@altau " Sinon, pourquoi les russes auraient attendu si longtemps avant de faire une telle proposition qui, de fait, aide l’occident à faire machine arrière sans trop de dégâts ?"
Les Russes demandent des négociations depuis des mois, et elles ont été soit ignorées soit repoussées aux calendes par les US, qui ne voulait ni d’Assad, ni de l’Iran. Pareil pour les "rebelles". Ils voulaient juste négocier entre eux pour se répartir le gâteau. Comme s’ils étaient les vainqueurs.
Il est difficile de savoir si c’est la gaffe de Kerry qui a permis aux Russes de prendre l’avantage, ou si c’était une mise en scène, mais cela a peu d’importance en soi. Tout s’est précipité ce lundi parce qu’Obama était dans une impasse dont il lui était impossible de sortir et les divers rebondissements lui ont permis de ne pas perdre la face – ce qui aurait probablement eu pour conséquence également une crise politique grave dans son propre pays (ce que dit l’article).
D’un côté, il pouvait reculer "honorablement", et de l’autre, la Russie et la Syrie prenaient l’avantage.
Retour sur le lundi 9 sept. (mais avant cela, signalons que le dimanche, Assad donnait une interview sur CBS où il expliquait tranquillement que s’il y avait offensive, il fallait "s’attendre à tout" l).
Au cours de la conférence de presse à Londres, le lundi matin, Kerry s’est montré dans l’incapacité de justifier la raison pour laquelle il faudrait aller bombarder la Syrie, tout ce qu’il a su dire, c’est qu’il avait la preuve formelle que c’était Assad qui avait utilisé les armes chimiques.
(Script complet de la conférence).
Ainsi, a-t-il expliqué (sans rire) que les frappes destinées à "dégrader" les stocks d’armes chimiques seraient "incroyablement insignifiantes" ("incredibly small"), auraient lieu dans un laps de temps très bref, comme, a-t-il dit, l’expédition punitive de quelques heures qu’avait menée Reagan en Libye contre Kadhafi (en 1986).
Quand on sait que ces armes sont stockées dans plus de 40 sites répartis sur le territoire, on peut avoir à la fois des doutes sur la rapidité d’exécution de l’objectif et de très grandes inquiétudes quant à la santé mentale d’un ministre qui prêche la guerre en prétendant qu’il a des preuves formelles qu’il ne produit jamais (au moins, Powell avait-il pensé à prendre une fiole de bicarbonate).
Ensuite, il affirme que des gens sont condamnés à la prison à vie sur des preuves moins solides que celles qu’ils ont sur la culpabilité d’Assad.
Ca, c’est vrai. Mais cela "dégrade" largement le système judiciaire US.
Il met l’ensemble des 100.000 morts (dont près de la moitié sont des soldats de l’armée syrienne, tout de même) sur le compte d’Assad et explique que ce dernier "envoie ses avions pour arroser les enfants de napalm", ajoutant : "tout le monde a vu ça".
Au Vietnam ?
Et c’est Kerry qui accuse maintes fois Assad de n’être pas crédible.
D’autre part, sitôt les paroles prononcées par Kerry, le Département d’état envoyait un message pour expliquer que Kerry ne suggérait pas, évidemment, que si Assad remettait les armes, il n’y aurait pas d’offensive aérienne, mais que c’était seulement une façon de parler, et qu’il voulait dire qu’en fait, il n’y avait aucun espoir que le "cruel dictateur" Al-Assad accepte.
Pendant ce temps, le ministre des Affaires étrangères russe ne laissait pas retomber l’ambiance, reprenait au vol la suggestion de Kerry et la soumettait aussitôt à son homologue syrien (pas bien loin de lui). Qui acceptait.
Un timing magistral.
Par ailleurs, Obama, qui s’était démené dans le pays (entre autres, la veille) pour convaincre les élus républicains et démocrates du congrès et avait eu des réponses très mitigées, faisait ce même jour la promotion de sa guerre dans les médias.
Et c’est au cours d’une de ces interviews qu’il a dit que si Al-Assad acceptait de remettre les armes chimiques, c’était une "avancée possible".
Qu’Obama s’en soit remis à Poutine pour lui sauver la mise me semble improbable, mais pas impossible (il y a ce qui est officiel et ce qui se passe dans les coulisses).
Mais qu’il ait sauté sur l’occasion (probablement conseillé par les éminences grises qui gravitent autour de lui) de se sortir de ce mauvais pas, où il se retrouvait non seulement lâché par la plupart des dirigeants de la planète (surtout le fidèle Cameron, désavoué par le parlement), mais, en plus, flanqué des deux bras cassés belliqueux Hollande et Fabius, c’est évident.
Obama savait qu’il allait au casse-pipe et qu’il lui fallait trouver une porte de sortie.
Maintenant, savoir qui de l’œuf ou de la poule, c’est anecdotique. L’important, c’est qu’il ait renoncé – pour l’instant.
Et la population syrienne doit une fière chandelle aux négociateurs russes et à leur persévérance.
Mais ce n’est pas terminé pour autant. Le plus dur est encore à venir. Il s’agit maintenant que toutes les parties se mettent d’accord pour un cessez-le-feu immédiat, le dépôt des armes, des accords de paix et une véritable aide aux Syriens, dont 7 à 8000 sont réfugiés ou déplacés.
Quant aux deux pitres français, s’ils sont frustrés de n’avoir pas pu aller "protéger" les Syriens, ils devraient songer à accueillir les réfugiés syriens ici, ce qu’ils se refusent obstinément à faire. Il y aurait 2 millions de réfugiés actuellement, et la France n’en a accueilli que … 700 au premier semestre.
Dans la lignée de Dubya, Kerry invente un pays.