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Juin 2025 : l’OTAN, la réécriture du 9 mai et la mémoire trahie

En ce 5 juin 2025, alors que la nomination d’Annalena Baerbock à la présidence de l’ONU déclenche un scandale insupportable et attise une revanche idéologique, je prends la plume, sous le pseudonyme de Cassandre G., pour donner voix à un émoi profond, face à des actualités bouleversantes. Dans un Occident où dire la vérité expose au rejet, à la disqualification, à l’étiquette infamante de complotiste, j’accuse un virus insidieux – le “ mémoirel ” – qui manipule les souvenirs collectifs pour servir des intérêts idéologiques. Propagé par l’intelligence artificielle, les flux d’images et l’abrutissement consumériste, il nous rend à la fois complices et victimes. Je m’élève aujourd’hui contre l’effacement du 9 mai 1945, jour où l’Armée rouge et les Alliés brisèrent le nazisme. Je défends l’Histoire. Et la paix.

Un cri face à l’indicible

J’ai publié il y a peu un article intitulé « Le Naufrage mémoirel de l’Europe » sur une plateforme d’édition participative, un texte repéré, traduit et diffusé en Russie, mais dont le titre – et plus encore le terme mémoirel – a, semble-t-il, suscité davantage d’interrogations sur sa forme que de réflexion sur son fond.

Le mémoirel : un mot pour nommer la trahison

Certains ont tiqué sur ce mot rare, inventé pour nommer l’innommable. Il est vrai que mémoirel n’existe dans aucun dictionnaire. Mais ce n’est pas un caprice stylistique. Ce terme désigne un système pervers, un champ trouble où se croisent souvenirs collectifs embarrassants, creusés tantôt profondément, tantôt de manière superficielle ; oublis stratégiques pour disculper ou réconcilier les peuples ; réécritures organisées et glorifications douteuses. Tel un virus insidieux, amplifié par l’intelligence artificielle, les écrans et la saturation consumériste, le mémoirel agit, tantôt subliminal, tantôt brutal, enrôlant chacun – élites, citoyens, médias – dans une complicité inconsciente. Nous sommes tous victimes et acteurs d’un récit modelé par des intérêts complexes. Et peut-être est-ce justement là ce qui dérange.

Les angles morts de l’Histoire

Car parler de mémoirel, c’est éclairer les angles morts. C’est braquer un projecteur sans détour sur les silences arrangeants, les non-dits diplomatiques, les inversions historiques remisées dans le soft power occidental et les manuels scolaires édulcorés. Cela révèle, avec une netteté glaçante, les désirs de revanche, les nostalgies perverses qui suintent dans les curriculums occultés de certains aïeux compromis, les postures faussement modernes masquant le retour de vieilles haines. Sous prétexte que « l’eau a coulé sous les ponts », on nous intime d’oublier. Mais oublier quoi ? Et au profit de qui ?

La peste brune rôde encore

Ce que l’on feint d’ignorer, sous couvert d’équilibre, de réconciliation ou de « mémoire partagée », revient à réhabiliter les racines mêmes de la violence. Oui, la peste brune – qu’on croyait reléguée aux marges délirantes de l’Histoire – rôde, décomplexée, revancharde, parfois drapée dans les oripeaux du Bien, sous la bannière bleue et étoilée de l’Union européenne.

Que reste-t-il du 9 mai ?

L’article précédent posait une question simple : que devient la mémoire historique dans l’Europe contemporaine ? Que fait-on, aujourd’hui, du rôle déterminant de l’Armée rouge dans la défaite du nazisme, du sacrifice des 27 millions de morts soviétiques, dont une majorité de civils ? Quelle place donne-t-on encore à cette mémoire, ce 9 mai 2025 – et surtout, que signifie son effacement ?

Un triomphe manipulé

Aujourd’hui, le 9 mai 2025, triomphalement fêté à Moscou et partout dans la Fédération de Russie et de nombreuses ex-républiques soviétiques, aurait dû unir le monde dans un hommage universel. Pourtant, quatre-vingts ans après la victoire de 1945, ce jour est détourné en terrain d’affrontement idéologique. Les menaces de Kaja Kallas, commissaire aux affaires étrangères de l’UE, contre les dirigeants présents à Moscou, et la nomination d’Annalena Baerbock, avec ses déclarations belliqueuses (« nous ferons la guerre à la Russie », 2023), marquent un point de bascule [1, 2]. Derrière les hommages réécrits et les silences concertés, une volonté de réorganiser le récit se dessine. Les déclarations de Kallas, révisant sans détour les responsabilités historiques, et l’ascension de Baerbock, avec son « virage à 360 degrés » moqué mondialement, le montrent cruellement : on ne se contente plus d’oublier, on inverse [1].

