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Les sondages ou l’art des prophéties auto-réalisatrices

Souriez, vous êtes manipulés

Manuel BOMPARD

Cet article de Manuel Bompard est suivi (26 février) d’un second qui démonte méticuleusement le procédé de truquage utilisé par BVA pour ce sondage.
Le Grand Soir.

Il ne passe pas une émission politique sans que nous soyons interrogés sur les sondages. Bien sûr, personne ne s’interroge jamais sur leur pertinence scientifique. Ce n’est pas la question. Bien calibré pour créer une information, un sondage permet de faire des titres pendant au moins une journée.

Les chaînes d’information s’en délectent : cela crée l’illusion d’une actualité quand il n’y a pas d’attentat terroriste ou de vitrines brisées pour faire du buzz. Les sondeurs se lèchent les babines : le nom de leur institut cité toute la journée, c’est à la clef une flopée de nouveaux contrats et de nouveaux profits. Car les sondeurs sont les seuls dont on ne juge pas la prestation en fonction de sa qualité. C’est leur capacité à inventer une information retentissante qui détermine leur notoriété.

Cela n’aurait à peu près aucune importance si le sondage n’avait pas une capacité performative, c’est à dire une capacité à modeler le réel. L’idée d’une liste gilets jaunes aux élections européennes en est un bon exemple. Elle fut testée une première fois en décembre 2018 dans un sondage commandé par la République en Marche. Pourtant, aucun représentant des gilets jaunes, ni aucune assemblée citoyenne n’avait alors évoqué cette hypothèse. Cela n’a pas empêché de faire des reportages et des articles entiers sur le sujet.

L’hypothèse est devenu une réalité médiatique. Puis une réalité tout court quand, appâtés par le résultat promis, des individus se sont dit : pourquoi pas ? Deux mois plus tard, les mêmes sondeurs prédisent l’échec total d’une telle initiative. Le fait qu’une telle liste puisse passer dans ce delai de plus de 13% à moins de 3% ne semble pourtant pas les inciter à remettre en cause la qualité de leur analyse.

Les sondages ne sont donc qu’un outil visant à modeler la réalité en fonction des intérêts des puissants.
Leurs biais méthodologiques ont longuement été dénoncés et leurs multiples erreurs soulignées à plusieurs reprises. Toute personne s’intéressant à la question sait que les méthodes secrètes utilisées pour redresser les résultats bruts et la taille ridiculement petite des échantillons aléatoires les rapprochent davantage des prédictions de Paul le Poulpe que d’un quelconque outil scientifique. Nous voilà pourtant sommés d’en commenter les résultats, surtout quand ceux-ci nous sont défavorables. N’espérez pas pouvoir vous en tirer en remettant en cause leur exactitude. Vous serez alors ce mauvais perdant qui n’accepte pas la réalité. Les éditorialistes vous riront au nez : “Voyons, vous critiquez tous les sondages quand ils ne vous arrangent pas”.

Il y a pourtant des fois où la manipulation est un peu forte. C’est ce que l’on appelle un travail mal fait. Un bon manipulateur ne se fait normalement pas prendre la main dans le sac. Mais il existe des situations où l’écart entre les observations et ce que l’on vous demande de leur faire dire est trop fort. On voit alors le décor. C’est le cas par exemple du sondage pour les élections européennes de l’institut BVA du 23 février. La liste de la France insoumise y est donc créditée de 7,5%. La notice qui accompagne le sondage donne le résultat par catégorie socio-professionnelle. La France insoumise est créditée de 14% pour les catégories sociales supérieures, de 14% pour les catégories sociales inférieures et de 6% chez les retraités. Étrange quand on sait que 46 millions de personnes sont inscrites en France sur les listes électorales et qu’un tiers seulement sont des retraités. Mais passons. La liste Jadot est elle créditée de 10% des voix des CSP [Catégories Socio-Professionnelles. Note du GS]+, 7% des voix des CSP- et 5% des retraités, pour un résultat de 9% au total.

Ce sondage réussit donc l’exploit de prédire un résultat global de Jadot supérieur à celui de la France insoumise tout en créditant cette même liste Jadot d’un score largement inférieur dans chacune des catégories socio-professionnelles. Un tel tour de magie mérite sans aucun doute une invitation pour le plus grand cabaret du monde.

Cette absurdité n’est malheureusement pas la seule. Selon BVA, la France insoumise réaliserait 10% dans les communes rurales, 12% dans les villes moyennes, mais seulement 7% dans les grandes villes de province et pire encore 4% en région parisienne. 3 jours plus tôt, un sondage Ifop crédite cette même liste de 7% pour les communes rurales, de 7% pour les villes de province et de 11% en région parisienne. Exactement la tendance inverse donc.

