Abdel Bari Atwan - Avant « l’accord du siècle », les alliés arabes de Trump tentent de forcer les Palestiniens à capituler.
La célébration, la semaine dernière, du transfert de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem occupée – qui vient conforter la volonté d’Israël de faire de Jérusalem sa capitale éternelle le jour du soixante-dixième anniversaire de sa prise de contrôle de la Palestine – a été la première étape essentielle de ce qui conduira, comme l’espère l’administration Trump – et si tout se passe bien – à l’effondrement total et définitif de la cause palestinienne.
En déplaçant l’ambassade en toute hâte pour faire coïncider son transfert avec l’anniversaire de la Nakba, les États-Unis et Israël ont lancé un « ballon d’essai » pour mesurer les réactions arabes et internationales avant de dévoiler « l’accord ».
Malheureusement, les réactions ont été insignifiantes dans la plupart des territoires palestiniens occupés à part la bande de Gaza où des manifestations de masse ont eu lieu pendant six semaines consécutives, au cours desquelles plus de 100 personnes ont été tuées et 3 000 personnes blessées par des tireurs d’élite israéliens. Il en a été de même pour la réaction de la plupart des capitales arabes et islamiques.
Les « fuites » visant à promouvoir l’accord ont commencé vendredi par le biais de l’agence Associated Pressnews qui a révélé que, selon cinq responsables étasuniens anonymes, le président Donald Trump prévoyait de dévoiler son plan – dressé principalement par son gendre Jared Kushner et l’envoyé « pour la paix » Jason Greenblatt sous la supervision directe du premier ministre israélien Beyjamin Netanyahou – à la fin du mois de juin, après le Ramadan.
La réaction arabe officielle au déplacement de l’ambassade et au massacre israélien à Gaza n’a pas été seulement insignifiante, en fait, elle a mis en lumière la complicité et la duplicité des principaux alliés arabes des États-Unis – en particulier l’Égypte, la Jordanie et la plupart des États du Golfe – quand il s’est avéré qu’ils étaient au courant des détails du projet d’accord étasunien. Ils se sont bien gardés de convoquer un sommet arabe d’urgence, et leur participation au sommet islamique convoqué par le président turc Recep Tayyip Erdogan (à l’exception de la Jordanie) a été minimale, la plupart des États du Golfe (à part le Koweït) étant représentés par leurs ministres des Affaires étrangères. Le fait que les États arabes qui entretiennent des relations diplomatiques officielles avec Israël (Égypte et Jordanie) n’aient pas osé rappeler leurs ambassadeurs ou expulser des diplomates israéliens de leurs capitales en signe de protestation – bien que des mesures de ce type aient été prises par des pays non arabes comme la Turquie, la Bolivie, l’Afrique du Sud, l’Irlande et la Belgique – est significatif. Cela pourrait être le prélude de développements encore plus choquants dans les mois à venir.
Pendant ce temps, à la demande des États-Unis, le président égyptien Abdel Fattah a convoqué le chef du Hamas Ismail Haniyeh de Gaza au Caire – il a envoyé un avion privé le chercher avec sa délégation à l’aéroport d’al-Arish – pour le convaincre de mettre un terme aux Marches du retour, de calmer la situation dans la bande de Gaza, et de discuter de la proposition d’une trêve de dix ans avec Israël. Des membres du Hamas ont laissé entendre qu’une sorte d’accord, qui aboutirait à la levée du siège de Gaza, pourrait être dans les tuyaux.
Les Etats-Unis et ses clients arabes continuent à user du bâton et de la carotte avec les Palestiniens ou plutôt avec leurs dirigeants en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Le bâton, c’est la menace de couper l’aide financière et de durcir le siège, et la carotte, c’est la promesse d’argent arabe et occidental pour les territoires occupés en échange de l’abandon de Jérusalem, du droit au retour et de la signature de l’accord.
