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L’ exception marseillaise : "C’est pas une ville, c’est un peuple".


Lundi 14 novembre 2005


Quand je suis partie de marseille, le 4 novembre, au buffet de la Gare Saint Charles alors que j’attendais le train pour Nantes, les événéments des "banlieues" n’avaient pas débuté. Ma voisine de table, une charmante jeune femme, une comédienne venue pour un spectacle à marseille, m’a expliqué qu’elle n’aimait pas cette ville "sale"... En quelques minutes, elle m’a sorti tous les stéréotypes que l’on pouvait lire dans L’Express, dans Marianne, dans Le Nouvel Observateur, la description d’une ville qui fait "naufrage". A quelques tables voisines, un jeune homme d’environ 18 ans, l’écoutait. C’était un "beur"qui attendait le train pour son école de commerce à Gardanne, il lui a demandé poliment : "Madame je peux vous parler ?" Etonnée, elle a dit "OUI !" "Madame a repris le jeune homme, vous ne comprenez rien à Marseille, Marseille c’est pas une ville c’est un peuple !"


Marseille vue par les médiacrates.

Tout au long de cette semaine d’émeutes, d’instauration de loi d’urgence, j’ai pensé à ma ville et à ce jeune homme. Mais aussi à cet abruti de "sociologue"(sic) du nom de Peraldi qui avait écrit dans La Provence, "Non Marseille n’est pas révolutionnaire, c’est une ville populaire et les couches populaires sont conservatrices". La même semaine j’avais vu un film au festival de Gardanne, "code 68", en fait l’histoire d’un espèce de Kouchner qui raconte à une jeune fille lutin habillée en chinoise, leur mai 68 et s’interroge sur le fait de savoir s’ils ont trahi l’idéal de leur jeunesse ? [1] Peraldi et son comparse Samson sont bien de la même espèce. Ces types ont sans doute une conception de la Révolution très "soixante-huitarde", du moins de ceux qui ont usurpé soixante-huit, ont occulté les conquêtes sociales, la section syndicale d’entreprise, l’augmentation du SMIG de 35% et ne cessent de nous bassiner avec leurs états d’âme de petits bourgeois. Qu’ils représentent une partie des acteurs de mai soixante huit sans doute, mais qu’ils le mystifient en prétendant en détenir la seule image légitime est insupportable. C’est la génération Mitterrand, celle qui aujourd’hui comme les Kouchner, les Cohn Bendit, nous écoeurent avec leur mentalité réactionnaire, leur tropisme médiatique. Ils ne comprendront jamais rien au peuple et en tant que "sociologues" ou "cinéastes", ils s’approprient le progrès social autant que l’histoire d’une génération, la mienne. Les sociologues sont pires que les autres parce qu’ils ont oublié le projet de Bourdieu : "la sociologie donne la parole à ceux qui ne l’ont pas, elle dénonce toutes les aliénations économiques, politiques et symboliques". Ils ne sont plus que des technocrates qui affirment sans preuve ce qu’attend d’eux le pouvoir en place, sur le dos d’un peuple que l’on insulte sous un terme vide de sens : le populisme. Les "crétins" de marseillais qui ont osé voter NON à 60% et qui s’obstinent à faire grève face à ceux qui liquident la marine marchande française, livrent le tramway, les rues marseillaises, à une société privée qui n’a même pas de concurrent. Ces "rebelles" soixante-huitards sont en fait "la génération Mitterrand".

La génération Mitterrand est celle qui a cru qu’individuellement on pouvait s’en sortir et n’a cessé de développer des stratégies en ce sens. Ils ont dénoncé "le conservatisme" des organisations syndicales, ils ont impulsé la résignation de la gauche, un libéralisme libertaire et pour cela on insulté le peuple, ses souffrances. Mais aujourd’hui avec l’approfondissement de la crise, le fait que ce sont les jeunes que l’on contraint de s’ajuster à cette crise, sans organisation, sans espoir, ils continuent à défendre bec et ongle leur représentation sur les plateaux de télévision, la vente de leur livre et sont prêts à tout appuyer pourvu qu’ils s’en sortent eux.

Alors Marseille qui se bat pour défendre les services public et au-delà le droit à la ville, est pour eux un objet de répulsion. C’est encore un autre médiacrate "Maître" Collard qui explique dans une feuille de chou : "A marseille tout est calme, mais les syndicats emmerdent tout le monde pour des raisons incompréhensibles".
Incompréhensible pour lui ! Mais quand on entend à la télé ces traminots qui expliquent : "Nous de l’ouvrier au directeur on ne fait pas de bénéfices, pourquoi on donnerait le tramway à quelqu’un qui viendrait faire des bénéfices". Sur le dos de qui ? Du salarié et de l’usager.

