Lafarge en Syrie : le rôle de la diplomatie française en question

Sophie Devillerle

Un ex-responsable du cimentier affirme 
que l’ambassadeur de France « était au courant du racket ».

– Lafarge est suspecté d’avoir versé entre 2011 et 2015 plus de 12 millions d’euros à des groupes armés en Syrie, dont l’État islamique (EI), pour garder ouverte sa cimenterie de Jalabiya (nord), malgré la guerre. Photo d’illustration Jacques Démarthon/AFP

L’enquête sur le groupe cimentier Lafarge, soupçonné d’avoir financé l’organisation État islamique pour rester en Syrie, peut-elle impliquer la diplomatie française ? Un ex-responsable du cimentier affirme que l’ambassadeur de France « était au courant du racket », ce que dément le diplomate.

Dans cette affaire hors norme, où pour la première fois de grands patrons français sont soupçonnés d’avoir financé le terrorisme, Lafarge est suspecté d’avoir versé entre 2011 et 2015 plus de 12 millions d’euros à des groupes armés en Syrie, dont l’État islamique (EI), pour garder ouverte sa cimenterie de Jalabiya (nord), malgré la guerre.

Certains responsables du groupe, dont l’ex-directeur général adjoint Christian Herrault, ont reconnu avoir été soumis à « une économie de racket ».

Que savaient les autorités françaises ? « Ont-elles poussé Lafarge à se maintenir pour préparer l’après Bachar el-Assad, quitte à mettre en danger les salariés syriens, restés seuls sur le site à partir de 2012 ? Des diplomates étaient-ils au courant de versements délictueux ? Si c’est le cas, ont-ils tardé à tirer la sonnette d’alarme ? », détaille une source proche du dossier.

Le 9 janvier, une confrontation a été organisée entre Christian Herrault et l’ex-ambassadeur de France en Syrie, Eric Chevallier, a appris l’AFP de source proche de l’enquête. Arrivé en 2009 à Damas, ce dernier a fermé l’ambassade en mars 2012. Il a ensuite été ambassadeur « pour la Syrie », basé à Paris, jusqu’à l’été 2014.

Chevallier « était au courant du racket » et disait « +vous devriez rester, les troubles ne vont pas durer+ », a affirmé M. Herrault devant les magistrats, assurant avoir rencontré plusieurs fois l’ambassadeur. Ce dernier a rétorqué ne « pas avoir de souvenir de ces rencontres ».

Les investigations ont toutefois mis en lumière des réunions entre Lafarge et l’ambassade, notamment une « réunion MAE (ministère des affaires étrangères, ndlr) Syrie » le 29 janvier 2013 à Paris.

Le directeur de la cimenterie de Jalabiya, Bruno Pescheux, a aussi évoqué « des contacts » avec l’ambassade tandis que le directeur de la sûreté de Lafarge, Jean-Claude Veillard, a relaté avoir fait remonter des informations sur la situation dans la région aux services de renseignement français.

Autre élément troublant pour les enquêteurs, une note de M. Herrault sur la situation en Syrie de 2012 à 2015. « Nous avons toujours été encouragés à rester (et) la seule préoccupation exprimée (par les autorités françaises, ndlr) était de ne rien faire qui puisse +irriter+ les Turcs », écrit-il.

« Nous tentions de dire que les Turcs étaient les alliés objectifs sur le terrain des islamistes les plus radicaux qui sont devenus Daesh (acronyme arabe de l’EI), mais cela n’était pas audible à Paris, au moins à l’époque », ajoute-t-il.

« Un mensonge total » pour M. Chevallier qui relève que le ministère a émis dès 2012 des consignes pour les particuliers et les entreprises de quitter la Syrie.

’Pas de consigne écrite’

« Elles ne s’appliquaient qu’aux collaborateurs français, d’ailleurs rapatriés en 2012. Jamais il n’a été demandé de fermer l’usine. Sinon, cela aurait été fait », affirme Solange Doumic, avocate de Christian Herrault.

Ce que disait Laurent Fabius des takfiristes d’Al-Nosra, à cette époque – Le Monde : 12 décembre 2012 – note du Comité Valmy

Certains courriers diplomatiques auraient-ils dû alerter au plus haut niveau du ministère des affaires étrangères ? Ainsi cette note de septembre 2014 d’un conseiller qui évoque le « jeu d’équilibriste entre régime de Damas, forces kurdes et État islamique » auquel est soumis Lafarge, tout en relevant que le patron de la cimenterie indique « ne rien verser » à l’EI.

« Démontrer une éventuelle implication des autorités françaises est difficile car il n’y a jamais eu de consigne écrite. Mais il faut que Paris assume les positions prises à l’époque », estime Me Doumic.

L’association Sherpa, partie civile dans ce dossier, a demandé l’audition de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères de 2012 à 2016. « On nous dit que Lafarge n’a pas été évoqué avec lui. Il est étonnant qu’il ne se soit pas intéressé à la seule entreprise française dans ce pays stratégique », relève l’avocate.

