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Ressources en eau : la pénurie organisée.


La sécheresse a bon dos pour justifier les arrêtés de restriction d’eau. La vraie raison est ailleurs, dans l’explosion des besoins en eau quand les rivières sont au plus bas.


Que Choisir, Mai 2004.


Tous les étés ou presque c’est la même chose, des arrêtés préfectoraux restreignent l’usage de l’eau. Interdiction de laver la voiture, d’arroser la pelouse, de remplir la piscine... Ils ont été particulièrement nombreux en 2003 du fait de la sécheresse exceptionnelle qui a frappé le territoire, mais une partie des départements les reconduit chaque année. En Côte-d’Or, en Isère, dans le Gers, la Vienne et ailleurs, c’est la règle. A moins de conditions météo particulièrement pluvieuses, 2004 n’y échappera pas. L’argument de la sécheresse, en effet, n’explique pas tout. Il y a la saison, bien sûr. En été, quand il ne pleut pas, le débit des cours d’eau baisse. C’est ce que les spécialistes appellent la période d’étiage. Un phénomène naturel récurrent vieux comme le monde. La nouveauté, c’est le risque de pénurie d’eau qui y est associé de plus en plus souvent. La faute à qui ? A l’augmentation phénoménale des prélèvements d’eau les mois d’été, au moment où la ressource disponible est à son niveau le plus bas.

A priori, tout le monde est responsable. A commencer par le secteur de l’énergie, le premier à prélever, avec 25 milliards de mètres cubes par an. Suivent les ménages, avec 6 milliards de mètres cubes, puis les agriculteurs, 5 milliards et, enfin, l’industrie avec 4 milliards. Mais l’impact de ces prélèvements dépend de l’usage qui en est fait, non des volumes. Ce qui compte, c’est la consommation nette de chaque catégorie, autrement dit la différence entre le volume qu’elle prend dans les cours d’eau ou les nappes et celui qu’elle leur renvoie après usage. Du coup, le secteur de l’énergie est dédouané, il est proche du zéro impact. L’eau détournée pour refroidir les centrales thermiques et nucléaires repart à la rivière. Cette activité affecte la qualité de l’eau en la réchauffant, pas les quantités disponibles. De son côté, l’industrie restitue plus de 90% des volumes soutirés, et les ménages en renvoient les trois quarts. Le seul secteur qui consomme la quasi-totalité de ses prélèvements, c’est l’agriculture. Elle utilise 68% du total non restitué.


La faute à l’irrigation

Plus grave, alors que les autres secteurs étalent leur consommation tout au long de l’année, l’agriculture la concentre sur la période estivale. En plein été, sa part passe à 90% du total consommé dans les régions de grandes cultures, l’eau potable et l’industrie se partageant les 10% restants. En cause, l’irrigation du maïs. Presque partout, la pénurie d’eau et les arrêtés de restriction préfectoraux qui en découlent sont dus à l’accaparement de la ressource par cette culture. Comme elle ne cesse d’augmenter, les arrêtés se multiplient.

Dans le Sud-Ouest, en Aquitaine et en Midi-Pyrénées, l’agence de l’eau Adour-Garonne a fait les comptes. En douze ans, la consommation a doublé en période critique d’étiage du fait de l’irrigation. En Poitou-Charentes, les pompages assèchent des centaines de kilomètres de rivières, chaque été. Dans la région Centre, la nappe souterraine de la Beauce a longtemps assuré les besoins en eau potable et à l’industrie, soit 110 millions de mètres cubes, sans souffrir. Elle est aujourd’hui gravement menacée, tant en qualité qu’en quantité, par la surexploitation qu’en font les adeptes de l’irrigation en prélevant 500 millions de mètres cubes chaque été. C’est le résultat des pratiques intensives : la région a perdu 125 000 hectares de prairies depuis 1990 mais gagné 155 000 hectares irrigués, essentiellement en maïs. Dans toutes les zones de grandes cultures, le problème est identique (voir carte ci-dessous). Il s’aggrave depuis 1992.


