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L’Occident pris au piège de ses menaces

Indécision, hésitation, déclarations contradictoires : les puissances occidentales baignent dans la plus grande confusion au sujet de la Syrie, sans pour autant avoir abandonné leur projet de lancer une intervention militaire contre ce pays.

Les principaux pays occidentaux, menés par les Etats-Unis, semblent tous d’accord sur la nécessité d’en découdre avec le régime syrien, qui leur résiste depuis bientôt deux ans et demi, mais ils sont profondément divisés sur l’étendue de l’agression, sa durée, ses objectifs politiques et l’évaluation de ses conséquences.

Cette hésitation se traduit par les déclarations contradictoires qui émanent des plus hauts dirigeants occidentaux. Par exemple, le président Barak Obama assure, mercredi, que son administration est convaincue que le régime du président Bachar al-Assad est responsable de l’utilisation des armes chimiques dans l’attaque contre la Ghouta orientale, le 21 août. Le lendemain, le porte-parole de la Maison blanche affirme que son administration ne possède pas encore de « preuves irréfutables » prouvant que cette attaque est l’œuvre des troupes gouvernementales. Même confusion à Londres. Jeudi dans la matinée, le bureau du Premier ministre, David Cameron, publie un avis juridique montrant qu’une attaque contre la Syrie n’a pas besoin du feu vert préalable de l’Onu. Quelques heures plus tard, il affirme devant la Chambre des communes que toute campagne militaire contre ce pays ne pouvait pas avoir lieu à l’ombre des fortes divisions au Conseil de sécurité.

Le profond malaise qui frappe les rangs des Occidentaux s’illustre par les voix discordantes des meilleurs amis des Etats-Unis. Ainsi, le Premier ministre canadien, Stephen Harper, a déclaré jeudi à l’agence Reuters que son pays ne participerait pas à une opération militaire en Syrie. Le Premier ministre a fait cette déclaration après s’être entretenu avec des responsables américains, britanniques et français. L’Italie, la Suisse, l’Egypte et d’autres pays, censés être des amis de Washington, ont adopté la même position.

Donc, après s’être livré, les deux premiers jours, à une campagne d’intimidation, en décrétant que la frappe contre la Syrie était inéluctable et imminente, pour effrayer ses adversaires et dompter les réticences dans son propre camp, l’Amérique se voit obligée de freiner son élan, sans pour autant abandonner définitivement son projet d’agression. Même son plus proche allié, la Grande-Bretagne, a fait un pas en arrière, David Cameron se voyant contraint de temporiser à cause de la forte opposition des travaillistes, qui exigent qu’il obtienne au préalable un mandat du Parlement. Jeudi soir, la Chambre des communes a rejeté le projet du gouvernement pour une intervention en Syrie et le Premier ministre s’est engagé à respecter la décision du Parlement.

L’opinion publique opposée

Ces rebondissements sont dus à plusieurs facteurs politiques, diplomatiques et militaires, couplés à un refus des opinions publiques occidentales, encore traumatisées par la mauvaise expérience irakienne, de voir leurs pays s’engager dans une nouvelle guerre.

Dans ce contexte, les sondages sont assez éloquents. En France d’abord, une enquête d’opinion de l’IFOP montre que 59% des personnes interrogées sont défavorables à un engagement militaire de la France contre la Syrie, dans le cadre onusien. 41% sont favorables.

Aux Etats-Unis, un sondage commandé par Reuters et réalisé par Ipsos montre que 60% des Américains étaient hostiles à une intervention de leur pays, seuls 9% souhaitant que le président Obama agisse. L’institut a demandé à son panel s’il serait favorable à une intervention s’il était prouvé que Bachar al-Assad avait bien utilisé des armes chimiques. Dans ce cas, seuls 25% des sondés seraient favorables à une intervention, contre 46% opposés. Autre question : l’approbation de l’envoi d’armes aux rebelles syriens ; là encore, l’opinion américaine y est majoritairement opposée, avec 27% favorables et 47% contre.

En Grande-Bretagne non plus l’opinion ne semble pas souhaiter d’intervention. Une autre enquête YouGov montre que seuls 23% des sondés étaient favorables à l’envoi d’armes aux rebelles, contre 50% opposés. Même chose pour l’usage de l’aviation britannique pour établir une zone d’exclusion aérienne (42% contre, 34% pour) ou pour des tirs de missiles depuis la mer (25% pour, 50% contre).

