point de départ serait l’Argentine. Et Fidel le lui avait promis et a tenu sa parole.

Fidel affirmait à Gianni Minà le 28 juin 1987 : « Il voulait en fait aller en Amérique du Sud. C’était une vieille idée à lui, parce que, quand il s’est joint à nous au Mexique – non qu’il ait posé des conditions – il a précisé un seul point : "Tout ce que je veux après le triomphe de la Révolution, si je veux aller lutter en Argentine, c’est qu’on ne me limite pas cette possibilité, que des raisons d’État ne m’empêchent pas de le faire". » (Un Encuentro con Fidel, Entrevista realizada por Gianni Minà, La Havane, 1987, Oficina de Publicaciones del Consejo de Estado, p. 318). En public, le 8 octobre 1987, pour le vingtième anniversaire de l’assassinat du Che, Fidel revient sur cette interview et précise au sujet de « cette insistance du Che de réaliser un vieux désir, une vieille idée, celle de rentrer en Amérique du Sud, dans sa patrie, pour faire la révolution à partir de toute l’expérience acquise dans notre pays ; la façon clandestine dont il faut organiser son départ, le déluge de calomnies contre la Révolution, quand on disait qu’il y avait des conflits, des différends avec le Che, que le Che avait disparu ; on disait même qu’il avait été assassiné pour des divisions au sein de la Révolution, tandis que celle-ci devait supporter solidement et sans broncher ces attaques féroces. En effet, en dépit de l’irritation et de l’amertume que pouvaient provoquer ces campagnes, l’important était que le Che puisse atteindre ses objectifs, l’important était de préserver sa sécurité et celle des compatriotes qui l’accompagnaient dans ses missions historiques. J’ai expliqué dans cette interview quelles étaient les origines de cette idée-là, comment il avait présenté au moment où il s’était joint à nous une seule condition : qu’une fois la Révolution faite, quand il voudrait rentrer en Amérique du Sud, aucune nécessité d’État ou de raison d’État ne s’interpose face à ce souhait, qu’on ne le lui interdise pas. Nous lui avons répondu oui, qu’il pourrait le faire, que nous le soutiendrions, et lui nous rappelait de temps à autre cet engagement, jusqu’au moment où il a jugé qu’il devait partir. » (Fidel Castro, revue Cuba Socialista, nº 30, novembre-décembre 1987, pp. 95-96.)

Et si le Che choisit ce moment (1964-1965), c’est que les mouvements guérilleros se sont étendus dans de nombreux pays, que le moment semble donc venu. Il suffit de relire les théories à l’époque (Tricontinental, OLAS) et analyser les événements d’alors pour constater à quel point la lutte armée était considérée par la Révolution cubaine comme la seule valable, au point qu’elle qualifiait toutes les autres options de réformistes au mieux, de contre-révolutionnaires au pire (ceci s’inscrivant par ailleurs, en plus, dans le cadre de la fameuse scission sino-soviétique). Le Che (et la Révolution cubaine) juge le moment venu. Et Fidel, je le répète, tient parole.

À cette même époque, 1966-68, Cuba est en pleine construction d’un mouvement de libération (inter)nationale qui couvrirait les trois continents colonisés (Tricontinentale, puis OLAS), face à l’impérialisme étasunien. C’est son grand oeuvre alors, et rien de ses positions internationales, dont celles vis-à-vis du « camp socialiste », ne peut se comprendre si on oublie ce fait essentiel de sa vision du monde à l’époque. Ses critiques au sujet de l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie se fondent en partie sur l’oubli par le « bloc communiste » de ses devoirs envers le tiers monde (par sa politique et par sa manière de commercer, rejoignant là les critiques du Che à Alger sur ce même point). Entrant alors dans le camp socialiste, Fidel et la Révolution cubaine découvrent un univers qui n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’ils estiment devoir être une attitude de pays socialiste vis-à-vis de la lutte finale : abattre l’impérialisme ou du moins se battre contre lui. À l’époque, la révolution cubaine a les yeux tournés vers le combat des Vietnamiens contre les USA, qui sous-tend implicitement une bonne partie de sa politique.

