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Thème : Cinéma

Le gang des Bois du Temple : ma cité contre l’Arabie Saoudite

Rosa Llorens
Il était facile d’opposer Le gang des Bois du Temple à la dernière Palme d’or : pour L’Humanité, c’est « une anatomie d’une chute « sans cinoche » » . Rabah Ameur-Zaïmeche nous propose en effet l’« anatomie » d’une bande de lascars dans une cité : cela nous ouvre plus au monde réel et aux problèmes de la société actuelle que les avanies d’un couple d’intellos conçues pour le Festival de Cannes. La presse est le plus souvent élogieuse (une des seules exceptions : Le Figaro) à l’égard du film de RAZ ; il est certes surprenant, à la fois humain, poétique, mais aussi hétérogène, et on peut s’interroger sur certains aspects, religieux et politiques. Ce n’est pas un film d’action qu’a voulu faire RAZ : le braquage lui-même, l’enquête par un détective privé, et le dénouement sanglant sont rapidement expédiés, presque résumés, en opposition à des séquences, qu’on pourrait considérer comme des temps morts, ou de flottement, qui sont, elles, filmées avec lenteur, et développées. RAZ prend plaisir à faire sentir l’atmosphère (...) Lire la suite »

Ariaferma : de l’air frais dans les prisons, mais aussi dans le cinéma

Rosa LLORENS
Après les années de confinement, le cinéma revivrait-il ? Après les bons, voire grands films de l’automne, suédois et catalan, voici un film italien, ou plutôt sardo-napolitain, Ariaferma, qui réunit, dans les montagnes sardes, trois Napolitains, le réalisateur, Leonardo di Costanzo, et deux monstres sacrés de la scène et de l’écran italiens, Toni Servillo (qu’on ne présente plus) et Silvio Orlando (le subtil cardinal-secrétaire d’État du Jeune Pape). Le titre n ‘a heureusement pas été traduit (on risquait d’obtenir quelque chose d’aussi grotesque que Tourment sur les îles pour Pacifiction) : Ariaferma suggère un air confiné, à la fois air raréfié et air carcéral. C’est en effet un film de prison, mais sans les péripéties violentes (bagarres, révoltes et répressions) qu’évoque ce terme. Ce n’est pas non plus un film politique de dénonciation, malgré le décor, qui est une épure d’installation panoptique : quelques cellules rangées en cercle autour d’un espace central d’où les gardiens peuvent tout contrôler. C’est (...) Lire la suite »

Réflexions sur le mouvement ouvrier et le cinéma d’horreur

Jacques FRANJU

Un seul coup d’œil dans les programmations des cinémas (ou des plateformes) fera remarquer aux plus attentifs l’omniprésence du cinéma d’horreur. Il est vrai que le genre s’est particulièrement démocratisé. Les listes recensant sur les sites de cinéphiles les meilleures œuvres horrifiques sont devenues courantes. De même les vidéastes spécialement dédiés à l’horreur et les plateformes du type Shadowz. Hérédité (2018) d’Ari Aster a rapporté 80 millions de dollars. Get out (2017) de Jordan Peele en a lui rapporté 255 millions avec une critique unanime pour souligner les qualités et l’originalité du film. Le film Titane (2021) de Julia Ducournau a reçu la palme d’or l’année de sa sortie.

En toute honnêteté pour le lecteur, l’auteur de cet article est un amateur de films d’horreur. Depuis l’adolescence, j’ai visionné un grand nombre d’œuvres d’épouvante [1]. La terreur, le suspense, le travail sur l’image et l’ambiance, sont des choses qui me plaisent particulièrement. Un temps je ne regardais que ça, aussi bien des vieux films expressionnistes comme Nosferatu de Murnau ou plus récent comme Ogre d’Arnaud Malherbe, avant de m’ouvrir à des œuvres aux thèmes plus divers. J’ai encore une grande pile chez moi de numéro de Mad Movies, la revue française de référence en matière de cinéma de genre, et qui me permettait d’agrandir ma liste de films bis. Mes premiers pas vers la cinéphilie se sont faits via ce biais-là. Si je cherche à comprendre pourquoi j’apprécie tant le cinéma d’horreur (alors que mon entourage familial n’en était pas forcément fan), je dirais que c’est pour trois raisons : un intérêt pour les choses étranges, dérangeantes, hors du commun ; le fait que ces histoires sont très faciles (...) Lire la suite »

Festival du film russe à Paris ou URSS bashing ?

Rosa LLORENS

Comme nous sommes privés de films russes (autant que submergés de films étasuniens, notamment sur l’URSS, comme le prochainement en salles L’Ombre de Staline), le Festival du film russe (du 2 au 9 mars) semble une aubaine, une chance unique de savoir quels films on fait en Russie, pour les Russes.