Le paradoxe de Cassandre

Et pourtant, à lire certains commentaires sur la plateforme participative que je mentionnais précédemment, on peine à croire que mon texte ait été lu. Ou alors, il a été lu comme on lit ce que l’on veut réfuter d’avance : à travers les filtres de la haine, du réflexe idéologique, du déni. C’est le paradoxe de Cassandre : dire les faits, les nommer, les démontrer – et n’éveiller que sarcasmes ou silences.

Le joker du pacte germano-soviétique

Par exemple, dans les critiques hostiles de ceux qui s’alignent sur les narratifs occidentaux, on me ressort le pacte germano-soviétique comme un joker historique, un antidote supposé à tout ce que j’avance. Sans contexte, sans nuance, sans honnêteté. Rappelons, encore : ce pacte fut signé après les accords de Munich, dans une Europe trahie par ses élites, où la Tchécoslovaquie fut livrée sans combattre. L’URSS, isolée, tenta en vain un front commun avec la France et la Grande-Bretagne. Ce n’est pas une justification. C’est un fait. L’ignorez-vous ? Ou bien votre vision, trop ethnocentrée, vous empêche-t-elle encore d’en saisir les nuances ?

L’absence de débat véritable

Mais ce qui sidère, ce n’est pas cette réaction pavlovienne des atlantistes, imprégnés de déni, ânonnant les médias de grands chemins : c’est l’absence totale de débat sur le fond. Pas un mot sur les propos de Kallas, pas un frémissement face à la réhabilitation de figures nazies dans les pays baltes ou en Ukraine. L’avenue menant au mémorial de Babi Yar à Kiev porte désormais le nom de Stepan Bandera. Un nazi, génocidaire, érigé en héros ? [3] Un autre nazi, ex-supplétif des SS, fut ovationné au Parlement canadien en 2023, applaudi par tous, salissant la mémoire des Canadiens tombés contre le nazisme. Cherchez l’erreur [4]. Rien ne semble choquer l’Occident collectif.

Un silence qui trahit

Aucune indignation face à l’effacement d’une mémoire résistante, d’un pan entier de l’histoire européenne – comme si les victimes gênaient dès l’origine. Ce silence n’est pas neutre. Il est complice. Il suggère que, pour certains, cette mémoire est une menace, et son effacement, une victoire. Une question, brutale : que protègent ceux qui refusent de voir, d’écouter, de lire ?

Une blessure vive

Ce que je ressens, face aux réactions de nos contemporains proches, n’est pas seulement de la tristesse ou de l’agacement. C’est une blessure plus vive, une inquiétude profonde. Ce texte n’a pas provoqué de débats argumentés, mais des crispations passionnelles, chez celles et ceux imprégnés de haines anciennes, installés dans leurs dissonances cognitives, incapables d’une analyse cohérente – mais prompts à nourrir, sciemment ou non, un climat de revanche anti-russe. Car c’est cela qui se joue : une revanche où le nazisme s’estompe, les responsabilités se diluent, les victimes s’effacent, parfois confondues avec leurs bourreaux.

Défendre la vérité humaine

J’insiste : il ne s’agit pas de défendre le système soviétique. Il s’agit de défendre la vérité historique, la mémoire des résistantes, des rescapés, des victimes – de l’Est comme de l’Ouest. La dignité de millions de martyrs dont le sacrifice a préservé l’Europe et l’Occident. Les peuples soviétiques – Russes, Ukrainiens, Biélorusses, Tatars, Juifs, etc. – furent les premières cibles du nazisme, et c’est leur héroïsme qui sauva l’Europe.

Le sacrifice oublié de l’URSS

Si nous ne parlons pas aujourd’hui allemand, si nos livres, nos écoles, nos libertés n’ont pas été broyées, c’est parce que l’URSS a tenu, au prix du sang, ce front de l’Est abandonné par d’autres. Leur courage ne doit pas sombrer dans l’oubli.