Nappes souterraines et cours d’eau



Risque de pénurie d’eau. On croyait le problème réservé aux régions sèches et arides. Or, cette carte montre qu’une bonne moitié de la France est concernée. Établie par la Direction de l’eau du ministère de l’Écologie, elle répertorie les secteurs qui connaissent un déficit en eau régulier. Nul besoin d’être grand clerc pour comprendre l’origine du problème. A quelques exceptions près, elle dessine la France des zones de grandes cultures. En tête des conflits sur la répartition de la ressource, le grand Sud-Ouest. Particulièrement touché, le département du Gers. S’il ne compte que 175 000 âmes, ses 64 000 hectares irrigués consomment autant d’eau que 42 millions d’habitants !
Le Poitou-Charentes n’est pas mieux loti. Les autorités sanitaires en sont réduites à négocier la cession de certains forages d’irrigation, qui puisent une eau de bien meilleure qualité que les captages utilisés pour l’eau potable. Le monde à l’envers ! Plus au Nord, toutes les grandes plaines céréalières où, là encore, la conversion au maïs irrigué fait des ravages sur la ressource disponible. A l’inverse, le quart Sud-Est s’en tire plutôt bien. Si la Côte-d’Or et l’Isère sont dans une situation critique, la Provence et le Languedoc-Roussillon échappent aux restrictions malgré les étés secs. Une situation héritée de l’histoire. Les premiers canaux qui dérivaient l’eau du Rhône et de la Durance vers le grand Sud remontent au XIIIe siècle. Les réseaux se sont modernisés, tout en conservant ce principe ancien du transfert d’eau. La seule zone où l’agriculture peut être dédouanée, c’est le Nord. Le déficit de la nappe s’explique par l’activité industrielle. Longtemps, les industries textiles ont prélevé au-delà du rechargement de la ressource. En Bretagne, c’est la concentration d’élevages industriels, et non la culture irriguée, qui prélève au-delà des possibilités.


Les usagers mis à contribution

1992 ? L’année de la réforme de la Pac (politique agricole commune). Une date maudite pour la ressource en eau. Les primes à l’hectare les plus élevées vont au maïs irrigué. De nombreux agriculteurs s’y mettent. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Dégradation de l’eau, tant en volumes disponibles qu’en qualité.

L’état actuel des nappes souterraines et des cours d’eau, les investissements phénoménaux nécessaires pour trouver des ressources alternatives et dépolluer celles qui sont contaminées exigeraient de réduire ces surfaces irriguées. Mais ce n’est pas l’option retenue. Dans le Sud-Ouest, Jean-François Poncet, président du comité de bassin Adour-Garonne, défend avec force le maintien de l’irrigation et réclame le « développement de la ressource », autrement dit la construction de barrages. Ailleurs, on multiplie les « bassines », ces énormes réserves de substitution implantées en plein coeur des zones de grandes cultures. Autant d’infrastructures qui reposent sur une idée a priori pleine de bon sens : stocker l’eau en hiver quand elle est abondante pour la restituer en été quand elle devient rare.

Mais le bon sens recule face au coût, prohibitif, de ces équipements. Le second écueil concerne leur financement. Cette fois, on nage en plein scandale. La logique voudrait que les utilisateurs paient. La réalité est tout autre. On prélève sur les ménages. Une première fois, via leurs factures d’eau pour près de 50%, une deuxième fois, en tant que contribuables, pour une bonne partie du solde. Faire financer des outils destinés à l’irrigation par les particuliers, c’est la grande trouvaille des agences de l’eau, des conseils régionaux et généraux et de l’État. Dans le sud des Deux-Sèvres, par exemple, les treize bassines en projet sont évaluées à 7 millions d’euros. Elles seront financées à 80% par des subventions.


Cultures : le maïs irrigué, ennemi de l’eau

Mauvaise pioche pour la ressource en eau, le maïs irrigué cumule les inconvénients. Sa consommation, l’été, quand l’eau manque, bien sûr, mais aussi sa tolérance à la surfertilisation. On peut forcer sur les doses d’engrais dans le but d’obtenir un meilleur rendement. Sa saison, également. Planté au printemps et récolté à l’automne, il laisse les sols nus tout l’hiver. Faute de couverture végétale pour les retenir, les nitrates sont lessivés par les pluies puis rejoignent les rivières et les nappes phréatiques. Enfin, le maïs irrigué reçoit plus de traitements par les pesticides, qu’il s’agisse de désherbant ou d’insecticide, que la culture sèche.


