La mort de Raul Reyes et Julian Conrado, deux figures importantes des Forces Révolutionnaires Armées de Colombie (FARC), constitue à l’évidence un coup dur pour l’organisation de guérilla. Elle interrompra aussi le processus de libération des otages détenus par les FARC depuis de nombreuses années dans la jungle, processus qui avançait lentement sous les auspices du président Vénézuélien, Hugo Chavez. L’éventuelle libération de l’ancienne candidate à la présidence Ingrid Betancourt, libération dans laquelle le président français Nicolas Sarkozy s’était personnellement impliqué, parait désormais improbable et de nombreuses personnes pensent qu’elle est mourante. Les espoirs d’une libération imminente de trois sous-traitants de l’armée US s’envolent également.
A l’évidence, l’attaque nocturne du camp des dirigeants de la FARC, à environ 3 km à l’intérieur du territoire équatorien, dans la jungle au sud de la rivière Putumayo, était une décision politique prise par le président Colombien Alvaro Uribe et destinée à mettre fin au processus de paix orchestré par Chavez. Quatre politiciens colombiens, retenus en otages par les FARCS ces six dernières années, furent libérés et accueillis avec toutes les honneurs à Caracas. Reyes avait été un de ceux qui avaient organisé leur libération. Tué à l’âge de 59 ans, soit vingt ans de plus que Che Guevara au moment de sa mort, Reyes avait longtemps été plus un diplomate qu’un commandant de guérilla, bien qu’il ait souvent été photographié en treillis militaires et portant une arme.
Selon le président équatorien Rafael Correa, les corps des commandants des FARC et de 13 guérilleros portaient des pyjamas après qu’ils aient été bombardés durant leur sommeil sous des tentes en territoire équatorien. Les forces aériennes colombiennes, selon Correa, ont bénéficié d’une technologie avancée "et l’appui de puissances étrangères" pour localiser le campement et "massacrer" ses occupants. Le gouvernement d’Uribe est un proche allié des Etats-Unis et d’Israel, alors que Correa appartient au camp radical mené par Chavez. Après le bombardement, les troupes colombiennes ont franchi la frontière équatorienne pour récupérer les corps.
Depuis le 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont demandé au gouvernement colombien de qualifier les FARC d’organisation "terroriste", un terme employé à présent aussi par l’Union Européenne. Pourtant, la guérilla colombienne est la plus ancienne de ces mouvements en Amérique latine, de bien avant l’actuelle obsession autour du "terrorisme". Leur dirigeant, Manual Marulanda, a d’abord dirigé les FARC au début des années 60 et a survécu jusqu’à ce jour, tandis que Raul Reyes a dirigé l’aile politique de l’organisation pendant de nombreuses années. Négociateur bien connu et promoteur de la cause des FARC en Europe et en Amérique latine, Reyes était un acteur clé dans les récents efforts menés par le président vénézuélien et la sénatrice colombienne Piedad Cordoba pour faire libérer quelques otages colombiens.
Les FARC ont connu de nombreux changements au cours des quarante dernières années, mais aucun n’a entamé leur capacité de survie. Un des changements a été l’accroissement de la production en Colombie de matières premières pour la cocaïne et l’héroïne, fournissant les marchés de la drogue aux Etats-Unis et en Europe, et qui jadis se cultivaient en Bolivie et au Pérou. Les surfaces cultivées consacrées au cannabis, au coca et à l’opium ont été multipliées par cinq en Colombie depuis les années 60, et les FARC ont depuis longtemps offert une protection aux travailleurs de ces plantations tout en prélevant un impôt auprès des barons de la drogue.
Un autre changement a été la montée en puissance des organisations paramilitaires, d’abord sponsorisées par les barons de la drogue, ensuite par l’état, qui ont recrée la situation de guerre civile, un phénomène particulier à la Colombie depuis le 19eme siècle. Parallèle à la montée des groupes paramilitaires, il y a eu le Plan Colombie, d’inspiration étatsunienne, qui est un plan d’assistance militaire initialement conclu par le président Clinton en 1999 et qui a propulsé la Colombie au rang du cinquième bénéficiaire de l’aide militaire étatsunienne dans le monde.
