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Valls livre la France aux marchés

Dans l’Humanité Dimanche. Un découpage régional au service des multinationales, des aides accrues aux entreprises et des sacrifices pour les salariés, sans oublier les attaques contre la protection sociale et la réduction des services publics : Manuel Valls dessine une France qui va à l’opposé de toutes les aspirations des Français.

Le président ne veut décidément rien entendre. La raclée historique infligée au Parti socialiste lors des élections municipales (155 villes de plus de 9 000 habitants perdues au profit de la droite et de l’extrême droite) n’aura pas suffi à remettre le chef de l’État ne serait-ce que sur les rails de son programme présidentiel. Dans son discours de politique générale, le premier ministre, Manuel Valls, que l’Express qualifiait déjà en juin 2012 de « socialiste de droite », a dessiné une France en rupture avec ce qui fonde la gauche et, à certains égards, la République elle-même. En trois points, c’est le programme des libéraux aux postes de commande européens qui constitue sa feuille de route : adaptation des territoires à la concurrence internationale, mise à mal de la protection sociale et réduction des services publics.

Le contrôle de la finance

Fusion des régions, montée en charge des métropoles, structures qui « auront tous les leviers pour aider les entreprises », zéro cotisation sur le SMIC, mesure dénoncée depuis longtemps par les syndicats comme une trappe à bas salaires, et enfin, cure d’austérité inédite, 50 milliards d’économies sur les dépenses publiques. Les Français voulaient en 2012 plus de protection face la mondialisation, plus de contrôle public sur une finance devenue incontrôlable, plus de pouvoir pour contrôler une classe politique en laquelle ils ne croyaient plus. C’est tout le contraire que propose le nouveau gouvernement : moins de démocratie locale, plus d’aides aux entreprises et une acceptation de plus en plus assumée du contrôle de la finance sur l’économie. « Il ne faut pas jouer petits bras », dit le nouveau secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement, le sociallibéral convaincu Jean-Marie Le Guen. En effet, tout ce qui ne marche pas depuis des décennies va être amplifié. La manifestation du 12 avril comme la colère de nombreux députés socialistes prouvent que la résistance à cette politique grandit à gauche. Un sursaut nécessaire car si ces projets vont à leur terme, c’est une nouvelle République que connaîtra la France. Une République dont la devise pourrait être : « Liberté, Inégalités, Compétitivité. » Tout un programme.

Vers une république fédérale au service des entreprises ?

Exit la République indivisible de 1791 ? Fin des communes et des départements ? Ces projets attentent aux compétences des collectivités territoriales et les privent d’interventions en matière sociale.

La France institutionnelle dessinée par Manuel Valls lors de son discours de politique générale, loin d’être seulement technique, s’apparente à un retour en arrière de plus de 200 ans. La république indivisible inscrite dans la Constitution, principe existant depuis 1791, serait sérieusement mise à mal au profit d’une république de plus en plus fédérale avec des superrégions et des métropoles pour bases territoriales. Les conseils départementaux disparaîtraient en 2021 et les communes seraient amenées à se fondre dans les intercommunalités. Pour la première fois, un premier ministre envisage la suppression pure et simple de la clause de compétence générale qui permet aux collectivités territoriales d’intervenir dans tous les domaines et ainsi de mener des politiques de réductions des inégalités. Désormais, chaque collectivité se verra attribuer des compétences dont elle ne pourra pas sortir. Le nouvel ensemble, hypercohérent, serait corseté au sommet par les diktats européens sur les dépenses publiques, déclinés par des régions et métropoles au service des entreprises et non des citoyens, et qui auront pour mission principale « l’attractivité du territoire ». C’est la porte ouverte au dumping fiscal et social, qui mine actuellement l’Europe, au coeur même de la République. La montée en puissance de superstructures technocratiques, éloignées de la vie des citoyens réduirait d’autant la possibilité de choix démocratiques quant à l’administration de leur vie quotidienne. Un séisme institutionnel et un virage à 180 degrés faisant passer de l’égalité républicaine sur tout le territoire à la recherche de rentabilité à tous les niveaux.

Le point de vue de Christian Favier, sénateur, président (PCF) du conseil général du Val-de-Marne :

« Au lieu d’aller vers un schéma de collectivités qui aggrave la concurrence et les inégalités pour satisfaire les marchés financiers au détriment des besoins des populations, ce sont ces derniers qui devraient être au coeur des réflexions. Nous avons besoin de faire évoluer les collectivités vers plus de mutualisation, plus de coopération pour, en fonction des échelles pertinentes, répondre toujours mieux aux besoins, très nombreux, des habitants. Des collectivités démocratisées, où les citoyens auraient leur mot à dire, grâce à des modes de scrutins proportionnels, de nouveaux modes d’interventions citoyennes, seraient beaucoup plus efficaces pour répondre aux défis d’aujourd’hui. Nous avons besoin de construire la résistance des élus, qui sont de plus en plus nombreux à voir les dangers des projets en cours, et d’un grand débat public pour battre en brèche l’idée que le nombre de collectivités serait la cause de la dette et du chômage. Un mouvement qui permettrait une extension du service public utile aux populations. »

Services publics . Bienvenue dans la libre concurrence

L’affaiblissement des services publics, aggravé par le plan d’économies, vise à les transférer à des entreprises privées, souhait de la droite déjà. Quel serait alors le sort des usagers, transformés en clients ?