Une autre figure illustre de la génération Mitterrand, le publiciste Ségala nous a pondu une campagne qui montre un couple de niais contemplant des éoliennes, des barrages, et disant "C’est à nous maintenant !" Ce qui est exactement le contraire de la réalité puisque l’on privatise EDF et qu’on l’enlève donc au peuple français. Cette réclame a ponctué toute la semaine sur les écrans de télé d’autres images d’actualité : celle d’enfants desespérés, sans revendication, brûlant les écoles, les gymnases, dépossédant les habitants de leur quartier du peu qu’ils possèdent, un coktail de haine et de désir de "passer à la télé". Comme paraissaient étranges les traminots marseillais, dans une ville calme, qui venaient affirmer qu’ils refusaient de brader au privé la régie des transports. Incompréhensible !!


Retour à Marseille

Dimanche 13, après le splendide meeting de solidarité autour de Cuba du processus bolivarien, avec 15 délégations étrangères, plus de mille participants, que n’ont voulu couvrir aucun média. Et surtout pas L’Humanité qui a même refusé d’accueillir la publicité payante alors qu’elle accepte celle de la direction d’EDF pour la privatisation... Cuba, le Venezuela n’ont pas bonne presse, ils revendiquent le socialisme et L’Humanité veut être admise dans "le club de la presse", les communistes n’ont plus de cellule dans les banlieues et pratiquent la censure sur des peuples qui résistent...
Drôle d’époque, étrange meeting où plus de 1000 personnes venues à travers la seule mobilisation populaire se sont rassemblées à Saint Denis, l’épicentre des désordres urbains. Il ne faut pas parler de Cuba, ni du Venezuela, dans L’Humanité, il faut défendre "la démocratie", celle du PS avec la valse des chiffres corrigés parce que le bourrage d’urne est trop flagrant... Etrange gauche, incapable d’organiser de véritables ripostes de masse à l’affirmation de l’Etat d’urgence, une loi liberticide. Une gauche qui balbutie entre sécuritaire et complaisance et a laissé la misère, l’humiliation populaire sans organisation, sans projet.

Donc le 13 novembre, la tête pleine de ces images incohérentes de ma propre société, j’arrive à Marseille, il y a quelques métros, mais pas question de briser la grève, donc je pars à pied jusqu’au Vieux port avec ma valise et j’atterris en pleine "manifestation des usagers"... C’est pas triste....

Ils sont environ 200 avec des panneaux dont l’uniformité des pancartes témoigne du caractère peu spontané de l’opération.. Tout ce beau monde défile sous le sigle "liberté chérie" et crie "CGT tu es foutue, le peuple est dans la rue". Un garçon très BCBG crie d’une voix de fausset et l’accent "pointu" "Non à La soviétisation de la CGT"... L’encadrement vient de Paris et tente de raccoler les badauds, une femme voilée résiste énergiquement à l’invitation. On colle à deux petits marseillais africains un panneau avec des bonbons et les deux gosses en se tordant de rire crient devant les caméras : " CGT tu es foutue !" D’autres Marseillais, qui se sont laissés entraîner, quittent rapidement la manifestation en se rendant compte que l’on veut seulement en découdre avec la CGT et que l’on demande la réquisition de l’armée, l’abolition des syndicats. Il ne reste plus rapidement qu’une centaine de militants de droite, dont beaucoup ne prennent sans doute jamais le métro. Le genre tailleur chic trop chic, la bourgeoisie marseillaise partageant avec les souteneurs du "milieu" un goût pour l’élégance "outrée". Avec les badauds gognards qui les contemplent des trottoirs, j’ai éclaté de rire en les comparant aux 4000 qui avaient occupé la Canebière pour soutenir les grévistes il y a 1O jours. Un couple qui venait de fuir "la manif" expliquait "Qu’est-ce que c’est ce truc. Moi je veux que les tramways marchent mais c’est la faute au maire, au gouvernement !"

Un jeune qui dans un camion fabrique et vend de la pizza contemple le spectacle en rigolant, il dit : "Ici les excités c’est eux." Je lui dis "C’est vrai, ici à Marseille nous sommes plutôt calmes !" Le jeune m’explique : "Là -bas, ils gueulent parce qu’ils n’ont pas le travail, mais nous on a le soleil et la mer et on n’a pas envie de travailler" Plus sérieux il ajoute, "C’est pas malin de casser tout". Je lui réponds "Nous on casse les horodateurs, pas les voitures !" Il rit et répète à tous ses clients : "Nous on casse les horodateurs, pas les voitures". Rapidement un mini rassemblement s’organise, et chacun y va de son explication sur les raisons du calme marseillais. "Ici y a pas de barres et de tours !" dit l’un, un autre dit "Va dans le treizième y en a !" Un autre, un homme d’une soixantaine d’années constate : "Ici, il n’y a pas une telle différence entre les pauvres et les riches, on se ressemble plus !" Je leur signale que dans la manif, il y a des gens "riches", "C’est des Parisiens, vous entendez pas leur accent !"