Le mémoirel, un mot de justice

Dans cette lumière crue, mémoirel n’est plus un mot étrange. C’est un mot juste. Il nomme ce qui reste d’une mémoire en ruines, où l’on trie soigneusement les fragments à conserver. Il traduit l’embarras de ceux qui savent mais refusent de se souvenir. Et il incarne le devoir de celles qui nomment les absents, font parler les silences, résistent – là où la mémoire s’effrite.

Troubler les esprits formatés

On dira que ce texte dérange, qu’il ose défier les récits où le Bien et le Mal sont assignés d’avance, selon les besoins du moment. Peut-être qu’il trouble les certitudes. Mais il ne relativise rien – il rappelle que l’Histoire ne tolère pas les amputations volontaires, et que l’oubli organisé est une trahison.

Un peuple effacé, une blessure

Ce ne sont pas « les soviétiques » qu’on efface : ce sont des peuples, des ouvriers, des paysans, des mères, des soldats – des millions de femmes et d’hommes qui, par patriotisme et dignité, ont brisé le nazisme. On les insulte en déboulonnant leurs statues, en débaptisant leurs rues, en raturant leurs noms. On somme leurs descendants de s’excuser d’avoir vaincu. Leur douleur est la nôtre.

La réhabilitation des bourreaux

La réhabilitation des bourreaux n’est pas seulement une insulte à l’Histoire : elle est un symptôme. Celui d’un monde malade de sa mémoire, prêt à maquiller les cicatrices pour mieux exhiber sa puissance. Celui d’une Europe qui, à force de nier ses vérités profondes, s’apprête à ressusciter ses pires démons.

Je parle ici pour ceux qu’on ne veut plus entendre. Pour ceux qu’on somme de se taire, ou de se repentir d’avoir survécu.

Je parle pour que l’on se souvienne. Et que jamais la paix ne soit trahie.

Les fureurs des atlantistes belliqueux

Alors, quelles réactions ? Prévisibles, surtout chez les hostiles, alignés sur un atlantisme belliqueux, ethnocentré, convaincus que la vérité s’écrit sur les plateaux des médias mainstream. Les cyniques détournent les yeux. Les alignés crient au scandaleux, comme si les faits étaient des crimes. Les bornés, croyant que l’Histoire doit plier aux exigences de l’OTAN ou aux caprices de Bruxelles, hurlent leur haine sans répondre au fond.

Ne plus fuir la vérité

Ce texte ne leur demande pas d’aimer la vérité – mais qu’ils ne puissent plus la contourner. S’ils choisissent l’imposture, ils s’allient à la Bête. Le crime n’est pas d’avoir été soviétique : c’est d’effacer celles qui ont sauvé le monde. Le 9 mai n’est pas qu’un souvenir. C’est un test moral, politique, intellectuel. Et beaucoup, hélas, s’en excluent.

Un naufrage orchestré

Vingt-quatre jours après le 9 mai, la nomination de Baerbock, avec son bellicisme affiché et ses contradictions stratégiques, aggrave ce naufrage mémoirel, un affront insoutenable à la mémoire résistante [1]. Chomsky l’écrivait : « Les institutions sont les outils des élites pour leur domination » [6]. Baerbock et Kallas, liées au Forum économique mondial et à l’Atlantic Council, mènent cette revanche, reléguant la paix, comme lors de l’échec des pourparlers d’Istanbul [5]. Un témoin l’a noté (Le Grand Soir, 5 juin 2025) : la Russie est un exutoire, détournant les peuples de leurs désillusions [7]. Face à ce mémoirel pervers, ma voix, attristée mais obstinée, clame : se souvenir, c’est résister.

Conclusion

Il faudra du courage, un jour, pour regarder l’Histoire en face. Pour honorer les morts sans trier, sans trahir. Pour désarmer les récits partiaux, les revanches mal digérées, les propagandes en boucle. Ce jour viendra peut-être trop tard. Mais il viendra.

Et ce jour-là, on comprendra peut-être que Cassandre ne criait pas contre le vent, mais contre l’amnésie organisée.