Un troisième changement a été l’effondrement de l’Union Soviétique et la perte d’influence du Parti Communiste Colombien, autrefois le principal soutien politique des FARC. A la mort en 1990 du talentueux dirigeant communiste Jacobo Arenas, Marulanda et Reyes se retrouvèrent seuls aux commandes.
Des négociations entre la guérilla et le gouvernement ont toujours eu lieu tout au long de ces 25 dernières années, mais la malheureuse expérience des années 80 a découragé les FARC. Après un cessez-le-feu déclaré en 1984, les FARC furent encouragées à créer un parti politique légal, l’Union Patriotique, et de présenter des candidats aux élections de 1985. L’Union Patriotique remporta un succès non négligeable en remportant six sièges de sénateurs, vingt-trois sièges de députés et plusieurs centaines de conseillers municipaux. Mais la suite fut un désastre. Après être sortis de la clandestinité, de nombreux partisans de l’UP furent assassinés. Plus de 4000 militants et dirigeants de gauche furent exécutés dans l’année qui suivit les élections. Les guérilleros se retirèrent dans les campagnes et jurèrent de ne plus jamais commettre la même erreur. De nouvelles négociations eurent lieu entre 1999 et 2002 mais les représentants du gouvernement n’ont pas inspiré confiance aux FARC. Lorsque Uribe devint président en 2002, il abandonna toute idée de négociation et opta pour une solution purement militaire.
L’année dernière, Uribe fut soumis à une pression interne intense pour faire plus d’efforts et obtenir la libération des otages, pression exercée aussi par de nombreux états d’Amérique latine ainsi que la France. Hugo Chavez releva le défi et, malgré l’absence de coopération d’Uribe, réussit à faire avancer les choses.
Les FARC vont rapidement désigner de nouveaux commandants, mais le massacre délibéré de Reyes et ses compagnons et la violation de la frontière équatorienne va interromptre pendant longtemps le processus de négociation, ce qui était clairement l’objectif recherché par Uribe.
Richard Gott est l’auteur de "Hugo Chavez and the Bolivarian Revolution" et de "Cuba : a New History."
Traduction Le Grand Soir
http://www.legrandsoir.info
Article original : Counterpunch, 3 mars 2008
http://www.counterpunch.org/gott03042008.html
Voir le rapport officiel des services de renseignements US qui classe Alvaro URIBE, actuel président de la Colombie, "parmi les plus gros narco-trafficants Colombiens" (rapport de 1991 en anglais).
http://www.gwu.edu/~nsarchiv/NSAEBB/NSAEBB131/index.htm
Colombie : Alvaro Uribe aurait été lié au Cartel de Medellin
http://risal.collectifs.net/spip.php?article1066
Faits et chiffres sur la violence et le terrorisme en Colombie :
http://www.legrandsoir.info/spip.php?article3447
LIRE EN ESPANOL :
Emotion en Colombie : les paramilitaires colombiens avouent avoir démembré leurs victimes vivantes (avril 2007)
www.aporrea.org/internacionales/n93763.html
SITE EN ESPANOL
(sur les exhumations et fosses communes découvertes en Colombie, oeuvre des paramilitaires proches du gouvernement, avec les compliments du Plan Colombie, des Etats-Unis et d’Uribe)
Justice et Paix http://www.fiscalia.gov.co/justiciapaz/Index.htm
EN COMPLEMENT EN FRANCAIS :
Javier Giraldo : l’avenir de la Colombie : une domination des paramilitaires en "costume-cravate" http://risal.collectifs.net/spip.php?article2092
ARTICLE DE JEAN-LUC MELENCHON
Le président colombien, Alvaro Uribe, essaie de détourner l’attention du coeur de l’affaire : la violation par l’armée colombienne du territoire équatorien. Ce n’est pas une première. Les paramilitaires colombiens entrent au Venezuela assez régulièrement. Avec le lancement du « Plan Colombie », la Colombie est devenue coutumière des incursions militaires chez ses voisins. Notamment via les groupes militaires conjoints avec les Etats-Unis. Ces incursions se sont multipliées, officiellement au nom de la lutte anti-drogue. Une couverture facile pour la répression politique ou les opérations purement militaires.
