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Démocratie à la sauce ElBaradei : comment la révolution égyptienne s’est trahie elle-même

« La révolution est morte. Vive la révolution », écrit Eric Walberg, un expert politique du Moyen-Orient et écrivain, peu de temps après que l’armée égyptienne ait renversé le 3 juillet Mohammed Morsi, le Président égyptien démocratiquement élu.

Mais plus pour être plus précis, la révolution a été tuée dans une mort atrocement lente, et les meurtriers étaient trop nombreux pour pouvoir être décomptés.

Mohamed ElBaradei, un libéral issu de l’oligarchie, avec une triste bilan dans une carrière au service des puissances occidentales en tant que chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique, est un exemple des plus révélateurs de la crise morale et politique qui s’est abattue sur l’Égypte depuis la chute de l’ancien dictateur Hosni Moubarak.

ElBaradei - présenté comme un libérateur, à l’éducation occidentale - a joué un rôle très néfaste dans cette triste saga depuis son retour passé quasi-inaperçu en Égypte durant la révolution de janvier 2011 et jusqu’à l’éviction du seul président démocratiquement élu dans ce grand pays arabe. Son double langage témoigne non seulement de son caractère opportuniste comme politicien et chef du Parti Dostour, mais il est caractéristique de l’ensemble de la philosophie politique du Front du salut national, le groupe de coordination de l’opposition à laquelle il a servi de rassembleur.

L’homme à la voix douce, qui a rarement contesté la pression injuste imposée sur l’Irak lorsqu’il assurait ses services de chien de garde nucléaire des Nations Unies, s’est miraculeusement transformé en un politicien aux dents longues avec de fortes exigences. Son parti, comme le reste de l’opposition en Égypte, avait obtenu des résultats médiocres lors de chaque élection et référendum démocratiques organisés depuis l’éviction de Moubarak. Hélas, la démocratie s’est révélée sans effet durable. Après chaque échec électoral, ElBaradei et l’opposition ont réussi à apparaître encore plus forts grâce à un appareil médiatique énorme qui fonctionnait en permanence dans un puissant engagement collectif pour remodeler la scène politique du pays en leur faveur, indépendamment de ce que la majorité des Égyptiens pouvaient penser.

Peu de temps après, le 04 juillet, le général Abdel-Fattah El-Sissi a annoncé un coup d’État militaire dans ce qui était clairement l’aboutissement d’une conspiration bien organisée impliquant l’armée, la plupart des médias, l’opposition et les juges dissidents de l’ère Moubarak, et réduisant immédiatement au silence les médias des Frères musulmans. Le niveau d’organisation révélé dans ce coup d’État ne laisse aucun doute sur le fait que l’armée était tout sauf sincère quand deux jours plus tôt, elle avait exigé des partis politiques qu’ils règlent leurs différents dans un délai de 48 heures.

Mais bien sûr, il n’y avait pas de place pour un compromis, selon les intérêts de l’opposition de M. ElBaradei, et l’armée le savait pertinemment. Le 30 juin, un an après que Morsi ait pris ses fonctions dans un processus électoral transparent, bien que difficile, l’opposition s’est organisée dans le but sinistre d’éliminer le Président à tout prix. Certains ont invoqué l’armée, qui s’est avérée être extrêmement sournoise et indigne de confiance, pour mener la transition « démocratique ». ElBaradei a même invité les partisans de l’ancien régime à se joindre à sa croisade pour évincer la Fraternité musulmane du pouvoir. L’idée était simple : rassembler autant de monde dans les rues que possible, en se prétendant les représentants d’une deuxième révolution et en demandant à l’armée d’intervenir pour sauver l’Égypte de Morsi et de son prétendu mépris de la volonté populaire. Les militaires,entourés d’une bienveillance médiatique répugnante et bien orchestrée, sont venus à la rescousse au nom du peuple et de la démocratie. Ils ont arrêté le Président, coupé les chaînes de télévision islamiques, assassiné un grand nombre de manifestants et arrêté des centaines de personnes affiliées au parti au pouvoir. Des affrontements s’ensuivirent, tandis qu’ElBaradei et ses sbires jubilaient, l’Égypte étant, parait-il, sauvée.

