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Paiement au mérite, ou promotion lèche-cul ? Surveillons notre langage : soyons grossiers !

Un serpent de mer revient hanter les eaux de la fonction publique : le paiement au mérite.

J’évoque souvent mon anti-carrière de petit prof chahuté en exil. Je n’ai jamais eu aucun mérite, j’en parle donc à l’aise.

Comment appeler quelqu’un qui propose d’instituer ce qui existe déjà ? Un menteur ? Un escroc ? Un enfoiré ? Evitez « fils de pute », ces dames ne le méritent pas.

Car on va donc payer les profs au mérite. Enfin ! Sauf que... c’est déjà le cas !

Prenons mon anti-carrière de non-méritant et la carrière d’un méritant du même âge. Précisons tout de suite que je n’ai pas de jalousie, sinon celle, sans rapport avec les finances, d’avoir vu bien des collègues plus heureux que moi dans notre métier. Pour une fois, le mot « méritant » sera employé sans ironie aucune !

Déjà, lorsque nous étions étudiants, le méritant qui avait vraiment la vocation et le niveau, il passait à dix-huit ans le concours de ce qu’on appelait les IPES, disparus depuis. Cet étudiant était payé comme un prof débutant s’il s’engageait à rester dix ans dans l’Éducation nationale. Moi, un peu paumé, sans vraie vocation et pas très doué, j’avais un premier échelon de bourses représentant pour un an environ deux mois de son salaire, et que je perdais quand je redoublais.

Cet étudiant méritant décrochait bien sûr brillamment l’agrégation à vingt-et-un ou vingt-deux ans et commençait à être payé en conséquence. Moi, je me traînais jusqu’à un CAPES, le grade en dessous de l’agrégation, obtenu à vingt-sept ans, avec mention « passable », faute d’une mention « médiocre ». Je prenais donc déjà, pour gagner vraiment ma vie, cinq ans de retard sur lui.

Par la suite, si cet agrégé était un bon prof aux yeux de l’inspection et de l’administration, pas comme moi, il grimpait les échelons à la vitesse appelée « grand choix », pendant que je les gravissais à l’ancienneté, c’est à dire le plus lentement possible. Et toujours avec un grade inférieur au sien.

Longtemps avant sa fin de carrière, il passait bien sûr « hors-classe », c’est à dire qu’il montait encore de quelques échelons au delà du maximum prévu de onze. Moi, à soixante ans, j’étais au onzième échelon de la classe normale. Je suis certes passé hors-classe la dernière année, mais c’était l’année supplémentaire imposée par la réforme Woerth. J’ai donc juste un peu amorti les dégâts de la décote pour ma retraite.

Il va de soi que le méritant est parti avec quelques 2800 € de retraite. Je le sais par une collègue dans ce cas qui m’a montré ses papiers tellement elle était contente. Et moi, je l’étais pour elle car, parent d’un de ses élèves en même temps que collègue, j’estimais qu’elle était mal payée de l’heure tellement elle bossait pour ses potaches, contrairement à ce que croient généralement nos ministres. Moi, je suis parti avec les 1800 €rypto-dollars que j’escomptais.

Bref, sur l’ensemble de notre carrière et après déjà quelques années de retraite, le méritant aura gagné pifométriquement au moins une fois et demie plus que moi, mieux payé pendant plus longtemps.

Les profs sont donc payés au mérite. On peut toujours contester la manière dont ce mérite est évalué, mais on ne peut pas dire, comme nos gouvernants, que la paye des fonctionnaires est uniforme. Car dans les autres métiers de la fonction publique, c’est pareil, l’ancienneté n’est que le mode de promotion le plus lent.

Donc, quand les princes qui nous gouvernent parlent d’introduire un paiement ou une promotion au mérite, autrement dit d’instituer ce qui existe déjà, ils ont des arrières pensées. Ce qu’ils veulent en réalité, c’est supprimer les quelques garde-fous comme les commissions paritaires chargées, autant que possible, d’éviter le piston ou la brimade. Ces princes veulent que les promotions soient à la discrétion du grand ou du petit chef, jusqu’à lui donner le pouvoir de révoquer quiconque lui dit « non », voire seulement « oui, mais... ».

Je rappelle que je ne parle pas pour moi. J’ai connu une collègue, chargée de la formation continue car considérée comme bonne prof par les inspecteurs pédagogiques. Mais cela dérangeait la principale du collège, obligée d’en tenir compte pour faire les emplois du temps. Du coup, cette principale s’acharnait à emmerder cette collègue et à maintenir sa note administrative au plus bas. Si elle avait eu le pouvoir que veulent lui donner nos gouvernants, je vous dis pas le massacre. Et encore, je parle d’une prof bien vue des inspecteurs, ce qui la protégeait.