Cassandre G. Printemps 2025

Sources :
[1] Baerbock : Reuters, 24 janvier 2023, Conseil de l’Europe ; Le Monde, 3 mars 2025.
[2] Kallas : TASS, 7 mai 2025.
[3] Avenue Bandera : The Guardian, 10 juin 2022 ; Snyder, T., Bloodlands, 2010.
[4] Parlement canadien : CBC News, 22 septembre 2023.
[5] Istanbul : Al Jazeera, 15 mars 2023.
[6] Chomsky : Who Rules the World ?, 2016.
[7] Le Grand Soir, commentaire anonyme, 5 juin 2025.
Note sur l’image : Inspirée d’Edmond François Calvo (La Bête est morte).

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COMMENTAIRES  

05/06/2025 10:56 par Vincent

Chère Cassandre,
Je vous renvoie vers ce beau texte qui vous rend joliment hommage.
Bien à vous,

05/06/2025 13:27 par Clément

Ces manipulations de l’histoire, ces occultations systématiques, ces dénis, ces livres d’historiens malhonnêtes, ces mensonges purs et simples, il est indispensable et méritoire de les dénoncer sans relâche.
Répétés mille fois, et partout, deviennent-ils vérités ? Sans démenti, sans résistance intellectuelle, en tous cas ils envahissent les esprits et colonisent les opinions. Les faits sont têtus, mais leur transcription falsifiée, épidémie galopante, finit par prendre la place de la vérité ; et surtout, danger immense, avec les outils de l’(in)intelligence numérique, qui ’’documente’’ le faux de plus en plus sournoisement, il est déjà hautement compliqué et difficile de s’y opposer.
Cet article clair, argumenté, documenté et pugnace, est donc précieux pour résister aux mensonges du système impérialiste/capitaliste, cette loi de la jungle érigeant le profit en valeur suprême et l’occident en détenteur de la seule vérité.
Les essais et analyses théoriques qui permettent de contrebalancer la propagande massive du néolibéralisme fascisant sont indispensables, car le rouleau compresseur de la machine médiatico-numérique planétaire canalise les opinions publiques et appauvrit la pensée autonome et l’esprit critique.

Cependant, il existe un autre front intellectuel : les récits de fiction propagées par les industries médiatiques et de loisirs (livres, cinéma, séries TV, réseaux, publicités, jeux vidéo...) diffusent, sournoisement et en permanence, une vision décourageante et immuable de la société vue comme un marché imposant une concurrence obligatoire de chacun contre tous, et le ’’droit’’ du plus fort comme une fatalité... Il convient donc de lutter également sans relâche sur le terrain de l’imaginaire et des représentations.

Dans cet esprit de résistance, un livre vient de paraître, "Sonia ou l’avant-garde" (Michel Lévy) - sans doute le seul roman contemporain qui traite de la lutte pour nous débarrasser du régime capitaliste et pour établir une société de la propriété collective des ressources et des fruits du travail.

C’est un vrai livre en papier (n’existe pas en numérique à cause du pillage commis par les voleurs Gafam).

05/06/2025 14:28 par CAZA

Humm On peut toujours rêver :
<<< Il faudra du courage, un jour, pour regarder l’Histoire en face. Pour honorer les morts sans trier, sans trahir. Pour désarmer les récits partiaux, les revanches mal digérées, les propagandes en boucle. Ce jour viendra peut-être trop tard. Mais il viendra.

Depuis David ,l’éleveur cultivateur génocidaire ,qui a assassiné avec une arme de destruction massive Goliath le dernier des chasseur cueilleur et les Romains qui ont génocidé les Celtes pour leur apporter la culture jusqu’ aux Européens qui ont " découvert" les peuples natifs pour leur apporter la religion et leur voler leur terre les exemples ne manquent pas d’ inversions propagandistes de l’ Histoire pour la gloire des assassins .

Le Diplo sur la propagande anti/Russe .
https://www.monde-diplomatique.fr/2024/10/BREVILLE/67656#tout-en-haut

Le diplo et le Roman National
https://www.monde-diplomatique.fr/mav/166/A/60114

Le Diplo pour perdre tout espoir "sur l’ Histoire jugera "
Manière de Voir de Aout 2019 et pas une ride
https://www.monde-diplomatique.fr/mav/166/

05/06/2025 14:58 par CAZA

RE
Sur les accords de Munich dont il était question récemment :
Les accords de Munich, un choix antirusse .
https://www.monde-diplomatique.fr/2018/10/GORODETSKY/59133

