Julian Assange est reparti vivre en Australie avec sa famille.
Après 14 années de privation de liberté, retrouver sa terre natale et la faire découvrir à ses enfants, lui ont permis de faire ses premiers pas dans la reconstruction, un processus que l’on sait long et loin d’être linéaire.
Alors le voir à Cannes, le voir rencontrer Lula et peu de temps après sa libération, le voir témoigner au Conseil de l’Europe à Strasbourg ont été des moments importants de cette année.
Le Conseil de l’Europe
Avant la libération d’Assange, dès janvier 2020, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) avait appelé les États membres à s’opposer à l’extradition du fondateur de WikiLeaks vers les États-Unis et avait réclamé sa libération. Dans le même élan, l’Assemblée avait décidé que les audiences d’extradition, à Londres, devraient être suivies par des députés de nombreux pays. On sait que cela n’a pas été possible et que la publicité des audiences n’a pas été respectée.
Plus tard, l’Assemblée a mandaté la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme pour qu’elle enquête sur l’affaire Assange. Cette enquête a donné lieu à la publication d’un rapport de l’APCE (1), un rapport rédigé par la députée islandaise Thórhildur Sunna Ævarsdóttir. Cette députée avait rencontré Assange en prison en mai 2024. Elle n’avait pas imaginé qu’en octobre 2024, Julian Assange témoignerait en personne devant la Commission et assisterait à la plénière qui voterait ce rapport le reconnaissant comme prisonnier politique.
Le 1er octobre 2024, Assange a pu se rendre à Strasbourg et témoigner devant la Commission. Dans son témoignage (2), il a confié qu’il n’était pas encore capable de parler de tout ce qui lui était arrivé, de parler de son incarcération, ni du traitement des prisonniers à Belmarsh, mais il a mis en évidence les raisons qui ont fait qu’il s’est retrouvé dans de telles situations, il a souligné que ces raisons sont bel et bien contraires à la liberté de la presse, à l’exercice du travail de journaliste. Le 2 octobre 24, l’Assemblée a approuvé le rapport de la Commission. Ce document se concentre sur les implications de la détention d’Assange et plus largement sur les effets de celle-ci sur les droits de l’homme, en particulier la liberté du journalisme. Il rappelle l’acharnement des États-Unis contre Assange et WikiLeaks dès après la publication de "Collateral Murder".
Il rappelle que les accusations sont basées sur l’utilisation extraterritoriale de la loi étasunienne sur l’espionnage (Espionage Act de 1917) pour ce qui était, en réalité, essentiellement de la collecte et de la publication d’informations d’intérêt public.
Il rappelle que Julian Assange a donc été puni pour avoir fait un travail de journalisme et seulement pour cela.
Le rapport engage le Conseil de l’Europe à reconnaître que Julian Assange est un prisonnier politique et à pousser le Royaume-Uni à mener une enquête sur le traitement qui a été réservé à Assange pendant le temps qu’a duré la prise de décision concernant son extradition.
Depuis octobre 2024 cependant ces points n’ont guère avancé.
Retour sur la libération d’Assange
Le lundi 24 juin 2024, Julian Assange est sorti de la prison de Belmarsh et a quitté le Royaume-Uni pour se rendre dans les Iles Mariannes, à Saipan, la capitale. Ces îles se trouvent dans l’Océan Pacifique mais sont considérées comme territoires des États-Unis (les avions qui ont bombardé Hiroshima et Nagasaki, sont partis d’une de ces îles Tinian).
Au tribunal de Saipan, le chef d’accusation auquel il a fait face était officiellement formulé de cette façon : « conspiration en vue d’obtenir et de divulguer des informations relatives à la défense nationale ».
En vertu de cette accusation, il pouvait être condamné à 5 années de prison (rappelons qu’il était, depuis 2019, menacé de 175 années de prison pour 18 chefs d’inculpation).
Grâce à la signature de cet accord dans lequel il reconnaît avoir violé la loi sur l’espionnage, Julian Assange a bénéficié d’une remise de peine pour les cinq années passées à Belmarsh, prison britannique de haute sécurité où il avait été maintenu prisonnier dans l’attente d’une décision britannique concernant sa possible extradition vers les États-Unis.
Cet accord, comme il l’a dit lui-même lui permettait de retrouver la liberté mais n’était en aucun cas un accord juste. « J’ai finalement choisi la liberté plutôt que la justice hors d’atteinte... »
Précisant même : « la justice est désormais exclue pour moi, car le gouvernement américain a insisté par écrit dans son accord de plaidoyer sur le fait que je ne pouvais pas déposer plainte auprès de la Cour européenne des droits de l’homme ni même demander la loi sur la liberté d’information pour ce qu’il m’a fait à la suite de sa demande d’extradition ».
