L’inconcevable encanaillement de l’Occident officiel

Trois fausses anecdotes : d’abord la « couverture » médiatique de la guerre contre Ghaza avec effet de loupe sur les éternuements à Sdérot et effet de gommage sur les cadavres des Palestiniens ; puis la réduction de la compétence universelle de la justice espagnole pour ne pas avoir à juger des crimes de guerres israéliens, trop incommodants lorsqu’il ne s’agit pas du Zaïre et, enfin, la réaction ridicule au lancement d’un satellite « made in » par l’Iran, qualifié de menace sur la sécurité internationale.

Pour les trois, on peut parler de scandale, de justice à deux mesures et, enfin, de comique sans rires. Cela ne suffit pourtant pas. La vraie conclusion est que l’Occident s’encanaille vraiment, absolument, et ne prend même pas le soin de garder sa réputation d’intelligence redoutable contre les vendeurs indigènes de perles et de vanille. On croyait cette « géographie » souveraine de l’humanité soucieuse des apparences morales de ses arnaques, il n’en est rien. Il y a quelque chose de sinistre aujourd’hui, dans l’Occident : c’est sa grossièreté. Ce paradis à code barre semble ne même plus prendre soin de sauver son mythe fondateur, sa vitrine de dépositaire de l’humaniste et sa réputation morale, même biaisée par ses nombreuses guerres de prédations et ses colonialismes alimentaires. Du siècle des lumières, peut-on dire, et jusqu’à Sartre pour aboutir à la façon de traiter l’Iran ou de couvrir la guerre contre Ghaza, il y a tout simplement encanaillement et amoralisme. Il n’a même plus le souci de mettre les formes pour soutenir la politique des chars contre la Palestine, la pendaison de Saddam ou le parti pris conte l’Iran, signataire du TNP (traité de non prolifération nucléaire) là où un pays comme l’Inde n’est pas même inquiété alors qu’il n’a pas encore signé ce document. A la fin, au bout d’une surdose de comique sous couvert des résolutions de l’ONU ou de la sécurité internationale, on se retrouve, nous gens du Sud, vraiment seuls. Coincés entre le « Sud » de ceux qui veulent que l’Occident finisse en miette à manger, et cet Occident qui ne garde même plus l’honneur d’avoir inventé la machine à vapeur. On voudrait tant se souvenir de ses livres et de ses mythes, mais faut-il s’y astreindre lorsque l’Occident, lui-même, les traite comme du papier hygiénique ? Comment convaincre les nôtres de la modernité et de son esthétique aujourd’hui, lorsque les porteurs de lumières en Occident ne sont plus que des voleurs d’électricité ?

La conclusion est pompeuse, mais elle est vraie : le monde a changé. On peut s’imaginer, aujourd’hui, le naufrage de Robinson Crusoé, l’homme blanc sur une île et sa domestication de Vendredi, sous une nouvelle version : Robinson refusant de lui apprendre quoique ce soit, volant les 98 cocotiers de l’île en lui laissant deux mètres carrés et les deux palmiers restants, l’accusant de menacer la sécurité de l’île lorsque Vendredi arrive à fabriquer un rabot ou une scie, racontant la robinsonnade en insistant sur les animaux de l’île et pas sur le seul être humain qui la partage avec lui, l’accusant de tenter de le prendre en otage pour demander une rançon, de fabriquer de la poudre noire en enrichissant l’uranium, de lancer des satellites avec des lance-pierres, de porter un pagne ostentatoire... etc. Avec cette infamie finale d’une version écrite de la robinsonnade où le Vendredi a droit à une seule phrase unique le long de cet Ushuaïa.

Une seule phrase impossible, comme le banal perroquet de ce mythe bouleversé.

Kamel Daoud
Le Quotidien d’Oran

COMMENTAIRES  

07/02/2009 09:38 par kounet

C’est très bien vu et la Française que je suis a honte de cette Europe...Le dernier livre de Jean Ziegler sur la haine de nous est explicite .
Les nantis que nous sommes sont devenus fous, nos médias aux ordres sont un affront à l’intelligence, à la morale humaine, notre productivisme éhonté et affameur une insulte à l’humanité.
Le climat risque de mettre de l’ordre dans tout ça .

07/02/2009 15:28 par djihane

je ne m’étais pas trompée en disant que tu étais l’un de nos meilleurs chroniqueurs, le papier ci-dessus en est l’une des preuves s’il en faut !!! il es super et je suis heureuse de continuer à te lire...Leila A.

08/02/2009 18:53 par Abdelkader DEHBI

Dans ses rapports à l’altérité, l’Occident n’a jamais cessé en fait, de croire à sa propre supériorité sur les sociétés humaines différentes, qu’il a toujours considérées comme étant des sociétés inférieures, - celles de "la périphérie"-, en se situant lui, bien entendu, "au centre", à l’exemple des "barbares" pour les romains, des "sarrazins" pour l’Europe moyenâgeuse, des "sauvages indiens" pour les anglo-ibériques, des "indigènes" pour les envahisseurs coloniaux...etc. Cette propension à la suffisance a connu des pics historiques tragiques comme les massacres de dizaines de millions d’amérindiens, la pratique de l’esclavage massif, les pogroms et les camps de concentration nazis, les crimes coloniaux etc. — On peut affirmer, que l’Occident d’aujourd’hui, s’il a été contraint, - par le jeu de plusieurs facteurs - à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale, de faire son mea culpa à l’endroit des Juifs, il envisage difficilement en revanche, de faire le même geste honorable, à l’égard de ses autres victimes historiques. Encouragé d’ailleurs en cela, par les lobbies sionistes des Etats-Unis et d’Europe qui refuseront toujours, que la même reconnaissance de torts, soit délivrée aux "autres", au nom de cette même malédiction de la supériorité, qu’elle fut raciale ou culturelle. — Un grand merci à M.Kamel DAOUD, d’avoir traîté de cette question si importante aujourd’hui.

08/02/2009 19:19 par Byblos le maronite

Merci pour votre lucidité.

Pour ajouter de l’eau à votre moulin, voici comment Emmnuel Todd, à la page 17 de son nouvel ouvrage, « Après la démocratie », identifie les 5 grands fléaux de la France (qui sont aussi ceux de l’Europe :

« - L’incohérence de la pensée...

- La médiocrité intellectuelle...

- L’agressivité...

- L’amour de l’argent...

- L’instabilité affective et familiale... ».

Vous expliquez admirablement ces mêmes fléaux, en élargissant la description de ce mal à tout l’Occident. Et vous avez bien raison, car si la France, du fond du gouffre où elle est tombée, a élu Sarkozy, la Grande (?) Bretagne l’a précédée avec Blair, les USA avec Bush. Et l’Italie a son Berlusconi.
Et j’en oublie.

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