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BAC Nord : le calvaire des policiers dans l’enfer des cités

Depuis plus d’un mois que BAC Nord est sorti, on a pu se faire son opinion sur le film. Chez les critiques, les « formalistes » s’opposent aux « moralistes » : pour les premiers, le film est une réussite sur le plan cinématographique ; pour les autres, c’est un film fascisant. Serait-ce une synthèse satisfaisante de soutenir que, malgré le « manque d’ambiguïté » (doux euphémisme) des idées, on ne peut nier les qualités formelles du film ?

Voyons d’abord ces qualités formelles. Curieusement, ou plutôt très logiquement, les réactions à un film précédent de Cédric Jimenez, HHhH, sorti en 2017, pourraient tout aussi bien s’appliquer à BAC Nord  : « un film bien spectaculaire », qui « ne recule devant aucune ficelle mélodramatique. Indigeste ». Ce n’est pas la violence en elle-même qui est gênante, mais « cette volonté de faire joli avec », autrement dit : « une complaisance esthétique déplaisante ».

Ce qui m’a surtout frappée ici, ce sont des effets maniéristes gratuits : tels un gros plan sur une assiette de kebab aux couleurs fluo, ou un ralenti (marque indiscutable du mauvais cinéaste, du faiseur) sur un policier sautant à la corde pour garder la forme, ou encore les vues aériennes qui ponctuent le film, et qui sont aujourd’hui (les drones aidant) la tarte à la crème de la grammaire cinématographique. Que reste-t-il pour justifier l’enthousiasme des prétendus puristes du cinéma ? Le rythme percutant, le montage coup de poing, accentué par des sons tonitruants ? Ce n’est pas un point de vue esthétique, mais purement quantitatif : plus ça va vite, plus c’est fort, et on prend pour argument définitif l’attaque de la cité pour localiser « l’appartement nourrice » et s’en emparer. Mais ce n’est là que du cinéma d’action élémentaire, auquel il manque l’essentiel : un véritable enjeu humain. Curieux que les critiques formalistes s’extasient sur cette séquence, alors qu’on a surtout une impression de déjà vu : Jimenez refait le raid des policiers le long de l’escalier de HLM des Misérables, l’économie de moyens et la tension intérieure en moins. Ladj Ly obtenait un effet de terreur rien qu’avec le masque porté par le jeune garçon qui tenait tête aux policiers, et terminait par un suspense qui vous prenait vraiment aux tripes, car il s’agissait de savoir si la cité allait ou non plonger dans une escalade de violence destructrice. Ici, l’opération contre la cité s’achèvera sur la fête obscène des policiers célébrant leur victoire.

Le point de vue « esthétique » va souvent de pair avec un autre compliment, portant sur le réalisme du film : « enfin un film réaliste sur les banlieues ! » Mais c’est l’antienne qu’on reprend chaque fois qu’un film parle de violence dans les cités. Et cela pose le problème du concept de réalisme en littérature ou au cinéma : que veut dire parler de « réalisme » à propos de faits qu’on ne connaît pas, et sur lesquels le film ou le roman est censé nous éclairer ? Cela veut simplement dire qu’il correspond aux stéréotypes qu’on a l’habitude d’entendre et qui ont modelé nos préjugés sur la question. Ainsi donc, on qualifie de « réaliste »une production qui ne nous apprend rien sur le sujet traité.

Et comment peut-on parler de réalisme à propos d’un film qui tourne autour d’une escouade de policiers, « au point qu’on a l’impression qu’ils sont les seuls habitants de Marseille » (entendu dans l’émission Le Masque et la Plume), et qui ignore délibérément la vie quotidienne des habitants des Quartiers Nord, réduits à des bandes de jeunes à la gestuelle de grands singes ? Et lorsqu’un de ces jeunes est individualisé, c’est encore plus caricatural : on hallucine en voyant la séquence où les policiers emmènent un jeune garçon ; elle permet d’abord à Jimrnez de faire un numéro de tchatche à la Kechiche, le garçon répétant à satiété en hurlant les trois mêmes insultes anti-flics ; puis, quand un des policiers allume la radio, et tombe sur un rappeur, le garçon, oubliant ses rancœurs, reprend les paroles avec enthousiasme, et témoigne sa satisfaction aux flics ; alors, ceux-ci l’« adoptent » comme leur mascotte, et, pour lui faire plaisir, roulent à toute vitesse au milieu de la circulation et prennent tous les sens interdits... Selon le réalisateur, on devrait sans doute en conclure que les policiers sont cool !