En Allemagne, enfin, 58% des personnes interrogées se déclarent également opposés à une intervention militaire, d’après un sondage réalisé pour la chaine de télévision publique ZDF.

La détermination des alliés de la Syrie et leur activisme diplomatique ont joué un rôle de premier plan dans le chamboulement des plans américains. L’Iran a entamé des contacts tous azimuts pour mettre en garde l’Occident contre les graves conséquences d’une attaque contre la Syrie. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, s’est entretenu avec plus d’une dizaine de ses homologues, dont plusieurs occidentaux. Le président Hassan Rouhani a également discuté avec le président russe Vladimir Poutine pour coordonner les positions. L’administration russe a aussi fait preuve d’un grand activisme. La stratégie diplomatique russo-iranienne vise à souligner l’illégalité de toute intervention contre la Syrie sans mandat du Conseil de sécurité. Et celui-ci ne peut se prononcer avant d’avoir étudié le rapport des inspecteurs de l’Onu en mission sur le terrain en Syrie.

Cette stratégie semble avoir porté. Lors d’un entretien téléphonique, Vladimir Poutine et la chancelière allemande Angela Merkel ont insisté sur l’examen au Conseil de sécurité du rapport des experts. "Un échange de vues approfondi a porté sur divers aspects de la crise syrienne. Les deux parties estiment nécessaire de poursuivre des efforts énergiques dans le cadre de l’Onu et dans d’autres formats pour régler la situation en Syrie par des moyens politico-diplomatiques", annonce le service de presse du Kremlin dans un communiqué.

Les Etats-Unis se retrouvent donc tous seuls, et il est extrêmement maladroit, pour eux, d’agir unilatéralement. Aucune attaque ne devrait être lancée avant l’examen du rapport des inspecteurs.

Damas et Téhéran déterminés

Mais le facteur essentiel qui a faussé tous les calculs de Washington et de ses alliés est la difficulté pour eux d’évaluer la riposte de la Syrie et de ses alliés à toute agression. Dans une interview télévisée, mercredi, Barak Obama a indiqué que les principaux paramètres qu’il prend en compte dans sa décision sont « la sécurité d’Israël et la poursuite de l’acheminement du pétrole ». Pour tenter de rassurer les alliés de Damas, les Etats-Unis ont indiqué que la frappe sera « brève et limitée » et que son objectif n’est pas de renverser le régime syrien mais seulement de le « punir ». Ce message a été transmis par le biais de plusieurs canaux diplomatiques, notamment par le secrétaire général-adjoint de l’Onu pour les affaires politiques, l’Américain Jeffrey Feltman, lors d’entretiens avec les dirigeants iraniens à Téhéran. Mais il est rentré à New York bredouilles, sans avoir obtenu des assurances que l’« axe de la Résistance » ne ripostera pas à une frappe limitée.

Bien au contraire, les dirigeants politiques et militaires iraniens, ainsi que le président syrien, ont assuré que la Syrie se défendra et « vaincra les envahisseurs ».

« Si les Etats-Unis frappent la Syrie, ils seront confrontés à un plus grand nombre de problèmes que lors de la guerre du Vietnam », a déclaré jeudi le général Mohammad Ali Jafari, commandant du Corps des Gardiens de la révolution islamique (Pasdaran), cité par les médias iraniens. « La Syrie se transformera en un champ de bataille plus dangereux et plus meurtrier que le Vietnam. Pour les Etats-Unis, ce sera de fait un deuxième Vietnam », a affirmé M. Jafari. Le général estime qu’une intervention militaire en Syrie porterait également un préjudice énorme à « Israël ». « Une attaque contre la Syrie entraînerait automatiquement une destruction d’Israël », a indiqué le chef des Pasdaran.

L’administration américaine est confrontée à un véritable casse-tête. Si elle s’abstient de mettre ses menaces à exécution contre la Syrie, elle aura essuyé un grave revers politique et diplomatique, qui aura des répercussions décisives sur le leadership mondial qu’elle prétend avoir. Si elle décide de passer à l’action, elle risque de provoquer une riposte inattendue, dont elle n’est pas disposée à supporter les conséquence, qui pourrait être une guerre régionale globale.

Dans les deux cas, l’Amérique est perdante.

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