Mais parler de Russes ne suffit pas : quels Russes, faudrait-il se demander, sont aux commandes de ce festival ? Il suffit de se rendre au cinéma Balzac, sur les Champs-Elysées, et de regarder quelques-uns des films programmés, pour avoir une partie de la réponse. Samedi 7, on pouvait voir L'Homme qui a surpris tout le monde, de Natacha Mercoulova et Alexeï Tchoupov (2018). Dans sa présentation, la directrice de la salle a lourdement insisté sur le caractère approprié du film, dans un festival intitulé : Quand les Russes nous étonnent, film d'autant plus étonnant qu'il vient d'un pays « macho » : on pouvait déjà deviner de quoi il retournait, et on n'a pas été déçu. Le héros, Igor, un garde forestier viril, apprend qu'il a une tumeur au cerveau et qu'il ne lui reste que deux mois, au mieux, de vie. Il semble d'abord réagir de façon responsable, en prenant des mesures pour assurer le proche avenir économique de sa famille. Mais il tombe bientôt dans un état de dépression. Sa femme le persuade d'aller (...) Lire la suite »

Le cas Richard Jewell : Clint Eastwood, le héros ordinaire américain et le libertarisme

Rosa LLORENS
Après des films comme American Sniper, le cas Clint Eastwood semblait définitivement réglé. Mais l'octogénaire ne cesse de se renouveler, réalisant deux films sympathiques et séduisants, Sully (2016) et The Mule (2018), auxquels on peut ajouter, pour une trilogie du héros ordinaire américain, Le cas Richard Jewell. A vrai dire, même si on peut lire de bonnes critiques (voir Critikat), ce dernier film, simpliste et gonflé de pathos, à l'image de son héros, est raté. Mais ce groupe de films intrigue par ses oppositions : qu'est-ce qui peut réunir le brillant et austère pilote Sully, l'octogénaire cool et élégant Earl et le gros benêt Richard Jewell ? Y a-t-il une cohérence entre le libertarisme irresponsable de The Mule et le sens du devoir et du bien public de Sully ? Et où placer Richard Jewell ? Sous ses dehors tranquillement rebelles, The Mule est un manifeste libertarien : comment expliquer que cet Américain modèle qu'est Earl accepte sans aucun cas de conscience de se mettre au service de (...) Lire la suite »

De sable et de feu : sous le péplum, la propagande

Rosa LLORENS

De sable et de feu, de Souheïl ben Barka, est un objet étonnant : film maroco-italien à gros budget (le plus gros investissement de l’histoire du cinéma marocain), il raconte l’histoire d’un Catalan, officier de la Couronne d’Espagne, Domingo Badia, chargé, vers 1800, de gagner la confiance de l’anglophile Sultan Moulay Slimane, sous le pseudonyme d’Ali Bey, de façon à fomenter, en sous-main, une révolte des tribus, et à le remplacer par un sultan acquis aux intérêts espagnols.

Pourquoi cet intérêt pour un Catalan inconnu au-delà de la Catalogne (il a une rue à Barcelone sous son pseudo d'Ali Bey) ? Derrière le film à grand spectacle, on pressent une entreprise de propagande, même si elle peut paraître, au début, nébuleuse. Domingo Badia a beaucoup d'atouts en sa faveur : cet espion était aussi un savant, mathématicien et astronome, et un polyglotte, parlant en particulier l'arabe, qui adoptait avec aisance le costume et les manières arabo-musulmans. On pense bien sûr à un Lawrence d'Arabie catalano-marocain, qui poussait encore plus loin le mimétisme orientalisant, puisque, sous le nom d'Ali Bey el-Abbassi, il se faisait passer pour un prince syrien exilé. Il est en outre incarné par un acteur espagnol (Rodolfo Sancho) qui, avec l'aide de somptueux costumes, lui donne toute la prestance voulue. Badia traverse ainsi vingt ans d'histoire des plus agités, de 1798 à 1818 (on peut même assister au Dos de Mayo, immortalisé par le tableau de Goya), toujours possédé par le rêve (...) Lire la suite »