Il faut dire que la taille de l’échantillon utilisé n’aide pas à la precision des résultats. Le sondage s’appuie sur les personnes sûres d’aller voter, soit 474 personnes ce qui conduit à une marge d’erreur supérieure à 4 points. Il faut ajouter à cela des méthodes de redressement absurdes comme celle s’appuyant sur le « souvenir de vote » de 2014, alors que la France insoumise n’existait pas à cette époque. L’IFOP estime ainsi (au doigt mouillé ou en interrogeant les astres ?) que la France insoumise recueillerait 37% de l’électorat du Front de Gauche en 2014 contre 45% pour le PCF…

Bref, tout ça n’est pas sérieux et ne vise finalement qu’à influencer et à semer de la désespérance et de la résignation. Heureusement, les militants de la France insoumise ont appris depuis bien longtemps à ne pas considérer les sondages comme autre chose qu’une entourloupe, tout comme ils savent que la scène médiatique n’est pas une arène neutre. Leurs manipulations font l’effet inverse. Elles renforcent notre détermination. Elles soulignent que c’est dans la mobilisation de nos électrices et de nos électeurs que se trouve la clef du scrutin à venir. C’est dans ce sens que notre campagne pour les élections européennes va donc s’accélérer dans les prochains jours.

Manuel BOMPARD
Porte-parole de La France insoumise et deuxième sur la liste de candidatures pour les élections européennes.

EN SUPPLEMENT (26 février)

Sondages : quand l’institut BVA est pris la main dans le sac

Dans un message posté ce lundi, je soulignais les incohérences du dernier sondage BVA à propos des futures élections européennes. Alerté par un internaute, le journal Libération a donc publié un article d’explication présentant les justifications alambiquées de l’institut BVA. Celles-ci ne résistent toujours pas à l’épreuve des faits.

Ainsi, à la question de savoir comment il est possible de prédire pour la France insoumise un score total inférieur à la liste EELV alors que les résultats par catégories socio-professionnelles donnaient toujours un résultat inverse, l’institut BVA répond que les résultats de certaines catégories socio-professionnelles ne sont pas indiqués dans la notice explicative du sondage. Selon lui, ceux-ci contrebalanceraient les résultats des catégories publiées.

Pour parvenir à cet exploit, BVA crédite la France insoumise de 0% chez les « élèves, étudiants et inactifs », de 0% chez les indépendants et les chefs d’entreprise, et de 1% chez les professions intermédiaires. C’est donc comme par hasard dans les catégories non affichées que surviendrait des pics de résultats positifs pour EELV (jusqu’à 20% dans les professions intermédiaires) et des pics de résultat négatifs pour la France insoumise (jusqu’à 0% pour les « élèves, étudiants et inactifs » ou pour les indépendants et les chefs d’entreprise). Soit le hasard fait très mal les choses, soit BVA s’est permis d’inventer des résultats grotesques dans les autres catégories.

En effet, personne ne peut croire que la France insoumise qui avait réalisé 22% des voix à l’élection présidentielle chez les professions intermédiaires ne ferait plus que 1% aujourd’hui. Surtout quand, dans le même temps, les cadres et les employés (dont respectivement 19% et 22% avaient voté pour Jean-Luc Mélenchon en 2017) seraient toujours 14% à vouloir faire de même. Quel est ce paramètre politique mystère qui fait que la catégorie se situant entre les cadres et les employés se serait totalement détournée du vote pour la France insoumise ? Et qu’est ce qui permettrait d’expliquer que les 19% d’indépendants et les 24% d’inactifs qui avaient apporté leur suffrage à Jean-Luc Mélenchon en 2017 seraient désormais 0% à renouveler ce vote lors des élections européennes. Enfin, quel génie peut-il expliquer comment 0% des « élèves, étudiants et inactifs » voudrait voter pour la France insoumise en mai prochain alors que le même sondage prédit que 13% des jeunes entre 18 et 35 ans le feraient ?

Sans aucun doute aucun. Il semble plutôt que, pris la main dans le sac, l’institut BVA a improvisé à la hâte une réponse qui ne tient pas la route.

Manuel BOMPARD

Voir aussi sur notre site : https://www.legrandsoir.info/presidentielle-2017-les-analyses-data-montrent-une-vraie-percee-de-jean-luc-melenchon.html

COMMENTAIRES  

25/02/2019 17:02 par Claude

SONDAGES ????
Les laquais du capital, sont de sortie en renfort des merdias, pour augmenter la pollution faites par les serviles.
Ne pas oublier que les moutons sont friends de la désinformation permanente.
La rationalité et l’objectivité sont des éléments trop complexes pour eux.
La T.V merdiatique de nos systèmes aux ordres hypnotise les crétins.