D’ailleurs, il est bien d’autres exemples de la coïncidence de vue entre Fidel et le Che. Je n’en veux qu’un seul, qui peut sembler apparemment anecdotique, mais qui ne l’est pas du tout. La fameuse phrase du Che en exergue de son Message à la Tricontinentale d’avril 1967 : « Créer deux, trois de nombreux Vietnam » apparaît quasi littéralement dans un discours de Fidel du 18 décembre 1966 : « (L’impérialisme) sera vaincu quand, au lieu d’un Vietnam, il y aura dans le monde deux Vietnam, trois Vietnam, quatre Vietnam, cinq Vietnam. » (Documentos de Política Internacional de la Revolución Cubana 3, La Havane, 1971, Editorial de Ciencias Sociales, p. 79.)

Il suffit de relire la fameuse lettre d’adieu du Che lue par Fidel en octobre 1965 lors de la présentation du Comité central du nouveau Parti communiste cubain, pour démentir cette vision des choses : les prétendues positions irréconciliables du Che vis-à-vis de l’orientation de la Révolution et ses divergences avec le Che (alors que justement, je le redis, le départ du Che s’inscrit parfaitement dans les choix révolutionnaires d’alors). Mais (si vous ne croyez pas à ce que dit Fidel et voulez y voir au mieux un pieux mensonge) il est un autre document bien moins connu et, de mon point de vue, encore plus éloquent des rapports entre le Che et Fidel, qui offre la vision inverse : la lettre que Fidel écrit au Che (Ramón est son alias) alors que celui-ci est à Prague en juin 1966 après l’échec du Congo et cherche à concrétiser ses nouveaux projets. Cette lettre, qui se passe de commentaires, dément mieux que je ne pourrais le faire la prétendue inimitié entre le Che (qui rentrera d’ailleurs incognito à Cuba cette année-là) et Fidel :

« Cher Ramón
« […] étant donné la situation délicate et inquiétante que tu traverses là-bas, tu dois de toute façon envisager l’opportunité de faire un saut jusqu’ici.
« Je suis tout à fait conscient de ta très grande réticence à envisager une solution qui inclurait pour l’instant mettre un pied à Cuba.
« […] Tirer parti des avantages que signifie objectivement le fait de pouvoir entrer ici et en sortir, coordonner, planifier, sélectionner et former des cadres et faire d’ici tout ce que tu ne pourrais faire de là-bas ou de tout autre point similaire qu’avec beaucoup de mal et d’une manière déficiente ne constitue absolument pas une fraude, un mensonge, une tromperie à l’égard du peuple cubain et du monde […]
« […] Ce qui serait en revanche une faute grave, impardonnable, c’est de mal faire les choses alors que tu pourrais les faire bien. D’échouer alors que toutes les conditions de succès sont réunies. […]
« C’est un énorme avantage que tu puisses utiliser ça en l’occurrence : disposer de maisons, de domaines isolés, de montagnes, de cayes solitaires et tout ce qui serait absolument nécessaire pour organiser et diriger personnellement les plans en leur consacrant tout ton temps, en te secondant d’autant de gens qu’il faudra, et en étant sûr que seule une quantité extrêmement réduite de personnes saura où tu es. Tu sais pertinemment que tu peux compter sur ces facilités […]
« […] Je ne te dis pas d’attendre des décennies, voire d’années, mais seulement quelques mois, car je crois qu’en quelques mois, en travaillant de la façon que je te suggère, tu peux te mettre en marche dans des conditions extraordinairement plus favorables que celles que nous nous efforçons d’obtenir à présent.
« […] Je sais que tu auras trente-huit ans le 14. Penses-tu par hasard qu’on commence à se faire vieux à cet âge-là ? J’espère que ces lignes-ci ne t’énerveront pas et ne t’inquiéteront pas. Je sais que si tu les analyses sereinement, tu en conviendras avec l’honnêteté qui te caractérise. Mais, même si tu prends une autre décision absolument différente, je ne me sentirai pas déçu pour autant. Je t’écris avec une profonde affection et avec l’admiration la plus profonde et la plus sincère envers ton intelligence lucide et noble, envers ta conduite sans faille et envers ton caractère inébranlable de révolutionnaire tout d’une pièce, et le fait que tu puisses envisager les choses différemment ne changera pas d’un iota ces sentiments ni n’attiédira en rien notre coopération […] »

