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Le racisme anti-pauvres.

2 janvier 2004

En ce début d’année où plusieurs centaines de milliers de chômeurs vont être privés de ressources, il est bon de rappeler que c’était aussi ce qui s’était produit au début de l’année précédente où la modification, en décembre 2002, des règles d’attribution des ASSEDIC (passage de 4 mois à 6 mois minimum de travail salarié pour avoir droit à une indemnité), excluait les plus précaires de tout revenu dès fin janvier 2003 (et sans préavis !) alors même qu’ils paient leur cotisation chômage ! Le durcissement de l’accès au statut d’intermittent du spectacle va dans le même sens, priver les plus faibles de tout revenu (y compris du RMI, au moins pendant 3 mois car il faut 3 mois sans ressources pour avoir droit au RMI, il n’y a pas du tout de continuité du revenu assuré). Tout cela se fait le plus naturellement du monde et sans aucune culpabilité semble-t-il. Quelle raison aurait-on de secourir les pauvres ? N’est-ce pas de leur faute s’ils sont pauvres et ne travaillent pas ? Qui donc va se soucier de ces inutiles au monde ? On est trop bon avec eux, on encourage leur paresse et leurs penchants mauvais !

Il faut dire les choses telles qu’elles sont, montrer à quel point le cynisme domine sous le discours bienveillant des droits de l’Homme, au point qu’on peut y voir le retour des discours les plus racistes (et le triomphe du Front National). Le racisme a presque toujours été un racisme anti-pauvre. Sous prétexte que le nazisme a voulu fonder le racisme sur la biologie, on s’imagine qu’un racisme non biologique serait plus acceptable ! Mais la biologie n’a rien à voir dans l’affaire. Le racisme est un phénomène social. A chaque commémoration de la victoire contre le nazisme, les bonnes âmes s’interrogent bruyamment sur ce qui a pu transformer tant de braves gens en cruels nazis mais c’est, bien sûr, qu’il n’y a rien là de si extraordinaire hélas, nous sommes de la même race, celle des racistes, et les nazis sont toujours parmi nous, même si les massacres sont moins sanglants. C’est ce qu’il faut comprendre pour avoir une chance de lutter contre mais comme toujours, il est presque aussi difficile aujourd’hui d’être un résistant et de ne pas crier avec les loups, même si les risques sont sans commune mesure. La propagande spectaculaire règne en maître. Le décervellement est complet. Plutôt que de rejeter l’horrible passé dans un enfer tellement diabolique qu’il en perd toute réalité, c’est dans notre présent qu’il faut en reconnaître la persistance et l’urgence d’une mobilisation générale. On sait que bien peu de nazis étaient véritablement au courant de l’extermination des juifs, mais du moins ils ne s’en souciaient guère, déterminés, en tout cas, à se débarrasser des juifs et, pour le reste, n’en voulaient rien savoir. De même, le sort des précaires ne passionne pas les foules salariées qui ne peuvent être tenues pour responsables de milliers de vies perdues, de l’aggravation de leur sort et de tant de souffrances, mais on se débarrasserait bien quand même de tous ces miséreux et immigrés qui nous encombrent et freinent notre progrès, notre frénésie de consommations.

Les mesures prises par ce gouvernement visant ouvertement à augmenter la misère des plus précaires, il faut souligner le ridicule angélisme de Robert Castel qui s’imagine que la protection sociale est en constante amélioration et que ce serait à chaque fois un bête accident de l’histoire si malgré tout une misère toujours nouvelle va continuer à se développer au coeur des sociétés les plus riches ! C’est pourtant bien le contraire qui est vrai et que nous allons montrer. L’insécurité sociale est organisée, la misère est voulue par les classes dirigeantes quand les mouvements sociaux ne s’y opposent pas massivement. La classe moyenne salariée (CFDT, CGC) soutient ces politiques anti-sociales tant qu’elle ne se sent pas menacée et que cela lui permet de garder ses avantages acquis, voire d’en gagner d’autres (réductions d’impôts). On trouve normal de protéger ceux qui ont déjà une bonne situation tout en laissant sans aucune protection les plus précaires (afin de ne pas encourager la précarité, selon la CFDT, ce qui ne l’empêche pas de se répandre, dans les pires conditions). En attachant les droits au travail, on a créé deux classes, ceux qui en ont, nouvelle noblesse, et ceux qui n’en ont pas, nouveau prolétariat qui n’a d’autre richesse que ses enfants ou sa famille s’il en a. On peut contester la réalité de l’exclusion sociale qui est rarement totale, du moins l’exclusion est une politique sociale, multipliant les sans droits.