Le spectre des barrages

Évidemment, ces projets sont toujours présentés sous couvert d’intérêt général, non comme des ouvrages à usage agricole. Dans le Sud-Ouest, on parle de « barrages de soutien d’étiage ». Rien de mensonger dans l’expression, il s’agit bien de soutenir le débit des cours d’eau. A un détail près : si les rivières sont à sec, elles le doivent à l’irrigation. « En été, le déficit en eau du bassin de la Garonne s’élève à 110 millions de mètres cubes alors que l’irrigation y consomme 370 millions de mètres cubes, explique Frédéric Cameo Ponz, administrateur de l’agence Adour-Garonne et vice-président de l’association Nature Midi-Pyrénées. Le projet du barrage de Charlas est destiné à fournir ces 110 millions de mètres cubes manquants. Mais sa construction coûterait au minimum 300 millions d’euros, à la charge du contribuable, puis son fonctionnement 2,5 millions par an. C’est un gâchis d’argent public que l’on peut éviter en diminuant de 15% les prélèvements de l’irrigation. En optimisant les méthodes et le matériel d’irrigation et en convertissant seulement 10 à 20% de la surface irriguée en d’autres cultures, on y parvient. »

En effet, les alternatives au barrage de Charlas existent et n’ont rien de farfelu. Avant de se convertir à la monoculture du maïs irrigué pour cause de surprime Pac (voir encadré ci-dessous), le Sud-Ouest a produit du blé, une culture qui réclame largement autant d’eau mais peu d’irrigation puisqu’elle pousse au printemps. Les opposants aux barrages réclament également la mise à contribution des installations hydroélectriques des Pyrénées. « Actuellement, poursuit Frédéric Cameo Ponz, EDF retient l’eau des orages qui éclatent sur la montagne en été dans ses barrages au lieu de la laisser descendre dans les vallées pour limiter l’étiage. C’est une rétention estivale de 60 millions de mètres cubes à des fins de plus en plus commerciales alors que l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation. »


Agences de l’eau : « Irriguez, nous dépolluerons... »

Années quatre-vingt, l’Europe décide qu’il faut produire du tournesol. La France, primes à l’appui, se couvre de jaune. Années quatre-vingt-dix, la Pac (politique agricole commune) réoriente ses aides. Elle accorde une prime au maïs et, mieux encore, une surprime à son irrigation. La France se convertit. Difficile d’en vouloir aux exploitants. Un hectare de prairie rapporte au maximum 45 euros de subventions, un hectare de maïs 330 euros. Et si cet hectare est irrigué, 200 euros de plus. Comme si cette incitation ne suffisait pas, les agences de l’eau y vont aussi de leurs soutiens à l’irrigation. Une stratégie dont la Cour des comptes dénonce l’incohérence puisque les Schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) prônent la maîtrise des prélèvements agricoles. « Dans le bassin Adour-Garonne, le plus affecté par des tensions quantitatives, critiquent les magistrats, 78 % des retenues d’irrigation financées par l’agence pour un coût de 4,12 millions d’euros correspondent à des capacités nouvelles. Le constat est le même dans le bassin Loire-Bretagne, où l’agence a accordé 5,38 millions d’aides aux créations de retenues. » Cette politique d’aides à l’irrigation est d’autant plus incohérente que les agences doivent financer la dépollution d’une eau contaminée par les nitrates et les pesticides de ce type de cultures.


Des alternatives existent

Des solutions qui seraient assurément plus économes pour le contribuable, tout comme en région Poitou-Charentes, où la Confédération paysanne, deuxième syndicat agricole derrière la FNSEA, propose une autre voie. « Si l’irrigation ne concernait que les productions pour lesquelles elle est rentable, constate Jacques Pasquier, son représentant en Poitou-Charentes, les ressources en eau seraient suffisantes. Pour nous, l’irrigation doit être utilisée pour assurer une récolte à valeur ajoutée, pas pour cultiver une plante tropicale (le maïs) qui a besoin d’eau en juillet-août, sur des sols inadaptés. En revenant à une rotation des cultures minimale, sur seulement deux ans, avec une alternance maïs irrigué et blé, par exemple, on économise au moins 94 millions de mètres cubes d’eau. Le problème de la pénurie d’eau serait réglé. Deuxième avantage, ce changement aurait un impact positif sur la qualité de l’eau. En 2002, un rapport du Grap [1] a démontré que le captage d’eau potable de Saint-Fraigne et les eaux de la rivière l’Aume, en Charente, étaient pollués par le métolachlore, un herbicide du maïs. Or, au lieu de réduire les surfaces en maïs dans cette zone sensible, il est prévu de subventionner une dizaine de réserves de substitution pour soutenir l’irrigation. L’argent public va concourir à polluer la ressource en eau. C’est un non-sens. »


