La question ossète est bien connue de tous les diplomates. Dans la mosaïque ethnique caucasienne, elle occupe une place particulière en ce sens que le peuple ossète - unifié autour d’une langue voisine du persan et qui n’a rien de commun avec le géorgien, majoritairement de confession orthodoxe contrairement aux géorgiens chrétiens « indépendants » - est installé des deux côtés de la barrière caucasienne et il est le seul groupe caucasien dans ce cas.
Tant que l’Ossétie du Nord et l’Ossétie du Sud n’étaient que deux divisions administratives de l’URSS, les Ossètes ne se sentaient pas étrangers les uns aux autres. La disparition de l’URSS les a séparés politiquement, l’Ossétie du Nord devenant une république de la fédération de Russie et l’Ossétie du Sud se voyant ravalée au rang de région de la Géorgie indépendante. Comme les Ossètes du Sud n’acceptaient pas ce nouveau statut, le premier chef d’Etat de la nouvelle Géorgie, GAMSAKHOURDIA, a voulu régler le problème par la force. Ce fut donc la première guerre d’Ossétie, guerre de type ethnique donc civilement désastreuse puisqu’elle suscite de la haine entre concitoyens. La mort du président géorgien et son remplacement par l’ex-ministre soviétique CHEVARDNADZE permit de rétablir le calme. Un accord de cesser le feu fut donc conclu entre lui et BORIS ELTSINE. Qu’à l’époque ces deux dirigeants n’aient pas trouvé une réponse durable à la question ossète - mais ils avaient d’autres préoccupations immédiates dans la grande débâcle soviétique - n’enlève rien au fait qu’ils ont assuré le calme pendant 16 ans.
C’est donc au nom d’un accord russo-géorgien entre Etats souverains qu’a été constituée une Commission mixte de coordination et que sont présents en Ossétie du Sud des soldats russes de maintien de la paix et que l’Ossétie du Sud indépendante de facto mais non reconnue par la communauté internationale a vécu tranquille jusqu’à l’arrivée au pouvoir à Tbilissi de MIKHAIL SAAKASHVILI.
Celui-ci a feint d’ignorer que l’accord russo-géorgien de 1992 engageait son pays à trouver une solution politique à la question Ossète et à garantir la paix.
Certes POUTINE n’est pas ELTSINE mais en droit international un accord entre Etats s’il n’est dénoncé officiellement reste en vigueur même si les dirigeants changent.
Il est notoire que la Russie a respecté ses engagements y compris ceux de fermer dans les délais fixés les bases militaires qu’elle avait encore en Géorgie, simples restes de l’ère soviétique.
L’agression géorgienne du 8 Aout est donc une violation consciente et organisée d’un accord international, aspect délibérément ignoré par les 3 » occidentaux » du Conseil de Sécurité » et à leur suite par tout l’orchestre médiatique de la soi-disant « communauté internationale » dans son tintamarre mensonger. Ce contrat si brutalement déchiré est dans l’esprit des agresseurs destiné à permettre le remplacement des soldats russes de maintien de la paix par des Casques Bleus qui seraient, on s’en doute, gracieusement mis à disposition par les ennemis intimes de la Russie : polonais, ukrainiens, estoniens... le choix est large !
Cette agression est tout sauf une improvisation ou un coup de chaleur d’un dirigeant énervé. Que ce personnage ait, depuis sa prise de pouvoir, manifesté un activisme pro-occidental forcené n’est pas pour surprendre. Il avait été choisi pour ça. Pour mieux le décrire, nous avons choisi de donner la parole à SALOME ZOURABICHVILI qui a été son ministre des Affaires étrangères en reproduisant in fine une partie d’un article publié le mois dernier par la revue de géopolitique HERODOTE.
Quelques mots pour présenter SALOME ZOURABICHVILI mieux que ne le fait HERODOTE.