Bien sûr le cynisme ne s’affiche pas aussi ouvertement, genre "vous n’avez qu’à crever". Il s’habille d’une justification idéologique ou morale, destinée à déculpabiliser la majorité de couper les vivres aux plus faibles en identifiant pauvreté et déviance, en se focalisant sur les tricheurs, resquilleurs, délinquants. C’est donc la victime qui doit être coupable (retour au bouc émissaire ), et c’est ainsi qu’un racisme anti-pauvre va se constituer, sur le modèle de tous les racismes où l’autre incarne notre part mauvaise, rejetée au dehors, alors qu’on se pare soi-même de toutes les vertus, de la culture et de l’humanité même. Ce n’est pas nouveau. La plupart des peuples se nomment eux-mêmes "les hommes" opposés aux autres (barbares, sauvages, bêtes à deux pieds comme les Aryens appelaient leurs esclaves). La première fonction de l’idéologie est de justifier l’ordre établi et la domination des dominants, transformer la force en droit et procurer la tranquillité d’esprit à ceux qui servent le système en les assurant de leur supériorité. Aristote même y tombe lourdement au début du Politique, en justifiant l’esclavage au même titre que la domination de la femme ou de l’enfant par l’excellence supposée du maître (homme libre, mâle et riche), ce qui est vraiment ridicule. On est prêt à croire n’importe quelle ânerie qui justifierait notre supériorité. La crédibilité semble en ce domaine sans limite, chacun étant persuadé de faire partie des meilleurs et de mériter sa position sociale (sous entendu que les perdants méritent la leur, malheur aux vaincus et pas de pitié pour les gueux). Il y aurait bien deux races, celle des bons et des mauvais. Les victimes qui ne voudraient pas reconnaître leur culpabilité sont accusées de victimisation !

On ne dit certes pas qu’on va jeter à la rue des milliers de personnes, ce qui est la révoltante réalité, mais qu’on va les inciter à trouver un emploi ! Tout ceci n’est que du baratin pour amuser les foules et couvrir de véritables saloperies. Les gouvernements qui doivent faire face à une montée du chômage de masse laissent croire qu’il suffirait que les chômeurs se remuent un peu plus pour trouver du travail et résoudre la question du chômage, alors qu’on sait très bien que ce sont les emplois qui manquent (et les ressources monétaires pour payer des revenus). Dans ces circonstances, un chômeur qui trouve un emploi, c’est un autre qui le perd (et avec le RMA c’est un travail au rabais qui remplace un véritable emploi). Ce n’est pas une question de formation (ou si peu). Il y a de plus en plus de candidats pour un poste. Quand il y a du chômage, on ne trouve pas de travail et quand il y a du travail il y a beaucoup moins de chômeurs. Ce n’est pas qu’il y a moins de paresseux ou d’inemployables mais plus de travail... Les "politiques actives" de lutte contre le chômage (comme le RMA ou le PARE) ne sont la plupart du temps que de la poudre aux yeux. Ce n’est absolument pas la faute des chômeurs s’ils ne trouvent pas à valoriser leurs compétences (même avec l’aide d’associations), c’est donc bien inadmissible d’être privé de tout revenu, laissé sans protection sociale, livré aux aléas de l’économie sans pouvoir se projeter dans l’avenir. Le coût social de ce manque de protection est énorme, aboutissant à une destruction des personnes et un terrible gâchis de ressources humaines. C’est pourtant bien cela qu’on organise systématiquement, il faut le savoir, il faut le dire, le répéter.

Laisser se développer la misère est à la fois absurde et cruel. Pourtant la pensée libérale depuis son origine érige en dogme qu’il ne faut pas aider les pauvres (De Foe, "Donner l’aumône n’est pas faire la charité", 1704, cité par Polanyi dans "La grande transformation"). Nourrir ce qu’on appelait alors la surpopulation, c’était multiplier les pauvres. Il fallait laisser la nature éliminer les inutiles et les faibles. Ce darwinisme social est mal nommé puisqu’il précède largement Darwin qui en réfutait le principe (en remarquant la fragilité de l’homme et ses penchants altruistes protégeant les faibles). Ce sont ces principes pourtant qui ont pu trouver, 50 ans après, leur réalisation pratique avec le nazisme. Sa forme biologisante est partout réprouvée en souvenir des atrocités nazis mais le darwinisme social triomphe pourtant dans l’idéologie néo-libérale d’une compétition généralisée pour l’espace et les ressources. Il est utile je crois de revenir aux sources en citant un peu longuement Herbert Spencer, complètement oublié alors que c’est le principal idéologue du darwinisme social et de l’individualisme libéral, pour qui aider les pauvres est une faute contre la nature et contre Dieu ! Il va jusqu’à prétendre que ce sont les aides pour les pauvres qui sont responsables de la misère et tout son effort va être pour éradiquer ce sentiment de compassion et de sympathie pour ses semblables, sentiments "pathologiques" qu’il faudrait surmonter par devoir moral !! Mein Kampf reprend souvent mot pour mot les délires de Spencer.

