La Françafrique coupable

Centrafrique : Faites entrer l’accusé !

François Charles et Romuald Boko

Une vie politique inexistante

Aucun observateur n’aura été surpris par l’annonce du gouvernement français de son intervention en Centrafrique. En effet, plus de quinze jours avant l’opération, les troupes d’élite de la 11ème brigade parachutistes étaient déjà à Bangui. But avoué : Préparer le terrain à l’arrivée du contingent déjà mobilisé.

Complètement exsangue, de dictatures en coups d’état, la population de la République Centrafricaine, 5 millions d’habitants, n’aura connu, depuis la décolonisation, qu’une succession de drames, de conflits et de guerres civiles, la précipitant dans la misère la plus profonde.

On dit souvent de ce pays qu’il est le laboratoire, ou la créature, du comportement impérialiste de la France sur le continent. On le dit car dans chaque soubresaut politique ou militaire la main de Paris est toujours bien visible, sur le volant du pick-up et sur la gâchette des armes embarquées. C’est la France qui, tout au long de « l’indépendance » de la République Centrafricaine a fait, défait et « refait », les dictateurs au gré des intérêts et des ressources qu’elle avait à défendre sur place. Le recours aux pires monstruosités n’aura jamais rebuté les « services » du quai d’Orsay. Qui ne se souvient, en effet, du sinistre pitre Bokassa, « ami » privilégié de Giscard d’Estaing, qu’il ne manquera pas d’inviter à ses agapes, à de nombreuses reprises et de rémunérer à coup de sacs de…diamants (1).

Ainsi en allait-il avant Bokassa, ainsi en est-il allé pendant son règne « impérial » et ainsi en est-il allé après sa chute.

En 2003, bis repetita, c’est la France en duo avec le Tchad de Déby qui, par les armes, impose Bozizé aux commandes du pays. Dès son « entrée en fonction » Bozizé, n’aura de cesse d’organiser, comme ses prédécesseurs, la répression féroce de ses opposants, le pillage du pays, le favoritisme le plus éhonté…menant directement la société à la crise politique, économique et sociale et à la ruine qu’on connaît aujourd’hui.

La clownerie électorale de 2011 organisée par Bozizé, saluée par la France, ne changera rien à l’affaire et surtout, n’exonèrera en rien les immenses responsabilités du système de la Françafrique.

C’est bien l’ex puissance coloniale qui, systématisant et verrouillant les passations de pouvoir d’un représentant de bande à un autre, verrouille du même coup toute possibilité de voir naître les bases d’une quelconque vie démocratique. Un système que la France sait très bien exporter partout ailleurs en Afrique quand les besoins se font sentir. Les dysfonctionnements inhérents à ces pratiques de sabotage permettant, au vu des situations vécues par les populations, d’entrainer l’adhésion aux interventions militaires, qu’il s’agisse des opinions publiques, des partenaires et même des Nations Unies.

A l’attention de tous ceux-là, il s’agira simplement de démontrer que « intervention militaire oui, mais pour cause d’humanitaire » ! Et le tour est joué. C’est le système qui, après Sadam Hussein, les burkas afghanes, a prévalu en Libye, en Côte d’Ivoire, au Mali, à Bangui et servira encore demain pour la Syrie.

En Centrafrique, le coup d’Etat mené contre Bozizé par la coalition (Seleka) a été rendu possible, encore une fois, selon le bon vouloir de la France et de Déby, son exécutant régional. Bozizé esseulé, Bozizé renversé. Point barre. Pourquoi ? On dit que Total aurait vu d’un très mauvais oeil le projet de Bozizé de « refiler » le pétrole de Boromata aux chinois et que le quai d’Orsay, quant à lui, se serait énervé de son désir de claquer la porte aux tchadiens chargés par la France de le chaperonner.

Une intervention « humanitaire » ?

Il est indéniable que, par delà les responsabilités des uns et des autres, la situation post Bozizé et Seleka est lourde de dangers pour les populations civiles. Il n’est donc pas étonnant que les populations, terrorisées par les exactions incessantes des milices aient accueilli les militaires français avec soulagement et même satisfaction. Il faut savoir, à propos de la Seleka, que ce regroupement de différents courants politiques de bric et de broc, sans ligne politique aucune est essentiellement composé de soudanais et de tchadiens se réclamant de l’islam qui, au nom de cette appartenance, ont pillé et persécuté sans pitié tous les non musulmans.

Evidemment, les dissensions inter ethniques sont montées en épingle, tout comme les soit-disant différences religieuses entre musulmans et chrétiens, alors que jusqu’à très récemment, en RCA, comme dans nombre d’autres régions d’Afrique, par delà ces différences, les populations vivaient en bonne intelligence.