Lorsque le plan de Manuel Valls touchera à sa fin, les services publics ne seront-ils plus qu’une exception dans le paysage économique français ? Le plan d’austérité est sans précédent et frappe les trois fonctions publiques : État, territoriale et hospitalière. Il fait suite aux précédentes politiques de la droite conçues pour affaiblir les services publics en vue de les déstructurer (RGPP, décentralisation et transferts de charges non compensés...). Dans une lettre qu’ils ont adressée au gouvernement, 11 députés socialistes critiquent ainsi le plan d’austérité de 50 milliards d’euros : « Au-delà de 35 milliards, nous croyons que reculs sociaux et mise à mal des services publics seront inéluctables. » Affaiblis, les services publics pourraient être remplacés dans la vie quotidienne des Français par des entreprises privées, dont les seules missions, la rentabilité et le profit, ne prendront plus en compte l’intérêt de l’usager. Ancien ministre de la Fonction publique, Anicet Le Pors estime que le gouvernement agit entre autres sous la pression de l’Europe, qui « méconnaît les services publics ». « Elle mentionne quelquefois des services d’intérêts généraux, mais qui ne sont qu’une dérogation à la règle de la libre concurrence. »

Le point du vue d’Anicet Le Pors, ancien ministre de la Fonction publique :

« Dans l’opinion, le sentiment est favorable aux services publics. Il a été mesuré pendant la crise de 2008. Beaucoup de gens ont considéré que la France avait un atout important, structuré, un véritable amortisseur social. Les services publics soutiennent la consommation, donc la production, l’emploi. D’un point de vue moral, face aux dérives financières, le service public est un lieu d’intégrité. Les services publics peuvent être un lieu de progrès social, par l’exemplarité de la politique qui y serait menée. L’opinion publique ne devrait donc pas se laisser faire. Le préalable à une véritable orientation nouvelle de la part du gouvernement devrait conduire à assainir la situation en supprimant, sinon tout ce que la droite a fait avant, au moins ce qui était le plus significatif dans ses attaques contre le service public. Enfin, le service public a besoin d’une ambition industrielle. Non seulement pour le service public industriel, mais aussi en termes de chantiers structurels dans la politique des services. Ces chantiers ne sont pas mis en oeuvre à long ou moyen terme, mais à court terme, sous l’influence de la direction du budget. Or, les services publics sont par nature des notions structurelles et de long terme. Ils appellent une rationalisation grâce aux techniques les plus modernes à la fois de la recherche économique et des nouvelles technologies. Il faut s’engager sur une vision pluriannuelle, structurelle, des services publics. »

Sécurité sociale. Le régime du toujours moins

Dix milliards d’économies sur le dos des salariés contre un salaire net à peine augmenté. Retraites, allocations familiales gelées, menaces sur les aides au logement des étudiants : c’est la sécu au régime maigre.

« Une augmentation de salaire net de 500 euros par an au niveau du SMIC. » L’annonce est alléchante, les dessous le sont moins. Cette augmentation serait alimentée par une baisse des cotisations salariales, qui s’ajoutera à des nouvelles exonérations de cotisations patronales, le tout vidant les caisses de 10 milliards d’euros par an. En clair, même si une petite partie retourne dans leurs poches, les salariés vont perdre collectivement ces 10 milliards sur la part leur revenant dans les richesses créées, qui étaient mis jusqu’ici dans le pot commun de la Sécu. Pour équilibrer les comptes sociaux, il faudra donc baisser les prestations (déjà, retraites et allocations familiales sont gelées jusqu’en octobre 2015). Et accroître le financement par l’impôt (amorcée en 1990 avec la création de la CSG pour compenser une baisse de cotisation à l’assurance-maladie).

Menaces sur la solidarité

Ce qui revient à dédouaner les entreprises de leurs responsabilités et à faire payer quelques filets de protection pour les plus pauvres par les ménages les moins pauvres. Les riches, entraînés à l’évasion fiscale, pourront eux échapper à l’effort de solidarité et se payer des assurances privées. C’est la philosophie du nouveau système social que nous prépare le plan Valls. De quoi réaliser le voeu de Denis Kessler qui, en 2007, appelait à en finir avec le programme du Conseil national de la Résistance qui en 1945 avait crée la Sécurité sociale.

Le point de vue de Frédéric Rauch, économiste, rédacteur en chef de la revue Économie et politique :

« Ne pensons pas la défense de notre modèle social comme un retour au modèle de 1945, qu’il faut réformer, mais comme un retour à sa philosophie. L’attaque de Valls s’appuie sur l’affirmation que les entreprises ne sont pas compétitives parce que le “coût” du travail est trop élevé. Il faut mener la bataille sur le coût du capital. Les cotisations sociales patronales représentent deux fois moins que ce que versent les entreprises en dividendes et en intérêts d’emprunts. Ce qui pèse sur leur compétitivité ce sont les prélèvements financiers, vers les banques et les actionnaires. Cet argent ne revient pas dans l’économie réelle ensuite. Le travail, lui, crée la richesse réelle. Si nous avons des difficultés structurelles à financer la Sécurité sociale, c’est parce que nous avons des difficultés à développer l’emploi et les salaires. C’est l’enjeu de la modulation des cotisations patronales et de la fiscalité des entreprises, à la hausse lorsque l’entreprise développe des activités financières contre l’emploi et les salaires, afin de forcer celle-ci à réinvestir dans l’économie réelle. »

Cédric Clérin

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