Juste la fin d’un monde ?

Un séisme. L’élection de Donald Trump ébranle potentiellement trois des piliers fondateurs de l’ordre mondial post-guerre froide, et même post-seconde guerre mondiale.

Le premier pilier n’est autre que l’essence même de la mondialisation : le libre échange, contre lequel le candidat républicain n’a cessé de tonner – succès électoral à la clé. Parallèlement à son méga-plan de 500 milliards d’investissements publics dans les infrastructures nationales, le magnat de l’immobilier a même évoqué une possible sortie de l’OMC.

Or, depuis la chute de l’URSS, l’Occident a imposé le capitalisme globalisé comme horizon indépassable, avec pour fondement une dynamique de suppression des droits de douane, des frontières, des protections – bref, le libre jeu de la concurrence généralisée à l’échelle du globe, immigration et délocalisations à la clé.

Le deuxième pilier est tout sauf anodin. Pour la première fois, un dirigeant occidental de ce niveau remet en cause le dogme le plus sacré selon lequel la planète serait mortellement menacée par une activité humaine inconsidérée. Ce consensus obligatoire dissimule en réalité l’incapacité du système actuel d’assurer une croissance à la hauteur des besoins humains. Et justifie donc la « sobriété nécessaire », autrement dit l’austérité à perpétuité – mais repeinte en vert (tu).

Quant au dernier fondement, il concerne rien de moins que la guerre ou la paix à l’échelle du monde. Le milliardaire a tenu des propos conciliants vis-à-vis de la Russie, suggérant une coopération avec Moscou notamment en Syrie et en Irak. Il a mis en question le coût et la pertinence de l’OTAN, et jeté un doute sur la validité de clause dite de défense mutuelle. Selon le patron de la Conférence de Munich sur la sécurité, Wolfgang Ischinger, cette situation provoque une « insécurité jamais atteinte quant à la relation transatlantique ». L’hebdomadaire allemand Der Spiegel révèle que des géostratèges de l’Alliance atlantique se sont mis à travailler sur un scénario impensable : un retrait des Etats-Unis de l’OTAN...

Cerise sur le gâteau, les élites politico-médiatiques occidentales sont taraudées par une question déstabilisante : comment avons-nous pu ne pas pressentir le tsunami qui enflait au sein des classes populaires américaines ? « Il faudra à l’avenir que nous nous enquêtions plus sur les simples gens », battent leur coulpe en substance certaines rédactions, qui, non sans une candide arrogance, continuent de considérer les ouvriers comme des bêtes curieuses. Car de fait, l’endogamie du personnel politique et de la presse dominante, des deux côtés de l’Atlantique, exclut toute opinion dissidente comme toute irruption populaire au sein de l’appareil idéologique en place. A force de porter au pinacle lesdites « minorités visibles », les maîtres de la pensée officielle sont passés à côté des majorités... qui leur furent invisibles.

Le compulsif remue-méninge sur « le populisme » ne suffira pas à prévenir les futurs tremblements de terre. Les oligarchies européennes s’affolent, d’autant que des échéances électorales délicates se profilent en Autriche, en Italie, aux Pays-Bas, en Allemagne... et en France. Il n’est nul besoin d’être un partisan de Marine Le Pen pour noter que c’est elle qui a trouvé la formule la plus aiguisée pour caractériser le scrutin du 8 novembre : « ce n’est pas la fin du monde, c’est plutôt la fin d’un monde ».

A ce stade cependant, la plus grande prudence s’impose. Ne serait-ce que parce que les propos de campagne du futur locataire de la Maison-Blanche ont été souvent fantasques voire contradictoires. Il a par exemple attaqué l’accord avec l’Iran, et promis par ailleurs une déréglementation bancaire... Mettra-t-il en œuvre ne serait-ce que le début de ses engagements électoraux ? Il serait naïf d’imaginer que l’« establishment » soit désarmé face à des menaces existentielles qu’un président ferait peser sur l’ordre établi. Les intérêts en jeu sont incommensurables.

Pourtant, si le nouvel élu devait, à l’instar des politiciens « classiques », abandonner brutalement ce qui a fait son succès électoral, qui peut imaginer la suite ? Les formes et les échéances de la colère populaire seraient imprévisibles – mais pas sa force et sa violence, à côté desquelles la Guerre de sécession ferait peut-être figure de promenade de santé... Une telle révolte pourrait même entraîner un effet de souffle au-delà des frontières américaines.

Il faudrait alors – et pour la première fois – saluer la mondialisation.

Éditorial paru dans l’édition du 22/11/16 du mensuel Ruptures
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COMMENTAIRES  

29/11/2016 21:38 par cunégonde godot

Le deuxième pilier est tout sauf anodin. Pour la première fois, un dirigeant occidental de ce niveau remet en cause le dogme le plus sacré selon lequel la planète serait mortellement menacée par une activité humaine inconsidérée. Ce consensus obligatoire dissimule en réalité l’incapacité du système actuel d’assurer une croissance à la hauteur des besoins humains. Et justifie donc la « sobriété nécessaire », autrement dit l’austérité à perpétuité – mais repeinte en vert (tu).

À chaque fois que l’on refroidit la pitrerie réchauffiste, ça me met en joie ! Merci Pierre Lévy...