Ernesto Che Guevara, Pasajes de la Guerra Revolucionaria,
Prologue d’Aleida Guevara March, pp. 16-18.
En français : Che et Fidel. Des amis de coeur.
La Havane, 2005, Editorial Capitán San Luis.

27/07/2016 07:38 par CN46400

@ Bonaldi
" Ses critiques au sujet de l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie "
Fidel a, officiellement, approuvé l’intervention, comme d’ailleurs Ho Chi Minh. Aucun des deux ne pouvait faire autrement...

27/07/2016 20:07 par latitude zero

Il y a eu le même type de rumeurs avec la disparition dans un accident d’avion de Camilo Cienfuegos , dont on sait d’où elles viennent , des mêmes qui ont inventé et répandu les mêmes délires concernant le départ du Che en Bolivie.

L’aviation Cubaine était à l’époque dans un état de délabrement avancé , faute de pièces de rechange, ce qui n’empêchait pas les commandants de prendre tous les risques et de se déplacer rapidement dans l’île (plus de 1000 km dans sa longueur) avec ces vieux coucous , souvent dans des conditions météo épouvantables, orages, frente frio, pluies et grains en rafales violentes venant du Nord.

Cienfuegos , largement aussi cinglé que le Che face au danger , en a malheureusement fait les frais. L’avion a probablement disparu en mer.
C’est arrivé aussi à d’autres .

On a l’anecdote du Che coincé je ne sais plus où à Cuba, qui voulait redécoller, mais où sa femme qui l’accompagnait ce jour là l’a convaincu du contraire avec l’aide du pilote .
Le Che voulait repartir en invoquant en autre qu’ il n’avait pas un rond en poche pour louer une chambre , sa femme a dû emprunter quelques pesos au pilote !
Chaque Cubain auraient été ravis de lui offrir le gîte et le couvert, mais c’était sans compter sur son obstination à n’accepter aucun privilège .
C’est ce genre d’anecdote qui rend le Che si sympa, et même amusant, comme Cienfuegos, deux amis à l’amitié indéfectible et qui s’estimaient beaucoup.

28/07/2016 20:04 par Jean Ortiz

Abrazo grande Jean-François. Il est dommage que les notes de bas de page aient disparu entre Pau et Toulouse...L’informatique a parfois des raisons que l’oraison ignore...C’est à coup sûr un cou monté des modérateurs !!! Comme ils font un sacré boulot, courageux en diable, on les pardonnera...Et comme chat qui ment : un abrazo "rompecostillas".
Jean

28/07/2016 22:17 par legrandsoir

Il est dommage que les notes de bas de page aient disparu entre Pau et Toulouse.

Pb d’article reçu par mail et copié-collé. Les notes de bas de page n’ont pas été copiées.
Elles viennent d’être ajoutées. Merci de nous avoir signalé cette lacune.
Abrazo fraternal.
MV

28/07/2016 22:36 par jacques-françois bonaldi

@ CN46400

Oui, mais ses analyses étaient bien plus nuancées et subtiles que ça. Il faut lire l’intégralité de son longue intervention du 23 août 1968 pour le constater. J’avais procédé à un meilleur éclairage dans « Cuba, Fidel et le Che, ou l’aventure du socialisme », dont je reprends ci-dessous la partie correspondante :