La plupart des médias français, jamais en reste pour défendre les position officielles de leurs gouvernements, ont enfoncé le clou allant jusqu’à évoquer « une situation génocidaire ». Il s’agit, encore une fois, d’une description abusive de la réalité visant à masquer la réalité de l’intervention. (2). La RCA n’est pas le Rwanda. Un Rwanda que la France connaît bien puisque accusée par beaucoup d’avoir eu de grandes responsabilités dans la situation qui a précédé les massacres. On ne rencontre pas, en RCA, de groupes organisés, portés par une idéologie précise qui porterait comme objectif la disparition systématique d’une partie identifiée de la population.

Si le risque génocidaire, abusivement utilisé, voire galvaudé, à des fins strictement « publicitaires », n’existe pas, il n’en est pas moins vrai que, dans un pays détruit, sans état, sans police, livré aux seules bandes armées, la situation est lourde de graves dangers pour les populations.

Les restes de l’état, assistance sanitaire, structures d’aide diverses ont été détruits sous le gouvernement Bozizé.

Michel Djotodia, le nouveau « patron » du pays n’avait aucune influence sur les bandes armés de la Seleka. Il n’en n’a pas davantage aujourd’hui. C’est ce qu’a évoqué François Hollande au début de l’intervention, exigeant même son départ immédiat du pouvoir, avant de, se ravisant, le rencontrer deux jours plus tard, sur le tarmac de Bangui, lors de son voyage de retour d’Afrique du Sud ! (3)

Les véritables objectifs

Se partageant les rôles avec l’administration américaine en retrait, la France renforce actuellement son rôle de gendarme principal de l’Afrique. On l’a vu en Libye, au Mali, en Côte d’Ivoire… Elle maintient et augmente des contingents militaires dans tous les points stratégiques, et fait nouveau,npartout sur le continent, y compris au delà des régions Ouest et Centre, sa zone habituelle d’influence.

Par delà les affirmations arguant de l’humanitaire, l’enjeu géopolitique de la Centrafrique est fondamental. Il n’est pas imaginable en effet, dans la guerre sans merci que livrent les grandes puissances et les multinationales pour le contrôle des ressources, de laisser cette large bande, allant de l’Est africain à la côte Ouest, aux mains de jihadistes susceptibles de perturber durablement la domination occidentale sur une gigantesque région. Or, dans la chaine des pays constituant cette bande, la RCA est justement le maillon reliant ceux de l’Est à ceux de l’Ouest.

Tous les pays de la région sont riches en ressources indispensables et gageons que la France, une fois bien installée militairement, saura « gérer » ses affaires aussi bien que…la situation humanitaire. Gageons qu’elle saura persuader le patron local, quel que soit celui qu’elle aura mis en place, de ré-envisager la gestion du site pétrolier de Boromata tout comme elle n’oubliera pas d’envoyer des troupes aux fins de protéger le site de Bakouma, permettant ainsi à Areva d’exploiter sereinement les gisements d’uranium…Claude Guéant ex-ministre De Sarkozy et Jean Christophe Mitterrand (ex « papamadi ») se sont déjà rendus à pied d’oeuvre (4).

Ainsi donc, par delà, les pseudo clivages politiques, se perpétue la macabre Françafrique.

François Charles
ex-professeur associé à ENEA Dakar et Directeur publication « l’Autre Afrique » (http://www.lautreafrique.info)

Romuald Boko
Directeur du quotidien « Le Pays émergent » Cotonou (Bénin)

1/ L’affaire des diamants de Bokassa, soulevée par le Canard Enchaîné, avait pesé pour beaucoup dans la non réélection en 74 de Giscard d’Estaing à la présidence de la République.

2/ Bernard Kouchner, inventeur de « l’ingérence humanitaire » et donc du « droit d’ingérence » qui l’accompagne, a toujours expliqué que, d’un point de vue marketing, le génocide était très « porteur ». C’est ainsi qu’avec Bernard Henri Lévy, il a vu des génocides en Somalie, en ex Yougoslavie, au Soudan, en Irak, au Darfour, en Syrie…partout où, comme par hasard, « l’ingérence était nécessaire ». Etonnamment, on les aura moins remarqué au Rwanda, où pourtant, il y avait bien une réelle tentative génocidaire. Comprenne qui pourra…

3/ Une volte face qui montre bien le peu de compréhension de la situation, et surtout le peu de cas des populations, de la part d’un président qui vient pourtant d’ouvrir, dans le pays, un front de guerre.

En escale à Bangui, François Hollande revenait des obsèques de Nelson Mandela.