Suite non abonnés :
Tout juste un mois après l’accord de Munich, le premier ministre britannique Neville Chamberlain, avocat de l’apaisement avec l’Allemagne, confia au roi George VI qu’il était « significatif que ni la France ni la Russie ne se soient mutuellement posé des questions pendant la crise ». Le premier ministre considérait qu’il valait mieux laisser les Soviétiques à l’écart. Dans une lettre à sa sœur, il se fit fort de résister aux pressions qu’exercerait Winston Churchill pour « conclure une grande alliance contre l’Allemagne » : « Heureusement, je suis d’un naturel extrêmement obstiné et je refuse de changer. »
Discussions « sabotées »

Malgré son évidente prédilection pour l’idéologie, Joseph Staline menait une politique étrangère hautement pragmatique et rationnelle, fondée sur les rapports de forces et les sphères d’influence. L’historiographie de la conférence de Munich a délibérément passé sous silence les efforts intenses de la diplomatie soviétique pour contrecarrer les actes belligérants de Hitler au cours des cinq années précédentes.

À l’automne 1932, le ministre des affaires étrangères, Maxime Litvinov, avertissait Staline que l’Allemagne de Weimar était « en phase terminale » et que les avancées du nazisme rendraient nécessaire une volte-face radicale dans les relations de Moscou avec le Royaume-Uni et la France. En 1934, ce revirement fut bien accueilli par le ministre des affaires étrangères français, Louis Barthou, et il permit l’entrée de l’Union soviétique à la Société des nations (SDN). En mai 1935, la France signa avec l’Union soviétique un traité d’assistance mutuelle, suivi d’un accord semblable entre l’URSS et la Tchécoslovaquie. Il existait cependant entre ces deux textes — par ailleurs identiques — une différence significative, qui allait leur retirer toute efficacité en 1938 : le président de la Tchécoslovaquie, Edvard Beneš, avait insisté pour que figure dans le traité qu’il avait signé une clause conditionnant toute assistance de l’Union soviétique à une intervention préalable de la France. La position française était ainsi devenue cruciale en 1938 : faute d’assistance, la Tchécoslovaquie se retrouverait seule face à l’Allemagne.

La lune de miel avec Moscou se révéla éphémère quand, le 9 octobre 1934, à Marseille, Barthou fut assassiné en même temps que le roi de Yougoslavie Alexandre Ier et remplacé par Pierre Laval, moins bien disposé à l’égard des Russes au cours des quatre années suivantes. En France, la montée des conflits sociaux tout au long des années 1930 fit craindre à Moscou un virage à droite progressif des élites, voire leur conversion au fascisme.

De même, l’ambassadeur soviétique à Londres, Ivan Maïski, alla de frustration en frustration, de 1934 à 1936, en tentant vainement de battre en brèche l’hostilité britannique. Un accord franco-germano-britannique « aux dépens de la Russie » semblait se dessiner. Presque deux années d’efforts frénétiques pour donner de la substance au traité franco-soviétique ne produisirent aucun résultat. Staline essaya de changer de braquet, mais ses ouvertures diplomatiques précipitées et clandestines en direction de Berlin afin d’anticiper la politique britannique d’apaisement n’eurent aucun écho.

En mai 1937, la nomination de Chamberlain à la tête du gouvernement britannique coïncida avec la Grande Terreur à Moscou. La politique étrangère soviétique resta cependant stable, et, en juillet 1937, Maïski assura à Chamberlain que son pays ne poursuivait aucun dessein idéologique d’utiliser la crise internationale pour imposer « un système communiste ou autre » où que ce soit en Europe. Peine perdue. À l’issue de l’entretien, le premier ministre se déclara convaincu que, « de manière subreptice et par la ruse, les Russes tiraient les ficelles dans les coulisses pour nous entraîner dans une guerre avec l’Allemagne », une guerre qui, pour la majorité des conservateurs, aurait pour résultat une expansion du communisme. Insensible aux avertissements de voix plus raisonnables, Chamberlain préféra suivre sa propre boussole émotionnelle. « J’avoue que j’ai la plus profonde méfiance à l’égard de la Russie », écrivit-il à sa sœur, et il ajouta : « Je ne crois pas une seconde qu’elle soit capable de mener une offensive efficace, même si elle le voulait. » Un ton probablement fort différent de celui utilisé dans ses relations avec Hitler…

