En reconnaissant Jérusalem occupée comme la capitale de l’État d’occupation israélien, le président américain Donald Trump a mis une balle dans le pied de ses alliés « arabes sunnites » du Golfe arabe – principalement l’Arabie saoudite et l’Égypte.
Il a également allumé la mèche d’une intifada qui pourrait durer des mois, voire des années, et qui sera le prélude d’une guerre régionale qui remodèlera la carte de la région, l’équilibre des pouvoirs et les alliances.
Le pari de Trump, salué par le premier ministre israélien Binyamin Netanyahou et le lobby israélien à Washington, a marginalisé les deux principaux alliés arabes des Etats-Unis, l’Arabie Saoudite et l’Egypte, et a considérablement renforcé la position de deux Etats non arabes, l’Iran et la Turquie, qui sont en compétition avec eux pour le leadership du monde islamique et de ses autorités religieuses.
Le fait que le commandant iranien Qassem Soleimani en appelle publiquement aux dirigeants des ailes armées des groupes palestiniens et offre tout son soutien aux forces de résistance contre Israël, montre l’émergence de l’Iran en tant qu’allié principal des Palestiniens et de leur intifada à un moment où la plupart de ses rivaux arabes du Golfe sont en train de normaliser leurs relations avec l’Etat israélien et de se rendre complices de Trump dans la judaïsation la ville sainte.
Soleimani a gagné toutes les campagnes qu’il a menées. Il est intervenu au Kurdistan irakien et y a contrecarré le référendum. Il a combattu aux côtés de l’armée syrienne pour aider l’État syrien à reprendre le contrôle de la majeure partie du pays. Il a fondé les Unités de Mobilisation Populaire (UMP) en Irak et les a aidées à reconquérir Mossoul et la plupart des autres villes irakiennes. Et le voilà maintenant qui commence à s’occuper d’Israël et de Jérusalem occupée, tandis que les potentats arabes ne font que dépenser leur argent en produits de luxe et engraisser leurs armées désœuvrées.
L’Arabie saoudite a misé sur la création d’une alliance arabo-islamique sunnite pour contrer l’expansion de l’influence chiite iranienne. Mais la crise actuelle sur Jérusalem a porté un coup dur à cette ambition, en favorisant l’émergence d’un front islamique qui inclut les deux Etats régionaux les plus puissants – la Turquie sunnite et l’Iran chiite – et qui s’unit aux peuples arabes, chrétiens inclus, sur une base non sectaire ou non confessionnelle pour affronter Israël et son allié Trump et pour obliger le monde à voir le conflit sous son vrai jour, à savoir celui d’un peuple opprimé par un Etat colonisateur raciste et sans merci. Ce n’est pas un changement qu’Israël et ses alliés de l’alliance « sunnite modérée » avaient anticipé.
La lutte contre le projet raciste de colonisation israélienne est maintenant au sommet des priorités irano-turques et arabo-musulmanes, comme en témoigne le sommet islamique convoqué cette semaine en Turquie pour discuter de Jérusalem. Il convient de noter que l’Arabie saoudite s’est dissociée à l’avance de la conférence et de ses travaux en se faisant représenter par son ministre des Affaires islamiques – le niveau de représentation le plus bas possible – et que l’Égypte n’envoie que son ministre des Affaires étrangères, ce qui signifie que les deux gouvernements jouent un rôle de moins en moins grand dans une question qui revêt une importance capitale pour le monde islamique.
Dans son discours de lundi soir, avant une grande manifestation dans la banlieue sud de Beyrouth, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a immédiatement tiré profit de ce revirement stratégique en déclarant que son parti et ses alliés allaient désormais se recentrer sur la cause palestinienne après leurs victoires remportées ailleurs dans la région (une allusion à la Syrie, à l’Irak et au Yémen).
La réalisation stratégique la plus importante des Iraniens dans la région a été la création d’organisations paramilitaires populaires et non officielles parallèlement aux armées officielles – comme la Garde révolutionnaire en Iran, les Unités de Mobilisation Populaire (UMP) en Irak, le Hezbollah au Liban, l’Ansarullah Houthi au Yémen, le Hamas et le Djihad islamique en Palestine occupée – capables de mener une guérilla efficace et décisive, et à qui elle a fourni des missiles assez puissants pour dissuader leurs ennemis puissamment armés par les Etats-Unis.
Le soulèvement populaire palestinien qui a éclaté à Jérusalem l’été dernier et qui a forcé Netanyahou à abandonner sa tentative de fermer la mosquée al-Aqsa a cessé dès que les exigences immédiates des manifestants ont été satisfaites. C’est parce qu’il était spontané, non organisé, et qu’il ne recevait pas de soutien extérieur. Ce serait différent dans le cas d’une nouvelle intifada, car elle serait soutenue par un élan populaire arabe et islamique sans frontières, d’importantes organisations et de grands pays islamiques.
Trump mérite notre gratitude pour sa décision sur Jérusalem, car elle a uni le monde islamique et porté un coup mortel à la division sectaire entre les Sunnites et les Shiites. Elle a isolé ses alliés arabes qui normalisent leurs relations avec Israël et deviennent ses alliés ou ses amis. Il les a privés de la direction du monde islamique et a marginalisé leur rôle. Et, plus important encore, il a mis ses alliés israéliens dans une situation dangereuse qui devrait les inquiéter et les alarmer.
Un message fort aux adeptes arabes de la normalisation qui soutiennent Trump et sont complices de sa décision provocatrice et raciste, a été adressé par les Palestiniens à la délégation du Bahreïn quand elle est arrivée en Israël cette semaine. Elle a été accueillie avec colère par les habitants de Jérusalem-Est : l’accès de la mosquée d’al-Aqsa lui a été refusé par les gardes locaux, et l’accès à la bande de Gaza lui a été interdit par des manifestants qui ont menacé de lancer des chaussures contre ses membres.
Tout cela montre que l’humeur d’une grande partie du public arabe a changé et que l’avenir nous réserve bien des surprises.
Abdel Bari Atwan
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Traduction : Dominique Muselet