Cette semaine, Bart De Wever, bourgmestre d’Anvers, président du premier parti du pays (N-VA) et partenaire gouvernemental, a franchi une nouvelle étape. Après avoir publiquement nié les répercussions sociales du racisme et des discriminations, il a voulu faire amende honorable. De la négation, il est passé au renversement. Les discriminations raciales existent mais ne sont nullement la cause d’échecs vécus par les "migrants" (comprenez les Belges d’origines étrangères). Bien au contraire, "le racisme est le résultat, pas la cause, de nos problèmes" et est utilisé par les "migrants" pour "excuser" leurs propres échecs. Ils n’en sont pas victimes mais responsables. Pas de quoi s’offusquer me direz-vous. Rien de neuf. On a lu pire. On a subi pire. Certes. Il s’est cependant crû obligé de nous faire également partager sa vision hiérarchique des races.
Car si l’immigration, de manière générale, est toujours posée comme un problème, il admet qu’elle est inévitable. Certains migrants valent cependant mieux que d’autres. Sur base ethnique. Il en veut pour preuve qu’il n’a "jamais vu un migrant asiatique (entendez non pas les asiatiques mais ceux qu’ils perçoit comme tels : "la race jaune") se plaindre de discrimination". Contrairement aux "nord-africains" et plus particulièrement aux "berbères" qui génèrent "énormément de difficultés" et ont un penchant pour la criminalité, "les asiatiques" seraient plus enclins à trouver un travail et un logement. Il conclut par cette phrase terrible : "nous n’avons pas accueilli les bons migrants". Les membres des "minorités visibles", généralement de "deuxième ou troisième génération", sont donc définis comme des migrants indésirables intrinsèquement tarés de par leurs origines. Les minorités qu’on voit peu sont par contre, si pas désirées, tolérables.
On est loin du "racisme ordinaire". De Wever réhabilite en réalité un véritable racialisme dans le discours public. S’il perdure toujours au comptoir, il est un fait que ce concept idéologique élaboré au XIXème siècle n’avait plus été assumé par nos autorités depuis l’époque coloniale. Peu de partis européens d’extrême-droite osent même encore s’y référer aussi explicitement. Marine Le Pen fait ainsi figure d’humaniste au regard d’un De Wever qui ne se soucie plus de s’abriter derrière des euphémismes ou des religions.
Hors quelques députés d’origines étrangères et l’extrême-gauche, les réactions politiques se limitent actuellement à une distanciation embarassée. Les Ecolo protestent mollement. Les présidents libéraux ne "s’associent pas" et rappellent leurs "valeurs" considérant l’individu et non le groupe. Nulle réaction des directions socialistes et démocrates-chrétiennes. "Pas de vague" semble être le mot d’ordre... ou pèsent-ils soigneusement leurs paroles ? La réaction du CD&V figurant l’aile gauche du gouvernement et de plus en plus interpellé par son pendant syndical sera particulièrement intéressante à décrypter.
Nos journalistes, eux, répercutent ce discours sans le contextualiser. Du factuel. Il aurait pourtant été facile de rappeller que selon les statistiques officielles mêmes de la Région Flamande, les taux d’emploi entre les différentes communautés d’origines extra-européennes sont similaires autour de 45%. Que les différences entre les taux d’emploi de ces communautés et ceux des communautés d’origine étrangère intra-européenne et les autres ont été attribuées sans appel par la Commission Européenne aux discriminations xénophobes à l’embauche et l’absence de réaction des autorités belges en la matière. Que des "testings" menés en 2014 par la KUL et l’ULB et en 2015 à Bruges ont démontré l’importance des discriminations au logement. Oui, ça aurait été facile. Mais peut-être nos éditorialistes réfléchissent-ils au moyen de s’offusquer sans passer pour les "bien-pensants" qu’ils ne cessent de dénoncer...
Les seules réactions notables furent, via les réseaux sociaux, les quelques milliers de réactions de personnes de toutes origines subissant "le racisme quotidien", y compris des "asiatiques" (voir notamment cette lettre ouverte adressée à De Wever sur http://deredactie.be/cm/vrtnieuws/opinieblog/opinie/1.2281446).
Que dire, que dire... Les libéraux et le CD&V s’avèrent incapables de maîtriser leur encombrant allié. D’un glissement à l’autre, la Belgique s’enfonce un peu plus dans la boue gouvernementale. Insensiblement mais inexorablement. Tellement insensiblement qu’il est besoin de recourir à de vieux souvenirs pour mesurer notre déshonneur. Si inexorablement qu’on se laisse tenter par la résignation. On aurait tort.
Bien que le gouvernement Michel Ier, à l’instar des précédents, viole nombre de conventions internationales et torde régulièrement l’esprit de notre constitution, il ne fait guère de doute qu’il peut se réclamer de la légalité. Sa légitimité, appréciation subjective fondée sur des considérations autant juridiques que morales, pose par contre question.
Récemment, le député français Malek Boutih, pour une fois sans ambiguité, déclarait à Florian Philippot, vice-président du Front National : "Même si vous gagnez (les élections), vous aurez un problème de légitimité : on ne se laissera pas faire. C’est clair ? L’histoire m’a appris une chose : je n’irai pas me faire recenser en baissant la tête et en disant j’ai rendu service à la France".
D’anciens néo-nazis au gouvernement. La justification de la collaboration. L’organisation d’une véritable chasse aux pauvres. La spoliation des revenus du travail. La criminalisation des mouvements sociaux. L’armée dans les rues. Un ministre trimballant une tête de noir au bout d’une pique à Bruxelles. L’institutionnalisation des discriminations. La remise en cause de l’Etat de droit. Le racialisme. N’en jetez plus. Il ne me semble pas nécessaire d’attendre le prochain glissement, qui ne manquera pas de survenir très prochainement, pour faire mienne la déclaration de Boutih. Tant que la N-VA y participera, ce gouvernement n’est pour moi plus légitime.