La sympathie pour une personne qui souffre supprime, pour le moment, le souvenir des fautes qu’elle a commises. Le sentiment qui se fait jour dans "pauvre homme !" à la vue d’un individu bien malheureux, exclut la pensée de "mauvais homme", qui pourrait naître dans d’autres moments. Naturellement donc, si les malheureux sont inconnus ou seulement connus vaguement, tous leurs démérites sont ignorés ; de la sorte il arrive que, si à une époque telle que la nôtre on dépeint les misères des pauvres, le public se les représente comme les misères des pauvres méritants au lieu de se les représenter - ce qui dans la plupart des cas serait plus juste - comme les misères des pauvres déméritants. Ceux dont les souffrances sont exposées dans les brochures et proclamées dans des sermons et des discours qui retentissent dans tout le pays, nous sont donnés tous comme des personnages bien dignes, traités avec une injustice cruelle : aucun d’eux n’est présenté comme portant la peine de ses propres méfaits.

[...] En voyant combien ils sont nombreux sur une petite surface, il devient évident que des dizaines de mille de gens pareils fourmillent dans Londres. "Ils n’ont pas d’ouvrage" dites-vous. Dites plutôt qu’ou bien ils refusent l’ouvrage, ou ils se font mettre rapidement à la porte des ateliers. Ce sont simplement des vauriens qui, d’une manière ou d’une autre, vivent aux dépens des hommes qui valent quelque chose, des vagabonds et des sots, des criminels ou des individus en voie de le devenir [...].

Est-il naturel que le bonheur soit le lot d’individus de ce genre ? ou est-il naturel qu’ils attirent le malheur sur eux-mêmes et sur ceux qui se rattachent à eux ? N’est-il pas évident qu’il doit exister au milieu de nous une foule de misères qui sont le résultat normal de la mauvaise conduite et qui devraient toujours y être associée. Il y a une idée, plus ou moins répandue de tout temps, mais proclamée de nos jours avec grand fracas, à savoir que toute souffrance sociale peut être écartée et que c’est le devoir de l’un ou de l’autre de la faire disparaître. Ces deux opinions sont fausses. Séparer la souffrance de la mauvaise action, c’est lutter contre la nature des choses et amener une quantité de souffrances encore plus grande. Épargner aux hommes la punition naturelle d’une vie dissolue, nécessite à l’occasion l’infliction de punitions artificielles dans les cellules solitaires, sur les moulins à marcher, et avec le fouet. A mon avis un dicton, dont la vérité est également admise par la croyance commune et par la croyance de la science, peut être considéré comme jouissant d’une autorité incontestable. Eh bien ! le commandement "si quelqu’un ne veut pas travailler, il ne doit pas manger", est simplement l’énoncé chrétien de cette loi de la nature sous l’empire de laquelle la vie atteint son degré actuel, la loi d’après laquelle une créature qui n est pas assez énergique pour se suffire, doit périr ; la seule différence étant que la loi qui, dans un cas, doit être imposée par la force est, dans l’autre cas, une nécessité naturelle.

Herbert Spencer, L’individu contre l’Etat, 1885
On peut trouver cela outré et bien loin de notre époque raisonnable, pourtant c’est exactement le même raisonnement qui identifie la garantie d’un revenu à une "trappe à pauvreté" et qui va supprimer le RMI à un chômeur accusé de ne pas chercher assez activement un emploi qu’il ne sait plus où trouver ! La suppression de tout revenu est considéré par les libéraux comme une incitation à travailler (à n’importe quel prix), pourtant cela ne suffit absolument pas pour trouver un emploi, ni de faire la morale. On peut rire des termes employés par l’administration qui rappelle d’abord que le RMI est un double droit : Un droit à un minimum de ressources et un droit à l’insertion, pour conclure, la phrase d’après, au devoir de trouver un emploi rapidement sous la forme angélique : "Vous devez donc vous engager dans une démarche construite à partir d’un projet qu’il vous appartient d’élaborer". La pratique des commissions locales d’insertion et du contrôle des pauvres est beaucoup plus sordide, répressive et suspicieuse. Ce double langage n’est pas très loin de la novlangue (1984, G. Orwell). On prétend qu’il n’y a pas de droits sans devoirs, ce qui est faux, alors qu’il n’y a pas de devoirs sans droits plutôt, et on se donne bonne conscience à bon compte en exigeant une contrepartie impossible (on vous l’avait bien dit, ces gens là ne valent pas qu’on s’y intéresse !).

