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Réhabilitons Rosa Luxemburg

ou le second meurtre de la rose rouge

«  Nous assistons à l’effondrement du vieux monde qui croule par pans entiers, jour après jour. Ce qui est le plus surprenant, c’est que la plupart des gens ne s’en aperçoivent pas et croient marcher encore sur un sol ferme. » (Rosa Luxemburg - Lettres de prison, 1916-1918)

A l’étranger, la France est connue pour ses manifestations et son histoire révolutionnaire. De 1789 à la révolution de 1830 et aux Canuts lyonnais de 1831, de 1848 à la Commune de Paris de 1871 - dans laquelle Marx et Engels voyaient l’exemple de la dictature du prolétariat, des grèves de 1936 à Mai 1968. Aujourd’hui, alors que la fin de l’Histoire a été proclamé de tous les côtés, il y a un fort sentiment d’avoir fait le tour de la question révolutionnaire et la rébellion a fait place à la résignation.
Cependant, un paradoxe de l’histoire française fait qu’aujourd’hui un nom reste trop mal connu : celui de Rosa Luxemburg. En effet, Rosa Luxemburg utilise abondamment l’histoire française dans ses textes (notamment la révolte des canuts à Lyon et la commune de Paris), elle parlait également très bien le français (allant même jusqu’à traduire certains discours de Jean Jaurès). La relation de Luxemburg à la France est donc très forte, cependant l’inverse ne semble pas vrai. Alors que le président de la République actuel appelle à copier une Allemagne qui assassine les classes populaires et moyennes, il serait plus intéressant de s’inspirer d’une certaine culture révolutionnaire allemande qui reste bien vivante à travers le souvenir de Rosa Luxemburg. Après son arrestation - avec Karl Liebknecht - en 1919, elle est sauvagement assassinée par des corps francs (Freikorps) sous les ordres d’un social-démocrate Gustav Noske (qui a également violemment réprimé la révolte spartakiste). Le problème lorsque l’on assassine un(e) théoricien(ne), c’est que son oeuvre reste vivante. Ainsi, il serait intéressant de faire une autopsie du second assassinat (intellectuel cette fois-ci) de Rosa Luxemburg par l’Histoire française afin de réhabiliter la mémoire de celle que la comédienne Anouk Grinberg nomme assez justement «  Rosa, la vie ».

Une militante de son vivant.

En France, Rosa Luxemburg était plutôt connue pour son militantisme de son vivant et pas tellement pour ses écrits. En effet, les événements révolutionnaires berlinois interpellaient une certaine presse française et surtout le journal L’Humanité. Cependant, son nom disparaissait derrière celui de Karl Liebknecht (fils de Wilhelm, fondateur du SDAP - Sozialdemokratische Arbeiterpartei - ancêtre du SPD). L’Humanité écrivait en effet sur le «  groupe Liebknecht » et le nom de Luxemburg était très rarement cité. Les lecteurs du journal fondé par Jaurès connurent donc Luxemburg au moment de son assassinat alors que le journal consacra un article entier sur le sujet (en reprenant cependant la thèse des assassins de Liebknecht et Luxemburg). Ainsi, de son vivant elle était surtout connue par une poignée de militants qui assistaient aux congrès de l’Internationale (notamment celui de Paris en 1900). En tant que théoricienne, Luxemburg était principalement connue par l’intelligentsia sachant lire l’allemand, puisque de son vivant un seul de ses textes fut traduit en français (même si d’autres textes furent écrits directement en français - notamment un texte sur Alexandre Millerand) : il s’agit de l’un des articles composant l’ouvrage Réforme sociale ou révolution (Sozialreform oder Revolution ? - publié en allemand en 1899) dans lequel elle combat le révisionnisme de Eduard Bernstein (qui semble avoir pris le pouvoir de la pensée social-démocrate en Europe aujourd’hui).

La phase principale de l’anéantissement intellectuel de Luxemburg en France : la stalinisation du Parti Communiste.

Le 30 Décembre 1920, presque deux ans après l’assassinat de Luxemburg et Liebknecht, la S.F.I.O se réunit au congrès de Tours pour discuter de l’attitude à adopter face aux événements de Russie et au parti bolchévique. A ce congrès, étaient présents beaucoup de révolutionnaires étrangers, notamment la féministe et amie de Luxemburg Clara Zetkin ou encore le révolutionnaire italien Antonio Gramsci. Lors de ce congrès eu lieu la scission la plus importante du socialisme français (entre ceux qui adhéraient aux thèses du parti bolchévique de Lénine et rejoindront ensuite la III. Internationale et les autres - menés par Léon Blum). Si la création du parti communiste français est primordiale pour la compréhension de la mauvaise réception de Rosa Luxemburg en France, l’évolution de la Russie est encore plus importante. Lorsque Lénine mourut (au début des années 1920), malgré ses recommandations, Staline devint secrétaire général du parti (à partir de 1922) et imposa de plus en plus sa vision contre-révolutionnaire. Ainsi, Trotsky se retrouva très vite isolé et les bolchéviques de 1917 se retrouvèrent emprisonnés ou assassinés. Dès la stalinisation de l’URSS, le parti communiste français se fixa donc dans la même ligne que l’URSS et restera très longtemps un parti stalinien très important (même après la mort de Staline en 1953).

