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Pourquoi ça brûle dans les banlieues ? par Jean-Claude Meyer.

« Ni rire ni pleurer, mais comprendre » : Spinoza.

« Il est certain que les séditions, les guerres, le mépris ou la violation des lois ne sont pas imputables à la méchanceté des hommes, mais à un mauvais régime politique ».
(Spinoza, Traité politique, chap.5, § 2).


Pourquoi ça brûle dans les banlieues ?


Violence et langage.

Pour certains, ce qui se passe sous nos yeux, depuis le 27 octobre, date de la mort, dans des conditions non encore élucidées, de deux adolescents à Clichy-sous-Bois, serait irrationnel, produit des passions, comme cela s’est dit, il y a peu, lors du "’non au référendum’’ sur la Constitution européenne. Et la solution serait dans le retour à l’ordre par la répression.

Comment ne pas voir et entendre que, quand les mots font défaut, ou ne sont pas entendus, seule reste la violence. Que nous dit-elle ?


Mondialisation et banlieues.

Ceux qui n’ont que la mondialisation économique et financière comme horizon, oublient que désormais tout est mondialisé. La violence aussi. Et celle des banlieues n’est qu’un pâle remake et reflet de celle dont les puissances impérialistes usent et abusent en Irak, en Tchétchénie, à Guantanamo, dans les territoires occupés de Palestine, en Côte d’Ivoire et ailleurs. Comment s’étonner de la violence dans les quartiers alors que l’exemple vient de haut sans oublier la violence silencieuse des rapports d’exploitation capitaliste qui ne fait jamais la « une » des médias.

Le libéralisme économique et financier, c’est-à -dire la liberté sauvage du marché, entraîne inévitablement, un nouvel Etat de nature. Concurrence acharnée entre les groupes capitalistes, concurrence entre les quartiers, (« Neuhof nique Hohberg », et réciproquement).

Déréglementation : pourquoi ceux mêmes qui cassent les règles, privatisent, détruisent les statuts, le code du travail hurlent-ils au non respect des règles dans la société ? L’exemple vient de haut. Pourquoi s’étonner que les boss capitalistes fassent des émules dans les cités ? Les uns vendent des armes, les autres de la drogue. Quelle différence ? La médiatisation, encore. Il faut éliminer le concurrent, être le plus fort, le plus riche. Pourquoi ce qui est vérité pour le Medef serait erreur ailleurs ? Quel exemple est donné par les télés où il s’agit là aussi d’éliminer le faible, d’être le plus fort, de gagner de l’argent vite fait et facile ?


Quelques causes (pourquoi ça brûle...).

Tout le monde les connaît, mais les exposer conduirait à la remise en question de l’économie de marché et du capitalisme (provisoirement dominant sur presque toute la planète).

Sans remonter à la construction hâtive des cités dans les années soixante, comment ne pas voir que les politiques suivies par les gouvernements de gauche comme de droite depuis 1983, le « tournant » de la rigueur mitterrandien, n’ont fait qu’amplifier les problèmes.

Chômage, misère, précarité, racisme, échec scolaire et panne de l’ascenseur social, retrait de l’Etat qui délègue aux Régions, aux associations, privées de moyens humains et budgétaires, et même aux réseaux religieux, échec de « l’intégration » républicaine traditionnelle, ethnicisation des questions sociales, etc.

Comment s’étonner alors du poids de l’économie parallèle ? (Et quid des paradis fiscaux ?) De l’influence des dealers ? La politique a horreur du vide. Quand la République et la démocratie représentative sont en crise, d’autres systèmes remplissent les trous.


Sarkoshow

Ajoutez à cela la stratégie sarkozienne mûrement réfléchie, les mots qui blessent aussi sûrement que les flashballs, les jets à haute pression d’une marque qui ne se plaint pas, une fois n’est pas coutume, du trop de publicité gratuite, la « racaille », et tout est en place pour une Intifada des banlieues. Et ce n’est que le début. A moins que...


Les buts (pourquoi ça brûle..) : tentative d’élucidation du sens des cibles.

Les bonnes âmes réactionnaires ou « progressistes » peuvent toujours se lamenter. Vous avez vu ? Ils brûlent des voitures de pauvres, des écoles maternelles, des bibliothèques,des bus, des centre sociaux, des entreprises, s’attaquent aux keufs, aux pompiers, et même, aux passagers des transports en communs, handicapés ou pas.

Ils ont des « ateliers de fabrication de cocktails Molotov... ». Ils tirent à la grenaille, en attendant pire... Ils usent du portable, d’Internet « s’aguérissent ». Faut « envoyer l’armée » selon un policier ! Comme si elle n’était pas déjà là , avec les gendarmes mobiles, et le même hélicoptère, avec puissant phare et vidéo qui survole les manifestants antinucléaires lors du passage des Castors de déchets à Hoenheim.

On peut toujours souligner le destructif. Facile et spectaculaire, c’est bon pour l’audience, coco ! Mais on s’expose à ne rien comprendre. Mieux vaut comme le vieux Hegel nous y convie, se souvenir que toute négation est une affirmation et que ce qui est détruit renaîtra plus beau, plus fort, comme les villes après les guerres (Beyrouth, une manne pour le BTP ¨...) ou les moissons qui brûlent.

