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Crop top ou abaya, fais ton choix, femme !

Les difficultés rencontrées par l'Éducation Nationale sont aussi innombrables qu'épouvantables pour la jeunesse, c'est-à-dire pour l'avenir du pays : la destruction du statut des enseignants qui les a conduits à côtoyer les paillassons et les salaires dérisoires pour la masse de travail que ce métier implique ont rendu la profession inattractive, entraînant dans leur déclin une chute des candidatures aux concours et des démissions en cascade. À chaque nouvelle rentrée, de plus en plus de postes d'enseignants ne sont pas pourvus, de plus en plus de classes se retrouvent sans professeur pendant des semaines voire des mois. En conséquence, les niveaux de recrutement baissent, Pôle Emploi, bientôt rebaptisé France Travail, publie des offres de vacations pour le compte de l'Éducation Nationale et on met devant les élèves soit de jeunes diplômés, ingénieurs ou mathématiciens, mais dépourvus de la moindre fibre pédagogique — l'expert ne fait pas toujours un bon passeur de savoirs — soit des profs qui ne maîtrisent pas la discipline qu'ils sont supposés enseigner. Le système réussi difficilement à maintenir l'illusion en nivelant par le bas. Le mammouth est tellement dégraissé qu'il pourrait servir de relique osseuse au Musée d'Histoire Naturelle.

Mais non, malgré tout cela, le nouvellement nommé ministre de l’Éducation Nationale n’a rien trouvé de mieux à faire, comme premier acte inaugural en cette rentrée 2023, que de tirer la sonnette d’alarme, ramollis que nous sommes par une chaleur estivale tardive, pour nous avertir du danger que fait courir à la nation française... une robe longue. Oyez, oyez, Françaises, Français ! Les Sarrazins sont revenus à nos portes ! Armez-vous de vos fourches ou à défaut, de vos smartphones ! Ils veulent rhabiller nos filles ! Et tout le monde se met à danser comme des cobras au son du joueur de flûte : les médias et la droite bien évidemment, toujours au garde-à-vous, le doigt sur la couture du pantalon à la seule évocation du mot « musulman », et puis les autres qui réagissent très vite aux trompettes de la « laïcité en danger » quitte à en oublier que celui qui souffle dedans ne s’appelle pas Louis Armstrong.

Alors, entendons-nous bien, parce qu’il est toujours très facile de labéliser une position sceptique comme la mienne de complaisance avec l’islam, autrement nommée « islamogauchisme ». Oui, oui, mettre dans des cases, c’est facile et commode car ça permet à la fois de discréditer toute mesure ou réserve et de reposer des neurones qui ne détestent rien tant que le désordre et la nuance : je suis, du bout du peu de cheveux qu’il me reste jusqu’à l’extrémité de mes ongles incarnés, un défenseur de la laïcité. Je suis viscéralement athée et anticlérical, l’idée de Dieu, d’Allah, de Bouddha ou de Krishna est aussi ridicule pour moi que celle d’un vieux barbu obèse vêtu de rouge qui se baladerait dans le ciel nocturne un soir par an sur un traineau tiré par des rennes au son des clochettes et qui en dépit de sa bedaine pourrait se glisser par le conduit de la cheminée pour distribuer les cadeaux qui comme par hasard correspondent exactement à ceux qu’on voulait et repartir comme il est venu... Sérieusement, les mômes, grandissez un peu ! Quelle andouille y croit encore au vingt-et-unième siècle ? Vive la science ! Vive Darwin ! Vive tout ce qui nous a permis de sortir de cet obscurantisme, y compris et surtout la laïcité.

Le problème n’est pas là.

D’abord, c’est la méthode qui me dérange. Car pour stigmatiser l’abaya, la robe en question, tous les médias emploient la même : illustrer leurs propos par la photo d’une femme voilée, symbolisant ce que nous, Occidentaux, considérons comme le diktat par excellence de l’islam. Ce n’est pas innocent car ce rapprochement permet inconsciemment de faire le lien entre un vêtement somme toute banal (une robe longue) avec un accessoire emblématique de l’histoire de la laïcité française : le voile islamique, ayant provoqué une polémique identique à la suite de laquelle celui-ci a été, à raison, interdit des établissements scolaires. Il s’agit tout bonnement d’un dénigrement par association (1). Représenter une abaya portée par une jeune fille qui a les cheveux au vent n’aurait pas le même impact et la robe ne serait pas très différente d’une autre robe longue, comme celle que beaucoup de femmes et de filles françaises portent dans la rue.

Il ne s’agit pas pour moi de plaider pour autoriser l’abaya à l’école de la République mais si la méthode semble malhonnête, c’est peut-être qu’il faudrait se poser des questions sur les intentions derrière elle. Je n’ai pas de réponse malheureusement, seulement des éléments de réflexion.