Mardi, à 18 heures devant la mairie, il y a une manif de soutien aux grévistes. Nul doute qu’elle ne ressemblera pas à celle-ci.

Le lundi matin je téléphone à Charles Hoareau, il m’explique que la police est en train de provoquer les jeunes dans les quartiers, elle multiplie les contrôles d’identité, leur rend la vie impossible. Nul doute qu’ils cherchent le "bordel" pour faire intervenir sous prétexte de désordre contre les grévistes. La loi d’urgence ça sert à ça et là encore ceux qui de la gauche qui l’ont accepté portent une lourde responsabilité.

A côté de chez moi, il y a un lycée technique, j’engage la conversation avec une bande de jeunes de "toutes couleurs" avec la capuche sur le nez, qui attendent l’heure du cours : "Comment ça se fait qu’à Marseille, vous ête aussi calmes ?" Ben on est chez nous... Pourquoi on casserait chez nous !"" Nous on est polis et gentils, si on nous laisse tranquille, on cherche pas...dit un autre" " Et puis brûler des écoles c’est bête parce qu’à la fin c’est nos parents qui payent avec l’argent des impôts, à la limite les voitures c’est moins grave parce qu’il y a l’assurance. " " Les horodateurs c’est juste parce que les gens ont pas l’argent pour payer pour garer leurs voitures"."On a du mérite remarquez parce que cet arrêt du tramway, c’est pas bon, on s’emmerde alors il y a le shit et de là les voitures. Si on peut pas aller à l’école parce que c’est trop loin, ou aller se promener dans le centre, avec l’ennui c’est les bêtises... Excusez nous c’est l’heure du cours. " Et les jeunes se retournent en partant, l’un d’eux, celui qui a fait allusion à la grève, me lance avec un grand sourire complice : "Il faut virer ce maire..."

En rentrant chez moi j’ai une lettre de Jean François Kahn, il répond à ma protestation sur l’article paru dans Marianne en m’expliquant qu’il a recemment passé quelques jours à Marseille et qu’il craint que la situation ne soit encore pire que celle qu’ils ont décrite dans Marianne. Et ce n’est pas le plus antipathique du lot, mais comment oser dire des choses pareilles. J’ai traversé pendant quelques jours Nantes, et Douai, et je suis incapable de dire ce qui s’y passe réellement. J’ai écrit trois livres de sociologie sur Marseille, j’y vis depuis ma naissance et il n’a pas le moindre doute, il a raison et j’ai tort...

C’est pareil sur Cuba. Pendant dix ans, j’ai multiplié les enquêtes sur ce pays et la presse française, le politico-médiatique se croit autorisé à dire n’importe quoi et pas moyen de vaincre le mur de censure et de désinformation, L’huma en tête. Et même sur le Venezuela, Marianne a publié des extraits du discours de Chavez mais a mis comme titre "Chavez le Sarkozy de l’Amérique latine" faut le faire... Les bras m’en tombent.
Au nom de quoi une telle stupide arrogance, ce sentiment de tout savoir face au vain peuple.

Danielle Bleitrach, sociologue.


Il y a beaucoup de leçons à tirer de la bataille marseillaise ! par Danielle Bleitrach.

Que se passe-t-il à Marseille ?

Marseille résiste.


Pourquoi ça brûle dans les banlieues ? par Jean-Claude Meyer.



[1Il y a eu un autre film sur mai 68, la même semaine qui disait à peu près la même chose et affirmait sans rire qu’avec les "accords de Grenelle" le cinéaste avait compris que la Révolution était terminée. Après la projection de "Code 68", la salle de cinéma invitée au débat avait expliqué que ce n’était pas son mai 68 et que eux, syndicalistes et militants, ne se posaient pas la question de savoir s’ils avaient "trahi" les idéaux de leur jeunesse, ils continuaient à manifester contre les retraites, contre la privatisation. Et ils n’avaient toujours pas la parole. Ils auraient pu ajouter que le docteur Kouchner, malgré son physique avantageux, avait été battu à Gardanne comme dans le nord, parce que le peuple ne se reconnaît toujours pas dans le miroir que ces narcissiques médiacrates lui tendent.


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