Bref, les critiques avancées par le Che ne sont pas du tout un « écart » dans l’évolution révolutionnaire, mais s’inscrivent exactement dans sa continuité. Le Che a élaboré ses idées, non en marge de la Révolution ou de Fidel, comme tant d’observateurs et de critiques l’affirment, mais justement dans le droit fil de celle-ci et de celui-ci. Bien mieux, ses idées naissent précisément de sa réflexion sur la pratique même de la Révolution et sur celle, qu’il estime non seulement erronée, mais encore nocive, de l’Union soviétique et des pays de l’Est. Bref, sans son insertion dans la Révolution cubaine, autrement dit, s’il n’avait été qu’un simple spectateur étranger au « drame », il n’aurait sans doute jamais mis au point les concepts que certains jugent comme des critiques. Sur ce point, il n’y a jamais eu dichotomie, à plus forte raison antagonisme entre le Che et Fidel, au point que l’on peut retrouver le même cheminement chez l’un et chez l’autre, et les mêmes approches.

Je n’en veux pour preuve que les dénonciations que Fidel émet au nom du Parti et du gouvernement dans sa fameuse intervention au sujet du Printemps de Prague, le 23 août 1968, où l’on retrouve exactement les mêmes critiques formulées par le Che trois ans avant :

"Une série de critères, d’idées, de pratiques incompréhensibles pour nous ont vraiment contribué à relâcher et à amollir l’esprit révolutionnaire des pays socialistes : l’ignorance au sujet des problèmes du monde sous-développé, l’ignorance au sujet de la misère épouvantable qui y subsiste, la tendance à maintenir avec le monde sous-développé les mêmes pratiques commerciales que celles du monde capitaliste bourgeois développé. Pas dans tous les pays, mais en tout cas dans plusieurs.
L’aide technique… Quand nous donnons une aide technique, nous, il ne nous vient pas à l’idée de présenter la facture à qui que ce soit, parce que nous pensons que le moins que puisse faire un pays développé, un pays socialiste, un pays révolutionnaire, c’est aider techniquement le monde sous-développé. Il ne nous vient pas à l’idée de présenter la facture à qui que ce soit pour des armes que nous lui donnons, ou pour une aide technique, même pas de le lui rappeler. […]

"Voilà comme nous agissons. Et puis, ce n’est pas même pas une vertu, c’est quelque chose d’élémentaire. Et le jour où nous disposerons de milliers ou de dizaines de milliers de techniciens, eh ! bien, le plus élémentaire de nos devoirs sera d’apporter au moins une aide technique à tous les pays qui se libéreront après nous ou qui auraient besoin de notre aide.

"On n’a jamais soulevé toutes ces idées. Tous ces problèmes qui ont beaucoup à voir avec la conscience communiste, avec la conscience internationaliste, et qui n’occupent pas la place qu’ils doivent occuper dans l’éducation des masses dans le camp socialiste, sont beaucoup en rapport avec ces terribles relâchements qui expliquent ces situations."

Et Fidel reproche au gouvernement tchécoslovaque d’avoir vendu à la Révolution, dans les premières années, des armes ayant appartenu à l’armée hitlérienne qui avait occupé le pays et que Cuba est toujours en train de payer, un peu comme si Cuba vendait à un autre pays pauvre les nécessitant les armes ayant appartenu à l’armée de Batista, « comme une grande opération commerciale ».

"Peut-on douter que ceci n’a absolument rien à voir avec le concept le plus élémentaire de ce que doit être le devoir d’un pays révolutionnaire envers d’autres pays ? […] Mais toute cette conception de l’autofinancement des profits, des bénéfices, des gains et de stimulants matériels, appliquée à des organisations du commerce extérieur, conduit à ce désespoir de vendre n’importe quelle vieillerie à un pays sous-développé."

Et ceci explique cela : à partir de fondements économiques et idéologiques dévoyés, les sociétés socialistes ne peuvent qu’aboutir à ce genre de situation et d’attitude.