Absurdité quand tu nous tiens ! Il paraît que le critère pour juger un prof méritant serait les résultats de ses élèves. Non ? Sans blague ! Je peux témoigner d’une chose que, je pense, les collègues qui liront cela partageront : les classes qui ont le mieux réussi avec moi, et après moi dans les classes supérieures, sont celles qui m’ont le moins fatigué. Même si je n’ai pas été très heureux dans mon métier, j’ai quand même eu des groupes où faire cours était un vrai plaisir. Préparer son cours en sachant qu’il sera apprécié et ramasser de bonnes copies faciles à corriger, c’est agréable. Et ce sont ces classes qui, selon nos juges, devraient valoir des points de « mérite » ! Par contre, se crever à enseigner quelques broutilles à de véritables foires aux cancres arrivées chez vous vierges de toute connaissance et décidées à taper le bordel, ça fait de vous un fumiste sans aucun mérite.

Mais peu importe que les critères prétendument objectifs soient idiots, de toute façon, on dérapera très vite. Imaginez un syndicaliste un peu trop actif au goût de tous ses supérieurs, du proviseur jusqu’au recteur. Ses anciens élèves pourront squatter les premières places dans les classes supérieures et aux examens, il sera quand même considéré comme un prof catastrophique et une feignasse.

A propos de nos syndicalistes, justement, et autres politiques de gauche. Quelque chose me gonfle à bloc depuis longtemps, c’est leur emploi systématique du vocabulaire de l’adversaire.

D’où le titre de cet article, dont le « déclencheur », comme disent les criminologues, a été l’éditorial de Patrick Apel-Müller dans l’Huma du 2 février. Mais uniquement parce qu’il me fait repenser à des articles de « L’Université Syndicaliste » d’il y a vingt ans, ou dix, ou d’aujourd’hui, et hélas, à ce que je crains d’y trouver à l’avenir.

Régulièrement, on trouve sous la plume ou dans la bouche de ces messieurs-dames des déclarations comme quoi ils sont contre le mérite.

Pourtant, aucun n’aurait l’idée de dire que c’est un défaut d’avoir du mérite. Imagine-t-on un conseil de classe avec des profs majoritairement membres du SNES qui reprocherait son mérite à un élève ? Imagine-t-on tout ce beau monde méprisant une mère qui élève seule ses gosses et qui le fait bien parce qu’elle a du mérite ?

Nos dirigeants politiques et syndicaux ne font pas assez attention à ce qui fait la force de la bourgeoisie : elle a une grande maîtrise du langage. Elle n’emploie pas les mots au hasard. Pour le sujet qui nous intéresse, les bourgeois savent que pour tout le monde, y compris pour leurs opposants les plus à gauche, avoir du mérite, c’est bien.

La proposition de payer soi-disant au mérite est très habile. Un chef d’œuvre de démagogie. Ces gens-là savent très bien que devant les téloches dans les salles de séjour et au bistrot, tout ce que la France compte de moutons et de chèvres va approuver. Forcément ! Récompenser ceux qui ont du mérite, c’est forcément juste !

Et c’est là, pendant que le troupeau louche sur l’écran, que la baronne Anne-Sophie Pujadas-De-La-Taie-D’Oreiller va tendre le micro à un syndicaliste qui va se déclarer « opposé au mérite ».

Il y pense, lui, au tas de beaufs devant leur télé ? Non, bien sûr ! Lui, il ne fréquente guère que des militants qui savent ce que cachent les propos du ministre. Alors, il emploie le même langage que lui, en supposant que tous le téléspectateurs comprennent. En fait, il ne suppose même pas, il est juste incapable de voir le niveau réel des masses.

A quelque chose malheur est bon. Je vis isolé parmi des réacs qui croient que c’est être de gauche d’avoir voté Hamon ou Macron au premier tour de 2017. C’est dire si je connais bien les 80 à 90% de la population que justement, nos dirigeants politiques et syndicaux ignorent.

Pour cette immense masse, il faudrait commencer par traduire systématiquement en bon français le langage de la vraie droite et de la fausse gauche.

On ne dit pas « privatisation », mais « reprivatisation ». On ne dit pas « ultra-libéralisme », mais « ultra-capitalisme ». On ne dit surtout pas « populisme », mais « démagogie », et j’en passe, tout un dictionnaire.

Et on n’hésite pas à être grossier pour être compris. Depuis des décennies que les émules des soi-disant adversaires Madelin et Rocard nous bassinent avec le nécessaire « paiement au mérite », je parle systématiquement de « promotion lèche-cul ». Mais je me sens très seul, moi le simple citoyen sans audience, pendant que mes dirigeants se déclarent opposés au « mérite ».

Alors, Messieurs-Dames les politiques et syndicalistes, si vous voulez enfin être compris des masses et entrouvrir les yeux aux électeurs des réacs qui nous gouvernent, s’il vous plait, surveillez votre langage, et au besoin, soyez grossiers !

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Michael PARENTI
Analyste politique progressiste de tout premier plan aux États-Unis, Michael PARENTI, docteur en Sciences Politiques de l’Université de Yale, est un auteur et conférencier de renommée internationale. Il a publié plus de 250 articles et 17 livres. Ses écrits sont diffusés dans des périodiques populaires aussi bien que dans des revues savantes, et ses textes engagés l’ont été dans des journaux tels que le New York Times et le Los Angeles Times. Ses livres et ses conférences, informatives et (...)
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