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Kiev veut entraîner les alliés les plus réticents dans la guerre en évitant l’oubli.

Les dirigeants ukrainiens n'ont pas assez d'hommes, mais beaucoup de moyens fournis par l'Occident. Et ils doivent rester visibles pour ne pas être oubliés par les "fournisseurs"

Incursion, contre-offensive, offensive : les nouvelles en provenance d’Ukraine oscillent entre ces mots, exagérant délibérément une phase des combats sur le terrain qui, comme toutes les autres actions entreprises par Kiev au cours de l’année écoulée, est plutôt une initiative hétérodirigée et hétéroconduite visant à piéger l’Occident dans une guerre longue et sanglante.

De toute évidence, les EU se gardent bien de qualifier d’offensive l’actuelle incursion ukrainienne en Russie. Techniquement, ce n’est pas le cas en raison du niveau des forces impliquées et il ne faut pas que ce soit le cas pour ne pas transformer l’Ukraine d’un pays envahi en un envahisseur.

L’Europe et l’OTAN sont déséquilibrées lorsqu’elles affirment que l’offensive sur le territoire russe est un droit défensif. Notre ministre de la défense semble être le seul à comprendre la différence entre l’offensive et la défense, et peut-être aussi la différence entre le droit d’un peuple à sa propre défense et la violation du droit international par une guerre par procuration. [Le ministre italien de la défense du gouvernement d’extrême droite a déclaré que les armes italiennes fournies à l’Ukraine ne devaient pas être utilisées pour des actions offensives.]

Des incursions coûteuses et peu efficaces

Les États-Unis s’abstiennent également d’attribuer une quelconque valeur stratégique aux opérations en cours. En fait, comme les autres pseudo-offensives, les incursions coûtent beaucoup à Kiev en termes d’effectifs et de systèmes d’armement et n’apportent que peu de résultats en termes de gains militaires ou politiques. Au contraire, elles aggravent la situation, comme le montrent les réactions russes et comme le note le président Zelensky, qui répond à chaque aide accordée en missiles, avions, artillerie et munitions par l’habituel "ce n’est pas assez". Les vulnérabilités russes que les incursions démontrent sont également soulignées, et en particulier l’anxiété de la Russie à "contenir" les attaques et l’inconfort de ses propres populations frontalières.

En réalité, l’idée d’une frontière étanche, infranchissable et inviolable entre la Russie et l’Ukraine, de la Baltique à la mer Noire, a toujours été une mystification. Toute l’Europe est en guerre contre la Russie et le long des frontières, il y a toujours eu des espaces où les forces de défense russes étaient peu ou pas concentrées et de nombreuses zones où les mouvements militaires d’une partie et de l’autre étaient possibles le long d’itinéraires mineurs. Même les prétendues cibles stratégiques des incursions représentent davantage un risque inutile qu’un avantage.

Un sabotage ou une action contre la centrale nucléaire de Koursk peut déclencher une réaction très grave, qu’il s’agisse d’un acte de terrorisme ou d’un acte de guerre. L’Ukraine le sait.

Cependant, quelque chose de différent, mais pas nouveau, peut être entrevu. Sur le plan tactique, les actions ukrainiennes semblent reprendre les procédures de la guerre du désert de Rommel (1941 - Afrique du Nord) qui, à chaque combat, conquiert des objectifs en profondeur mais perd 90 % de ses forces (y compris les Italiens). Une tactique qui a fonctionné pendant quelques mois puis, en raison du manque d’approvisionnement en hommes et en matériel et de l’intervention massive des Anglo-Etasuniens, a conduit à la défaite.

Les actions ukrainiennes rappellent également les opérations utilisées par les forces étasuniennes à la fin de la guerre froide (années 1980-1990) pour déployer de petites unités d’infanterie mécanisée et blindée dans des contextes difficiles.

En 2003, certains universitaires étasuniennes (Richard Van Atta, Kent Carson et Waldo Freeman) ont reproposé l’idée d’un combat de précision par petites unités (Supc), également au niveau intercontinental. Le Supc utiliserait la force combinée du contrôle de l’espace, du contrôle aérien local, de l’intervention de petites unités d’infanterie, y compris d’infanterie blindée, par voie aérienne, terrestre et/ou maritime, de la couverture du renseignement et de la guerre électronique.

