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l’historienne nord-américaine Matilde Zimmermann nous fait découvrir l’"autre Che"

Carlos Fonseca Amador, le dialogue enfin renoué

1976, le 6 novembre. "Notes sur la montagne et sur quelques autres points" . Il écrit dans la nuit. Vite. La brume du nord du Nicaragua fait moisir les manuels, les sacs, les peaux. On l’appelle. C’est l’heure de reprendre la route vers Zinica. Les ceibas immenses lestées de pluie surplombent la dernière marche de Carlos Fonseca, poursuivi par la Garde de Somoza et ses conseillers nord-américains.

Il a 40 ans. Les verres de lunette ont grossi au fil du temps. Il est reparti vers la montagne pour se réunir avec Henry "Modesto" Ruiz, chef de la guérrilla rurale. Il dialogue déjà avec lui, se remémore la discussion avec les camarades à Managua. Après-demain, les photos du cadavre de Fonseca dans "La Prensa" tenteront de faire croire à la mort du Front Sandiniste. Trois ans plus tard, en 1979, le peuple de Managua recevra en triomphateurs les quelques centaines de guérilleros survivants.

D’un héros révolutionnaire on peut faire un film, une photo, une affiche. Sur son lit de Procuste, il devient "le sujet de l’action" . On rabat une image sur une vie, on rabote tout ce qui pourrait en faire un des nôtres. On nous dira que cet homme fatigué, qui trébuche dans la nuit pluvieuse, est mort en tentant de réparer les divisions de son mouvement, trahi par les siens dans la classique "lutte pour le pouvoir" . On en fera le pur parmi les purs, celui qui doit interpeller les impurs du jour. Mais qui juge qui ? Et que juge-t-on ?

" Plutôt de dire de quoi un pays est mort" , je me suis intéressée à "ce de quoi il a vécu" . C’est ainsi que Matilde Zimmerman, professeur d’Histoire latino-américaine au Sarah Lawrence College de New York, ouvre sa biographie du héros nicaraguayen. Elle-même militante, ayant vécu et travaillé au Nicaragua, sait trop que Carlos Fonseca avait l’obsession du travail collectif et en connaissait toutes les contradictions. Elle n’a que faire de la forme "judiciaire" de l’ Histoire. Carlos Fonseca n’a cessé de changer tout au long de sa vie. Comme un peuple qui sort de lui-même pour mieux se retrouver, et en redemande. Les grands hommes existent. Les admirer suppose de ne pas les séparer du travail passé et futur de leur peuple.

Le livre de Matilde Zimmermann est une chronologie minutieuse, nourrie de citations inédites puisées dans les archives de l’Institut d’Études du Sandinisme (dont de nombreux rapports de la police politique de Somoza), recoupée par les interviews de l’auteure avec les proches, la famille, les compagnons de route de Fonseca, appuyée par de nombreuses notes et une référence bibliographique des plus complètes. Ainsi, Fonseca poursuit d’une certaine manière son dialogue avec nous. Non seulement depuis le passé mais aussi depuis le futur. Point crucial de toute révolution : la formation préalable de cadres populaires comme levier de la poursuite de la transformation après la prise du pouvoir, comme garantie du "saut qualitatif" .

Le Mouvement des Sans Terre du Brésil l’a compris, qui étudie Fonseca dans son École Nationale "Florestan Fernandez" . Comme son ami Roque Dalton, et comme Ernesto "Che" Guevara, le nicaraguayen savait que la guérilla est créatrice de la conscience politique, voire de l’éthique d’un certain "hombre nuevo" . Mais il se méfiait de l’avant-gardisme et recommandait à ses camarades d’écouter chaque travailleur comme une bibliothèque vivante, pleine d’enseignements. L’avant-garde ne suppose-t-elle pas une "arrière-garde" et un "milieu" ? Son articulation de la "montagne" et de "l’urbain" , sa réflexion sur la forme "parti politique", anticipent des enjeux majeurs pour la révolution brésilienne.

Beaucoup ont étudié le parcours du Front Sandiniste à partir du Triunfo de 1979. Ce qui a conduit certains à surestimer (par exemple) le rôle de la théologie de la libération. Matilde Zimmerman replace le curseur à son vrai point de départ.

A la violence économique, l’impérialisme d’un William Walker, autoproclamé président du Nicaragua en 1856 ; à la dynastie populiste des Somoza, dont l’historienne nous explique qu’ils surent être "sociaux" à leurs heures ; à la lutte concomitante entre partis libéral et conservateur pour obtenir de la dictature les "cuotas de poder" .

Ces contradictions sociales, politiques, Fonseca les vivra dès le plus jeune âge. L’auteure fait sortir de l’ombre la mère de Carlos, la fille de paysans Agustina Fonseca, domestique dont la vie se résuma à laver, cuisiner, repasser, et dont le malheur était d’être jolie, convoitée par les fils des barons du café de Matagalpa qui exploitaient les indigènes du même nom. L’un d’eux Fausto Amador, commis des Somoza, avec qui Carlos tenta longtemps de garder un lien, oublia vite Agustina. Elle finit par voler des restes pour nourrir le "bâtard" . C’est elle qu’il jura de venger comme on le sait par un poème retrouvé par l’historienne.