Mais surtout il y a le contexte, l’arrière plan non dit. Colombie et Venezuela sont aussi en conflit frontalier sur le partage du golfe de Maracaïbo qui compte beaucoup de pétrole offshore. Les provocations d’Alvaro Uribe permettent de préparer une utile diabolisation de Chavez avant d’éventuels conflits publics à ce sujet. L’annonce par Bush de son soutien total (brrrr !) à la « démocratie colombienne » est ainsi tout un programme.
Supposons que ce soit en haine du Venezuela. Mais pourquoi ne rien dire du fait que l’Equateur, victime de l’intrusion militaire colombienne, est aussi une démocratie ! Enfin notons ce qu’il en est de cette démocratie colombienne ! Uribe est élu à chaque fois à la faveur d’un climat de terreur qui conduit la majorité de la population à ne pas voter : 56 % d’abstention à la présidentielle de 2006 où il l’a emporté avec 62 % des suffrages.
Petite mention spéciale : Alvaro Uribe n’a pas hésité à faire modifier la constitution en 2004 pour pouvoir être réélu président en 2006 ! Cette possibilité de réélection indéfinie était jusque là exclue dans la constitution colombienne de 1991. Personne n’a rien trouvé à y redire aux Etats-Unis. Pourtant une proposition similaire a été violemment dénoncée chez Chavez et par nos robots médiatiques européens.
Il est frappant de le voir dénoncer Chavez pour financement de la guérilla et autre sornettes douces aux oreilles des USA. La Colombie n’a evidemment pour l’instant apporté aucune preuve des accusations sensationnelles contre le Venezuela et l’Equateur. En matière de financements illicites ou douteux, le président Uribe ferait mieux d’être discret. En 1991, un rapport officiel du Pentagone américain (rapport du Defense Intelligence Agency publié par l’hebdo NewsWeek en août 2004) classait Uribe parmi la centaine de personnalités directement impliquées dans le soutien au narcotrafic en Colombie. En tant que maire puis gouverneur puis sénateur de Medellin, il était alors décrit par les Etats-Unis comme un « Politicien et sénateur spécialisé [dedicated] dans la collaboration avec le Cartel de Medellin dans les plus hauts niveaux gouvernementaux », « ami proche » du célèbre parrain de la drogue Pablo Escobar. Le même rapport américain précisait au passage que, loin de la légende familiale de persécution par les FARC qu’Uribe reprend systématiquement, son père, Alfredo Uribe, a été « assassiné pour ses liens avec les narcotrafiquants ».
Alvarado Uribe a obtenu que les Etats-Unis passent l’éponge en contrepartie d’un soutien indéfectible de la Colombie à leur politique impériale dans la région. Ce n’est pas tout. Comme gouverneur de Medellin, Uribe a aussi directement soutenu la mise en place des réseaux paramilitaires (Autodéfenses Unies de Colombie) qui terrorisent le pays. Il a contribué au climat d’impunité dont ils jouissent. A Medellin puis au Sénat, il est devenu un spécialiste des « techniques de gestion des conflits », notamment par la militarisation des populations civiles et le développement de la délation. Il a notamment soutenu le général « pacificateur », Rito Alejo del Rào, commandant de la 17e Brigade, qui s’est illustrée par de multiples exactions et massacres de masse.
Voila ce qu’est la figure de proue de la « démocratie colombienne » ! Où peut-on le lire ou l’entendre ? Reste le résultat. L’assassinat du numéro 2 des FARC Raul Reyes fragilise les possibilités de libération des otages. Dont Ingrid Bettancourt. Alvarado Uribe manipule l’opinion internationale. Faut-il l’aider en laissant dire ?
http://www.jean-luc-melenchon.fr/?p=578