De nationalité française, elle a des grands parents géorgiens. Après avoir fait l’ENA, elle rentre au Ministère des Affaires étrangères où elle sera une collaboratrice très proche d’ALAIN JUPPE au moment du passage de celui-ci au Quai d’Orsay (Gouvernement Balladur). Elle ne peut être soupçonnée ni de sympathies pour la gauche française ni pour le socialisme soviétique et représentera souvent la France dans des réunions de l’OTAN. Lorsque SAAKACHVILLI s’installe au pouvoir en Géorgie il rend visite à JACQUES CHIRAC et lui demande de la lui envoyer à Tbilissi pour en faire son Ministre des Affaires étrangères. CHIRAC accepte et elle retrouve aussitôt, avec son fauteuil de Ministre, la nationalité de ses ancêtres dont elle maitrise parfaitement la langue.
Le programme fixé par l’Internationale Capitaliste réactionnaire, l’Internationale Noire (Etats-Unis, Israel, et aujourd’hui France et Union Européenne) à la Géorgie nouvelle est simple : être une écharde empoisonnée plantée dans la chair russe en servant de base arrière à tous les dissidents antirusses du Caucase Nord (Tchétchénie, Daghestan), récupérer par tous moyens les trois provinces géorgiennes indépendantes de fait ( Adjarie - ce qui a été fait - Ossétie du sud, et Abkhazie*) et faire rentrer la Géorgie dans l’OTAN pour achever l’encerclement de la Russie cette fois par le Sud. C’est la vieille stratégie du ROLL-BACK anti- communiste telle que la pratiquait déjà JOHN FOSTER DULLES. La haine de la Russie a simplement remplacé la haine du bolchévisme, l’ambition géostratégique impériale demeure. Que la politique intérieure ne produise aucune amélioration dans les conditions de vie du peuple géorgien, ce dont se plaint SALOME ZOURABICHVILI est le cadet des soucis et de SAAKASHVILI et de ses sponsors.
Bien que la popularité de SAAKASHVILI soit en recul ou peut-être parce qu’elle est en recul et que les objectifs de l’Internationale Noire doivent à n’importe quel prix être atteints avant qu’il ne soit chassé du pouvoir par une opposition encore divisée mais réelle, la Géorgie va multiplier début 2008 les incidents frontaliers les attaques et les survols menaçants du territoire sud-ossète. La capitale de l’Ossétie du Sud, TSKHINVALI n’est qu’à 5 km de la frontière et un canon bien orienté peut faire des dégâts !
BUSH n’ayant plus que quelques mois pour entamer une nouvelle guerre et la laisser en héritage à son successeur, les préparatifs se sont donc accéléré. En outre la menace (fausse jusqu’à présent car les militaires US refuseront de s’engager dans un conflit énorme qu’ils pourraient perdre ) d’un affrontement militaire direct Russie Etats-Unis est probablement la meilleure façon d’assurer la victoire de Mac Cain aux présidentielles Le budget militaire de la Géorgie a cru vertigineusement (+ 60 % en un an) les conseillers militaires et les mercenaires étasuniens ont vu leur nombre croitre, la France après avoir sous Chirac participé à la formation des troupes de montagne géorgienne a ,sous Sarkozy, assuré celle des garde-côtes, Israel a pris toute sa place dans l’opération. Le rôle joué par Israêl mérite d’être précisé : depuis 7 ans, Israel, grand exportateur d’armes en général est devenu un fournisseur régulier de la Géorgie, a assuré la formation de la nouvelle armée georgienne et le ministre de la défense géorgien , DAVID KEZERASVILI, est un ancien citoyen israélien tout comme son collègue TEMUR YAKOBASHVILI.
L’attaque militaire massive de l’Ossétie du sud aurait pu avoir lieu n’importe quand. Mais le choix du 8 Août montre qu’il s’agit d’une opération mûrement réfléchie et organisée au plus haut niveau de l’Internationale Noire.