Zimmermann raconte la faim qui assaille un enfant déjà myope et qui vend des journaux ou des confiseries pour aider sa mère. Obsédé par les livres, il étudie le français en secondaire pour déchiffrer le Manifeste du Parti Communiste. Dans la rédaction du bac, il balaie le concept de salaire, rappelant que les travailleurs ont droit au produit intégral de leur travail. Il se distanciera plus tard d’un "partido socialista nicaragüense" trop aligné sur Moscou et parfois allié des Somoza, sas rompre pour autant avec le marxisme.

Manuel du militant, discours et manifestes, communiqués au peuple, analyses stratégiques jamais dépourvues de sens critique, Programme Historique du Frente Sandinista de Liberación Nacional : l’essentiel de la doctrine révolutionaire sera produite par Carlos Fonseca Amador au fil d’une genése qui prendra vingt ans. Tâche rendue difficile par l’isolement du Nicaragua. Zimmermann cite une interview de 1970 ou Fonseca déplore "le quart de siècle de ténèbres, de paralyse, d’atrophie du mouvement populaire nicaraguayen... Pas de conscience révolutionnaire, ni d’organisation... Pour diverses raisons le marxisme n’avait pas pénétré au Nicaragua." Fonseca observe que même les dirigeants communistes ignorent les fondements minimaux de la théorie marxiste...

Fonseca synthétise deux sources essentielles.

D’une part un socialisme dont la révolution cubaine et l’épopée sud-américaine du Che offrent à Fonseca comme à la jeunesse universitaire latinoaméricaine une preuve par neuf enivrante, inouïe, mais aussi tangible et raisonnable. Fonseca sera d’autant plus attentif aux luttes de libération nationale du Vietnam ou de l’Algérie.

D’autre part un nationalisme alimenté par la recherche fébrile d’archives et de témoins. Fonseca sort du dénigrement ou de l’embaumement somozistes deux figures fondatrices de la souveraineté nicaraguayenne - le général Sandino qui incarne la résistance paysanne, indigène, prolétaire, anti-impérialiste, bolivarienne et Ruben Darà­o, visionnaire de la guerre qu’une Amérique chrétienne, espagnole livrera tôt ou tard à celle, matérialiste, destructrice, des Etats-Unis..

L’historienne montre que le travail théorique de Carlos Fonseca est indissociable de sa longue marche fondatrice d’un Front Sandiniste quasi voué á l’échec avec ses innombrables martyrs, ses marches forcées dans la jungle, ses "casas de seguridad" , ses hold-ups de banques pour récupérer la plus-value, ses réunions clandestines à la chandelle, les arrestations, massacres, tortures, trahisons, les exils incessants, le besoin constant de renaître et le recrutement inlassable, la formation patiente de militants, le répit de quelques années réflexives à la Havane, jusqu’au dernier retour au Nicaragua, tout ce qui fit qu’une vie, une pensée ne pouvaient s’arrêter sous les balles comme le répondra son compagnon des premières heures Tomás Borge au garde jubilant qui lui annonçait la mort du leader : "Carlos est de ces morts qui ne meurent jamais."

"Sans doute, écrivait Fonseca en 1975, un an avant sa mort, ne nous correspond-il pas de découvrir les lois universelles qui conduisent à transformer la société capitaliste en une société d’hommes libres ; notre modeste rôle est d’appliquer les lois déjà découvertes á la situation de notre pays."

Les chapitres suivants seront écrits par les nicaraguayens eux-mêmes. Beaucoup pensent, loin du Nicaragua, que le sandinisme d’aujourd’hui n’a plus rien de commun avec Carlos Fonseca. Mais l’Histoire déteste le mot "fin".

Thierry Deronne

Références :

Matilde Zimmermann, Première édition (en anglais) : "Sandinista : Carlos Fonseca and the Nicaraguan Revolution" . Durham, NC : Duke University Press, 2001. 277 pp.

Deuxième édition (en espagnol :) "Carlos Fonseca Amador, Bajo las banderas de Che y de Sandino" . Editorial de Ciencias Sociales, La Habana 2004, 287 pp.

Chronologie détaillée de la vie de Carlos Fonseca Amador (en espagnol)

Album photographique accompagné de la chanson "Comandante Carlos Fonseca" de Carlos Mejà­a Godoy par la chanteuse cubaine Sara González.

Pour écouter Carlos Fonseca évoquant l’esclavage passé et contemporain du peuple nicaraguayen cliquer sur l’archive audio (espagnol).

Carlos Fonseca Terán, le fils de Fonseca Amador - actuellement responsable au sein du FSLN des relations internationales et de la formation politique - est l’auteur d’une analyse utile du sandinisme comme mouvement politique, "El poder, la propiedad, nosotros : la Revolución Sandinista y el problema del poder en la transformación revolucionaria de la sociedad nicaragüense" / Carlos Fonseca Terán. Managua : Editorial Hispamer, 2005. 634 pp. Voir l’analyse de cet auteur sur la conjoncture actuelle présente de l’Amérique Latine.

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