"Les méthodes bureaucratiques à la tête du pays, le manque de contact avec les masses – point clef de tout mouvement vraiment révolutionnaire – l’oubli des idéaux communistes. Et qu’est-ce que j’entends par oubli des idéaux communistes ? L’oubli que, dans une société de classes, les hommes, les exploités, les asservis luttent pour toute une série d’idéaux, et quand ils parlent de socialisme, de communisme, ils parlent non seulement d’une société où l’exploitation disparaît de fait, et où la misère, conséquence de cette exploitation, disparaît et où le sous-développement, conséquence de cette exploitation, disparaît, mais encore de toutes ces belles aspirations qui constituent l’idéal communiste d’une société sans classes, d’une société sans égoïsmes, d’une société où l’homme cesse d’être un misérable esclave de la misère, où toute la société cesse de travailler pour le profit et commence à travailler pour satisfaire ses besoins et pour instaurer entre les hommes le règne de la justice, de la fraternité, de l’égalité et de tous ces idéaux de la société humaine et des peuples qui ont toujours aspiré à atteindre ces objectifs. […]

"Et, à une étape ultérieure, il faudra que notre peuple révolutionnaire analyse plus à fond ces concepts de ce qu’il entend par société communiste. L’idéal d’une société communiste ne peut être celui de la société bourgeoise industrielle, celui de la société de consommation bourgeoise capitaliste. En aucun cas !
L’idéal communiste ne peut oublier un seul instant l’internationalisme. Ceux qui se battent pour le communisme dans n’importe quel pays du monde ne peuvent jamais oublier le reste du monde, et quelle est la situation de misère, de sous-développement, de pauvreté, d’ignorance, d’exploitation dans ce reste du monde ; combien de misère s’y est accumulée, combien de pauvreté. On ne saurait oublier à aucun moment les besoins de ce monde-là, les réalités de ce monde-là, et nous estimons qu’on ne peut éduquer les masses du peuple dans une conscience vraiment internationaliste, dans une conscience vraiment communiste si on lui permet d’oublier ces réalités-là du monde, ces dangers d’affrontement à l’impérialisme que ces réalités impliquent, ces dangers de ramollissement qu’entraîne le fait d’éloigner l’esprit des peuples de tous ces problèmes réels pour tenter de ne mobiliser les masses qu’à travers les stimulants matériels et les aspirations à la consommation.

"Et puisqu’il faut aujourd’hui parler clairement et franchement, nous avons constaté à quel point ces idéaux et ces sentiments internationalistes et cet état d’alerte, cette conscience des problèmes du monde ont disparu ou ne se manifestent que d’une façon très atténuée dans certains pays socialiste d’Europe.
[…]
"Et le moment arrive où, dans cette société, loin d’avoir développé la conscience révolutionnaire, la conscience communiste, on a développé les individualismes, les égoïsmes, les aspirations d’une autre nature, l’indifférence des masses, le refroidissement de l’enthousiasme qui diminue au lieu d’augmenter."

Pour les révolutionnaires cubains, le fond du problème est bel et bien là : l’oubli de ce que doit être une société socialiste qui aspire à rompre avec le passé. Mais comment peut-elle rompre avec le passé si elle recourt, comme le disait le Che, aux « armes émoussées du capitalisme » ? Car la Révolution s’oppose aussi bien aux « réformes libérales bourgeoises » en Tchécoslovaquie qu’aux « réformes libérales économiques » qui y sont engagées et qui « ont aussi eu lieu dans d’autres pays du camp socialiste », « toute une série de réformes qui tendent à accentuer toujours plus les rapports marchands au sein de la société socialiste, les profits, les bénéfices, toutes ces choses-là. » Et Fidel de se demander, après avoir lu un éditorial de la Pravda sur la réforme économique :

"Cela veut-il qu’on va aussi mettre un frein en Union soviétique à des courants qui, dans le domaine de l’économie, sont partisans de mettre toujours plus l’accent sur les rapports marchands et sur les effets de la spontanéité dans ces relations ? À ces critères qui défendent même la nécessité du marché et de l’effet bénéfique des prix sur ce marché ? Cela veut-il dire qu’on prend conscience en Union soviétique de la nécessité de mettre un frein à ces courants ?"

