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Honduras : Discours d’une enseignante, militante de la Résistance, le jour où les élèves de son école reçoivent leur diplôme. (Rebelion)

statue du General Francisco Morazán

Notre monde n’a pas eu des étudiants depuis toujours. Les universités n’ont pas existé de tout temps. Les écoles sont une invention récente et les temps où a existé une relation entre un maître et son élève ne sont pas très anciens. Cela remonte à l’époque qui vit naître les grandes religions historiques comme le judaïsme, le bouddhisme et l’hindouisme et aussi à l’époque de la Grèce des philosophes où un petit nombre de savants privilégiés connaissaient l’art de déchiffrer la vie et, avec des artifices de magie, avec des mythes en guise d’explications et avec le logos au centre de leur raisonnement et de leur volonté de comprendre, ils inventaient un sens à la totalité du monde extérieur.

Les disciples étaient des espèces d’éponges qui absorbaient toutes les sortes de savoirs qui leur arrivaient, mais les pauvres ne sortaient pas de leur rôle d’esclaves et on ne devenait disciple que si on appartenait à la caste religieuse, politique ou militaire.

Dans ce savoir naissant, le soleil voyageait d’est en ouest, la Terre était plate et si vous arriviez au bord du monde, vous pouviez tomber dans l’abîme ; les dieux faisaient des enfants aux femmes qui mettaient au monde des centaures à visage humain et avec un corps d’animal ; la lune était un prétexte pour les amoureux et une tache ronde peinte par un dieu pour éclairer les hommes. Le savoir était un privilège d’une infime minorité et l’ignorance le patrimoine de l’immense majorité.

L’éducation servait pour exploiter et les maîtres traitaient leurs esclaves comme des bêtes de somme et tout aurait continué ainsi si ces derniers n’avaient pas fini par ouvrir les yeux.

Le Moyen à‚ge fit main basse sur les connaissances et les emporta dans les couvents. Vous ne pouviez donc pas devenir un écolier si votre famille ne possédait pas assez de bien pour payer un maître ou une institutrice.

La Révolution Française nous apporta les Lumières. Il fallait que l’éducation devînt laïque. Les hommes devaient se libérer de l’ignorance, des préjugés, des peurs religieuses et des dogmes qui pétrifiaient les esprits. Avec le marxisme, Dieu devint un conte de fées dispensé de nous expliquer que son soleil tournait autour de la terre et que sa terre, créée par un oracle obscur, demeurait immobile en son centre aristotélicien.

Qui a mis en application ces valeurs dans notre pays et en Amérique Centrale ?

C’est le Général Francisco Morazan, mais non pas ce général que vous pouvez voir sur la Grande Place de Tegucigalpa parce que celui-là c’est celui que les familles riches du Honduras et les militaires des Forces Armées et les membres de la Police qui matraquent le peuple honorent avec des bouquets et une hypocrite vénération. C’est logique : ils adorent la pierre, le marbre et l’arriération.

Ces gens veulent un Morazan impassible, immobile, qui reste là sans bouger, sans dire un mot, sans prononcer une parole, qui se taise, qui garde le silence.

C’est pourquoi ils ne peuvent pas tolérer la troupe des militants fidèles à Morazan, ces combattants qui manifestent dans les rues, qui protestent et veulent sauver ce pays dont les riches, les gringos et les Forces Armées ont fait un modèle d’arriération et d’ignorance.

L’Église elle-même, en son temps, condamna le Général Morazan, car il l’avait dépossédée de ses biens immobiliers. L’Église cherchait le ciel, mais la terre l’intéressait bien davantage. Il se trouva même une religieuse, au Guatemala, pour raconter qu’elle parlait avec les anges et que ceux-ci, la nuit, lui écrivaient des billets de papier blanc qu’elle semait ensuite dans les cloîtres des couvents et sur ces billets il y avait écrit : « Celui qui tuera Morazan gagnera directement le Ciel sans passer par l’antichambre du Purgatoire ».

Croyez-vous que Morazan aurait serré dans ses bras le Cardinal après que celui-ci ait apporté tout son soutien au coup d’État ?

Non, parce que Morazan, en son temps, irrita l’Église et aujourd’hui les véritables combattants fidèles à Morazan continuent d’irriter l’Église.

Pourquoi je vous raconte ça ?