Les Supc n’ont jamais été réalisés en combat ouvert, mais dans le cadre d’opérations anti-terroristes. En revanche, la même technique, sans bien sûr les mêmes moyens, a été utilisée par des organisations terroristes comme dans l’affaire Mumbai-Lahore.

L’Ukraine n’a pas assez d’hommes et de moyens pour une offensive de grande envergure, mais elle dispose du soutien spatial, de la couverture aérienne locale, des armes et des moyens fournis par les États-Unis, l’OTAN, l’Union européenne et d’autres pays, des "contractors" et des pseudo-volontaires payés ou fournis par l’Occident, et elle peut exploiter les "trous" entre les déploiements tout en évitant les "pleins" occupés par les forces russes.

Il y a aussi quelque chose de différent au niveau stratégique. L’Ukraine doit maintenir une visibilité militaire et politique pour ne pas être oubliée face à d’autres théâtres de crise comme le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Amérique du Sud elle-même. Elle doit profiter de la situation politique américaine incertaine, non pas tant parce qu’elle craint de ne plus recevoir l’aide promise, mais pour impliquer encore plus directement les Etats-Unis et l’Union européenne dans le conflit contre la Russie.

L’implication actuelle, également tactique, force encore plus à la guerre. Les incursions servent à montrer que la Russie peut être attaquée avec des armes, que les petites tactiques peuvent être amplifiées par la désinformation et, surtout, que Kiev ne peut pas faire la guerre seule, même en tant que mandataire de l’Occident.

Malgré le fait que les États-Unis et l’Europe sont déjà impliqués jusqu’au cou dans le conflit, et les incursions de ces jours-ci le démontrent clairement, Kiev veut l’intervention directe de tout l’Occident, ce que certains pays ont déjà promis. Après deux ans de guerre menée au nom et pour les intérêts occidentaux, Kiev veut que l’Occident se batte au nom de l’Ukraine.

La facture salée présentée par les "proxy"

Et il a un peu plus de raisons puisqu’Israël exige et obtient la même chose de l’ensemble de l’Occident féru de guerre. Ce n’est pas une grande nouvelle politico-stratégique car Zelensky a toujours déclaré qu’il voulait que l’Ukraine devienne un "grand Israël", c’est-à-dire armé, nucléaire et belliqueux.

L’Ukraine a toujours demandé et obtenu le soutien de l’Occident et a toujours souhaité (sans l’obtenir tout à fait) l’implication directe de l’OTAN ou de ses États membres contre la Russie. Il est nouveau et inquiétant que, contrairement à Israël, elle abandonne l’idée d’être autonome et libre de décider de son propre destin : d’être indépendante et souveraine.

Les proxys présentent tôt ou tard la facture : l’Ukraine l’a déjà présentée plusieurs fois et a été payée ; l’Occident, le nouveau proxy de l’Ukraine, ne l’a toujours pas fait et la seule chose que l’Ukraine puisse dépenser, c’est sa souveraineté.

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Général de corps d’armée, il a été chef d’état-major du commandement de l’OTAN pour l’Europe du Sud et, à partir de janvier 2001, il a dirigé le commandement des opérations interforces dans les Balkans. D’octobre 2002 à octobre 2003, il a commandé les opérations de maintien de la paix dirigées par l’OTAN dans le scénario de guerre du Kosovo, dans le cadre de la mission de la KFOR (Force pour le Kosovo). Parmi d’autres missions, il a été attaché militaire à Pékin. Il a également dirigé l’école d’état-major inter-forces (ISSMI). Il a introduit en Italie la pensée militaire chinoise moderne en traduisant le livre des généraux chinois Qiao Liang et Wang Xiangsui Guerre sans limites. L’art de la guerre asymétrique entre terrorisme et mondialisation. Il a également traduit en italien le livre du général Liang L’arc de l’empire. Avec la Chine et les États-Unis à chaque extrémité, une analyse d’un point de vue chinois du monde actuel dans sa transition de l’unipolarisme américain au multipolarisme.

Il Fatto Quotidiano 11 août 2024

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Arundhati Roy - Capitalism : A Ghost Story (2014), p. 37

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