Elle a eu lieu après que le 7 Août au soir SAAKASHVILI ait annoncé à la télévision géorgienne qu’il avait ordonné l’arrêt des attaques sporadiques de l’armée géorgienne sur l’Ossétie du Sud. A cette occasion SAAKASHVILI a rejoint le Colombien URIBE au tableau d’honneur des fourbes et des félons de l’Internationale Noire.
Elle a eu lieu à l’heure où de nombreux chefs d’Etat ou de gouvernements assistaient à la Cérémonie d’ouverture des JO à Pékin. C’était le cas, en particulier, de Bush de Poutine et de Sarkozy.
Examinons ces trois cas :
– pour BUSH, l’opération est décidée bien avant son départ des Etats-Unis et sa tranquilité résulte du fait que l’exécution de la tâche relève ce 8 Aout d’une part des échelons inférieurs et secrets de son gouvernement d’autre part, pour la façade, du fait qu’il s’agit d’une « initiative purement géorgienne »,
– pour Poutine, sa présence à Pékin l’empêche de prendre depuis la tribune du stade olympique les mesures de riposte nécessaires dont la responsabilité va échoir à DIMITRI MEDVEDEV et il s’agit donc d’un test de l’Occident pour savoir si le nouveau Président est moins ferme que son prédécesseur face à l’encerclement occidental. Cette question a reçu très vite une réponse claire, la faille espérée par l’Internationale Noire entre MEDVEDEV et POUTINE n’existe pas
– pour SARKOZY, qui est dans le secret soit via Washington soit via Tel Aviv (soit les deux), - lire à ce sujet la biographie du personnage récemment publiée par le Réseau Voltaire que nous joignons à ce bulletin, il importe de rester le moins longtemps possible à Pékin : assez pour être vu sur les écrans ce qui est son souci premier et permanent , assez peu pour être de retour au plus vite à Paris à la tête de l’Union Européenne dans ce face à face guerrier avec la Russie et de pouvoir courir partout et pérorer comme il aime à le faire . Voilà soudain l’impresario d’une chanteuse sans voix qui se retrouve au coeur d’une tourmente internationale de grande ampleur.
Quelques enseignements peuvent être déjà tirés :
1 - la Russie qui avait annoncé - discours de Poutine à Munich en Février 2006 - qu’elle en avait assez des activités occidentales antirusses est passée de la parole au geste fort. Elle l’a fait d’autant plus facilement du fait que l’agresseur est la Géorgie et que c’est la Géorgie qui a rompu unilatéralement l’accord de paix de 1992. Les membres de l’Internationale noire qui voulaient savoir jusqu’à quel niveau de provocation il était possible de monter sans que la Russie ne riposte efficacement disposent aujourd’hui d’une réponse. Le seuil est franchi et la Russie a riposté. Ce test a couté la vie à quelques milliers d’Ossètes et détruit toute une province mais cela compte pour rien dans la pensée des stratèges de l’Internationale Noire.
2 - la France se retrouve en première ligne dans un face à face dangereux avec une Russie qui ne capitulera pas alors que les tireurs de ficelle de Washington peuvent se contenter de déverser des flots de propagande où se mélangent la haine du russe, la haine du communiste et la haine de tous ceux qui s’opposent et faire avancer leur objectif de faire de l’Eurasie un champ de bataille généralisé où le minuscule Ouest, celui dont la France se croit le maitre, se confrontera au bloc massif Russie-Chine-Asie Centrale pour le plus grand profit du capital étasunien.
3 - l’Union Européenne, même si elle réussit à sauver les apparences va se diviser plus que jamais entre les va-t-en guerre Sarkoziens, Otaniens et antirusses farouches et les réalistes qui ont l’intelligence de comprendre que les intérêts des Etats-Unis ne sont pas les mêmes que ceux de l’Europe et qu’il va falloir très vite calmer SAAKASHVILI.