Parler d’irrationnel ici est inopérant.

Si les voitures et les bus brûlent, c’est qu’ils sont signes de mobilité et de liberté que trop de gens n’ont pas, et qui, pourtant, flambent dans les pubs, sur nos murs, et à la télé.

Si des écoles brûlent, c’est la rançon de l’échec scolaire et de l’incapacité des gouvernements à consacrer les moyens humains et financiers qu’il faudrait contre les inégalités scolaires-sociales

Si des bibliothèques, des centres sociaux brûlent, c’est qu’ils sont le signe de ce à quoi trop de personnes ne peuvent accéder.

Si des entreprises, des magasins brûlent, c’est que trop de gens n’ont pas de travail pas d’argent pour survivre seulement alors que partout le désir de consommer est entretenu. Ce qu’on me fait miroiter comme « la vraie vie », si je ne peux y accéder, que cela soit consumé à défaut d’être consommé ! La marchandise brille de tous ses feux derrière les vitrines pas assez blindées. Il y a du potlatch dans ces consumations spectaculaires marchandes...

Les pompiers qu’on admire à Manhattan ou ici lorsqu’ils défilent le 14 juillet sont attaqués comme les policiers, comme représentants de cet Etat qui laisse trop de gens sur le bas côté.

Le quartier comme territoire est revendiqué, ni plus ni moins qu’est disputée la souveraineté de la Corse, entre l’Etat et les indépendantistes ou celle du Kosovo.

Ailleurs, une puissance occupante construit un mur d’apartheid pour, prétendument, se défendre des kamikazes, ici, le mur n’a pas neuf mètres de haut, n’est pas (encore) précédé de check point mais il n’en est pas moins visible et efficace, des deux côtés. Mur de l’exclusion, de la pauvreté.

Même à Wasselonne, des jeunes jouent à la guérilla urbaine, la nuit venue, et parfois même le jour. C’est dire la mondialisation et la gravité des questions !

La seule question qu’on n’entend pas dans les médias et chez nos politiciens, et qui s’impose pourtant, c’est la question que posait, puisque c’est aussi l’actualité, Hannah Arendt, dans « La crise de la culture », fin des années 50, pour les USA, mais maintenant, les USA c’est partout (« nous sommes tous américains », n’est ce pas, Colombani...), quel monde avons-nous laissé aux générations qui suivent ?


Politique politicienne et mouvement ouvrier.

Et pour descendre aux choses de politique plus politicienne, comment ne pas voir que malgré plusieurs défaites électorales, et la dernière au référendum européen, où s’est pourtant exprimé fortement le refus d’un monde libéral, non seulement le gouvernement (mais c’était pareil avec la pseudo gauche) n’a rien entendu, mais, provocateur, il accélère et aggrave la destruction de 60 ans d’acquis sociaux. Pourquoi s’étonner qu’à vouloir tout faire sauter, ça craque aussi dans la société ? La barbarie capitaliste sécrète ses propres « barbares ».

D’autant plus que le mouvement ouvrier (dés) organisé est aux abonnés presque absents depuis longtemps. De journée de grève trimestrielle, rituelle, de 24 heures, en manifestations réglées comme du papier à musique, et... « Demain, 8h au boulot ! », il y a comme un grand vide. La complaisance des directions syndicales devant les politiques gouvernementales, leur refus d’en venir à des rapports de force tels qu’ils poseraient, comme en mai 68, ou en 95, la question du pouvoir, et pas seulement du gouvernement, laissent toute sa place au désespoir qui enflamme, la seule énergie renouvelable, bon marché et non polluante.

On ne peut s’empêcher de penser (et le pouvoir le sait) que si quelques centaines de jeunes sont capables, sans organisation ni plan, de mettre, provisoirement, en échec le gouvernement, le forçant à réunir un « Conseil de Sécurité Intérieure », à ce qu’il en serait-il si les (encore) gros bataillons (?) du mouvement ouvrier, avec leur capacité de paralyser l’économie (à l’exemple de la RTM à Marseille) ou mieux de la faire tourner au profit de la population en expropriant de fait les patrons et la bourgeoisie, s’y mettaient... On voit bien ici ce qu’il en est de « la servitude volontaire » dont parlait La Boétie il y a quelques siècles...

Le Premier Ministre Villepin a donc tout faux quand il oppose comme ce lundi la violence à la raison, comme si la violence était irrationnelle ! Et la comédie chiraquienne, ce n’est plus qu’une farce dérisoire qui ne fait même plus sourire.

Le vieux monde brûle localement et mondialement. On disait autrefois, pas d’accouchement sans douleur : ce n’est plus vrai, heureusement, pour les femmes, du moins dans les pays développés, mais cela le reste, à l’évidence, pour les sociétés humaines. Mais nous savons qu’ « Un autre monde est possible » (et même, prenons y garde, plusieurs, car l’extrême droite est aux anges et attend son heure...).

Si on veut éteindre le feu, pas d’autre voie que de prendre le chemin de cet autre monde.

J C Meyer
7 novembre 2005


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