Bacurau ou la révolte du peuple

Rosa LLORENS
Les films récompensés ces dernières années à Cannes laissent souvent peu de souvenirs, difficile surtout de se rappeler de quoi ils parlent. On devrait donc accueillir avec enthousiasme un film présentant un enjeu clair et actuel (non, pas le climat, ou indirectement) comme Bacurau, de Kleber Mendonça Filho. Mais les critiques négatives ont l'avantage de mettre l'accent justement sur les points forts du film, son ancrage historique et culturel brésilien, et la réalité politique et économique actuelle, qui définit une nouvelle féodalité. Critikat s'obstine à mettre le film sous le patronage d'un John Carpenter, auteur de films d'horreur et de science-fiction, ce qui lui permet de décréter que Bacurau est « un sous-Carpenter » ; mais ce n'était pas le propos de Mendonça, et sa filiation est tout sauf étasunienne. Le film renvoie clairement à deux autres traditions cinématographiques. La première, c'est Les sept Samouraïs de Kurosawa (1954) : une communauté paysanne menacée par une bande de brigands qui (...) Lire la suite »

Alice Guy, la première vraie cinéaste au monde

Bernard GENSANE
C’est en voulant me documenter de nouveau sur Louis Le Prince, chimiste français émigré en Grande-Bretagne et auteur du premier film cinématographique que je suis tombé sur la Française Alice Guy, réalisatrice (pardon : réalisateure) du second film de fiction de l’histoire du cinéma. Je connaissais l’existence de Le Prince depuis très longtemps car cet inventeur de génie s’était installé dans le West Riding du Yorkshire, à deux pas d’un endroit où j’ai beaucoup séjourné. Le 14 octobre 1888, Le Prince filma ses beaux-parents et son fils pendant deux secondes et demi. Après une brève et féconde carrière, Le Prince disparaîtra de manière très mystérieuse dans le train Bourges-Paris. On évoquera un possible assassinat ou un suicide. Enfoncés, les frères Lumière ! Inventeurs de génie – et, accessoirement, ardents soutiens de Mussolini et Pétain – ils tournèrent leur premier film le 19 mars 1895 en plantant leur caméra devant leur usine avant de tourner, quelques mois plus tard, L’arroseur arrosé, premier film de fiction (...) Lire la suite »

Une Pluie sans fin : un coup de tonnerre dans un été aride

Rosa LLORENS
Une Pluie sans fin, de Dong Yue, vous laisse saisi d'admiration, mais perplexe : sous quel angle considérer le film ? une métaphore de la société chinoise post-Mao ? un film de genre (policier) à dimension métaphysique ? un chef-d'oeuvre formel ? un coup de tonnerre qui annonce (ce qui se rapprocherait du titre anglais Looming Storm) la fin de l'hégémonie hollywoodienne ? Le blog du cinéma (Une pluie sans fin : le polar de l'été, article signé : Aurélien) contextualise le film : "Le cinéma de genre comme reflet de la société, c'est presque devenu un lieu commun, une recette récupérée un peu partout pour dresser des métaphores filées plus ou moins réussies" : on pense aux lourdes allégories de Zviaguintsev (qui, semble-t-il, n'a plus la cote) ou aux films chinois comme Black Coal, dont le rôle semble être de renvoyer au public occidental l'image la plus noire possible des pays qui déplaisent aux Etats-Unis. Les ressemblances entre Black Coal (2014) et Une Pluie sont d'ailleurs massives : dans tous deux, (...) Lire la suite »

Much loved : qui sont les hypocrites ?

Rosa LLORENS

La cause semble entendue : Nabil Ayouch est un cinéaste courageux, qui a fait un film magnifique, qui brise les tabous, ce qui lui attire la haine des fanatiques. Une avalanche de critiques dégoulinantes de beaux sentiments et nobles principes s’est ainsi déversée sur Much loved.

A lui seul, Télérama nous offre un florilège de clichés : les quatre héroïnes prostituées sont seules contre tous, « les flics corrompus, et bien sûr, les clients, tartuffes, prédateurs et frustrés imprévisibles » ; « dans une société qui réprime la pulsion, condamne le désir », elles « doivent, ici plus qu'ailleurs, payer le prix fort du mépris et de l'hypocrisie. » Ayouch et son actrice principale ont reçu des menaces de mort : « Leur crime ? Avoir osé donné chair à un tabou ». Le mot est lâché, on ne peut qu'applaudir ou se taire. Il revient d'ailleurs dans L'Express, dans un article intitulé : « Much loved, un film sous la menace : « Nabil Ayouch brise un tabou dans ce pays et se retrouve victime d'une fatwa ». C'est le nouveau Salman Rushdie, menacé par une nouvelle génération d'ayatollahs – sunnites. Mais L'Express n'a peur de rien (en tout cas pas du ridicule) et il continue : Ayouch est aussi un Zola consciencieux et avide de savoir, qui a mené une enquête de deux ans dans le milieu des prostituées, qu'il n'a (...) Lire la suite »
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