Si la cruauté sociale est clairement assumée dans la formulation libérale, on peut penser que son apparent universalisme est contraire à toute forme de racisme puisque le libéral semble dire que, dans la même situation que le rmiste, il profiterait tout autant de cette rente inespérée pour se vautrer dans la misère ! On voit bien comme c’est absurde. Il faut supposer au contraire qu’il y a des bons et des mauvais, des élus et des exclus, des travailleurs et des paresseux, des bons citoyens et des bons à rien. Derrière la condamnation d’une "société d’assistance" parée de toutes les indignités, c’est bien les pauvres, et seulement eux, qu’on juge indignes de cette assistance dont les riches bénéficient à un tout autre niveau par leur famille, d’être tout simplement bien nés. La "société de travail" qu’on voudrait y opposer est bien une société du travail forcé pour les pauvres, travail qu’on est pourtant incapable de leur fournir ! Tout le baratin idéologique sur la valeur-travail est d’autant plus sinistre qu’on fait miroiter aux chômeurs ce qui leur manque justement, ce à quoi ils n’arrivent pas à accéder. On a tellement peur que les pauvres s’arrêtent de travailler, en même temps qu’on prend soin de garder un fort volant de chômage !

Il s’agit bien d’un véritable racisme. Il y a des gentilshommes et des vilains, chacun mérite ce qu’il a reçu. Les riches méritent leur richesse (ils "produisent" de la richesse) et en font bon usage (ils investissent) alors que les pauvres dilapident le peu qu’on leur donne et sont naturellement feignants ou irresponsables (ils ne sont pas comme nous). Quand les pauvres sont des immigrés tous les préjugés racistes se déchaînent mais ils ne sont pas fondamentalement différents des jugements sur les exclus, SDF ou "inemployables" que rien ne distingue des autres travailleurs sinon la misère d’une vie nue, sans propriété sociale. Contre une telle engeance, ce que Agamben appelle l’ homo sacer et les Hindous les intouchables, tout est permis, jusqu’à l’extermination. Bien sûr, rien à voir dans nos sociétés policés avec des massacres de masse ou des chambres à gaz. Tout se passe dans la solitude et l’abandon. Officiellement, on ne meurt jamais de misère. Autrefois on faisait dire des messes lorsque des épidémies (envoyées par Dieu !) décimaient des populations affamées par la disette. La bonne conscience des nobles n’en était pas affectée, pas plus que celle de nos cadres dynamiques et des nouveaux rentiers n’est affectée par le développement de la misère.

Seulement pour que le mécanisme du racisme puisse réussir à refouler toute mauvaise conscience il faut que la classe moyenne puisse se croire d’une toute autre nature que ce lumpenproletariat. C’est là que le bât blesse car désormais plus personne n’est à l’abri, la précarité s’étend, l’insécurité sociale se généralise. Ceux qui se croyaient encore bien protégés se retrouvent sur le carreau, que ce soit à cause d’une maladie, un accident individuel, ou par la grâce de "licenciements boursiers", et ils se retrouvent souvent seuls et sans ressource, une fois épuisés leurs droits, parfois même sans le RMI avec lequel on ne peut vivre pourtant. C’est le retour de la solidarité familiale, c’est-à -dire d’un renforcement des inégalités entre riches et pauvres, mais il devient plus difficile de croire à la culpabilité des pauvres, tout comme à sa propre supériorité, quand on voit autour de soi toutes sortes de professionnels compétents perdre leur travail et sombrer dans la misère.