En tant qu’enseignants, nous vous enseignons les mathématiques, les sciences naturelles, la philosophie, l’histoire, la sociologie, la sylviculture, l’agronomie, la physique, l’espagnol, mais, surtout, nous vous avons enseigné que le pays il faut le défendre dans la rue, dans les luttes, dans les marches de protestation et dans les rêves, qu’il faut le libérer des chaînes d’un système qui mise sur les nombres et qui méprise les personnes. Nous vous avons enseigné la dignité.

Pas question de courber la tête.

Il n’est pas facile de réussir ses examens de nos jours. Vos parents ont fait de grands sacrifices et vous, vous ne les avez pas déçus. Vous avez fait un pas en avant important ; beaucoup s’égarent en chemin, d’autres avec beaucoup de qualités, ne trouvent pas l’occasion de mettre celles-ci en oeuvre.

Ce que vous voyez devant vous, ce décor de fête, vos parents assis, là , dans cette salle, et vous sur le point de recevoir votre diplôme et vos professeurs endimanchés et cette ambiance de fête… Ca, jeunes gens et jeunes filles, c’est le rêve, c’est l’aboutissement des difficiles exercices scolaires, des dures épreuves d’examen, des longues heures d’étude, de vos uniformes scolaires mal repassés, des nuits d’angoisse de vos parents qui ont tant peiné à réunir l’argent qui leur était demandé.

Tout cela ce n’est qu’une goutte de la réalité, ce n’est qu’un lieu où règne la joie, ce n’est qu’un îlot de fête.

Parce qu’après aujourd’hui il y aura un samedi, il y aura un lendemain et il y a un chemin qui nous attend.

Vous voici arrivés à mi-chemin, mais le chemin continue. L’université est là qui vous attend. Continuez à étudier. Il y a peu de lieux pour le travail, mais il a toujours un lieu pour la créativité.

Ayez une vie digne quel que soit l’endroit où vous vous trouverez ; illuminez des routes par votre conduite. Soyez des phares qui donnent la bonne orientation ; que vos rêves ne s’enlisent pas dans l’individualisme ; en plus de lutter pour vote famille, luttez pour votre pays.

Aux futurs experts-comptables, je dis : 2 plus 2 ça ne doit jamais faire 5, pas plus que 100 plus 100 ne doivent faire 20 ; quelle que soit l’entreprise où vous travaillerez, soyez solidaires de vos frères ; ne fabriquez pas de fausses comptabilités parce que tôt ou tard la vie passe la facture.

Aux futurs agronomes, je dis : n’obéissez pas si on vous commande de semer du maïs ou des haricots rouges avec des gènes de poissons ; souvenez-vous que ce qui importe avant tout c’est de produire et d’être utile, mais que c’est une priorité encore plus grande d’assurer la sécurité alimentaire du pays. Et j’ajoute que personne n’est tenu d’obéir à qui que ce soit si cette obéissance implique de faire perdre sa dignité à un être humain, quel qu’il soit.

Je dois exprimer une reconnaissance toute particulière à vos maîtres ; ce sont eux les sculpteurs de vos destins professionnels ; en quelque sorte, la responsabilité de vos succès et de vos échecs incombe à la formation que l’école vous a donnée.

C’est pourquoi je les exhorte à faire en sorte que la mise au bon niveau professionnel et l’attention apportée à leurs élèves soient les bases fondamentales sur lesquelles repose notre devoir d’enseignants. Je tiens à exprimer ma reconnaissance aux parents, à ces parents qui nous ont supportés avec patience. Ces parents ont compris que nous avons subi les injures et les calomnies des médias de la communication qui défendent les intérêts des riches. Ces médias avaient parié que nous ne tiendrions pas jusqu’au bout de l’année scolaire. Ils ont reçu une leçon.

Parents, enseignants, élèves, soyons attentifs à la réalité sociale, à la vie, en somme. C’est ici qu’il nous a été donné de vivre, c’est ici qu’il nous est donné de rêver, d’espérer, qu’il nous est donné de lutter. Soyons attentifs parce que le pays et la patrie, parfois, nous appellent, soyons attentifs.

Soyons éveillés, disait Jésus et Jésus avait bien raison, parce que comme l’a fort bien dit le poète chilien Pablo Neruda : « Hautes sont les étoiles dans la nuit et Morazan veille ».

Leyla Zuniga
Rebelión http://www.rebelion.org/noticia.php?id=119065

Traduit par Manuel Colinas Balbona pour Le Grand Soir

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