Souvenez-vous : à l’automne 2013, pour protester contre la taxe poids lourds, baptisée « écotaxe », le mouvement des « Bonnets rouges » organise des manifestations et des actions coup de poing en Bretagne. Les petits patrons et les transporteurs bretons, qui défilent aux côtés de leurs salariés, redoutent l’impact de cette taxe écologique sur le coût du transport et donc sur les équilibres économiques fragiles de tout un secteur. Face aux protestations, qui débouchent notamment sur des affrontements violents avec les forces de l’ordre le 26 octobre, puis à une forte mobilisation, le gouvernement est contraint de geler la mise en œuvre de cette mesure, qui sera finalement suspendue par Ségolène Royal, alors ministre de l’Environnement, en octobre 2014. En 2017, la Cour des comptes a chiffré le coût de cet abandon à plus d’un milliard d’euros...
En octobre 2018, rebelote. C’est l’augmentation de la « taxe carbone », entraînant une hausse du prix des carburants automobiles, qui a mis le feu aux poudres cette fois, entraînant la naissance du mouvement des « Gilets jaunes ». Encore une mesure écologique qui ignore le quotidien et les difficultés des Français. Et qui déclenche la colère. Le gouvernement a choisi d’ignorer les avertissements de la Commission nationale du débat public sur l’énergie, qui avait pourtant averti que « l’incompréhension d’une partie des citoyens provoque une véritable fronde qui se cristallise sur le prix des carburants » et qui jugeait que la hausse de la taxe carbone était « pénalisante pour les plus dépendants aux énergies fossiles ». C’était l’époque où l’exécutif menait ses réformes tambour battant, « sans s’embarrasser de laborieuses concertations ni se soucier des critiques contre son attitude jugée trop autoritaire, technocratique et parisienne », comme le souligne le quotidien Le Monde. Bonnets rouges ou gilets jaunes, c’est surtout la pilule verte qui ne passe pas !
Et juste avant la hausse de la taxe carbone, il y a eu aussi les 80 km/h, qui ont déclenché la rébellion des automobilistes et des motards après l’annonce, le 9 janvier 2018, de la baisse de la limitation de vitesse sur les routes secondaires sans séparateur central. Une mobilisation qui est considérée par de nombreux observateurs comme un prélude à la forte contestation qui s’est ensuite exprimée sur les ronds-points, un signe avant-coureur, mais négligé, du ras-le-bol général qui s’est exprimé avec plus de force quelques mois plus tard.
Pourquoi toujours taper sur « la France périphérique » ?
Eh oui, l’automobile est un mode de transport quasi-incontournable pour les personnes habitant en zone rurale ou périurbaine. Hors de Paris et des grandes métropoles, la voiture est un outil indispensable pour faire ses courses, se rendre sur son lieu de travail et entretenir un semblant de vie sociale dans des territoires où les classes populaires sont sur-représentées. Mais ça, c’est la France d’en bas, celle en dessous de l’horizon politique, vue de Paris.
Cette année, la rengaine reprend : la Convention citoyenne pour le climat, regroupant 150 citoyens tirés au sort, manifestement très influencés par les « experts » qu’ils ont entendus, a formulé 150 propositions pour lutter contre le réchauffement climatique. Un catalogue de mesures dictées par la « bien-pensance », mais qui seront sans aucun doute mal vécues.
Beaucoup de propositions se résument ainsi à une vaste liste d’interdictions ou de limitations : interdiction de la vente des véhicules les plus polluants, des terrasses chauffées dans les bars et restaurants, limitation de la vitesse sur autoroute à 110 km/h (une mesure finalement écartée par Macron), interdiction de la publicité pour les produits les plus émetteurs de gaz à effet de serre, et des publicités lumineuses... Un inventaire à la Prévert qui semble signer le grand retour de l’écologie punitive.