Pour un partage plus égalitaire

De fait, l’utilisation de la ressource en eau ne brille ni par sa cohérence ni par son souci d’économies. L’accaparement de l’eau reste partout de mise même si les opérations de type Irri-Mieux, qui visent à réduire la consommation, la pose de compteurs chez les exploitants ou les tours d’arrosage, commencent à se développer. L’économie d’eau réalisée par ces différentes mesures demeure marginale face aux volumes en jeu. Le projet de loi sur l’eau en préparation au ministère de l’Écologie offre heureusement l’occasion de définir une gestion plus rigoureuse et un partage plus égalitaire de l’eau. Les leviers d’action existent. Utilisation des retenues hydroélectriques en période d’étiage, maîtrise de la demande en eau par le relèvement des redevances de prélèvement et de pollution agricoles, les moyens sont identifiés. Il y faut seulement la volonté politique. Il n’est pas sûr qu’elle soit au rendez-vous. Car si l’avant-projet de loi souligne que « toutes les solutions doivent être envisagées pour résorber le déséquilibre en eau avant de créer un nouveau barrage », l’ex-ministre de l’Écologie, Roselyne Bachelot, a soutenu le projet de la Trézence (voir encadré ci-dessous), en Charente-Maritime. L’autre volet susceptible de restituer l’eau confisquée par l’agriculture à l’intérêt général, c’est celui des redevances. Pour l’instant, les consommateurs domestiques financent la politique de l’eau à 85%, les agriculteurs à moins de 5%. Un rééquilibrage permettrait de mieux partager la ressource. Intérêt de la population face à celui des lobbies. On attend la réponse de la prochaine loi sur l’eau.


Barrage de la Trézence : un camouflet pour le ministère

Fallait-il construire un barrage sur la Trézence ? En 1997, le conseil général de Charente-Maritime répond oui à l’unanimité. Il faut stocker 40 millions de mètres cubes pour alimenter les huîtres de Marennes-Oléron en eau douce. Le projet est lancé. La polémique aussi. France Nature Environnement mobilise. Les associations engagent une longue bataille judiciaire. Fin 2003, le Conseil d’État tranche : le barrage n’est pas d’utilité publique. A coups d’arguments impitoyables. « L’augmentation de la production d’huîtres du fait de l’existence du barrage demeure aléatoire et serait d’une très faible importance. [...] En revanche, le coût de l’opération, évalué à 67 millions d’euros, est élevé. » Cette annulation constitue un sérieux camouflet pour le ministère de l’Écologie qui, en août 2003, soutenait encore le projet au nom d’un supposé « caractère d’utilité publique ».

Elisabeth Chesnais


Le pétrole n’est pas un problème. Le pétrole est LE problème, par oleocene.org.

Pourquoi il n’y a plus de gorilles dans le Grésivaudan. Le téléphone portable, gadget de destruction massive, par PMO.

Protocole de Kyoto : petit pas compromis, effets pervers garantis, par Daniel Tanuro.


[Première diffusion : 5 juillet 2004.]


 Source Que Choisir n° 415 - mai 2004 www.quechoisir.org


[1Groupe régional d’action contre els pollutions par les produits phytosanitaires.


URL de cet article 1649
   
Les Cinq Cubains (éditions Pathfinder)
Une sélection d’articles de l’hebdomadaire The Militant depuis 13 ans sur le combat pour libérer Gerardo Hernández, Ramón Labañino, Antonio Guerrero, Fernando González et René González. Les Cinq Cubains, connus sous ce nom à travers le monde, ont été condamnés par le gouvernement U.S. sur des chefs d’accusation de « complot » fabriqués de toutes pièces et ont reçu des sentences draconiennes. Ils sont emprisonnés depuis leur arrestation après les rafles du FBI en 1998. Leur « crime » ? (…)
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