De nouveau, c’est le même discours qui court comme un fil rouge dans la Révolution cubaine, à quelque époque que ce soit : elle a eu des hauts et des bas, elle a commis des erreurs, mais elle a toujours été orientée sur la même vision du socialisme comme société différente du capitalisme, axée sur des valeurs distinctes, répondant à des appels autres que ceux des sociétés de consommation, capable non seulement de faire preuve de générosité, de désintéressement, de don de soi, non seulement de « payer » pour la libération des pays colonisés et de ceux qui s’engagent sur la voie non capitaliste, comme le rappelait le Che, mais aussi – et là Fidel va encore plus loin dans ses critiques du 23 août 1968 – de s’engager pour ses idées, de courir des risques face à l’ennemi impérialiste. C’est pourquoi il s’élève contre les « prêchis prêchas incessants » dans les pays socialistes en faveur de la paix. Non que la Révolution cubaine soit un fauteur de guerre ou qu’elle prône des « holocaustes universels ». Mais il faut voir juste :

"Les incendiaires de la guerre, ce sont les impérialistes ; les aventuriers, ce sont les impérialistes. Et ces dangers-là sont des réalités. Des réalités ! Et ces réalités, vous ne les effacerez pas rien qu’en allant prêcher chez vous une aspiration de paix démesurée. En tout cas, allez donc prêcher la paix dans le camp ennemi, mais ne la prêchez pas dans votre propre camp, parce que tout ce que vous obtiendrez avec ça, c’est liquider l’esprit de combat, c’est affaiblir la préparation des peuples pour faire face aux risques, aux sacrifices et à toutes les conséquences qu’impose une réalité internationale. Celle-ci impose des sacrifices de toute sorte, non seulement le danger de verser son sang, mais aussi des sacrifices d’ordre matériel."

Et il s’en prend au fait que « les âmes soient troublées et ramollies par une campagne de paix incessante, insensée et inexplicable. C’est une drôle de manière de défendre la paix ! »
"Et cette prédication pacifique est d’autant plus étonnante qu’il est impossible que le camp socialiste puisse améliorer ses relations avec l’impérialisme dans les conditions actuelles… ni avec le gouvernement impérialiste des États-Unis tant que ce pays jouera le rôle de gendarme international, d’ennemi de la révolution dans le monde, d’agresseur des peuples et d’opposant systématique des révolutions dans le monde entier. Nous croyons encore moins à cette amélioration au milieu d’une agression aussi criminelle et aussi lâche que celle du Viet Nam."

"Notre position à ce sujet est bien claire : soit vous êtes conséquent avec les réalités du monde, vous êtes vraiment internationaliste et vous soutenez vraiment, décidément, le mouvement révolutionnaire dans le monde, et dans ce cas vos relations avec le gouvernement impérialiste des États-Unis ne pourront pas s’améliorer, soit vos relations avec le gouvernement impérialiste des États-Unis s’améliorent, mais uniquement au prix que vous cessiez de soutenir d’une manière conséquente le mouvement révolutionnaire dans le monde.
[…]
"Face aux faits, face à un impérialiste toujours en train de conspirer contre le camp socialiste, je me demande si l’on va continuer de maintenir les espoirs idylliques d’une amélioration des relations avec le gouvernement impérialiste des États-Unis."