25/02/2019 18:49 par ozerfil

Tout ça (7 à 14% au mieux pour LFI) relève du succès d’estime, pas de scores électoraux sérieux - je le déplore...

Avec les Réactionnaires Absolus qui sont au pouvoir, LFI devrait exploser les compteurs !

Mais non, nos moutons de concitoyens vont voter... encore plus à Droite, pour l’illusion Le Pen, et Macron va "tirer les marrons du feu" !!

26/02/2019 09:05 par hf

Comme militant du PCF, je suis pour une fois d’accord, il n’y a pas que LFI qui est concernée par ce manège...

26/02/2019 10:00 par Vincent

Chaque fois que j’entends parler de sondages je pense à ces deux extraits
https://www.youtube.com/watch?v=WY-aP2CFBVQ
https://www.youtube.com/watch?v=G0ZZJXw4MTA
ainsi qu’à ce graphique
https://www.acrimed.org/IMG/png/capture_d_e_cran_2016-11-21_a_02.54.27.png
et ensuite je me dis que si on supprimait tous les boulots inutiles ça ferait beaucoup de gens au chômage.

26/02/2019 11:20 par Louis St O

Quand j’entends dans les manifs les GJ dirent qu’ils ne veulent pas de politique et donc qu’ils ne voteront pas.
Mieux encore. que PRISCILLIA (une tête de manif) dire qu’elle attend de voir les programmes parce que pour l’instant il n’y a rien ... ça fait peur !! cette fille n’a jamais lu le programme l’AEC.
Càd que l’abstention sera surement énorme mais par contre la droite avec les macronistes au pouvoir, eux vont aller voter et vont faire un carton.
Et ils nous diront voilà vous avez voté et macron est confirmé dans sa politique ;
On pourra toujours dire que l’abstention .. ;na na na, mais les faits seront là.
Macron a gagné il ne nous restera plus qu’a fermer notre G...

26/02/2019 18:14 par grd-mere Michelle

En effet, bien loin de refléter l’opinion publique, les sondages la FABRIQUENT !
Cela m’a paru évident lorsque, le jour très lointain où j’en ai lu un sur "les femmes belges" dans un quotidien plutôt sérieux, et où je m’étonnais de ne pas me retrouver, j’ai constaté qu’il était basé sur les réponses(fort orientées par les questions) d’un échantillon de 2000 participantes de toutes les régions du pays(11.000.000 habitants) et sur des méthodes soi-disant scientifiquement "éprouvées"... (les sacro-saintes statistiques !)

Mais pourquoi les populations sont-elles devenues une bande de crétins, un troupeau de moutons (dixit Claude ci-dessus), bref trop "bêtes" que pour pouvoir se décider à voter en fonction de leurs aspirations profondes et de leurs rejets raisonnés ? Et pour se rendre compte de l’importance d’aller voter (problème de l’abstention) ? Pourquoi les formidables progrès scientifiques accumulés au cours du 20ème siècle vont-ils dans le sens inverse du développement du sens de l’observation et de la relativisation(principales ressources de l’intelligence, de l’art de comprendre et d’apprendre), qui aident tout le monde à savoir qui on est, et ce qu’on veut ou ne veut pas ?

Là est la vraie question, soulevée déjà dans les années 60, quand les jeunes lecteurs de science-fiction et d’anticipation, très à la mode à l’époque, reconnaissaient et dénonçaient le phénomène de la manipulation mentale, particulièrement dans la publicité (principale arme de l’Empire commercial, industriel et technologique qui présidait déjà à l’ordre- au désordre ! du monde), et appréhendaient la "robotisation" du genre humain.
Il est plus que temps que l’éducation nationale mette en place des outils (ateliers de parole hebdomadaires, par ex, de 3 à 18ans, pour apprendre de la diversité, de l’histoire, des un-e-s et des autres), qui permettraient à chacun-e de se construire un raisonnement personnel correctement alimenté, au lieu de leur bourrer le crâne pour les rendre "rentables".

À part ça, aussi, si les divers partis de "la gauche" arrivaient à se mettre d’accord sur des objectifs communs, et prenaient l’habitude de tenir leurs promesses, il est certain qu’elle susciterait plus d’adhésion et d’enthousiasme !

27/02/2019 18:51 par Assimbonanga

Yves Tréard (du Figaro) sera-t-il poursuivi devant la justice pour diffamation suite aux propos diffamatoires ("raciste", "antisémite", "lié à Soral"...) qu’il a tenus à l’encontre de François Ruffin, lundi soir 25 février 2019, entre 23 h et 0h sur LCI ?