C’est donc le moment de "rendre la honte encore plus honteuse en la livrant à la publicité" (Marx, Contribution à la critique de la philosophie du Droit de Hegel). C’est le moment de dénoncer ce racisme anti-pauvre, qui perd sa crédibilité, et de montrer tout ce qu’il y a d’inhumain et de contre-productif à laisser se développer cette misère et cette destruction de compétences. L’autonomie financière (un revenu garanti) est la condition de toute autonomie, le droit à l’existence est le premier des droits sans quoi les droits de l’homme ne sont qu’une escroquerie. Alors comment expliquer que l’insécurité sociale soit organisée systématiquement ? A qui ce racisme anti-pauvres profite-t-il ? Est-ce tout simplement parce que la société ne peut pas financer un revenu pour tous ? Non, nos pays riches ont bien assez de ressources. C’est plutôt que les riches et les rentiers en veulent toujours plus, en payant toujours moins d’impôts (quand ils exercent leur domination sans une forte pression sociale). Il y a une sorte de boucle de rétroaction entre la lutte contre l’inflation voulue par les rentiers (les vieux) et la hausse du chômage qui en résulte mécaniquement (comme Keynes l’a bien montré), ce qui entraîne une augmentation des dépenses sociales, augmentation jugée insupportable par les rentiers qui obtiennent leur diminution ce qui aggrave encore la situation... De même, moins il y a de protections sociales, moins on trouve justifié les cotisations sociales. C’est le cercle vicieux de la dépression (et de la déflation), phase descendante du cycle de Kondratieff qui s’achève et qui se caractérise par une classe dominante vieillissante (avant que jeunesse et inflation n’engagent une nouvelle phase de croissance).

On dira là aussi que j’exagère et que le chômage n’est pas vraiment voulu, ce n’est qu’un effet pervers et regrettable de la lutte contre l’inflation qui aurait la noblesse de sauvegarder les valeurs acquises ! En général pour cette défense de la propriété, on mobilise des petits propriétaires à qui on fait croire qu’on voudrait les dépouiller, mais il faut savoir que très explicitement les économistes libéraux théorisent cette nécessité du chômage et de la misère qui doivent faire pression sur les salariés pour obtenir leur subordination et la modération des salaires. Il est question, en effet, de calculs d’utilité, comme si les salariés raisonnaient comme des hommes d’affaire, et comme si le travail s’identifiait à une "désutilité". Le comble c’est la notion, complètement idéologique, de "NAIRU" (Non accelerating inflation rate unemployement), ce qui veut dire tout simplement que lorsque le taux de chômage est trop faible, la demande de travail pousse les salaires à la hausse et donc accélère l’inflation. Sous ce sigle abscons, c’est le volant de chômage qu’on théorise et qui est bien relié au taux d’inflation. C’est une notion sans aucune base scientifique mais qui formule simplement la croyance que pour lutter contre l’inflation il faut organiser le chômage et la misère, ce qu’on fait effectivement. Tout ceci est insupportable lorsqu’on l’amène au grand jour, impossible à justifier surtout lorsqu’on nous bassine avec la valeur-travail et qu’on fait de grands discours sur la lutte contre le chômage !

Même la justification qu’il faudrait forcer les pauvres à faire le sale boulot ne tient plus depuis que la nature du travail a changé avec l’automation, pour ne plus être force de travail et travail forcé mais valorisation des compétences et travail autonome. Il n’est donc plus nécessaire d’affamer le peuple comme on a dû le faire au début du salariat pour obliger les salariés à travailler à temps plein (alors qu’avant ils s’arrêtaient dès qu’ils avaient gagné assez). Aujourd’hui la véritable richesse c’est le capital humain et la formation. La misère n’est plus productive, sinon peut-être comme image de l’enfer pour nous persuader de notre bonheur de consommateurs solvables et conforter notre confort assiégé, mais l’époque historique exige de nous de lutter fermement contre ce racisme anti-pauvre, injustifiable désormais. Racisme qui a sans doute commencé avec la Grande peste chassant les mendiants des villes, bien peu après François d’Assise et les ordres mendiants, mais qui ne s’est épanouie qu’au XVIIIè avec l’industrie et qui pourrait toucher à sa fin si nous savons y faire.

Un revenu garanti pour tous serait une véritable déclaration de paix sociale et le fondement d’un développement humain et d’une économie non productiviste. Guerre à la misère, pas aux pauvres qui sont nos frères et que nous pouvons tous devenir, qui ont des richesses à donner, des talents à développer, comme nous tous. Il n’y a pas d’autre race que la nôtre, celle des êtres parlants (pas de risquophiles imbéciles et de risquophobes passifs, d’élite dynamique et de pauvres dégénérés). Il y a certes bien des inégalités mais qui ne doivent pas se figer en races distinctes. L’égalité des citoyens ne peut rester théorique, la démocratie ne saurait tolérer la misère en son sein. Il faut le dire, le proclamer avec insistance, refuser le silence complice. Rien ne justifie dans nos sociétés riches de plonger délibérément les pauvres dans la misère. Cet ordre injuste doit être renversé.

Jean Zin - Jean.Zin@wanadoo.fr. 2 janvier 2004

 http://perso.wanadoo.fr/marxiens

 Photo : Stop Pub 6 février 2004 ( Indy Paris )

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