Dans l’accord, le chef d’accusation portait sur la publication de documents secrets, par contre, à aucun moment, il n’y est précisé que les révélations portaient en fait sur des crimes de guerres, des abus de pouvoir ni qu’en agissant de la sorte, aussi bien la lanceuse d’alerte Manning que Julian Assange espéraient provoquer une réaction qui amènerait les États-Unis à enquêter sur ces faits. Lorsque Julian Assange avait publié ces documents (2010), il avait clairement dit que, même si pour WikiLeaks il s’agissait bien de crimes de guerre, ce serait à un tribunal de trancher sur base des documents publiés. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Aucun des responsables de ces crimes pourtant avérés n’a été ne serait-ce qu’inquiété... La lanceuse d’alerte et le journaliste ont été poursuivis et ont passé de nombreuses années en prison de haute sécurité et en isolement.
Les choses doivent donc être clairement dites, Julian Assange n’est coupable de rien, il a seulement fait son travail de journaliste, publier des informations vraies et d’intérêt public qui lui avaient été transmises par une lanceuse d’alerte.
A la signature de l’accord, il a déclaré qu’en tant que journaliste, il avait encouragé une source [Chelsea Manning] à fournir des informations dites classifiées afin de les publier. Il a ajouté qu’il pensait que le Premier Amendement protégeait cette activité et a précisé que ce Premier Amendement de la Constitution semblait bien être en contradiction avec l’Espionage Act.
Une question dont certains députés étasuniens et certains citoyens des EU se sont emparés pour faire en sorte de changer cette loi. Un changement qui devrait empêcher qu’elle puisse à nouveau être utilisée contre un journaliste ou un lanceur d’alerte.
C’est une des campagnes qui a été lancée depuis la libération d’Assange, l’autre étant celle de la demande de grâce qui effacerait la condamnation injuste infligée à Assange. Même si juridiquement, une condamnation provenant de la signature d’un accord de plaidoyer ne peut servir de précédant, il ne faut pas oublier qu’elle reste un moyen de pression utilisable contre d’autres journalistes.
Depuis sa libération, Assange est retourné en Australie où il vit avec sa famille. Il avait confié à plusieurs reprises à des visiteurs son rêve de faire découvrir son pays à ses enfants. C’est ce qu’il fait dans la réalité aujourd’hui. Ses interventions publiques sont rares mais fortes.
La première au Conseil de l’Europe a déjà été évoquée.
Sa venue à Cannes a été une surprise. C’est avant tout (en attendant la sortie du film -3-) sa présence au photocall qui a été remarquée. A cette occasion, il portait un t-shirt sur lequel on pouvait lire le nom des 4986 enfants de moins de 5 ans tués à Gaza depuis le 7 octobre 2023. Ce chiffre provient du ministère de la santé de Gaza, on peut imaginer que le nom de certains enfants n’y figure pas, encore enfouis sous des décombres...On ne peut s’empêcher non plus de penser que depuis la date d’impression du T-shirt, leur nombre a encore augmenté.
Mais ce qu’Assange nous dit avec ce T-shirt, c’est d’ouvrir les yeux, de dire les faits, de diffuser les informations et d’agir en conséquence.
La situation des journalistes dans le monde durant cette année
Depuis la libération de Julian Assange, la situation des journalistes dans le monde ne s’est pas améliorée. Depuis la libération d’Assange, la situation du droit à l’information ne s’est pas améliorée.
La pire des situations est bien sûr celle que nous découvrons chaque jour, pire chaque jour, en Palestine, à Gaza.
Depuis le 7 octobre 2023, depuis plus de 600 jours, les journalistes internationaux sont interdits d’entrée à Gaza. Je n’avais pas imaginé la quantité de journalistes que cela représentait. Le Syndicat des Journalistes Palestiniens (membre de la FIJ) a mené une enquête à ce sujet : 4600 journalistes internationaux se sont vu refuser l’entrée. Quelques-uns se sont vu proposer des visites encadrées par l’armée israélienne – le journalisme embarqué, on connaît -. Certains ont essayé de briser l’interdiction, ils ont été interpellés, arrêtés et expulsés.
En Europe, cette volonté de faire taire s’étend aussi. Dans plusieurs pays d’Europe, des journalistes travaillant sur l’information à propos de la Palestine ont aussi été visés, interpellés, maintenus en garde à vue, certains ont vu leur matériel de travail confisqué , voire même leur compte en banque personnel bloqué.
Dans le courant du mois de mai, l’Association de la presse étrangère (FPA) a appelé Israël à autoriser l’accès (sans restriction) à Gaza aux journalistes internationaux et en juin, 200 organisations ont réitéré cet appel par des interpellations publiques et par des actions juridiques devant la Cour suprême israélienne. Rien n’y fait.
Les seuls à pouvoir faire sortir des informations de Gaza, ce sont les journalistes palestiniens qui y vivent. Ceux-là sont directement viser par l’armée israélienne, comme on l’a dit à plusieurs reprises, leur veste « Press » destinée à les protéger les transforme en fait en cible. Le nombre de journalistes tués à Gaza dépasse 200. Plus certainement, mais comme pour les autres citoyens de Gaza, hommes, femmes, enfants, le nombre est difficile à évaluer tant de nombreuses victimes ne sont pas retrouvées, ensevelies sous les décombres. Le site : https://stopmurderingjournalists.com/ dénombre plus de 280 journalistes tués et dénonce le pire massacre de journalistes de l’histoire de l’humanité.