En février 1938, la démission d’Anthony Eden de son poste de ministre des affaires étrangères n’arrangea pas les choses. Le comportement de dilettante de son successeur, Edward Frederick Lindley Wood (lord Halifax), dans la conduite de la diplomatie permit à Chamberlain de court-circuiter le Foreign Office et de s’appuyer sur ses propres conseillers. La position soviétique fut encore plus ébranlée par la réaction particulièrement mesurée de Londres à l’annexion de l’Autriche par Hitler, le 12 mars 1938. « Extrêmement pessimiste », Maïski craignait que Chamberlain — qu’il pensait guidé exclusivement par ses penchants idéologiques — ne « jette par-dessus bord » la SDN et ne tente de ressusciter l’accord quadripartite de 1933 (3)« excluant l’Union soviétique ».

À Genève, cependant, Litvinov continua à explorer la possibilité de reconstituer une coalition antinazie à partir de la SDN. Mais quand, en avril 1938, il rencontra Léon Blum, redevenu président du Conseil français, il se trouva face à un homme qui n’était pas assuré de son avenir. Litvinov câbla à Staline que Blum lui avait donné « une impression de fatigue et de fatalisme d’outre-tombe ». Quant aux discussions militaires franco-soviétiques, qui avaient constamment été reportées par les Français, le chef du gouvernement reconnut qu’elles étaient en train d’être « sabotées », non seulement par les généraux, mais aussi par Édouard Daladier, son puissant ministre de la défense, qui le remplaça peu après en s’alliant avec la droite.

Le sommet franco-britannique tenu à Londres les 28 et 29 avril mit en évidence l’attitude hégémonique de la puissance invitante. Le plaidoyer de Daladier en faveur d’une vigoureuse résistance à Hitler en Tchécoslovaquie, avec l’aide soviétique si nécessaire, fut sèchement récusé en privé par le sous-secrétaire d’État Alexander Cadogan, qui le qualifia de « très belle mais épouvantable ineptie ». Lors de la visite du roi George VI à Paris, Halifax raya en quelque sorte la Tchécoslovaquie de la carte en la présentant comme un État artificiel et en disant à ses interlocuteurs français qu’il la jugeait incapable tant de se défendre elle-même que de recevoir une assistance de l’extérieur. À Londres, dans ses conversations à cœur ouvert, Maïski fit état de l’existence en Russie d’un « mouvement naissant vers l’isolement » imputable à l’habitude de l’Occident de tenir son pays à bonne distance. L’ambassadeur promit cependant que, dans l’hypothèse où la France et le Royaume-Uni viendraient au secours de la Tchécoslovaquie en cas d’invasion de la région des Sudètes par l’Allemagne, la Russie se mettrait dans ce qu’il appela « notre camp ». Mais, dans le même souffle, Litvinov faisait le constat amer que, sans l’aide des Occidentaux, « il était difficilement envisageable de faire quoi que ce soit de substantiel alors qu’ils ne jugeaient pas nécessaire de rechercher notre appui. Ils nous ignorent et ils décident entre eux de tout ce qui a trait au conflit germano-tchécoslovaque ».

À Paris, Georges Bonnet, le nouveau ministre des affaires étrangères, pensait que l’unique désir de la Russie était de « fomenter une guerre générale dans les eaux troubles où elle ira à la pêche ». Le 2 septembre 1938, pour la préparation de l’assemblée générale de la SDN, Litvinov convoqua Jean Payart, chargé d’affaires français à Moscou. Afin de lever les incertitudes sur la position soviétique, il lui demanda de faire savoir à Bonnet que, pourvu que la France remplisse ses obligations, « l’URSS s’était également engagée à remplir les siennes en application du pacte tchéco-soviétique ». Il insista aussi pour la tenue immédiate de négociations militaires entre des représentants des forces armées soviétiques, françaises et tchécoslovaques, et pour l’inscription de la crise à l’ordre du jour de l’assemblée générale. Les conclusions sans équivoque que Maïski tira de ces conversations sont particulièrement éclairantes pour les historiens : « Nous sommes disposés à apporter une assistance armée à la Tchécoslovaquie si les autres sont prêts à faire leur devoir. Seront-ils à la hauteur des exigences de ce moment historique particulièrement grave ? »

