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Les FARC cachées sous le lit

Face à l’irruption d’un nouveau mouvement politique de gauche dans le pays la classe dirigeante colombienne agite l’épouvantail de la guérilla

Des dizaines de milliers de personnes ont envahi la Plaza Bolivar de Bogota le lundi 23 avril 2012, inaugurant ainsi le tout récemment créé mouvement Marcha Patriótica (Marche patriotique). Pas encore une option électorale, bien qu’il aspire à l’être prochainement, le mouvement est une union des différentes forces progressistes et de gauche du pays visant à résoudre les conflits social et armé en Colombie. Rapidement le fantôme de l’Union Patriotique est revenu en mémoire de tous comme l’a souligné l’ancien guérillero et ex secrétaire à la mairie de Bogota Antonio Navarro Wolf, dans une interview donnée à El Espectador : « Cette histoire de Marche Patriotique et d’Union Patriotique me semble la même chose » [1].

Rappelons que l’UP (Unión Patrtiótica) a été une coalition politique de gauche née en 1985 suite aux accords de paix entre le président Belisario Betancurt et les FARC. Celle-ci visait à être un moyen de réintégrer les guérilleros à la vie politique civile et légale à travers le nouveau mouvement politique dont le principal composant était le Parti Communiste Colombien. Un espoir de résolution pacifique du conflit qui a rapidement tourné au cauchemar dès lors où il a été clair que l’organisation politique est devenue la cible des paramilitaires et des forces armées de l’état. L’ensemble des membres de l’UP, du simple militant aux candidats aux présidentielles, ont été victime d’harcèlements, de menaces, d’assassinats et de disparitions, obligeant ainsi les guérilleros à reprendre le chemin des armes et ceux, qui ne l’étaient pas, à les suivre. Les FARC va rompre la trêve en 1987 sous les assauts des forces militaires et l’Union Patriotique subira sa saignée jusqu’au milieu des années 90, puis la traque de ses survivants jusqu’aux années 2000, estimant aujourd’hui le nombre de ses tués à plus de 3.000 militants [2].

L’enthousiasme qu’avait suscité au sein de la gauche l’UP semble avoir été ressuscité ces jours-ci avec la Marche Patriotique. « Ici il y a de la place pour toutes les organisations, tous les courants, mouvements et partis politiques qui désirent faire partie de ce processus de construction et de transformation » a déclaré l’avocate et ex-sénatrice Piedad Cordoba, l’une des principale porte-parole du mouvement [3]. Cette dernière s’est affrontée verbalement à des journalistes lors d’une interview durant laquelle on lui demandait si cette marche était financée par les FARC : « Si la marche était infiltrée ou financée par les FARC ayez l’absolue certitude que nous ne serions pas ici » a-t-elle répondu [4]. Argumentant qu’il s’agissait là d’informations provenant des sphères militaires, les journalistes ont ainsi défendu leurs questions : « Ce que je vous demande c’est ce que disent les organismes de sécurité : l’armée, la police, pas moi » [5].

A la différence de l’UP à son époque, la Marche Patriotique n’est pas issue de la propre guérilla et ne découle pas d’accords de paix. D’aucuns estiment que c’est la présence officielle des FARC au sein du mouvement politique de 1985 qui a légitimé d’une certaine façon la brutale réaction des forces de l’ordre. Steven Dudley, journaliste nord-américain, qui a travaillé sur le « génocide politique » de l’UP élabore la thèse selon laquelle le refus des communistes orthodoxes d’abandonner la "combinaison de toutes les formes de luttes" aurait facilité l’agression paramilitaire à l’encontre de la gauche légale. Le floue existant entre guérilleros et membres de l’UP ayant servi de prétexte à l’oligarchie pour éliminer l’ensemble de l’organisation politique [6].Il était pourtant su de tous que l’UP était une initiative même de la guérilla et de son théoricien Jacobo Arenas. Le floue ne pouvant exister dans la mesure où de nombreux dirigeants et militants de l’UP était clairement d’anciens guérilleros souhaitant (ré)intégrer la vie politique légale. A l’inverse, c’est l’obstinante intolérance de l’oligarchie colombienne à l’égard d’une opposition légale de gauche qui a poussé tant de femmes et d’hommes à prendre le fusil et « a irse para el monte » (à partir dans le maquis).

Utilisant, comme à son habitude, les FARC comme épouvantail, le pouvoir colombien s’est empressé de faire planer le doute autour des participants de cette Marche Patriotique. « Nous enrichirons notre démocratie avec plus de voix et plus d’espaces pour toutes les expressions politiques, mais ce que nous ne pouvons pas permettre ce sont les ambiguïtés : ou l’on est dans la légalité, ou l’on est dans l’illégalité. Il n’y a pas de juste milieu » a prévenu le président Juan Manuel Santos [7]. L’analyste politique Alfredo Rangel, dont les propos ont été repris dans Elpais.com.co, estime pour sa part « que nous sommes en train d’assister à une réédition de l’Union Patriotique (...) c’est une volonté de l’extrême gauche de se présenter comme un mouvement social pour camoufler ses relations avec ces groupes de guérilla. A la lumière des informations disponibles des organismes d’intelligence de l’Etat, ce mouvement serait le bras politique des FARC. Le PC3 [8] serait en train de sortir de l’ombre pour se montrer comme un mouvement politique légal en gestation » [9]. Selon lui, les dirigeants de la Marche Patriotique doivent condamner publiquement la lutte armée et la guérilla des FARC afin d’éviter toute confusion [10]. Condamnation il y a eu de la part de la Marche patriotique dans un communiqué, mais sur les propos tenus à son égard s’estimant « préoccupée par l’ambiguïté dans le discours présidentiel sur le caractère de notre mouvement, car celle-ci peut être un stimulant pour les secteurs militaristes et de l’extrême droite de notre pays pour justifier des actions contre le peuple en marche » [11]. Elle a de plus rappelé, dans ce communiqué, son engagement profond à trouver une solution politique et pacifiée au conflit armé.

Comme un frisson macabre, la disparition de deux dirigeants de la Marche Patriotique est venu hanter à nouveau la gauche colombienne. Herman Henry Diaz, leader communautaire du Putumayo, chargé de coordonner le transport de 200 délégations pour la marche de Bogota a disparu le 18 avril, quelques jours avant l’événement [12]. Martha Cecilia Guevara Oyola, dirigeante communautaire de San Vicante del Caguan, a disparu, elle, le 20 avril alors qu’elle s’apprêtait à se rendre à la capitale [13]. « Cette histoire de Marche Patriotique et d’Union Patriotique me semble la même chose » disait l’autre...

Loïc Ramirez

[5Ibid

[6Lire Armas y Urnas, historia de un genocidio polà­tico, Steven Dudley, Planeta, 2008

[8Partido comunista colombiano clandestino (Parti communiste colombien clandestin)

[10Ibid


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