Ainsi, après sa mort, Rosa Luxemburg n’était lue que par une poignée de militants antistaliniens en France. Cependant, à partir de 1924, le peu de lecteurs de Luxemburg se fit exclure du PCF. Même Boris Souvarine, l’un des fondateur du parti fut exclu et il déclara d’ailleurs : «  Rosa Luxemburg n’étant plus de ce monde pour recevoir leurs outrages, c’est à sa mémoire que s’en prirent les léninistes de 1924 ». En effet, on peut parler d’un second assassinat de Luxemburg qui n’avait pas laissé le temps à l’oeuvre de Rosa de se frayer un chemin (puisque la campagne de calomnie de Luxemburg commença très peu de temps après sa mort biologique).

Le coup fatal à la réception française de Luxemburg porté par le Front Populaire.

Lorsque les nazis arrivèrent au pouvoir en Allemagne en 1933, le biographe de Rosa Luxemburg, Paul Fröhlich (qu’elle avait connu au cours du SPD - et qui avait été exclu du Parti communiste allemand, KPD, en 1928 à cause de son opposition à Staline) voulut fuir vers la Norvège (avec un certain Frahm, futur Willy Brandt) mais fut arrêté et enfermé au camps de concentration de Lichtenburg). Ayant réussi à s’enfuir, il gagna la France ou il fut hébergé par Simone Weil. On pourrait penser que la France du Front Populaire soutenait ce type d’exilés politiques, mais ce serait s’éloigner de la réalité. En effet, la peur que le Front Populaire avait de la révolution (rappelons que c’est pour cela que le Front Populaire français a refusé d’aider les Républicains espagnols), le poussa à se méfier des personnages comme Fröhlich, qualifié «  d’élément perturbateur ». Non seulement Fröhlich fut surveillé, mais il n’avait droit qu’à des titres de séjour provisoires qu’il devait constamment faire renouveler (environ tous les 3 mois). Fröhlich cherchait à l’époque une maison d’édition afin de publier un livre sur Rosa Luxemburg, mais cette recherche n’aboutit pas. C’est seulement en 1939, qu’il réussit à publier la biographie de Rosa Luxemburg dans une maison d’édition parisienne, mais le livre était en allemand et s’il fut traduit dans beaucoup de langues, il fallut attendre 1965 afin de pouvoir le lire en français. Décidément, la France n’était pas prête à accueillir l’oeuvre de l’une des théoricienne les plus importantes du XX. siècle. Finalement, Fröhlich vivra aux Etats-Unis pendant la seconde guerre mondiale et mourut en R.F.A au début des années 1950. Il est inutile de préciser que la France de Vichy ne portait pas l’oeuvre de Luxemburg dans son coeur et ne favorisa pas sa lecture pour le public français. On peut même parler d’un front uni URSS/Allemagne nazie contre Luxemburg, Trotsky (qui était qualifié par Staline d’agent d’Hitler), etc. …

L’après 1945

Après la Seconde Guerre Mondiale, le PCF étant devenu le 1er parti de France (aux législatives de 1946, il obtint même pas loin de 29% des sièges) et était sagement rentré dans le Système en participant au gouvernement. A partir de ce moment là , on peut clairement dire que Rosa Luxemburg était foutue et ne rencontrerait jamais un lectorat français. Jusque dans les années 1960, la gauche était clairement incarnée par le seul PCF qui imposa une sorte de diktat intellectuel dénué de toute pensée critique. Dans son autobiographie, Une lente impatience, Daniel Bensaïd explique comment il s’est fait renvoyer du PCF après avoir réclamé - avec ses camarades - la réédition de Luxemburg et Trotsky (après tout, Staline était mort). C’est justement, les renvois et l’immobilisme du PCF qui offriront un nouveau souffle à Luxemburg. puisque des alternatives au PCF apparurent (comme la LCR - fondé par Krivine et Bensaïd - actuel N.P.A). A partir de la fin des années 1960, Luxemburg commença ainsi à se faire une (très petite) place dans les bibliothèques des militants français. C’est donc le mouvement de 1968 (qui aurait peut-être pu se retrouver dans les écrits de Luxemburg sur les grèves de masse) qui a offert une renaissance à Luxemburg.

La crise que traverse l’Europe actuellement, crise où il y a une sorte de consensus entre la droite et la gauche pour faire passer des mesures honteuses comme les privatisations ou la baisse des salaires en Grèce (alors que les Grecs sont en train d’en mourir) offre une nouvelle actualité à Rosa Luxemburg. Le socialisme par les réformes que proposait Eduard Bernstein semble inefficace et les «  possibilités d’adaptations » («  Anpassungsfähigkeiten ») du capitalisme (à travers le crédit entre autres, selon Bernstein) ont prouvé leur caractère destructeur. De la même manière, le repli nationaliste dans lequel plonge l’Europe devrait être combattu à partir d’armes théoriques (et pratiques) qu’offre Rosa Luxemburg. En 2010, une plaque Rosa Luxemburg a été inaugurée à Paris à l’endroit où elle vivait (21 Rue Feutrier ).

Mais dans la situation actuelle, il faudrait plus qu’une plaque.

SN

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