Les pronostics sont difficiles : en effet l’approfondissement incessant de la crise économique amorcée en Aout 2007 peut favoriser la fuite dans la guerre. Rien n’indique pour l’instant que le gouvernement français refuse cette hypothèse. Nous verrons bientôt si la France est devenue une colonie des Etats-Unis.
(*) pour l’Abkahzie la situation diplomatique est plus complexe puisque la fragile paix y est garantie par une mission de l’ONU. Les soldats russes basés en Abkhazie sont donc des casques bleus. Difficile de les faire bombarder !
EN COMPLEMENT
Paru dans le numéro 129 - 2° trimestre 2008 - d’ HERODOTE revue de géographie et de géopolitique
La Révolution des roses dans l’impasse
Entretien avec Salomé Zourabichvilii
Salomé Zourabichvilii, diplomate et femme politique, a la double nationalité française et géorgienne. Elle a été ambassadrice de France en Géorgie. Ancienne ministre des Affaires étrangères du premier gouvernement de Saakachvilii, elle entre dans l’opposition après son limogeage en 2005 et soutient désormais la coalition d’opposition derrière Levan Gatchtchiladze.
Bons Petric. Avant de devenir une actrice de premier plan de la vie politique géorgienne, vous avez été une observatrice privilégiée de la « transition » de cette ancienne République soviétique en tant qu"ambassadrice de France. Pourriez-vous rapidement caractériser le fonctionnement de la vie politique sous Chevardnadze ?
Salomé Zourabichvilii.
La vie politique sous Chevardnadze est une continuation du système Chevardnadze de la période soviétique avec une rupture : l’indépendance. Malgré l’indépendance, dans la réalité, ce système est marqué par le totalitarisme précédent. C’est une démocratie de façade dominée par un parti unique, celui du président. Les contre-pouvoirs nécessaires à l’exercice démocratique, comme la presse et les ONG, la justice, ne s’affirment que dans un lent processus et s’autonomisent progressivement grâce au soutien américain qui a été très important pendant cette période.
Lorsque nous arrivons en novembre 2003, le régime est à bout de souffle. Il se trouve confronté à une crise de tous ordres aussi bien économique, social... Il n’y pas d’Etat de droit, et finalement la Géorgie n’est pas sortie du modèle postsoviétique dans lequel des clans dominent les affaires, le népotisme est le mode de gouvernance. De plus, les liens avec Moscou restent présents, mais la Géorgie dispose d’une indépendance étatique même si elle est sous pression, son indépendance est indiscutée...
B. P. Ce petit État compte cinq millions d’habitants et occupe une position centrale, partageant des frontières avec la Russie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Turquie, non loin de la Syrie, de l’Irak et de l’Iran. Elle a immédiatement attisé les convoitises et la Géorgie a reçu une importante aide internationale, en particulier de l’Europe et des Etats-Unis, en matière de démocratisation. Avez-vous le sentiment que l’assistance à la démocratisation a joué un rôle important dans la démocratisation du pays ?
S. Z. Indiscutablement l’aide internationale et l’aide américaine en particulier ont contribué à démocratiser le pays... Tout un ensemble de programmes et d’actions a permis la naissance d’ONG, mais ils ont aussi contribué à la formation de jeunes juristes, de journalistes, c’est-à -dire tout un ensemble d’acteurs qui font le tissu démocratique d’un pays... il faut reconnaître l’importance de l’aide américaine sans pour autant la surévaluer comme certains ont tenté de le faire en présentant la révolution comme une fabrication américaine.
La vérité est entre les deux, mais il est clair que les Américains ont joué un rôle important. Le rôle européen est peu affirmé jusqu’en 2003 et la politique européenne peu orientée... C’est à partir du moment où la Géorgie entre dans la « politique de voisinage » de l’UE que tout change et là l’Europe participe aux processus de démocratisation de la Géorgie. L’UE décide de soutenir particulièrement le concept d’Etat de droit et apporte son aide aux institutions dans la perspective de contribuer à l’émergence d’un droit géorgien. Des programmes participent à la conception d’un système d’un point de vue théorique et ensuite pratique... Force est de constater qu’après quatre ans de coopération le côté pratique n’a pas marché car, si on en vient maintenant à la situation actuelle en Géorgie, le système de droit est en panne.