Conscient du scepticisme de sa hiérarchie au Quai d’Orsay, Payart minimisa la portée du message et suggéra cyniquement que le ministre soviétique savait pertinemment que la Russie ne serait pas appelée à remplir ses obligations. Le 4 septembre, Maïski, dépité de n’avoir pas eu de réponse de la France, se rendit dans la résidence de campagne de Churchill. Il lui dévoila « en détail » le contenu de la déclaration de Litvinov à Payart et l’incita à transmettre cette information à Halifax. La réponse arriva le 7 septembre sous la forme d’un ballon d’essai lancé par The Times au nom du cabinet restreint britannique. Celui-ci conseillait vivement au gouvernement de Prague de céder à l’Allemagne la région des Sudètes, dans la mesure où « les avantages qu’en tirerait une Tchécoslovaquie devenue un État homogène l’emporteraient sur les évidents désavantages de la perte des districts frontaliers allemands des Sudètes ». Le 8 septembre, remuant le couteau dans la plaie, Halifax convoqua Maïski afin qu’il fasse savoir à Litvinov que, à son vif regret, et compte tenu de la menace d’une crise en Tchécoslovaquie, sa présence n’était pas souhaitée à Genève. Halifax était soucieux de ne pas provoquer Hitler en dialoguant avec les « rouges ».
Route barrée pour l’Armée rouge

La session de la SDN — moralement discréditée pour avoir pratiquement ignoré la crise tchèque — coïncida avec l’annonce par Chamberlain, dans la soirée du 14 septembre, de sa décision de rencontrer Hitler à Berchtesgaden. Ce qui allait conduire à la conférence de Munich. Litvinov ne put que laisser libre cours à sa frustration dans un discours enflammé où il réitérait l’engagement soviétique. Il terminait par un avertissement prémonitoire : la « capitulation » franco-britannique ne pourrait qu’avoir d’« incalculables et désastreuses conséquences ». Sa demande d’une réunion d’urgence, à Paris ou à Londres, d’experts militaires des trois pays fut écartée d’un revers de main par le Foreign Office au motif qu’elle avait « peu d’utilité », dans la mesure où elle ne pouvait manquer de « provoquer l’Allemagne à coup sûr ».

Pendant ce temps, entre le 21 et le 23 septembre, l’Armée rouge mobilisait et déployait des forces considérables dans les districts militaires spéciaux de Kiev et de Biélorussie. Environ soixante divisions d’infanterie, seize divisions de cavalerie, six corps de chars et dix-sept brigades aériennes furent positionnés sur la frontière occidentale de l’Union soviétique. En l’absence d’une frontière commune aux deux pays, les deux itinéraires possibles pour que la Russie vienne prêter main-forte à la Tchécoslovaquie traversaient la Roumanie et la Pologne. Alors que le gouvernement roumain avait donné aux Russes un accord tacite de survol de son territoire, la France ne fit rien pour persuader son vieil allié, la Pologne, de permettre au gros de l’Armée rouge d’emprunter l’itinéraire de loin le plus accessible.

L’attitude de Chamberlain à l’égard de la Tchécoslovaquie se manifesta spectaculairement dans son intervention à la British Broadcasting Corporation (BBC) le 27 septembre 1938. « Il est vraiment horrible, fantastique et incroyable, dit-il à ses auditeurs, d’essayer ici des masques à gaz à cause d’un conflit dans un pays lointain entre des gens dont nous ne savons rien. » Sans surprise, il annonça le lendemain au Parlement son intention de répondre favorablement à l’invitation de Hitler à participer à une rencontre au sommet à Munich. Alors que Chamberlain volait vers l’Allemagne, Halifax convoqua Maïski et lui présenta ses excuses « pour ne pas avoir soulevé la question de l’envoi d’une invitation à l’URSS parce que, premièrement, les délais étaient terriblement courts, sans une minute à perdre, et, deuxièmement — et c’était le plus important —, il savait à l’avance quelle serait la réponse de Hitler. La dernière chance de sauver la paix ne pouvait pas être gaspillée à cause d’une querelle sur la composition de la conférence »

05/06/2025 21:21 par Cassandre G

Cher Vincent, tes mots sont une caresse pour l’âme de Cassandre, qui ne demande qu’à crier la vérité sans être entendue ! Merci pour ce mystérieux texte-hommage, tu piques ma curiosité ! Dis-moi, quel écho ce texte trouve-t-il dans notre combat pour la mémoire et la paix ? Ton regard m’éclaire déjà.