Le Pacte de Varsovie ayant affirmé qu’ « il ne permettra jamais à personne d’arracher un seul maillon de la communauté des États socialistes », Fidel s’exclame :

"Dépêchera-t-on alors les divisions du Pacte de Varsovie au Viet Nam si les impérialistes yankees intensifient leur agression contre ce pays ?
"[…] Nous acceptons l’amère nécessité qui a exigé l’envoi de ces forces en Tchécoslovaquie, nous ne condamnons pas les pays socialistes qui ont pris cette décision, mais, en revanche, comme révolutionnaires et partant de positions de principe, nous avons le droit d’exiger qu’on adopte une position conséquente sur toutes les autres questions qui concernent le mouvement révolutionnaire dans le monde."

29/07/2016 09:04 par CN46400

@ bonaldi
"Nous acceptons l’amère nécessité qui a exigé l’envoi de ces forces en Tchécoslovaquie, nous ne condamnons pas les pays socialistes qui ont pris cette décision, mais, en revanche, comme révolutionnaires et partant de positions de principe, nous avons le droit d’exiger qu’on adopte une position conséquente sur toutes les autres questions qui concernent le mouvement révolutionnaire dans le monde."
C’est évidemment cette conclusion qui fût portée à la connaissance des "masses", et pas les considérants qui précédaient.
Ceci dit, ces considérants reposent sur une omission de taille que Brejnev, et consort, n’ont pas manqué de relever ! D’où venaient les SAM7 qui, chaque soir, descendaient, un ou plusieurs B52, et les armes légères aussi bien que lourdes qui équipaient les armées viets sinon d’URSS et de... Tchécoslovaquie ? Et donc, pour ce qui concerne l’URSS, de l’accumulation volontariste du capital, réalisé pour l’essentiel durant la période stalinienne à coup de "goulag" et d’exode rural forcé.
Aujourd’hui, l’histoire a avancé, et ces phrases nous replongent, sans vraiment le vouloir, dans un contexte : "la révolution au bout du fusil" qui a beaucoup, et plutôt mal à mon avis, vieilli. Sauf exception, et Cuba, comme l’URSS et la Chine aussi en sont, la révolution communiste ne peu s’imposer qu’à partir d’une accumulation primitive du capital productif largement réalisée, capable d’assurer aux peuples un niveau de vie supérieur à celui atteint par le capitalisme (et ce n’est pas qu’une question de PIB, encore que...). Tout comme le capitalisme a dû faire la preuve de sa supériorité pour effacer le féodalisme.
Dans ces années là, la critique guévariste de l’URSS tombait parfois à plat, chez des gens de mon espèce. La critique de Renè Dumont (alors socialiste SFIO..) sur la "zafra des 10 millions", alors qu’il préconisait la diversification de l’agriculture cubaine, plutôt que son intégration dans le COMECON, me semblait plus
pertinente. Depuis, on a connu la "période spéciale" et je ne suis pas sûr que Fidel, et les autres, n’aient pas regretté les choix d’alors. Et que penser de la "zone Mariel" de Raoul, sinon d’y voir un essai de réintégration dans l’économie mondiale en proposant de la maind’oeuvre "low cost" pour, après l’échec des méthodes post staliniennes, relancer, dès l’embargo US levé, l’accumulation primitive....Afin de pouvoir, dès que possible, réduire le décalage flagrant qui existe à Cuba entre le régime politique, extrêmement progressiste, et ses moyens économiques totalement limités.

04/08/2016 16:59 par faute au foco

Le che a surtout pousse jusqu’au bout sa fameuse theorie du foco donc des foyers ruraux de guerilla qui etait un produit invendable.
Cette theorie qui avait de nombreux soutiens -dont R Debray et sans doute Fidel-etait basee sur une analyse erronee des conditions concretes de la reussite de la revolution cubaine et non marxiste car le proletariat revolutionnaire est plutot urbain que rural.
Au moins le che est alle au bout de ses idees donc jusqu’a l’impasse.

04/08/2016 18:31 par legrandsoir

sans doute Fidel

Apparemment pas puisqu’il a tenté de convaincre le Che de ne pas y aller....

(Commentaires désactivés)