Pourtant, il y a encore des journalistes à Gaza. Il y aura toujours des journalistes à Gaza. Des hommes, des femmes, des jeunes continuent le travail. On pourrait paraphraser le Chant des partisans : « quand un journaliste tombe, un autre sort de l’ombre à sa place ».
Ces journalistes survivants continuent le travail, sachant ce qu’ils risquent, parce qu’il sont le dernier rempart à l’oubli, le premier lien pour construire hors de Palestine un mouvement de soutien qui fasse enfin basculer les décisions des politiques, en Europe par exemple.
Cette façon de viser les journalistes, en train de faire leur travail, n’est pas nouvelle. Avant 2023, le Syndicat des Journalistes Palestiniens avait déjà déposé 2 plaintes auprès de la CPI en 2002 et 2020 (année de l’assassinat de Shireen Abu Akleh).
Une nouvelle plainte a été déposée en 2024 mais sans aucun résultat significatif jusqu’à présent. Pour introduire ces plaintes, ils ont pourtant documenté plus de 1000 attaques contre des journalistes de Gaza et de Cisjordanie.
Pour soutenir le travail de ces journalistes, la FIJ a ouvert 3 centres d’informations à Gaza, les bureaux officiels et agences ayant été bombardés. Ces centres (ce ne sont parfois que des chapiteaux) permettent de rassembler un peu de matériel et de travailler. Mais les conditions restent très difficiles et instables, les bombardements continuent, le ciblage des journalistes continue, l’électricité provient de générateurs (parfois elle provient de quelques batteries de voiture) et, quand internet est coupé, tout se complique encore.
En interdisant l’entrée des journalistes internationaux à Gaza et en visant directement les journalistes qui se battent à Gaza pour faire passer l’information, Israël s’arroge les moyens de contrôler toute l’information qu’il laisse, en fait, aux mains de l’armée.
Après son témoignage à Strasbourg, Assange a répondu à quelques questions. Il a eu l’occasion d’insister sur la solidarité qui devrait exister entre journalistes mais qui malheureusement est souvent soumise à la ligne politique suivie par les médias. Cette ligne politique les pousse parfois à ne pas assez couvrir les assassinats de journalistes, en Palestine, en Ukraine .
Et aujourd’hui ?
Julian Assange a révélé des crimes de guerre commis par les États-Unis. Cela lui a valu 14 années de privation de liberté et une condamnation de 5 années purgées à Belmarsh en toute illégalité.
Julian Assange espérait que la révélation de ces crimes provoquerait une réaction et que les criminels seraient jugés. Cela n’a pas été le cas.
Aujourd’hui des crimes de guerre sont commis chaque jour par Israël en Palestine et l’Europe ferme les yeux.
Julian Assange a attiré notre attention sur la paix. Les guerres dénonce-t-il sont commencées par des mensonges. Il faut y entraîner les peuples qui – étrangement – préfèrent la vie...
Les mensonges sont répétés dans les médias autant de fois qu’il le faut pour qu’ils soient crus.
Les armes de destruction massive en Irak. " Israël a le droit de se défendre " répété et répété. Les bombes nucléaires de l’Iran...
Nos dirigeants, comme on les appelle, prennent des décisions.
Ce qu’on appelle encore nos démocraties reposent sur des comptages (contages ?) électoraux après lesquels les dirigeants croient que tout leur est permis. Pour diffuser leurs décisions, ils se reposent sur de nombreux médias porte-voix.
Dans son témoignage au Conseil de l’Europe, Assange a dit que lorsqu’il avait fondé WikiLeaks, son rêve était d’éduquer les gens sur le fonctionnement du monde. « Avoir une carte d’où nous nous trouvons nous permet de comprendre où nous pourrions aller. La connaissance nous permet de demander des comptes au pouvoir. »
Nous avons le droit et le devoir de dire non, de dire pas en notre nom.
Mais pour savoir où nous en sommes, l’information est primordiale.
C’est pour cela que nous devons non seulement dénoncer les médias qui ne font pas leur travail mais aussi apporter notre soutien aux journalistes qui gardent leur indépendance. Nous avons besoin d’eux.
Parmi ces journalistes, Stefania Maurizi a joué et continue de jouer un grand rôle dans l’affaire Assange et pour l’indépendance des médias.
Dans une publication sur X, elle appelait, face au risque d’une énième guerre, ceux ou celles qui auraient des informations importantes pour rétablir la vérité de les rendre public. Elle concluait par ces mots : nous avons besoin de 10, 100, 1000 WikiLeaks.
1- Texte du témoignage :
The detention and conviction of Julian Assange and their chilling effects on human right.
2) Intervention d’Assange – vidéo et traduction française du texte
3)- Julian Assange était présent à Cannes durant le festival.
La sélection du film de Eugene Jarecki The six Billion Dollar Man pour le festival de Cannes a été une belle surprise. Le film documentaire qui retrace la vie de Julian Assange a été deux fois primé (Golden Globe Prize for Documentary et Prix spécial du jury de l’Œil d’Or).
Dans l’équipe de tournage de ce film, on retrouve Juan Passarelli réalisateur ; caméraman et monteur qui a notamment réalisé le film The War on Journalism.