Des analystes de renom soulignent les changements. Ignacio Ramonet, dans les colonnes du Monde Diplomatique, estime que Obama n’a pas commis de graves erreurs, qu’il se maintient à un niveau de popularité élevé et qu’il a rempli ses principaux engagements, y compris celui de créer une nouvelle ère de relations avec l’Amérique du Sud.
Il est fort probable que le point de vue antérieur reste prédominant, malgré les prises de position hésitantes des Etats-Unis sur le coup d’État au Honduras. Pourtant, cela a conduit d’autres analystes à souligner la continuité de la politique étrangère de Washington. Il serait néanmoins trop simpliste de conclure qu’il n’y a pas eu de changements. Obama arbore un nouveau discours et des manières plus raffinées, comme on l’a vu lors de sa rencontre avec les présidents latino-américains, où il a même semblé aimable avec Hugo Chavez. Il donne l’impression d’essayer de comprendre le reste du monde, c’est en tout cas ce qui se détache de son discours du 4 juillet au Caire. Son attitude n’a rien à voir avec l’arrogance du cow-boy George W. Bush.
Les petits gestes et les manières sont des manifestations symboliques appréciables. Ceux d’en bas se sont battus pour être reconnus, pour leur dignité, mais leur lutte ne peut se limiter à des questions exclusivement matérielles. Pourtant, les petits gestes ne suffisent pas. C’est dans les moments et dans les zones de tension que les changements doivent se matérialiser. Dans le cas du Honduras, de nombreuses preuves attestent que la posture de l’administration Obama n’est pas très claire, mais on ne peut pas pour autant l’accuser d’appuyer directement les putschistes. Il est encore trop tôt pour savoir comment cette crise va se terminer, mais chaque jour que le Honduras passe sans Manuel Zelaya à la présidence de la République constitue une victoire pour les putschistes.
En ce moment en Amérique latine, c’est en Colombie et dans la région andine que les enjeux sont les plus forts. Qu’est-ce que Obama propose de nouveau dans ce pays ? En tout état de cause, il ne fait pas preuve de la même délicatesse et des mêmes manières que dans d’autres pays. En Colombie, le militarisme est en pleine expansion, la présence militaire étasunienne est en telle augmentation qu’elle atteint un stade presque irréversible ; et tout cela se passe sous la présidence de Obama.
Le retrait forcé du Commandement Sud de la base de Manta en Equateur a conduit le Pentagone à consolider et à diversifier sa présence en Colombie. Dans le cadre du Plan Colombie, l’armée étasunienne utilise les installations militaires des bases de Tres Esquinas et de Larandia dans le sud, et de trois autres bases au moins. La proposition actuelle consiste à répartir les troupes qui se trouvaient à Manta sur au moins trois bases aériennes et deux bases navales. Les négociations sont sur le point d’aboutir, concernant l’utilisation des bases aériennes de Apiay, de Malambo et de Palanquero et les ports de Tumaco et de la baie de Malaga, sur la côte Pacifique. Rien qu’avec la base de Palanquero, dans le centre du pays, le Commandement Sud compensera largement le retrait de la base de Manta. La base de Palanquero dispose d’une piste d’atterrissage plus longue de 600 mètres, elle peut accueillir 2000 soldats et 100 aéronefs. Enfin, elle permet aux gigantesques avions C-17 de pouvoir atterrir, ce qui n’était pas le cas sur la base équatorienne. Le sociologue et journaliste Alfredo Molano avance l’éventualité que la Colombie puisse autoriser le stationnement d’un porte-avions dans les eaux des Caraïbes ou du Pacifique.
La nouvelle répartition des forces armées étasuniennes va permettre à l’Etat colombien de consolider sa politique sur certaines questions essentielles :
- développer le contrôle territorial dans des régions clefs du pays, notamment celles dont la richesse des sous-sols suscite la convoitise des multinationales ;
- porter ombrage à ces voisins, au Venezuela et à l’Equateur, mais également au Pérou et au Brésil ;
- accroître le contrôle du Pacifique, au vu du développement des échanges commerciaux entre la Chine et l’Amérique du Sud, en particulier avec le Brésil et le Venezuela.
Il ne s’agit pas seulement d’une réponse militaire à la perte de la base de Manta, comme le prétendent certains analystes. Ce nouveau déploiement de forces prétend s’ériger comme une réponse militaire intégrale -qui soit aussi politique et économique- au déclin stratégique de la superpuissance et de la crise qu’elle traverse. En Amérique du Sud, la principale menace stratégique pour les États-Unis repose sur l’alliance entre le Brésil et la Chine, surtout depuis que la Chine a mis un pied dans l’IIRSA (Initiative pour l’Infrastructure Régionale Sud-Américaine). L’IIRSA prévoit des grands travaux d’infrastructures afin de faciliter les flux commerciaux entre l’Atlantique et le Pacifique, d’où l’importance d’avoir des bases sur le Pacifique.
Même si l’argument reste celui de la lutte contre le trafic de drogue et le terrorisme, l’objectif est de repositionner le Commandement Sud comme principal outil de contrôle des États-Unis dans la région. La base de Manta ne s’est jamais donné pour objectif de lutter contre le trafic de drogue. Luis Angel Saavedra, directeur de l’INREDH (Fondation Régionale de Conseil en Matière de Droits de l’Homme) a déclaré que « Manta est aujourd’hui le premier port d’exportation de drogues du pays ». Ce dont il est question, insiste-t-il, c’est de la construction d’une « armature militaire » qui permette le contrôle rapide du Pacifique du Mexique à la Patagonie, et d’articuler ainsi le Plan Puebla Panama et le Plan Colombie.
Afin de se repositionner, la Maison-Blanche n’a pas hésité à renforcer son alliance avec l’extrême droite colombienne, avec le président Alvaro Uribe et l’ex-ministre de la Défense, Manuel Santos, tous deux proches des paramilitaires. Même les plus radicaux doivent aujourd’hui faire usage d’un langage politiquement correct, car cette nouvelle étape l’exige. Le général Freddy Padilla, ministre de la Défense, donne l’exemple quand il assure que la « Colombie ne permet pas la création de bases militaires étasuniennes » et « qu’aucun pays tiers ne sera affecté ». Il va même plus loin lorsqu’il affirme que les négociations de la nouvelle convention se font dans le respect de la souveraineté de la Colombie, que le transit de troupes étrangères ne sera pas permis et que la coopération se limitera aux prêts d’installations colombiennes aux militaires étasuniens.
La nouvelle ère promise par Obama pourrait n’être que des mots jetés en l’air, si dans les faits, le contrôle de l’Empire et l’ingérence ouverte se perpétuent.
Article initialement publié par La Jornada : El estilo Obama y América Latina
/ Raúl Zibechi, La Jornada, 31 juillet 2009.
Texte traduit en français et publié par info sud télé