Depuis que les questions de « fausses nouvelles » et d’« influence russe » ont surgi, plusieurs institutions médiatiques mettent en avant leurs vérificateurs d’informations. Les entreprises de médias sociaux en ont embauché pour filtrer les « fausses nouvelles ».
Les personnes qui vérifiaient traditionnellement les informations dans une salle de rédaction vérifiaient l’authenticité des documents rédigés par leurs propres journalistes. Ils corrigeaient des erreurs factuelles avant l’impression et/ou la diffusion. La nouvelle génération de vérificateurs de faits contrôle la véracité de ce que disent ou écrivent d’autres médias et entités publiques.
Le PolitiFact du Tampa Bay Times est l’un des plus anciens et des plus importants organes de vérification. Il a été fondé en 2007 et a des bureaux dans plusieurs états. Comme tous ces organismes, il a une certaine couleur politique. Et par conséquent PolitiFact, un site de vérification prétendument neutre, se fait contrôler par un autre site nommé PolitiFact Bias.
La semaine dernière, Amy Sherman a écrit un article important pour PolitiFact. Les utilisateurs de Facebook l’avaient dirigée vers ce compte-rendu du mois dernier d’un procès militaire :
FORE BRAGG, N.C. - Bowe Bergdahl, le sergent de l’armée accusé de désertion, est sorti lundi d’une salle d’audience militaire au cours d’une audience préliminaire, et on ne l’a pas revu depuis 10h35 environ, ce qui a déclenché une chasse à l’homme dans tout l’Etat pour retrouver le soldat disparu.
Selon des sources qui se trouvaient dans la salle d’audience, Bergdahl n’a emmené avec lui qu’un sac à dos à moitié vide et un grand couteau de chasse et s’est dirigé tranquillement vers la sortie pendant que son propre avocat parlait au juge d’un éventuel accord de plaidoyer.
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La direction du Pentagone offre une récompense inhabituelle en échange d’information sur les allées et venues de Bergdahl : 25 000 dollars ou sept détenus de Guantanamo, selon la crédibilité de l’information.
Le vérificateur des faits s’est appliqué de son mieux à vérifier la véracité de l’article ci-dessus :
« Bowe Bergdahl est sorti tranquillement de la Cour martiale en pleine audience », dit le grand titre d’octobre du Duffel blog.
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Dans le cadre des efforts du réseau social pour lutter contre les fausses nouvelles, des utilisateurs de Facebook ont signalé que cette annonce pouvait être fabriquée. Cette histoire est fausse.
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Nous classons ce titre dans Menteur, ton nez s’allonge !*.
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Plusieurs médias, dont l’AP, ont rapporté que Bergdahl avait plaidé coupable lors de l’audience du 16 octobre à Fort Bragg, en Caroline du Nord. Il n’est pas sorti du tribunal pendant son audition.
« Je sais que sortir du tribunal est illégal », a témoigné Bergdahl.
« Menteur, ton nez s’allonge ! » est la pire note dans l’échelle de vérité de PolitiFact.
Mais il y a quelque chose qui ne va pas avec la « vérification des faits » lorsqu’une telle évaluation est donnée d’un contenu satirique. Pour les idiots qui ne reconnaissent pas la satire dans la folie hilarante de son contenu, la page À propos du Duffel blog le dit clairement :
Tout ce que le célèbre site satirique Duffel Blog publie est de la « fausse info** ».
C’est la raison même de son existence. La satire est de la « fausse info » et l’antithèse qu’il faut synthétiser avec la thèse des « vraies infos » pour voir les choses d’une manière nouvelle. Cela augmente nos connaissances et notre compréhension. C’est aussi très amusant.
On pourrait rire du fait qu’une satire soit sérieusement classée dans la catégorie des « fausses infos », si cela n’avait pas de graves conséquences. PolitiFact travaille avec Facebook pour signaler les « fausses infos » diffusées sur son réseau (a)social.
Dans la mesure où le classement de PolitiFact influence la façon dont Facebook diffuse ou traite les informations, les actualités satiriques peuvent ne plus être visibles par la plupart des utilisateurs de Facebook. Pire encore, un utilisateur peut avoir son compte bloqué ou être expulsé du réseau pour avoir diffusé de « fausses infos » en postant des liens vers des articles de Duffel Blog. Facebook et d’autres automatisent ces processus. Lorsque PolitiFacts étiquette quelque chose comme une « fausse info », les conséquences peuvent être sérieuses et qui plus est instantanées.
Comment la satire s’inscrit-elle dans le concept très étroit de « fausses infos » ? Et qu’en est-il des « théories du complot » ? Sont- elles des « fausses infos » ? Voici une liste de 58 cas historiques d’attaques possiblement sous « faux drapeaux ». Dans la plupart de ces cas, les « théoriciens de la conspiration » se sont avérés avoir raison. Les gouvernements avaient commis ces attaques sous un faux drapeau, en avaient accusé leurs ennemis et les avaient utilisées pour influencer le public. Les personnes qui doutaient de la version du gouvernement au moment des faits ont été étiquetées « théoriciens de la conspiration ». Mais qu’est-ce qui était faux, en réalité, ce que les gouvernements affirmaient ou ce que disaient ceux qui ne les croyaient pas ? Quel aurait été le verdict de PolitiFact ?
Quelle valeur a l’étiquette de « fausse info » quand l’ONU affirme dans un rapport que le gouvernement syrien a utilisé du gaz Sarin à Khan Sheikhun sans pouvoir expliquer pourquoi – selon le même rapport –- 47 des blessés ont été hospitalisés avant le drame ?
Qualifier quelque chose de « fausse info » est un jugement subjectif. Les vérificateurs de faits affirment qu’ils peuvent savoir ce qui est vrai ou non. Le chat de Schrödinger*** montre en quoi c’est problématique.
La vérification des faits ne conduit pas à la vérité. Les vérificateurs se targuent d’un jugement objectif qu’ils ne peuvent pas avoir. On peut au mieux comparer des sources et attribuer une plus grande crédibilité à certaines d’entre elles plutôt qu’à d’autres. Mais le choix de la meilleure source est subjectif. De plus, la vérification des faits limite le discours et la pensée. Le contrôle des faits aboutit à la censure.
La vérification des faits sert à PolitiFact et à d’autres organes de ce genre à manipuler l’opinion en faveur de ceux qui financent et font la promotion de ces sites. La vérité est rarement absolue. Ce qu’on considère comme la vérité peut changer avec le temps. Les vraies infos d’une année peuvent se révéler fausses du tout au tout. Les « fausses infos » des théories de la conspiration d’aujourd’hui peuvent se révéler vraies demain. La satire, la parodie et le sarcasme sont de « fausses infos » comme leurs auteurs le disent eux-mêmes. Mais elles peuvent aussi avoir quelque chose de vrai.
Aucune société ne devrait reconnaître la moindre autorité en la matière à des sites comme PolitiFact ni avoir aucun respect pour eux. Ce sont des charlatans qui essaient de nous vendre des vérités absolues alors que, dieu merci, il n’existe rien de pareil.
Moon of Alabama
Traduction : Dominique Muselet
Notes :
* En anglais : Liar, liar, pants on fire
** En anglais : fake news
*** https://fr.wikipedia.org/wiki/Chat_de_Schr%C3%B6dinger