B. P. Chevardnadze a immédiatement mis au centre de sa politique étrangère une coopération étroite avec les instances internationales, les puissances occidentales notamment, pour lancer la démocratisation de son pays. Au-delà d’une rhétorique politique, le déploiement du soft power américain s "est traduit par un développement très important d’ONG en Géorgie. Pensez-vous que cette action a permis la naissance de nouveaux acteurs dans la société géorgienne ? Si oui, lesquels ?
S. Z. La première vague du soutien américain à la société géorgienne a été très importante pour renforcer la société géorgienne avec un tissu d’ONG, mais aussi des associations professionnelles. Il faut notamment souligner l’importance de l’association des juristes, qui est devenue un véritable lieu de pouvoir. Il a joué au moment de la Révolution des roses un rôle de fer de lance dans la démocratisation du pays... Si cette aide a eu des effets incontestables, nous devons malheureusement constater que ces nouveaux acteurs n’ont pas pour autant fait changer le système. Le système Saakachvilii retombe exactement dans les mêmes ornières que celui de Chevardnadze consistant à une accaparation sans partage du pouvoir par un petit groupe. C’est le groupe d’un parti, d’un président... On a donc un paradoxe, une société réellement en train de se démocratiser, avec des aspirations de plus en plus affirmées, et un système de pouvoir qui reste non démocratique car il lui manque l’essentiel, c’est-à -dire des contre-pouvoirs.
B. P. Pouvez-vous nous parler en particulier du fonctionnement et du rôle de la fondation Soros et de l’institut des libertés en Géorgie ?
S. Z. Ces institutions ont été le berceau de la démocratisation, notamment la fondation Soros... toutes les ONG qui gravitaient autour de la fondation Soros ont indéniablement porté la révolution. On ne peut pas pour autant arrêter l’analyse à la révolution et on voit clairement que, après, la fondation Soros et les ONG ont été intégrées au pouvoir. Elles ont abandonné l’idée d’être un contre-pouvoir et ont laissé la société géorgienne encore plus démunie qu’à l’époque Chevardnadze. Cette influence se mesure encore aujourd’hui, le ministre de l’Education sortant venait de la fondation Soros et vient d’être remplacé par quelqu’un qui est lui-même issu de la fondation Soros... et ce constat est valable pour l’ensemble des ONG géorgiennes. Si l’on prend le cas du célèbre « Institut des libertés », il fait partie du pouvoir, c’est même un bras du pouvoir dans la société. Ce n’est plus quelque chose d’extérieur au pouvoir.
C’est ainsi que l’on peut dire que le régime de Saakachvilii devient encore plus monolithique que son prédécesseur car il n’y a plus d’ONG auxquelles il doit se confronter... Actuellement, les ONG indépendantes sont des ONG faibles et qui ne disposent pas de soutien financier américain suffisamment important...
Et aujourd’hui il n’y a pas de financement concurrentiel, les fondations européennes n’ont pas de stratégie. Il y a quelques financements, mais rien qui permette l’émergence d’un véritable contre-pouvoir. Cette situation pervertit encore plus le système Saakachvilii car personne ne peut le contrebalancer sérieusement.