Le cas des prospectus distribués en boîtes aux lettres est emblématique de cette idéologie bien éloignée du quotidien de « la France d’en bas ». Surfant sur la vague des bons sentiments, les députés du groupe Ecologie, Démocratie, Solidarité (EDS) ont d’ailleurs déposé un projet de loi qui vise à inverser la logique en vigueur depuis 2004 dans ce domaine. Aujourd’hui, les citoyens peuvent apposer sur leur boîte aux lettres une étiquette « Stop Pub » s’ils ne veulent pas recevoir d’imprimés publicitaires. Simple ! Demain, si cette proposition de loi est adoptée, la distribution de prospectus serait interdite sauf dans les boîtes aux lettres portant explicitement la mention « Oui Pub ». Fini le bon vieux catalogue de Noël ou les dernières promos au supermarché du coin, parmi bien d’autres imprimés utiles et appréciés. Faut faire culpabiliser dans les chaumières maintenant, et stigmatiser par un autre « signe extérieur de pauvreté » le « pollueur » qui veut encore des prospectus, quitte, donc, à détruire les forêts, réchauffer la planète et à tuer les bébés phoques...
Le plus consternant dans cette affaire reste que le bon sens semble s’être évaporé avec le réchauffement climatique : en 2004, lorsque le Stop Pub a été discuté à l’Assemblée, certains députés se sont quand même inquiétés des conséquences et demandaient des études d’impact. Point de réflexion en ce sens aujourd’hui : l’écologie, c’est le camp du bien et du bon, il ne peut en sortir que le meilleur. Erreur fatale ici encore, mais seulement pour certains.
Menaces sur l’emploi et le pouvoir d’achat des Français modestes
Il est sidérant de constater la légèreté avec laquelle l’affaire est expédiée : deux lignes en forme de couperet et point ! Une telle mesure déstabiliserait pourtant complètement la filière des imprimés publicitaires, et elle compte du monde ! Il y a d’une part ceux qui vivent du prospectus directement (fabricants de papier, concepteurs, designers, imprimeurs et distributeurs) mais aussi ceux qui ont besoin de cet outil marketing pour attirer les consommateurs dans leurs points de vente ou lors des événements : petits commerces, foire, brocante, événements sportifs ou festifs locaux... Bref toute la vie sociale et économique de la banlieue et de la province serait impactée.
La suppression pure et simple du prospectus serait aussi synonyme de disparition de dizaines de milliers d’emplois, en particulier ceux des quelques 27 000 distributeurs de prospectus, pour la plupart des personnes ayant un besoin vital d’un complément de revenus ou des étudiants obligés de financer leurs études. Distributeur de prospectus, c’est le petit boulot de ceux qui n’ont pas d’autres choix, à un moment de leur vie. Mais ceux qui se résignent à faire le tour des boites aux lettres par tous les temps sont souvent bien contents de pouvoir trouver un emploi souple, simple et près de chez eux. Tout le monde ne réussit pas « à traverser la rue » pour trouver l’emploi de ses rêves. A l’inverse, les fournisseurs d’applis e-commerce et de smartphones se frottent les mains : les GAFA en rêvaient, les écolos français l’ont fait ! Pas sûr que ça fournisse des emplois en France aux « sans dents » par contre.
Cette chasse aux prospectus, sous prétexte de lutte contre le gaspillage, ignore en plus complètement l’usage qu’en font des millions de Français pour grappiller un peu de pouvoir d’achat. Pour beaucoup de nos concitoyens, les imprimés publicitaires permettent en effet de comparer les offres et les promotions pour gérer au mieux leur budget. C’est pour eux un média de proximité indispensable pour savoir où ils pourront réaliser de bonnes affaires afin de réduire leurs dépenses du quotidien. Pour ces ménages modestes, les promotions viennent en tête des critères de choix des magasins et des produits. Et c’est encore sur ces habitants de la France périphérique que les écologistes vont taper ! Les décideurs parisiens ne savent-ils pas comment les Français font leurs courses ? Un sondage Ipsos l’a pourtant encore rappelé l’année dernière : 58 % des Français comptent leurs dépenses à dix euros près, et 14 % à l’euro près ! Il suffit pour s’en convaincre de prendre le temps de regarder ces familles regroupées autour d’un caddy venant faire leurs courses avec en main un prospectus annoté minutieusement page après page pour réussir à se nourrir, tout simplement !
L’écologie responsable mérite mieux que ces mesures dogmatiques, préconisées sans la moindre réflexion sur les conséquences réelles et concrètes pour les Français. Difficile de ne pas y voir une nouvelle preuve du souverain mépris pour la France périphérique d’un microcosme parisien en roue libre et en vase clos.