La décision inattendue et sans précédent de Sissi de rouvrir le point de passage de Rafah vers Gaza pour le Ramadan avait pour but d’ouvrir la voie à un accord aux termes duquel les manifestations de la Marche du retour seraient stoppées ou réduites et la colère du peuple serait apaisée par la perspective d’une amélioration des conditions de vie. C’est du moins l’idée, maintenant que les habitants de Gaza, sous la direction du Hamas, ont gâché les célébrations de l’ambassade et exposé au grand jour l’horrible visage terroriste d’Israël. Mais les choses pourraient ne pas se dérouler comme prévu si la direction du Hamas refusait la carotte américaine qui lui est offerte sur une assiette arabe. L’issue de la rencontre est incertaine : au sein du Hamas, il y a un fort courant réfractaire.
Les détails qui ont fuité jusqu’à présent sur la nature de « l’accord » de Trump portent sur un élargissement de la bande de Gaza en incorporant 720 kilomètres carrés de la péninsule égyptienne du Sinaï, y compris peut-être les villes d’al-Arish et de Sheikh Zuweida, où un port et un aéroport seraient construits. En retour, l’Égypte obtiendrait une superficie équivalente du territoire palestinien occupé dans le désert du Naqab. De plus, Neom, une métropole ultra-moderne en projet, serait construite dans la zone frontalière égypto-jordano-saoudienne, attirant 500 milliards de dollars d’investissements, créant de nombreux emplois et attirant des investissements indirects supplémentaires dans l’économie égyptienne. La Cisjordanie, pour sa part, ne se verrait offrir que la « paix économique » et une plus grande autonomie administrative.
Le gros bâton que brandissent les États-Unis, c’est la menace de priver l’Autorité palestinienne (AP) de toute aide financière si elle refuse de valider ce plan. Ils ont déjà gelé 200 millions de dollars sur le budget de cette année, et 65 millions de dollars supplémentaires sur le budget de l’UNRWA. Les Etats du Golfe, quant à eux, menacent la Jordanie de la priver d’aide financière avec le même objectif : forcer le pays et ses résidents palestiniens à accepter « l’accord » ou alors tant pis pour eux. Le processus de marginalisation de la Jordanie est en cours et son influence devrait encore diminuer.
Dans les États du Golfe, il y a une campagne médiatique de plus en plus intense pour discréditer le peuple palestinien dans l’opinion publique – elle va jusqu’à prétendre qu’ils ont vendu leurs terres aux Israéliens et ne méritent donc pas d’être soutenus. L’« armée électronique » des propagandistes des médias sociaux des États du Golfe se consacre pleinement à cette campagne contrôlée et coordonnée, de même que d’éminents écrivains pro-régime, pendant que le processus de normalisation avec Israël se poursuit. Tout cela fait partie de la contribution des régimes du Golfe à « l’accord » de Trump. De même que l’arrestation récente de cinq militants et militantes saoudiens connus pour leur opposition à la normalisation. On peut s’attendre à d’autres opérations de ce genre.
Il faut ajouter à cela, les attaques contre l’axe de résistance dans toute la région, les frappes sur des positions iraniennes en Syrie par des avions de guerre et des missiles israéliens, les sanctions contre Hassan Nasrallah du Hezbollah et neuf autres chefs de parti, et l’inscription des branches politiques et militaires du parti sur la liste des « terroristes ». Toutes ces mesures s’inscrivent dans le droit fil des mesures américaines visant à imposer « l’accord du siècle », en exploitant la faiblesse actuelle des mondes arabe et islamique, sachant que c’est une opportunité historique qui ne se reproduira pas.
Il ne serait pas surprenant qu’Israël annonce bientôt qu’il ratifie l’Initiative de paix arabe saoudienne de 2002 – moins ses principales dispositions, bien sûr, et seulement si la question du statut de Jérusalem occupée est réglée et retirée pour toujours de la table des négociation. Il y aura probablement des échanges de visites entre des officiels du Golfe et d’Israël, après le Ramadan. On dirait que nous sommes partis pour un été de normalisation, maintenant que les voiles sont levés sur cet « accord » cynique.
Abdel Bari Atwan
Traduction : Dominique Muselet