01/03/2019 14:53 par Yom

Un petit argument qui contribue à démonter la crédibilité des sondages d’opinions politiques, que je soumets à votre sagacité.

Quelle que soit la taille de l’échantillon (c’est à dire en dehors du fait même que les échantillons utilisés par nos chers instituts aient des tailles qui prêtent à sourire), il ne peut pas être représentatif en matière politique. En effet, seules seront comptabilisées les réponses de ceux qui auront accepté de répondre au sondage.

Or, l’opinion politique d’un individu peut avoir un impact sur le fait qu’il acceptera ou non de répondre. La défiance vis à vis des médias de grands chemins et, par la même occasion, vis à vis des instituts de sondage est un caractère fortement corrélable avec certaines opinions politiques (que l’on pourrait qualifier de non conformistes, ou anti-système). Ces opinions seront donc fatalement sous-représentées dans les résultats des sondages.

01/03/2019 16:46 par irae

Je suis nulle en maths mais il faudra qu’on m’explique comment les sondeurs arrivent à des répartitions de pourcentages supérieures à 100 %. Comme la recette des cocktails 4 tiers, comment on fait ?

02/03/2019 09:54 par Assimbonanga

@Yom. Exact ! Par deux fois dans ma vie l’on m’a offert de me sonder et par deux fois j’ai arrêté le processus avant la fin. Et désormais, je n’ai plus de téléphone fixe, or, sonde-t-on les abonnés de téléphones mobiles ?

03/03/2019 09:24 par morvan

Je vais juste faire 2 remarques sur les articles, en déplorant de n’avoir pu le faire sur le blog de M. Bompart, et ...pitié les modos !. D’abord, pourquoi donc ce masochisme, à décerner aux producteurs de sondages d’opinion l’onction du vocable "INSTITUT", qu’aucun d’entre eux, et BVA (initiales des fondateurs) pas plus que les autres les plus connus, ne peut revendiquer (même celui le plus ancien l’inscrivant dans son sigle, l’IFOP, créé en 1938) : les producteurs de sondages les plus médiatisés sont des sociétés commerciales, dont l’activité principale ultramajoritaire, en moyenne 80%, se consacre au "Conseil, Marketing", ou conseil en marketing, dont les clients sont eux-mêmes des entreprises (souvent multinationales) de grande distribution, d’industries diverses, voire lobbies, notamment pharmaceutiques, etc. Je pourrais développer longuement.... .
Quant aux sondés et à la représentativité qui en est excipée, l’écrasante majorité des entreprises de sondages fait aujourd’hui appel à une entreprise "panéliste" qui leur constitue des échantillons .. de "panélistes individus", lesquels individus se sont eux-mêmes proposés à la dite entreprise pour répondre à des questionnaires de tous ordres, en échange de "gratifications", (le + souvent < 1 € par questionnaire), très souvent sous forme de bons d’achats cumulables, "offerts" par les clients commerciaux du sondeur. Parmi les sondeurs connus seul Harris Interactive sondant d’ailleurs quasi uniquement dans le domaine médias publics, collectivités territoriales, etc, n’ayant donc pas de clients majoritairement commerciaux, déroge à ce système, en ne gratifiant pas par questionnaire mais en faisant un tirage au sort trimestriel d’un gagnant de 2 000 €. Les panélistes sondés ont donc un profil social et d’activité particulier, (même si l’on peut concevoir que des militants politiques divers s’inscrivent dans les panels sans avoir le moindre intérêt pour les gratifications), et les sondés du "commercial " sont indiscutablement les mêmes que ceux des sondages politiques, parfois même en "enquête omnibus" !. Les "redressements" ("secret industriel", avis du Conseil d’Etat) infligés par les sondeurs dans le sens désiré sont alors d’autant plus faciles à réaliser que l’échantillon (uniquement métropolitain le + souvent) est petit, et que ces redressements se font majoritairement aujourd’hui sur base d’un découpage métropolitain en 5 "régions", IDF et quatre quarts provinciaux. Si parmi les environ 200 "sondés" de chacun de ces 5èmes ne figurent qu’une dizaine de représentants (auto déclarés) des catégories socio professionnelles ici mises en doute, le "redressement" est open bar, et selon le désir du client et/ou payeur (parfois différents, très intéressant !). En outre, rien n’empêche, puisque les redressements resteront secrets, de les réaliser au cas par cas dans le type incriminé de résultats "comparatifs", en les mixant avec des listages d’expressions sur les "réseaux sociaux", ou, encore plus fumeux, des considérants de "sensibilité connue" de telle ou telle catégorie socio professionnelle. Là aussi, il y a encore de quoi développer longuement, mais j’veux pas abuser..... !

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