4/ in www.afriquesenlutte.org

 http://lautreafrique.info/2013/12/la-francafrique-accusee/

COMMENTAIRES  

20/12/2013 16:56 par PrNIC

l’ai je mal lu ?

http://www.lepartidegauche.fr/actua...

Tant que le nucléaire restera la première source de production d’électricité dans notre pays, la France devra contrôler des gouvernements qui détiennent la clé des mines africaines. ». 
signé F DELAPIERRE Parti de Gauche ( est -il bien au PG ? ou parle-t-il comme Francafricain ? )

ce qui pourrait être un copie collé de

Tant que les Etats du Golfe resteront la première source de production de pétrole pour notre pays, les USA devront contrôler Les gouvernements qui détiennent la clé de cet or noir ! ( ......quitte à assassiner Mossadegh ! ....Mais chut , c’est pas nous ! ) »


signé Eisenhower- Kennedy-Johnson-Nixon-Reagan-Bush -Obama ( j’en oublie ? ) 


20/12/2013 20:19 par BQ

A mon avis, c’est de la rhétorique : il dit que cette France-là (comprendre ce gouvernement) ne peut biensûr pas se permettre de ne pas intervenir vu qu’ils ont des intérêts en uranium car ce gouvernement défend le nucléaire. Je pense..hein c’est pas sûr encore parce qu’il dit "C’est légitime..." et "le gouvernement n’a pas tort d’intervenir" en rouge...

C’est très alambiqué ce texte et le PG est toujours le cul entre deux chaises (là c’est un peu pareil pour tous les partis de gauche français) avec une chaise interventionniste plus confortable. Du coup ils défendent l’intervention mais pas tout à fait comme ça vous comprenez les pauvres centrafricains. Sans militaires, parachutistes et armement, impossible de les aider humanitairement. Logique.

Et puis si c’est le conseil de sécurité de l’ONU alors c’est bon on peut violer tous les principes de droit international ? Souveraineté, Autodétermination des peuples sont contemplés dans le droit international. C’est un crime d’agression. L’ONU interprète en fonction du rapport de force mais le Droit International c’est pas l’ONU !

Bref Delapierre remplacerait Centrafrique par Ethiopie ou Angola, que le texte peut rester inchangé, beaucoup de circonvolutions pour ne pas parler du fond du problème centrafricain et de la Françafrique. Merci à ce texte de LGS pour nous éclairer plutôt sur des élements de contexte !

21/12/2013 14:11 par PrNIC

citation Je pense..hein c’est pas sûr encore parce qu’il dit "C’est légitime..." et "le gouvernement n’a pas tort d’intervenir" en rouge...
C’est très alambiqué ce texte

Tu comprendras BQ que le silence du PG qui ne se presse pas d’éclaircir cette intervention de FDelapierre pose sérieusement problème !

PrNIC ( Mouvement de la Paix - sympathisant "survie" )

22/12/2013 09:51 par Kaama

Ce texte est la version policée du comportement des dirigeants français en Afrique "francophone". EN langage cru, cela donne cet extrait de Guillaume Menchi (02 octobre 2002) : "En Afrique, l’État français est un grand criminel. Depuis l’octroi des indépendances, il n’a pas cessé de soutenir des dictatures et, bien souvent, d’entretenir des guerres civiles ou de fomenter des coups d’État. Pour la classe dirigeante française, l’obtention de débouchés, le pillage des matières premières (pétrole, gaz, uranium, métaux rares, bois, etc.) et l’influence dans les institutions internationales (notamment à l’AG de ’ONU) sont des enjeux considérables face auxquels les considérations humanistes n’ont aucune valeur. Si les anciennes colonies françaises sont partiellement mais surtout formellement indépendantes, l’Etat français a mis en place un ensemble complexe de liens franco-africains qui fonde le système néo-colonial : bases militaires assurant la sécurité des intérêts français (Dakar, Djibouti, Libreville, Port-Bouët, Bangui), « aide » bilatérale, franc CFA, accords de coopération (militaires, économiques, techniques et culturels), production et sélection de classes dirigeantes francophiles. La situation économique de ces pays, souvent désastreuse pour les populations, reflète la nocivité de ce système et la profonde hypocrisie des proclamations françaises sur la solidarité Nord-Sud. En France, cette domination néo-coloniale est largement occultée. Les médias français préfèrent évoquer l’impérialisme américain."

31/12/2013 16:51 par EColi

1/ L’affaire des diamants de Bokassa, soulevée par le Canard Enchaîné, avait pesé pour beaucoup dans la non réélection en 74 de Giscard d’Estaing à la présidence de la République.

Sans doute vouliez-vous dire non réélection en 1981 ? Car en 1974 Giscard a été élu pour la première (et dernière ?) fois.

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