30/11/2016 14:02 par rouge de honte

Pitrerie ou pas, je n’en sais rien. Je n’ai pas les compétences pour me prononcer.
Néanmoins nous pouvons constater ceci :
La consommation de pétrole dans le monde est pour donner une image, un tube de 50 cm de diamètre rempli de pétrole et s’élevant à 76 000 m de haut...Ha oui, par jour ! Ceci en ayant conscience que seul quelques 5000m sont viables au dessus de la mer. A 10 km nous entrons dans la stratosphère.
Joli chauffage non ?

Premier pilier : protectionnisme et pillage
Deuxième pilier : Déni de tout ce qui empêche de faire de l’argent rapidement
Troisième pilier : Déclencher une guerre à grande échelle entre l’Europe et n’importe qui pourvu que cela relance l’économie us.

L’enfer arrive. Alors il est vrai que le réchauffement climatique fait rire dans les flammes.

30/11/2016 20:41 par macno

Pour la première fois, un dirigeant occidental de ce niveau remet en cause le dogme le plus sacré selon lequel la planète serait mortellement menacée par une activité humaine inconsidérée. Ce consensus obligatoire dissimule en réalité l’incapacité du système actuel d’assurer une croissance à la hauteur des besoins humains. Et justifie donc la « sobriété nécessaire », autrement dit l’austérité à perpétuité – mais repeinte en vert (tu).

Je ne l’ai pas fait exprès de reproduire moi aussi ce passage de l’article, mais si je rejoins cunégonde godot sur « la pitrerie réchauffiste » (je ne crois pas au réchauffement climatique d’origine anthropique), pour moi la « sobriété nécessaire » ne peut en aucun cas être synonyme « d’austérité à perpétuité ». Avec un tel langage c’est mettre sous le tapis tous les problèmes de pollutions qui menacent tout l’écosystème de la Planète et qui sont en grande partie liés aux gaspillages....
La « sobriété nécessaire », qu’on le veuille ou non, avec le temps deviendra non pas que « nécessaire » mais impérative (si ce n’est pas déjà le cas), et qu’il vaut mieux s’y préparer le plus tôt possible tant qu’on a les moyens de l’enclencher, avant que la Planète Terre ne l’impose de force. Depuis le temps qu’elle est pillée sans aucune précaution il y aurait pour le moins urgence...
Cette « sobriété nécessaire » déterminera la survie ou non de l’Humanité.
De toute façon le pilier qui a vraiment motivé les électeurs de Trump pour voter pour lui, ce n’est que le premier pilier, celui de « la mondialisation, le libre échange et les délocalisations à la clé », les autres sont "accessoires"...
Pierre Lévy « ne me met pas en joie » sur tous les sujets qu’il aborde, même si cet article présente néanmoins des points intéressants, il est indéniable qu’il n’aime vraiment pas la couleur verte...

01/12/2016 09:58 par cunégonde godot

macno :
La « sobriété nécessaire », qu’on le veuille ou non, avec le temps deviendra non pas que « nécessaire » mais impérative (si ce n’est pas déjà le cas), et qu’il vaut mieux s’y préparer le plus tôt possible tant qu’on a les moyens de l’enclencher, avant que la Planète Terre ne l’impose de force. Depuis le temps qu’elle est pillée sans aucune précaution il y aurait pour le moins urgence...
Cette « sobriété nécessaire » déterminera la survie ou non de l’Humanité.

Le problème du "progressisme" en général c’est son incapacité à sortir de ses préjugés, ses schémas mentaux définitifs et ses grilles de lecture toutes faites qui lui font interpréter tout ce qu’il peut lire dans le sens exclusif de ses croyances ou ses pseudos-certitudes.
A quoi pourrait bien ressembler « une politique de "sobriété nécessaire" mais impérative (...) avant que la Planète Terre (sic) ne l’impose de force », etc. ?
L’idéologie réchauffiste (de la "sobriété nécessaire") met sous le boisseau l’obligation que devrait s’assigner tout système politique « d’assurer une croissance à la hauteur des besoins humains ». Et comme par hasard, cette idéologie correspond parfaitement au système... mondialiste, où les Etats-nations ayant disparu ne sont plus à même d’orienter quelque "sobriété nécessaire" que ce soit. Etonnant, non ?...

01/12/2016 21:35 par rouge de honte

Cunégonde, pouvez-vous expliquer concrètement ce que veux dire :« d’assurer une croissance à la hauteur des besoins humains ». Dans un état nation bien sûr puisque celui-ci vous est cher.
Et puis comment traiter les voisins de cet état nation selon votre réponse.
Je ne comprends pas votre position.

02/12/2016 08:09 par cunégonde godot

rouge de honte :
Cunégonde, pouvez-vous expliquer concrètement ce que veux dire :« d’assurer une croissance à la hauteur des besoins humains ». Dans un état nation bien sûr puisque celui-ci vous est cher.
Et puis comment traiter les voisins de cet état nation selon votre réponse.
Je ne comprends pas votre position.

Je pense que vous avez très bien compris ce que veux dire une « croissance à la hauteur des besoins humains ».
Le réchauffisme est une énième variation sur le thème de la globalisation supranationale. Une idéologie relevant de la pensée magique, fondamentalement nihiliste, car le meilleur moyen de "sauver la planète" ne serait-il pas la disparition totale de la seule espèce prédatrice en ce bas monde : l’espèce humaine ? Si, bien sûr...

02/12/2016 13:24 par rouge de honte

Non désolé, je ne vois pas.
Mais je comprends vos critiques négatives sans une ébauche de solution dans le sens de vos propos ou de mes questionnements.
Relisez vos propos comme si ceux-ci sortaient de la bouche d’un néo-libéral de droite nationaliste et vous comprendrez mon étonnement.

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