Sauf que ce n’était pas le cas.

« Les propriétaires des médias de l’ère Moubarak et les principaux membres de l’opposition libérale et laïque de l’Égypte se sont associés pour créer sans doute l’une des campagnes de propagande les plus efficaces de l’histoire politique récente, diabolisant Morsi et les Frères musulmans », écrit Mohamed Elmasry de l’Université américaine du Caire.

Une grande partie de la presse en Égypte n’a jamais vraiment changé d’allégeances. Elle est restée aussi sale et corrompue qu’elle l’était sous le régime de Moubarak. Son rôle est de servir les intérêts des grandes entreprises et des élites politiques. Mais en raison de l’évolution de la réalité politique - trois élections démocratiques et deux référendums, tous remportés par les partisans des partis islamiques - il était impossible pour eux d’opérer en utilisant le même langage que par le passé. Eux aussi ont sauté dans le train de la révolution en utilisant les mêmes références, comme s’ils étaient à la pointe de la lutte pour la liberté, l’égalité et la démocratie.

Les forces réactionnaires de l’Égypte, non seulement dans les médias, mais aussi les juges pro-Moubarak, les militaires aux intérêts égoïstes, etc... ont réussi à survivre à la crise politique sans pour autant être particulièrement intelligents. Ils avaient tout simplement un espace énorme pour se regrouper et manœuvrer, puisque l’opposition désespérée d’ElBaradei et compagnie mettait tout son poids dans la balance pour déconsidérer Morsi, saper la réputation des Frères musulmans et dénigrer le processus démocratique qui les avait portés au pouvoir. Dans leur recherche désespérée du pouvoir, ElBaradei et ceux qui le soutiennent ont perdu de vue la révolution et de ses objectifs initiaux, renié la démocratie, mais plus grave encore, ils ont mis en danger l’avenir de l’Égypte elle-même.

Ce qui s’est passé en Égypte - en commençant par la « révolution » orchestrée le 30 juin, puis l’ultimatum de l’armée, le coup d’État militaire, l’impudique retour de l’ordre ancien accompagné du remplissage des prisons et de l’envoi de chars pour faire face à des civils désarmés - est non seulement décourageant pour la majorité des Égyptiens, mais représente aussi un énorme choc pour beaucoup de gens à travers le monde. L’Égypte qui a su inspirer le monde, est maintenant de retour à la case départ.

Depuis le début de ce qui est nommé le Printemps arabe, un débat intense à différents niveaux s’en est suivi. L’un de ses aspects dont on s’est le plus préoccupé est le rôle de la religion dans une démocratie digne de ce nom. L’Égypte, bien sûr, était au cœur de ce débat, et à chaque fois que les Égyptiens sont allés aux urnes, ils semblaient être d’accord avec le fait qu’ils souhaitaient voir une sorte de mariage entre l’Islam et la démocratie. Ce n’était guère une question facile, et jusqu’à présent il n’y a pas de réponse convaincante. Mais, comme dans toute démocratie vivante, c’est le peuple qui devrait avoir le dernier mot. Le fait que le choix d’un pauvre paysan d’un village égyptien éloigné ne corresponde pas à l’opinion élitiste de M. ElBaradei ne représente en soi aucun problème.

Il est regrettable, mais guère surprenant que la plupart des idéalistes qui ont investi la place Tahrir en janvier 2011 et ont parlé de l’égalité des droits pour tous, ne purent pas supporter les résultats de cette égalité. Certains se sont plaints que des décennies de marginalisation sous Moubarak ne permettaient pas que des Égyptiens pauvres, illettrés et analphabètes, prennent des décisions relatives à la représentation politique et à la constitution démocratique de l’Égypte. Et dans une triste tournure des événements, ces mêmes forces se sont ouvertement impliquées dans le renversement du Président démocratiquement élu et de son parti, et ils ont joyeusement célébré le retour à l’oppression comme un jour glorieux de liberté. ElBaradie peut maintenant revenir sur le devant de la scène et prodiguer ses leçons aux Égyptiens sur ce qu’est la vraie démocratie - et pourquoi, d’une certaine façon, la majorité n’a pas la moindre importance.

Ramzy Baroud

Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com

http://www.info-palestine.net/spip.php?article13747

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