Le quai d’Orsay n’est « aucunement mis en cause » dans cette enquête qui a conduit à la mise en examen de six responsables du cimentier, dont son ex-patron Bruno Lafont, souligne une source diplomatique. « Aucune forme de collusion avec des groupes terroristes n’est admise, en Syrie comme partout dans le monde », ajoute-t-elle.

Sophie DEVILLER,, 3 février 2018.

OLJ https://www.lorientlejour.com/article/1098086/lafarge-en-syrie-le-role-de-la-diplomatie-francaise-en-question.html

 https://www.lorientlejour.com/article/1098086/lafarge-en-syrie-le-role-de-la-diplomatie-francaise-en-question.html

COMMENTAIRES  

08/02/2018 16:08 par Safiya

Se faire "racketter" ou "rançonner" (les X "kidnappings" commis par les terros), au final : de conséquentes pépètes aux daech et autres aqmi, perso, j’ai du mal à voir autre chose qu’un moyen (à peine détourné) de financer les égorgeurs...

08/02/2018 17:26 par Marc

j’ai l’impression que le vrai problème, comme toujours ,est évacué . Si des "méchants" ont payé... c’est quand même bien pour que l’usine fonctionne et produise du ciment à utiliser pas trop loin... où sont passées les millions de tonnes produites, ce n’est pas la Turquie ni la Syrie qui les ont achetées (pour créer des bunkers), les camions devaient être aussi invisibles que les centaines d’autres qui amenaient le pétrole en Turquie à la même époque...
Je n’ai pas de sympathie particulière pour les responsables de Lafarge, mais je pense qu’ils servent de boucs émissaires, fusibles bien utiles pour couvrir ceux qui faisaient du "bon boulot" comme disait Laurent.

08/02/2018 20:44 par depassage

Pourquoi fait-on la guerre ? C’est bien pour des intérêts multiples, entre autres les intérêts économiques, dont les multinationales font partie prenante. Qu’elles y contribuent directement, n’a rien d’extraordinaire ni d’anormal.

Le quai d’Orsay n’est « aucunement mis en cause » dans cette enquête qui a conduit à la mise en examen de six responsables du cimentier,

En fait, tout le monde est innocent, seuls ceux qui se font attraper comme boucs émissaires ne le sont. pas. On oublie tout et on recommence. Triste est la vie.

08/02/2018 20:51 par mandrin

on pourrait se demander si c’était bien du ciment qui sortait de cette usine, ou bien celle-ci servait elle de logistique pour ravitailler en arme et équipement les mercenaires franco/wahabo yankee sionistes avec pour couverture un argument de racket par le égorgeur...c’est un bon alibi."mais que pouvions nous faire face a une tel menace Mr le juge ?"

09/02/2018 10:58 par Assimbonanga

C’est peut-être pas la peine d’en rajouter avec des suppositions romanesques (commentaires précédents), la situation étant déjà suffisamment accablante... C’est la même situation que celle des entreprises françaises sous l’occupation. Se plier au racket (collaborer) ou refuser (résistance) et donc partir, that is the only question.
Non ?

09/02/2018 11:26 par vagabond

Je me demande bien à quoi servent les lanceurs d’alerte puisque les criminels restent impunis et le reste du monde hébété. A quoi nous sert la vérité crue ? La Farge mais surtout Clinton, Obama, Bush, Sarkozy etc. sans oublier les illustres inconnus qui travaillent dans l’ombre, ils continuent de vivre en rois pendant que les innocents continuent de mourir en Irak, Syrie, Yémen, Palestine, Libye (dont on ne parle plus)...
Ils nous tiennent en esclavage parce que leurs règles « démocratiques » qu’ils défendent sont le moyen le plus sûr de nous neutraliser. Rien ne changera car nous nous sommes soumis, tous, à leurs lois et sommes devenus trop frileux pour les contester et n’avons plus le courage de lutter pour un monde meilleur. Nous sommes une civilisation qui pleure les morts virtuelles à la télé, qui pleure pour un concours TV raté, une civilisation dont les émotions sont codifiées par le virtuel, comment une telle superficialité pourrait aider à lutter ?
Les gens sont indifférents au sort de ceux qui meurent réellement et de façon atroce tant qu’ils ont leur dose de fausses émotions télécommandées.
Je n’en peux plus de cette planète.

09/02/2018 18:24 par depassage

À Assimbonanga.
La comparaison entre la guerre en Syrie et l’occupation allemande est vraiment frileuse pour ne pas dire incongrue. La France s’était impliquée dans le conflit pour renverser le "régime de dattes" syrien en soutenant et en armant son opposition. Certes clandestinement, sans déclarer la guerre à la Syrie, mais n’attendait qu’un prétexte et l’engagement de ses alliés.

09/02/2018 18:41 par mandrin

la position officieuse est qu’on y est "lafarge quai d’orsay-fabius " et celle officiel tiendra certainement du roman...

16/02/2018 12:00 par Assimbonanga

@Depassage, ma comparaison se limite à celle d’une entreprise privée collaborant avec l’ennemi Daech... Comme des entreprises françaises le firent à l’époque avec les nazis...

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