Quand, voici des années, étudiant ce qui se passait à le bourse aux grains de Chicago, je compris soudain de quelle façon ils géraient toutes les céréales du monde - et en même temps ne pus le comprendre et laissant tomber mon livre, alors je sus aussitôt et me dis : te voilà dans une méchante affaire.
Je n’éprouvais nulle amertume, et ce n’était pas l’injustice qui m’effrayait là -dedans, j’étais tout plein d’une seule idée : ce n’est pas possible qu’ils continuent comme ça !
Tous ces gens-là , je le voyais, vivaient du tort qu’ils faisaient, pas du tout de leur utilité. C’était une situation, je le voyais, qui ne pouvait se perpétuer qu’à coups de crimes, parce que trop mauvaise pour le plus grand nombre.
C’est ainsi que toute conquête de la raison, toute invention, ou découverte, ne peut qu’accroître la misère.
Je faisais ces réflexions et d’autres encore, sans colère ni plaintes, en fermant le livre décrivant le marché aux grains et la bourse de Chicago.
Je me préparais là beaucoup de peine et de tourments.
Bertolt Brecht "Quand voici des années"
Ce matin j’ai ouvert le journal et j’ai pensé dans cette année 2008, pas une autre année, celle-ci, se préparent beaucoup de tourments.
A Haïti, ils mangent des galettes de terre, mais à Chicago ça hurle « à combien le riz ? » Sur les grands livres s’accumulent des chiffres.
Oui mais quand les hommes apprennent la faim et la soif, ils n’apprennent pas pour autant la faim et la soif de vérité. Et ceux qui ont encore un peu de nourriture se bouchent les yeux et les oreilles.
Ils ont même beaucoup de mal à comprendre que la guerre n’est pas nécessaire. Hier le petit agité nous a présenté le budget de la Défense : moins d’hommes mais plus, toujours plus, d’engins de morts pour les marchands, ceux qui possèdent la presse et nous racontent ce qu’ils veulent. Le petit agité a expliqué que l’ennemi de l’Occident vertueux, démocratique, était là , l’ennemi nous menace de tous les côtés à la fois : invasion, épidémie, terrorisme... Il faut aller le traquer chez lui, empêcher que les pauvres, affamés par la Bourse de Chicago se pressent aux frontières… Et il a terminé en invitant l’assistance à chanter la Marseillaise : « Allons enfants de la patrie, le jour de gloire est arrivé ! »
La gloire pour aujourd’hui était celle du tableau de chasse du Ministre de l’Immigration. Dans la cour du ministère, quelques cadavres y compris d’enfants fuyant la police… La conférence de presse les a enjambés sans les voir…
Le ministre de l’Immigration, Brice Hortefeux, c’est son nom, a annoncé jeudi une augmentation de 80% des reconduites à la frontière d’étrangers en situation irrégulière pour les cinq premiers mois de 2008, par rapport à la même période de 2007.
M. Hortefeux, qui s’exprimait devant la presse après un an d’activité ministérielle et à la veille de la présidence française de l’Union européenne, a précisé que le nombre des sans-papiers reconduits à la frontière s’élevait à 14.660 pour les cinq premiers mois de 2008.
Au cours de la même période, le nombre des cartes de séjour délivrées pour motifs professionnels a crû de 16%, a ajouté le ministre de l’Immigration.
Par ailleurs, le nombre des étrangers en situation irrégulière est en baisse de 8% depuis un an, a dit M. Hortefeux, en se basant notamment sur les chiffres provenant de l’aide médicale gratuite (AMD). Peut-être qu’ils ont renoncé à se soigner, alors il faudra bien lutter contre les épidemies, comme le dit le livre blanc.
Si Sarkozy a été élu, c’est qu’il n’y avait rien d’autre et que la démocratie qu’ils nous concèdent c’est quand dans nos millions de têtes il ne peut plus survivre qu’un pou. On fait sa grande gueule sur le pauvre que l’on raccompagne à la frontière et chacun est soulagé du pain qu’il n’aura pas à partager, la vie devient de plus en plus difficile…
Un jour quelqu’un criera « feu » et ce sera le soulagement… Enfin savoir de quoi et pourquoi les choses vont si mal. Frapper, jusqu’à s’en faire mal, plus pauvre que soi…
Et vous détournez les yeux : je n’y peux rien, dites-vous, vous qui dites avoir compris, ils sont plus forts que moi.
Tous ces gens là , je le voyais, vivaient du tort qu’ils faisaient, pas du tout de leur utilité. C’était une situation, je le voyais, qui ne pouvait se perpétuer qu’à coups de crimes, parce que trop mauvaise pour le plus grand nombre.
C’est ainsi que toute conquête de la raison, toute invention, ou découverte, ne peut qu’accroître la misère.
Je faisais ces réflexions et d’autres encore, sans colère ni plaintes, en fermant le livre décrivant le marché aux grains et la bourse de Chicago.
Je me préparais là beaucoup de peine et de tourments.