Du sénateur PS Jean-Luc Mélenchon , le 7 avril 2008 dans Regards :
« Quand je me suis trouvé sur le plateau de radio à France Culture où l’on m’interrogeait sur le sujet du Tibet et des jeux olympiques, messieurs Marc Kravetz et Alexandre Adler(1) sont restés silencieux quand j’en suis venu au rôle de monsieur Ménard... Hors micro, les deux exprimaient des réserves marquées sur les méthodes du personnage de Robert Ménard. Maxime Vivas a établi une analyse documentée extrêmement inquiétante sur ce personnage et ses sources de financements » (C’était dans mon livre-enquête « La face cachée de Reporters sans frontières », 2007).
En juillet 2010, je me trouvais en reportage au Tibet avec un grand reporter du Monde (Rémi Ourdan) et un du Figaro (Renaud Girard). Nous nous étions tous les trois apprivoisés et nos rapports étaient agréables, comme il advient souvent quand des Français se côtoient à l’étranger. Un jour, nous fîmes une halte dans un col pour laisser reposer le minibus qui nous conduisait de Lhassa à Gyantse (250 km) et pour fumer des cigarettes, quand le nom de Ménard fut prononcé. Mes confrères savaient que j’avais publié un livre critique sur Reporters sans frontières et ils se mirent à me dire pis que pendre de Ménard. Je buvais du petit lait (de yak). Au bout d’un moment, je les ai interrompus : « Vous me dites ça, à moi, mais je le sais. Dites-le à vos lecteurs ». Alors, nonobstant la faible qualité porteuse de l’air à 4 000 mètres d’altitude, un ange passa.
C’était l’époque d’un Ménard promu, flatté, adulé, hissé à l’étage de Mandela et de Gandhi. Le quotidien communiste l’Humanité l’avait même invité à sa fête de la Courneuve.
Mon livre qui révélait (trop tôt) qui il est, avait été reçu comme un blasphème, un pamphlet au vitriol. Le journaliste et écrivain Maurice Lemoine, qui fut rédacteur en chef de La Chronique d’Amnesty International de 1993 à 1996, puis rédacteur en chef du Monde diplomatique, m’a soutenu dans ce mensuel et approuvé le portrait que je faisais du patron-despote de RSF. Il a récemment écrit que, quand nous disions, lui et moi, qui était Robert Ménard, « tout le monde nous est tombé dessus. Aujourd’hui, tout le monde trouve qu’on avait eu raison, mais personne ne pense à s’excuser »(2).
Marc Kravetz, Alexandre Adler, Rémi Ourdan, Renaud Girard et cent autres (j’ai des noms) sont des salariés de médias qui ont une ligne éditoriale. Comme Le Grand Soir. Mais pas la même. Leur ligne avait décrété que Ménard était intouchable. Ménard, encenseur de la politique des Etats-Unis, négateur des crimes de son armée, receveur de dollars via des sociétés écrans de la CIA, complaisait à nos dirigeants atlantistes et court-circuitait par son omniprésence les syndicats des journalistes français.
Il était détesté par la profession. Il est arrivé que des journalistes l’expulsent manu-militari d’un rassemblement où il avait cru pourvoir se montrer. Mais, officiellement, pour les consommateurs de médias, c’était le Chevalier Blanc, Robin des Bois et Zorro à la fois. Dupont-Aignan a dit de lui : « C’est Jeanne d’Arc ». Michel Onfray prétend qu’il n’est pas un « personnage détestable ».
Balzac a écrit des choses « au vitriol » sur les compromissions auxquelles doit souvent se résoudre un journaliste : « Quiconque a trempé dans le journalisme, ou y trempe encore, est dans la nécessité cruelle de saluer les hommes qu’il méprise, de sourire à son meilleur ennemi, de pactiser avec les plus fétides bassesses, de se salir les doigts en voulant payer ses agresseurs avec leur monnaie. On s’habitue à voir faire le mal, à le laisser passer ; on commence par l’approuver, on finit par le commettre » (La Comédie humaine).
Dans ce contexte terrible, où il faut bien du mérite pour durer sans devenir un parfait salaud, des jeunes hyènes impatientes mordent les chairs qu’elles croient mortes avec des gloussements de plaisir. J’en ai rencontré. Et beaucoup, comme celle-là qui s’appelle Elhia Pascal- Heilmann.
Nizan était complaisant en parlant des « chiens de garde ».
Cependant, l’erreur doit être évitée de les dire « tous pourris ». A regarder de près, on en voit qui retiennent leurs coups, qui s’abstiennent d’attaques ad hominem, qui perdurent en équilibre sur un fil entre les exigences de leurs employeurs et celles de leur conscience. Renaud Girard, par exemple, à qui tout m’oppose (jusqu’à nos opinions sur les 35 heures et la messe en latin) sut résister aux sollicitations de Laurence Defranoux de Libération qui, afin d’amoindrir la crédibilité de mon témoignage sur les Ouïghours (!) dans un article qu’elle écrivait contre moi, essaya en vain de lui soutirer un éreintement de ma personnalité observée au Tibet.
Après tout, on peut ne pas être d’accord avec moi sans être un parfait « idiot utile, vendu, négationniste, rouge-brun » (comme ils disent au seul bruit de mon nom), voire un « dingo » comme ont lit dans Charlie Hebdo, journal otanien, feuille de chou récupérée qui n’effraie plus que la mère supérieure du Couvent des Oiseaux à l’idée qu’un dessin pipi-caca-crotte-phallus soit vu par ses prudes novices. Lesquelles apprendront un jour que, si Jésus tarde à redescendre, c’est parce que, le cul calé dans son moelleux fauteuil de nuage, il n’en finit pas de lire et relire Le Grand Soir, ne se levant que pour chasser les médias du Temple avant de conclure que cela était bon, sans qu’on sache s’il parle de sa lecture ou du fouettement.
Sans doute les deux.
Maxime VIVAS
Notes :
(1) Marc Kravetz, grand reporter, journaliste à France Culture, correspondant de guerre, prix Albert Londres 1980. Alexandre Adler, spécialiste très médiatisé des relations internationales, chroniqueur radio.
(2) Mon livre sur la face cachée de Reporters Sans Frontières a été traduit en espagnol et sélectionné pour le prestigieux prix « Lire la politique » 2008 dont les jurés sont les directeurs ou rédacteurs en chef des 17 plus grands médias nationaux. Le prix est remis au Palais Bourbon par le président de l’Assemblée nationale. Le président du jury était Régis Debray. Les chroniqueurs littéraires des 17 médias membres du jury firent des recensions de livres en compétition. Pas du mien. Je compris que le jeu était truqué. Si je restais là, j’allais leur servir d’alibi. J’ai refusé le prix par avance dans une lettre publique au président du jury.