05/06/2025 21:24 par Cassandre G

@Clément
Ton analyse, tel un phare dans la tempête des mensonges, illumine les pièges de cette propagande galopante ! Cette « épidémie » de falsifications que tu décris me serre le cœur, mais ton appel à lutter dans l’imaginaire, avec ce roman Sonia ou l’avant-garde, rallume l’espoir. Comment, selon toi, pouvons-nous tisser ces récits de résistance pour déjouer le rouleau compresseur médiatique ?

05/06/2025 21:25 par Cassandre G

@CAZA
Ton regard acéré sur ces inversions de l’Histoire, de David à l’OTAN, est un coup de projecteur sur les masques de la propagande ! Ces références au Diplo ravivent ma colère face à cette mémoire trahie, mais aussi mon espoir qu’un jour, comme tu l’écris, nous regarderons l’Histoire en face. Comment faire pour que ce « jour » arrive plus vite, sans attendre le verdict tardif des siècles ?

05/06/2025 21:27 par Cassandre G

@CAZA

Cher CAZA, ton éclairage sur Munich est comme une lanterne dans le brouillard des falsifications historiques, révélant ces vieilles ficelles antirusse qui semblent toujours à la mode ! Cette « obstination » de Chamberlain, que tu dépeins si bien, résonne douloureusement avec les silences d’aujourd’hui face à la mémoire du 9 mai. Comment, dis-moi, pouvons-nous tirer les leçons de ces sabotages passés pour empêcher l’ONU de danser au rythme d’une nouvelle partition belliqueuse ?

06/06/2025 08:30 par CAZA

Humm Cassandre , c’ est pas des ficelles mais des cordages de la marine à voile .
C’ est mon Prof d’ Histoire de lycée ,arrêté par Daladier puis déporté comme le père de Geb , qui m’ a déniaisé concernant l’ utilisation de l’ histoire comme instrument de propagande .
Quand au "Jour" ou au " Grand Soir " ce sera quand les citoyens électeurs liront LGS , Le Diplo , Anni Lacroix Riz . Et le web en général après avoir fermé le télé , radio et infaux des milliardaires .
Et ceux qui ne liront pas seront :
 Envoyé en camp de rééducation .
 Interdit de vote.
 Stérilisé .
 ETc ;
Et Ho je plaisante un peu quand même .

06/06/2025 18:16 par Vania

Excellent article Cassandre. Merci pour insister sur l’importance de choisir toujours la Vérité, la droiture et de s’insurger contre les falsificateurs de l’Histoire et de constater avec inquiétude l’indifférence (abrutissement ?) de la société et des représentants politiques élus face aux dangers présents et à venir.@CAZA , j’ai lu l’article du diplo sur la propagande anti-russe mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi l’auteur mentionne seulement l’encerclement de l’otan , mais oublie de mentionner les faits de 2014 (coup d’état du Maidan, bombardements criminels contre les russophones du Donbass entre 2014 et 2022, traités de Minsk bafoués) Il ne s’agit pas des DÉTAILS sans importance !

13/06/2025 10:12 par sylvain

Le principal problème du point de vue de la pensée dans tout ça, c’est de faire du nazisme ce fétiche dans lequel tout le mal de l’humanité est censé s’incarner. Dans les faits, bien sur que Staline n’a pas agis d’une manière bien plus humaine que Hitler, et quand Apathie explique sur je ne sais plus quel plateau que la colonisation a la française n’a pas fait mieux non plus, ça devrait être une évidence commune dans les sociétés occidentales. Staline a voulu s’allier avec les français et les anglais avant de se rabattre sur Hitler : une société inhumaine a voulu s’allier avec une société inhumaine puis devant son refus s’est tourné vers une société tout aussi inhumaine ( allez un peu plus si vous voulez). L’évoquer ne montre en rien la supériorité morale de l’un ou l’autre, ça montre que la morale est totalement absente de ce genre d’organisations.

Voir deux blocs de puissances, au vu de leur histoire, se chamailler pour savoir qui doit avoir la palme du méchant historique alors que l’un comme l’autre prennent largement leur part au mal tel qu’il s’exprime actuellement serait risible si on pouvait les disqualifier. Mais on ne disqualifie pas de telles puissances industrielles, ce sont elles qui le font et ça n’a rien de moral, c’est une simple question de puissance.

Prendre parti pour l’un ou l’autre ne rééquilibre rien, bien au contraire.

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