Le premier d’entre eux, c’est la constatation que nos quelques cinq millions de concitoyens de culture maghrébine, mélangés aujourd’hui aux nouveaux arrivants moyen-orientaux que la France a plus ou moins contribué à conduire à l’exil en plongeant leur pays dans le chaos et en détruisant leur gagne-pain, ont été réduits, essentialisés à leur religion. Mes amis, collègues, camarades en tout même en beuveries, cafetiers, enseignants, artistes ou ouvriers, Mohammed, Ali, Abdel, Aïcha, Djamila, Rachid et Samir, tous Français, nés en France, sont devenus du jour au lendemain exclusivement des « musulmans », quand bien même la plupart d’entre eux ne se définissaient pas comme tels à l’époque, ne parlaient jamais de religion et étaient pour la plupart sinon athées, non pratiquants. Me revient alors en mémoire que c’est précisément à ce sujet que j’ai écrit mon premier vrai article pour le Grand Soir, et permettez, pour le plus grand plaisir de mon orgueil, que je me cite moi-même : « Et il semble que plus aucun autre mot n’a été disponible pour parler d’eux. Musulmans. C’est tout. Et ad nauseam. On les a définis exclusivement par leurs croyances (et non pas leur éventuelle incroyance), bornés à leurs rites, dont on ne sait pas très bien ce qu’ils sont en vérité... emprisonnés dans leurs habits. Et non seulement, on les a réduits à ça, mais en plus on leur a fait savoir que tout ça, on le rejetait, on le haïssait. »

Ensuite, je m’interroge sur ces vêtements, cette abaya et ce qamis, plus connu d’ailleurs sous le nom de djellaba ou boubou selon l’endroit où l’on se trouve et sur le sens de leur dangerosité. S’il venait à une élève l’idée excentrique de porter un sari indien ou un kimono japonais, serait-elle, après un examen minutieux de la loi et du vêtement incriminé sous toutes ses coutures, exclue de son établissement scolaire ? Je gage que non. L’abaya, comme mes babouches, fait partie des vêtements traditionnels portés dans les pays musulmans, certes, et c’est bien là son péché originel. Mais tout comme le sari et le kimono, elle n’a aucune fonction religieuse, on comprend pourquoi il devient du coup nécessaire de la représenter quand elle est portée par une femme voilée : pour lui en donner une. Sinon, sur les épaules d’une femme ou d’une fille non voilée, c’est juste une banale robe longue. D’où les difficultés supplémentaires dans lesquelles sont plongés aujourd’hui au sein d’établissements scolaires à forte fréquentation d’adolescentes d’origine maghrébine ou moyen-orientale des personnels déjà pourtant bigrement occupés à d’autres choses : comment faire la différence entre une abaya et toute autre robe longue ? Je vais vous le dire, il n’y a qu’une seule manière de la faire : à la tête de celle qui la porte. Ou à son ethnie. Ou à sa race, si vous préférez. Chacun appréciera toute l’ampleur du progrès accompli dans la résolution des problèmes de l’Éducation nationale.

Enfin, les questions de longueur vestimentaire ont toujours été le fardeau des femmes et la prérogative des hommes. Que ce soit par la voix de la religion ou celle du capitalisme, ce sont les hommes qui globalement décident ce que les femmes doivent ou peuvent porter. La religion l’impose par la règle, le capitalisme par la publicité et la mode. Pour la première, la femme est sujet, pour le second, elle est objet. Mais dans l’un comme dans l’autre, la femme personnalise le danger pour l’homme, la tentation, le désir qu’il faut tantôt couvrir tantôt découvrir. C’est selon l’humeur de l’homme et surtout, ça dépend de ce en quoi il croit. S’il croit en Dieu, il la voilera, s’il croit en l’argent, il la dénudera. Eh bien, cette semaine, un homme occupant la plus haute fonction de son ministère a décidé que d’autres hommes disséminés sur le territoire contrôleraient et mesureraient la longueur maximale acceptable d’une robe portée par une jeune fille qui, si elle contrevenait à cette nouvelle règle par l’association entre son ethnie et le vêtement qu’elle porte, sera exclue de l’enceinte d’un établissement dont la fonction est la transmission des savoirs et renvoyée à la maison. Dis comme ça, d’un coup d’un seul, on s’envolerait presque en pensée vers des contrées où les femmes subissent des lois archaïques, tel l’Afghanistan, le Pakistan ou l’Arabie Saoudite. Tu parles, Charles !

L’islamomètre s’affole encore, mais une fois que nous avons tous et toutes admis que la laïcité est une composante intrinsèque de notre pays qui lui a permis de repousser les croyances religieuses hors des limites du pouvoir et dans celles de l’intimité, il n’en reste pas moins que nous devinons tous et toutes très bien l’intention que cache cette controverse saisonnière. Chez nous, parce que la laïcité fait souvent bon ménage avec l’islamophobie, les musulmans et les musulmanes sont régulièrement utilisés comme épouvantail à gogos, les diables que l’on fait sortir de leur boîte pour que les mêmes gogos parlent d’autre chose que des vrais problèmes du pays et dans ce cas précis de ceux de l’éducation de nos enfants et de son avenir. Ceux que j’ai énumérés dans mon introduction. Et arrivé à ce point de mon texte, à quelques mots de la fin, je ne sais toujours pas s’il faut interdire l’abaya, j’ignore si j’ai tort ou raison de penser ce que je pense et de dire ce que je dis, mais je continue de me demander s’il est rationnel d’avoir plus peur d’un califat imaginaire que de problèmes bien réels.

* * * * * * * *

(1) C ’est même une technique commerciale agressive. Un jour, la marque Pepsi a inventé le Pepsi incolore et cette nouveauté a instantanément rencontré beaucoup de succès auprès de la clientèle au point de faire perdre des parts de marché à son concurrent Coca-Cola. Ce dernier a réagi en créant son propre Coca incolore à la différence que celui-ci était infect. Lorsque ce nouveau Coca-Cola a été vendu dans les distributeurs et les magasins à côté des bouteilles de Pepsi, son goût volontairement infect a été très vite associé à la nouvelle gamme Pepsi dont les ventes se sont effondrées.

Xiao PIGNOUF

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