Passons à la deuxième partie du film, censée être la partie morale, mais aussi politique, car elle tranche sur la première par un changement de rythme brutal, et décrit les affres morales, disons plutôt psychologiques, des policiers en prison, accusés de racket. Vont-ils se remettre en cause ? Le réalisateur va-t-il adopter un point de vue critique sur les méthodes policières et les bavures qu’elles entraînent ?

Inutile de s’attarder sur les ficelles sentimentales qui humanisent les policiers (Yass a été arrêté alors qu’il était tout jeune papa). Quant à la première question, il s’agit essentiellement pour Antoine (François Civil) de savoir s’il va donner l’identité de son indic, à qui était destinée la drogue rackettée, ce qui laverait les policiers de l’accusation la plus grave (vol dans un but d’enrichissement personnel). Il est amusant de constater que la déontologie policière rejoint ici la loi de l’omerta. Mais Antoine ne va même pas la respecter : le chantage affectif de Yass (le policier qui fait « l’Arabe de service ») en aura raison (« regarde comme Greg souffre, il est en train de s’effondrer, il ne supporte pas la prison »). Et on se rend compte que la morale des policiers est en fait celle qu’on reproche aux jeunes des cités, la loi tribale : tout est permis et louable quand il s’agit de défendre sa tribu.

Quant aux bavures policières, le problème n’est même pas posé : les seules victimes, ce sont les trois policiers qui se retrouvent en prison pour avoir voulu faire leur travail de façon plus efficace que les autres. La réaction de Télé-Loisirs est significative : c’est « une immersion brutale au cœur d’un système judiciaire à bout de souffle » : on a bien lu, c’est le système judiciaire qui est à remettre en cause, (pas le système policier), y compris cette IGPN qui accepte de prendre en compte les dénonciations contre le trio de policiers et leur fait des misères.

La signification politique de BAC Nord rejoint alors exactement celle d’Apocalypse now (dont le côté spectaculaire semble faire oublier la leçon) ; les sauvages en survêt des Quartiers Nord sont assimilés aux sauvages vêtus de pagnes des confins entre Vietnam et Cambodge, et chaque scène du film nous suggère la thèse énoncée explicitement par Kurtz : les Viets règnent sur la population civile par la terreur, exerçant sur elle une violence inouïe (anecdote obscène des Viets coupant les bras des enfants vaccinés – déjà l’argument du vaccin ! – par les gentils Américains). Les sauvages ne comprennent que la violence, le seul moyen de les vaincre c’est de se montrer encore plus violent qu’eux. Mais (théorie du coup de poignard dans le dos) la hiérarchie militaire/policière et politique ne comprend pas la réalité de la situation sur le terrain : elle condamne les méthodes musclées de Kurtz et le fait éliminer par Willard, un officier qui ne croit pas lui-même à sa mission – ce qui explique la défaite des EU au Vietnam. Aussi le meurtre de Kurtz est-il filmé comme le sacrifice d’une victime (de même, BAC Nord , lit-on sur Sens Critique, « force un peu le trait sur la figure sacrificielle de ces trois pauvres flics ») Curieux comme la « leçon » d’Apocalypse now résonne avec les récents événements en Afghanistan, et avec la vision du problème des cités dans BAC Nord.

Et on se demande, (comme un des policiers mais pas dans le même sens) : « Quel est le projet ? » Sur ces bases, il ne peut y en avoir qu’un : envoyer l’armée, bombarder les cités, comme, au Brésil, on « nettoie » les favelas. Et là, on arrive à des « relents » (le terme est employé par Valeurs actuelles pour fustiger les gauchistes qui n’aiment pas le film) bien français : il semble que certains rêvent encore au nettoyage de la Kasbah d’Alger par les paras.

L’enthousiasme que suscite chez certains Cédric Jimenez rappelle le succès d’un Jacques Audiard, sur la même ligne fascisante (Un prophète, Dheepan). On ne peut que s’inquiéter de l’absence, en face, d’un cinéma citoyen (on ne peut plus l’appeler engagé ou militant, puisqu’aujourd’hui l’engagement et le militantisme se font volontiers à droite, ou à l’extrême-droite).

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