B. P. Comment expliquez-vous votre rapide mise à l’écart du gouvernement Saakashvilii ?
S. Z. Il y a plusieurs raisons à cela. Dès le départ j’ai été un corps étranger pour la nouvelle élite au pouvoir qui a été constituée tout de suite par des éléments de l’ancienne nomenklatura... d’ailleurs, sur la question de la circulation des élites, c’est plus une continuation qu’une révolution.., donc la nomenklatura a occupé le champ du pouvoir. Par exemple, ils monopolisent les trois quarts des postes de commission au Parlement... Donc moi, une femme européenne qui arrive avec mes valeurs et mes principes, je deviens rapidement un corps étranger à tout cela... De plus, j’ai essayé d’introduire des réformes au sein du ministère des Affaires étrangères et j’ai touché inévitablement aux intérêts économiques de certains clans... Il faut savoir qu’à l’époque de Chevardnadze un poste d’ambassadeur est avant tout un fief, c’est-à -dire qu’un ambassadeur achète sa charge. Son salaire est faible mais le pouvoir l’autorise à faire des affaires dans le pays où il est nommé... Vous comprenez qu’introduire un recrutement par concours, faire un code des droits et devoirs des fonctionnaires leur interdisant notamment de mener des activités économiques... tout cela allait complètement à l’encontre de la réalité du pouvoir... Aujourd’hui, il faut le dire, Sakavchilii a restauré exactement le même système et les ambassades continuent à être considérées comme des prébendes. Un troisième facteur a joué dans mon éviction, c’est l’orientation de la politique étrangère, j’ai été remerciée au moment où je venais de réussir une négociation très importante pour notre pays : le départ des bases militaires russes... J’étais proche de conclure un règlement des conflits en collaboration avec l’OSCE et les Américains... Je suis donc remerciée en novembre 2005 et mon départ correspond à un durcissement de ton à l’égard de la Russie, à l’augmentation des tensions dans les territoires en conflit. Au-delà de mon propre sort, on peut regretter que mon départ mette un terme à un horizon de pacification qui est absolument nécessaire pour l’avenir.
Tout cela s’est déroulé à l’aide de méthodes dignes des grands procès en vigueur en 1937. Les explications officielles ont manqué totalement d’argumentation crédible. On a préféré parler de soupçon de corruption et d’incompétence à mon égard... Il faut d’ailleurs remarquer que cela a déclenché les premières manifestations critiques à l’encontre du régime Saakachvilii.
B. P. Comment caractériseriez-vous la jeune garde qui a pris le pouvoir autour de Saakachvilii ? Comment expliquez-vous que ces jeunes se réclamant de la démocratie en viennent aujourd’hui à mettre en oeuvre des pratiques politiques douteuses pour se maintenir au pouvoir ?
S. Z. L’explication, je dirais que c’est tout simplement être grisé parle pouvoir... ce qui arrive à tout groupe qui prend le pouvoir quand il n’y a pas de contre- pouvoir. On peut peut-être mettre cela aussi sur le compte de la jeunesse qui tire du pouvoir une ivresse. On est dans un système étrange, toute cette jeune génération qui travaillait au sein de ces ONG a été intégrée au pouvoir. La principale chaîne privée, Roustavi 2, qui a été au coeur du changement pendant la Révolution des roses, est devenue la « chaîne des gens qui ont gagné », elle en a d’ailleurs un temps fait son slogan publicitaire. Toutes ces institutions dans lesquelles les Géorgiens avaient mis tant d’espoirs ne sont plus indépendantes. Il n’y a plus de télévision d’opposition. Le Parlement est composé de trois quarts de députés à la solde du gouvernement... Le système judiciaire, qui était déjà imparfait, est en piteux état. C’est d’ailleurs probablement ce qu’il y a de plus imparfait, malgré les efforts entrepris par l’UE. On peut dire sans détour que le pouvoir judiciaire est dominé par l’argent... depuis l’arrivée du système Saakachvilii, on a assisté à une perversion du système et on peut malheureusement dire que l’on va de plus en plus vers un régime paratotalitaire.
EN COMPLEMENT
Les Loups sont entrés dans Riga (hommages aux anciens bataillons SS)
http://socio13.wordpress.com/2008/08/13/les-loups-sont-entres-dans-riga/